I-1 Définition de la problématique………………………………..12 I

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LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE L’ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ EN HAÏTI – « LES TÂCHES DE L’ÉDUCATEUR POLITIQUE »
1
SOMMAIRE .……………………………………………………………………………1
INTRODUCTION………………………………………………………….……3
PREMIÈRE PARTIE: NOTRE PROBLÉMATIQUE ET LES MOTIFS DU
CHOIX DES AUTEURS....…..…………...……………...........………………..……...11
I-1
Définition de la problématique………………………………..12
I-2
Le cadre méthodologique : Le point de vue de Paul Ricoeur;
l’éducation entre enracinement et arrachement………..…..17
I-2-a
Les trois tâches de l’éducateur politique……………………………………..18
I-2-b Quelques retombées ou questionnements de cette approche de Ricoeur pour
notre recherche…………….……………………………………………..…..…23
I-3
Condorcet : Motif historique et pertinence de sa
philosophie politique pour notre recherche..………………26
I-3-a
Motif historique et politique…………………………………………………..26
I-3-b
Motif philosophique ……………………………………………………………28
I-4
Anténor Firmin : Motifs du choix…………………………….29
I-4-a
Motif historique………………………………………………………………...29
I-4-b
Motif politique : son engagement politique national et international………29
I-4-c
Motif philosophique : Son option pour la philosophie des Lumières……….30
I-5
Conclusion partielle……………………………………………32
DEUXIÈME PARTIE:
CONDORCET, SA PHILOSOPHIE POLITIQUE
DE L'ÉDUCATION………………………………………………………………..…...33
II-1
II-1-a
L’influence politique et philosophique de Condorcet…….34
Le rationalisme politique……………………………………………………...34
II-1-b L’influence philosophique : Garantir la vérité contre l’erreur du nombre..41
II-1-c La tâche de l’éducateur politique : la formation de citoyen éclairé et
républicain………………………………………………………………………………45
II-1-d L’éducateur politique selon Condorcet au regard de la tâche de l’Éducateur
politique selon Paul Ricoeur…………………………………………………………...47
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II-2
2
Les limites de la philosophie politique de l’éducation de
Condorcet ……………………………………………….………..52
II-2-a Contexte historique…………………………………………………………….52
II-2-b Limite épistémologique………………………………………………………...59
II- 3
Conclusion partielle…………………………………………….64
TROISIÈME PARTIE: ANTÉNOR FIRMIN ET ÉDOUARD GLISSANT :
MODERNES INSPIRANT UNE ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ DANS UN
CONTEXTE POSTCOLONIAL………………………………………………………65
III-1 La philosophie politique des Lumières face à la philosophie
politique romantique…………………………………………………..68
III-1-a
La philosophie politique des Lumières du XVIIIème siècle :
l’humanité universelle fondée sur sa nature seule comme originaire……….69
III-1-b
La philosophie politique du romantisme du XIXème siècle :
l’humanité particulière en appartenance à un monde commun et s’arrachant
à la nature originaire……………….…………………………………………..71
III-2
Anténor FIRMIN dans « De l’égalité des races »: Pour une
appartenance citoyenne……………………..…………………75
III-3
Edouard GLISSANT et le Tout-monde : Pour une identité
composite…………………………………………………………96
III-4
Conclusion partielle………………………………………….110
CONCLUSION GÉNÉRALE ET BILAN CRITIQUE..………113
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................... 1221
I-
Bibliographie de travail………………….…………………….122
I -1
Articles de Revues et de Périodiques…………………………………………125
I-2
Sitographie…….……………………………………………………………….126
II-
Bibliographie complémentaire……………………………….127
II-1
Articles de Revues et de Périodiques…………………………………………133
ANNEXE…………..……………………………………………………………….135
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3
INTRODUCTION
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Nous partons de la considération selon laquelle la naissance de la République
d’Haïti met fin à la colonisation française dans la partie occidentale de l’île de SaintDomingue, ex-colonie de la métropole française durant environ trois siècles. La
proclamation de l’indépendance d’Haïti fut la création d’une nation formée d’anciens
libres renfermant majoritairement des métis et quelques esclaves noirs à talents, de
nouveaux libres regroupant les anciens esclaves noirs indigènes et les quelques derniers
venus d’Afrique, puis de quelques anciens maîtres blancs protégés pour leurs
compétences. Avec cette population, la citoyenneté haïtienne fut à inventer. L’identité est,
en principe, celle englobant « l’indigène » et le « sujet » devenu libre et indépendant de
toute sujétion extraterritoriale, quelque soit l’appartenance raciale : nègre, métisse et
même blanche. Nous admettons le postulat selon lequel, l’indépendance d’Haïti signe son
entrée dans la liste des États-Nations selon la définition que donne Tzvetan Todorov de
l’État-nation, dans « La peur des barbares - Au-delà du choc des civilisations » 1, comme
une conjonction de deux conditions, d’une part « un pouvoir attribué à l’ensemble des
citoyens », d’autre part « un groupe humain ayant même langue et mêmes traditions (dont
la religion), ce qu’on appelle parfois une ethnie. » Haïti, dès l’indépendance, émerge avec
la langue maternelle et vernaculaire des indigènes, le créole avec la religion vodou, donc
une seule ethnie comme mélange syncrétique des ethnies d’origine africaine fondues dans
le moule colonial français. Quoiqu’il a fallu attendre deux cents ans, après
l’indépendance, pour voir le créole et le vodou accéder finalement à égalité et
conjointement avec la langue française et la religion catholique romaine comme langues
et religions officielles de l’État d’Haïti. Au moment de l’indépendance, l’État d’Haïti
adopta le français comme unique langue officielle, et le catholicisme romain comme
unique religion officielle, laissant en sourdine le créole, langue de la majorité du peuple,
et le vodou, pratique religieuse du plus grand nombre et moteur de la révolution
triomphante. Considérant que la nation est une « âme », selon Renan, un principe
spirituel constitué de deux éléments : la possession d’un riche legs de souvenirs et le
consentement ou désir de vivre ensemble; considérant par ailleurs le constat de l’échec
TODOROV Tzvetan, (2008), La peur des barbares - Au-delà du choc des civilisations, Robert Laffont,
France, p.103.
1
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sur le plan de la démocratie et du développement dans cette ancienne colonie française,
nous émettons une double hypothèse. D’une part, Haïti n’a jamais défini un vivre
ensemble qui témoigne d’une citoyenneté digne d’une République fondée sur les lois, la
volonté générale et les valeurs universelles, selon les idéaux des Lumières et de la
Révolution française. D’autre part, l’esprit ou «l’âme » de la nation haïtienne s’enferme
inconfortablement dans l’élément sensible, la race, caractérisant l’avènement de la
première République nègre indépendante. Autrement dit, Haïti est d’une part une
République où les idéaux des Lumières sont en mal, d’autre part Haïti est une Nation où
la question de couleur est sensible. Donc, la citoyenneté haïtienne se cherche entre, d’une
part la quête du savoir c’est-à-dire du développement intellectuel et moral comme
condition du progrès, et d’autre part l’exaltation de la sensibilité. Autrement dit la
citoyenneté haïtienne se cherche entre la référence à des valeurs universelles et la
référence à des valeurs nationales ou d’appartenance. L’éducation du citoyen haïtien a du
viser entre un arrachement et un enracinement. La formation du citoyen haïtien s’est
cherchée éperdument dans l’inspiration moderne, c’est-à-dire entre l’esprit des Lumières
et l’esprit romantique.
« Comment définir la citoyenneté? » C’est comme si nous reprenons le titre d’un
chapitre du livre de Bernard Delemotte et Jacques Chevalier : Étranger et citoyen- Les
immigrés et la démocratie locale2. Le terme citoyenneté renvoie d’abord à un statut : le
statut de citoyen ou pratiquement de national. La citoyenneté se confond dans ce cas avec
la nationalité, au sens où l’on parle de la citoyenneté française pour la nationalité
française, comme on parle aux Etats-Unis d’Amérique de citizenship ou de american
citizen pour la nationalité américaine. Ensuite, la citoyenneté peut recouvrir un ensemble
de prérogatives liées à la qualité de citoyen. C’est-à-dire à un ensemble de droits incluant
par exemple le droit de vote, des droits politiques, des droits civils ou des droits civiques.
Ce qui dépasse le cadre des nationaux pour s’ouvrir aux étrangers sur un territoire donné.
Enfin, la citoyenneté désigne également un certain type de comportements par lesquels
l’individu participe à la vie de la cité, manifestant son intégration à la collectivité. Dans le
contexte qui nous intéresse dans notre recherche, celui allant de l’époque des Lumières à
2 DELEMOTTE Bernard et CHEVALIER Jacques, (Dir.), (1996), Étranger et Citoyen – Les immigrés et la
démocratie locale, éd. L’Harmattan, Paris, 174 pages.
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celle du romantisme, nous retenons les termes « citoyen » et « citoyenneté » à partir de la
conception originaire issue de la tradition révolutionnaire. Et là, la citoyenneté ne se
conçoit que par référence à une communauté politique, à l’exercice du pouvoir politique.
Dans le cadre de l’État-nation, sans trop évolué par rapport à la citoyenneté antique, le
citoyen se définit comme le titulaire d’une parcelle de la souveraineté nationale, où la
plupart du temps seuls les nationaux sont citoyens. Donc, la citoyenneté moderne se
définit comme l’appartenance à un groupe sociale. Ainsi les effets de cette citoyenneté
vont bien au-delà de la sphère politique où la dénégation de la citoyenneté conduit à la
dénégation de l’égalité en tant qu’attribut de la citoyenneté, puisqu’il s’agit de privilège
réservé aux citoyens. Ce concept d’égalité arrive au centre de notre recherche puisque
nous questionnons l’influence d’un traité « de l’égalité des races humaines » de Anténor
Firmin 3 sur la conception de la citoyenneté en Haïti. Alors, la question de ce dernier sur
l’égalité des races n’implique-t-elle pas c’est-à-dire n’enveloppe-t-elle pas plus largement
l’idée d’une citoyenneté ayant pour attribut une égalité qui ne soit pas un privilège
réservé aux citoyens mais à tous? Qu’ils s’agissent de citoyens éclairés ou de citoyens
nationaux, à moins que tous soient universellement citoyens en toute égalité.
La question de la citoyenneté en Haïti, se pose dès 1804. Une République est née,
mais elle est nègre. Le citoyen est inscrit dans l’ordre républicain et en même temps dans
l’ordre postcolonial. Les valeurs héritées sont celles de l’ancienne métropole traversée
par les valeurs des Lumières. Mais la nouvelle République nègre s’approprie de valeurs
ataviques contraires aux valeurs universelles clamées jadis à la tribune de la Convention
Nationale et naguère par la fameuse Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, en
métropole. D’ailleurs le Régime colonial ne les avait jamais appliquées dans les colonies
jusqu’au jour où les esclaves révoltés de St Domingue leur donnèrent droit de cité. Dans
ce contexte postcolonial nous ne pouvons occulter l’importance du model économique
colonial : les plantations. Ce système économique, en Haïti et dans les Antilles, s’est
épanoui à partir de l’esclavage des noirs venant d’Afrique organisé par les colons blancs.
Or, après la proclamation de l’indépendance d’Haïti, les indigènes libres ont décidé le
rétablissement de l’esclavage sur l’île en vue d’épouser le modèle économique colonial.
3 FIRMIN Anténor, 2008, De l'égalité des races humaines (anthropologie positive), éd. Mémoire d’encrier,
Montréal. (Paris: F. Pichon, 1885; Paris: L'Harmattan, 2003).
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Ce fait n’est pas sans importance pour la question de la citoyenneté. Tout comme il y
avait un fait colonial esclavagiste à St Domingue avant l’avènement de la République
nègre d’Haïti, il y eut également un fait postcolonial esclavagiste en Haïti, et il y eut dans
la Caraïbe le fait non contradictoire sémantiquement ni juridiquement du citoyen colonisé
non esclave depuis la loi française républicaine du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage
colonial. Comment définir la citoyenneté dans le contexte postcolonial? Pour chercher la
nature de la citoyenneté axée sur la race ou sur les valeurs ataviques, ne faut-il pas bien
définir le cadre et le contexte postcoloniaux? N’est-ce pas le rappel du « système
plantationnaire dans une économie préindustrielle et coloniale »
4
comme modèle
économique s’imposant nécessairement comme source de survie de l’ancienne colonie,
qui permet de saisir l’originalité de la citoyenneté haïtienne plutôt raciale contrairement à
la citoyenneté coloniale comme conciliation du projet colonial avec l’abolition de
l’esclavage? La plaidoirie moderne et scientifique de Anténor Firmin, en faveur de
l’exaltation de la race noire dans son traité de « l’égalité des races humaines –
anthropologie positive » 5 faisait face à ce dilemme. Tout comme, « le Traité du ToutMonde » de Édouard Glissant6, plaidant en faveur de l’excellence du métissage racial
contre tout atavisme, continue de faire face à cette difficulté. Les fondements
anthropologiques et les conséquences de ces deux traités antillais dictent un mode
spécifique de citoyenneté.
L’enjeu d’une telle recherche est bien l’impact du projet civilisateur depuis
l’origine de la conquête coloniale des temps modernes et qui continue aujourd’hui sous
d’autres formes, avec au XXIème siècle, comme dit Françoise Vergès, la même « mission
civilisatrice » 7, dans les politiques humanitaires. L’éducation à la citoyenneté en contexte
postcolonial doit faire face au concept de civilisation. Nous chercherons au travers de ces
deux écrits la définition des tâches de l’éducateur politique pour une philosophie
politique de l’éducation à la citoyenneté. Nous disons que nous visons à une philosophie
4 LARCHER Sylvane, (2005), « La souveraineté moderne devant le fait colonial dans les villes colonies :
de l’esclavage moderne à la « citoyenneté impériale » », in Recherches haïtiano-antillaises #2, État et
société civile dans l’Arc Antillais, l’Harmattan, p.165.
5 FIRMIN Anténor, 2008, De l'égalité des races humaines (anthropologie positive), éd. Mémoire d’encrier,
Montréal. (Paris: F. Pichon, 1885; Paris: L'Harmattan, 2003).
6 GLISSANT Edouard, (1997), Traité du tout-monde, Gallimard, France, 262 pages.
7 VERGÈS, Françoise, (2001), Abolir l’esclavage : une utopie coloniale. Les ambiguïtés d’une politique
humanitaire, Albin Michel, France, 229 pages.
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politique de l’éducation, au sens que Marcel Gauchet 8 donne à cette discipline : une
démarche consistant à accomplir un travail d’éclaircissement qui dépasse la tâche
spéculative de la philosophie de l’éducation, mais qui cible l’écoute des professionnels de
l’éducation sur des problèmes à identifier. Par exemple, ceux qui sont de l’ordre de la
citoyenneté ou de l’éducation à la citoyenneté. Dans notre cas, une citoyenneté à chercher
entre arrachement et enracinement, et qui est susceptible d’assigner des tâches à
l’éducateur politique. Nous allons débusquer cette conception de la citoyenneté puis les
tâches y relatives et qui incombent à l’éducateur politique. Firmin, en authentique homme
des Lumières, n’a de cesse de prouver que toutes les races humaines sont sujettes à
l’évolution et au progrès dès qu’elles accèdent à la civilisation par une éducation
intellectuelle et morale, comme le témoigne la race éthiopique ou noire au travers des
échantillons et belles figures des noirs indigènes et métis de la première République
nègre d’Haïti. Nous trouvons dans cette position de Firmin des éléments pour une
définition de la citoyenneté moderne axée sur la liberté comme bien commun et public et
sur l’égalité comme droit naturel d’être homme selon la conception d’une subjectivité
juridique. La citoyenneté est fondée sur une égalité en droit entre ancien maître et ancien
esclave sous l’autorité de la loi. Haïti est une République, or, ce devrait être des citoyens
unis qui forment la république. Nous analyserons la conception du Bien commun (res
publica) de Firmin pour comprendre les incidences de son éloge de la race noire, axé sur
le modèle moderne européen et sur celui des Lumières avec la civilisation blanche
comme référence, sur tout projet d’éducation politique postérieur. Notre analyse
s’effectuera toujours dans un contexte postcolonial, car si la citoyenneté antique était ce
qui se distingue de statut d’esclave, la citoyenneté moderne visait l’égalité entre les
hommes comme si : être vraiment homme c’est être citoyen. Ce que revendique Firmin
dans de l’égalité des races humaines. Un postcolonialisme qui part des temps modernes
et qui est essentiellement critique de l’humanisme et de l’universalisme européen mais
qui ouvre la voie à une politique du semblable reconnaissant l’autre et sa différence. Dès
l’entame du XIXème siècle on a vu craquer le colonialisme au travers de la mauvaise
réception, par la métropole, de la Constitution de 1801 de Toussaint Louverture. Celle-ci
8 GAUCHET Marcel, OTTAVI Dominique et BLAIS Marie-Claude, (2002), Pour une philosophie
politique de l’éducation, éd. Bayard, France.
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a sonné le glas du système colonial pour en annoncer l’après ou le futur des colonies. En
emprisonnant Toussaint Louverture au Fort de Joux en 1803, la métropole de Napoléon
en plus de rétablir le Code noir prouva sa surdité aux revendications des colonies qui ne
trouveront satisfaction qu’après la Révolution de février 1848 en France avec
paradoxalement une meilleure assise pour le pouvoir colonial, alors que la Constitution
de 1801 avait anticipé en disant que tous les habitants de St Domingue naissent libres,
égaux en droit et français. L’exacerbation sentimentale de l’éloge de la race noire ne
s’imposait-elle pas pour faire entendre raison à la métropole? La proclamation de
l’indépendance et de la République d’Haïti mettant fin à la colonie et momentanément à
l’esclavage fut une réponse qui fit passer rapidement à l’idée d’une citoyenneté
territoriale, nationale et raciale. Telle est la réalité que FIRMIN chercha à continuer de
faire exister. Nous montrerons comment « le traité de l’égalité des races humaines »
continue la lutte anticoloniale par l’exacerbation des facteurs de classe et des facteurs de
race. Or, l’attachement à l’origine dite de race constitue en même temps une
« exacerbation des valeurs coloniales dans une société dite nationale » 9, comme le pense
l’historien haïtien du phénomène postcolonial Vertu St-Louis. Toutefois l’œuvre de
Firmin traduit la réflexion des anciens colonisés sur eux-mêmes qui, en tant que
« indigène » et « sujet » à la fois, cherchent à rentrer en soi pour effectivement « dire je ».
La citoyenneté en termes de race revendiquant l’égalité, en termes de nationalité et de
territorialité se résume tout entier dans l’expression « première République nègre
indépendante. » Par contre, nous montrerons que dans le « Traité du Tout-monde » de
Édouard Glissant il y a une pensée non moins postcoloniale mais qui est avant tout une
pensée de l’entre-deux et de l’entrelacement permettant de rentrer en soi en sortant de soi
pour être avec les autres. C’est ce que Achille MBEMBE 10 exprime si bien : « Dans ces
conditions, « rentrer en soi», c’est d’abord « sortir de soi », sortir de la nuit de l’identité,
des lacunes de mon petit monde. »
11
Cette problématique, de l’enracinement
9 SAINT-LOUIS Vertus, (2003), « L’assassinat de Dessalines et les limites de la société haïtienne face au
marché international », in BÉNOT Yves et DORYGNY Marcel (dir.), (2003), Le Rétablissement de
l’esclavage dans les colonies françaises – Aux origines de Haïti, ed. Maisonneuve et Larose, France, 591
pages.
10 Note : MBEMBE Achille est l’auteur de De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans
l’Afrique contemporaine, Paris Katharla, 2000. Professeur d’histoire et de cience politique à l’Université se
Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud et à l’université de Californie (Irvine).
11 MBEMBE Achille (Déc. 2006), « Qu’est-ce que la pensée postcoloniale? », in Pour comprendre la
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enfermement et de l’arrachement ouverture, sera celle de notre recherche. Dit autrement
ce sera une manière de poser le problème de la citoyenneté entre appartenance et identité,
entre l’atavique et le composite.
Dès la première partie de notre travail nous définirons cette problématique dans le
cas spécifique de l’éducation à la citoyenneté en Haïti. Quelle éducation à la citoyenneté
pour Haïti? Quel citoyen le système éducatif haïtien produit-il? D’où remonte la source
philosophique et anthropologique du système éducatif haïtien? À défaut de répondre
exhaustivement à ces questions, ce qui relève d’un travail de thèse doctorale, nous
retracerons les tâches de l’éducateur politique dans ce contexte postcolonial tel que
l’appréhendent Firmin et Glissant. Car, chez les deux philosophes, il y a une critique de
l’humanisme et de l’universalisme européen, il y a une politique du semblable c’est-àdire une reconnaissance de l’autre et de sa différence. Nous repérerons ces tâches de
l’éducateur politique au travers du prisme taillé et proposé par Paul RICOEUR dans son
article «les tâches de l’éducateur politique »12 . Nous avons fait le choix méthodologique
de comparer nos auteurs en remontant aux présupposés modernes de leurs conceptions,
c’est-à-dire au débat sur la citoyenneté, la représentation et la République dans la
métropole, notamment à la Convention. Nous avons jeté notre dévolu sur Condorcet. La
première partie de notre développement consiste à expliquer notre problématique, notre
méthodologie et les motifs du choix des auteurs étudiés.
D’où le contenu de la deuxième partie du développement : Condorcet et sa
philosophie politique de l’éducation.
Enfin, dans la troisième partie nous étudierons Firmin et Glissant comme auteurs
antillais, respectivement moderne puis contemporain, héritiers des Lumières et qui
inspirent une anthropologie et une philosophie politique de l’éducation à la citoyenneté
dans un contexte postcolonial.
pensée postcoloniale, Revue Esprit, Paris.
12 RICOEUR Paul, 1991, « Les tâches de l'éducateur politique » (1965), in Lectures 1, Le Seuil, col.
Points/Essais, Paris.
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Ière Partie
Notre problématique et les Motifs du choix des auteurs
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I-1
12
Définition de la problématique
La question de la citoyenneté se situe entre celle de l’identité et de l’appartenance.
Vue sous l’angle de l’éducation, on peut se la poser dans son aspect didactique et
pédagogique ou par contre sous son aspect politique. Ce dernier nous place directement
en amont de la finalité de l’éducation. L’éducation est ici compris dans sa double
étymologie latine13 : Educare dont le présent educo signifie « nourrir ou instruire », et
Educere dont le présent educo signifie « conduire hors de ». Notre question de départ est
relative au type de citoyen que le système éducatif haïtien entend préparer. Le problème
est d’ordre de la finalité de l’éducation, donc de la politique de l’éducation.
Quel citoyen le système éducatif haïtien prépare-t-il? C’est une question de
départ dont la réponse se trouvera dans une recherche plus ample. Toutefois, se la poser
d’emblée, et au départ de la recherche, en définit la portée. Ce que nous ne voulons pas
traiter dans la présente étape de la recherche ce sont les aspects didactique et
pédagogique du problème. Par exemple, nous aurions pu, avec beaucoup d’intérêts et de
précision, nous saisir d’une composante du problème relative à la langue dans
l’enseignement ou la langue de l’enseignement. Ainsi, toujours sous les angles de
l’identité et de l’appartenance, on se demanderait si les haïtiens ont droit oui ou non à
leur français, en tant que copropriétaires de la langue française avec le Français de
l’ancienne métropole. Cela nous conduirait à balayer dans notre analyse tout le champ
didactique en rapport aux causes des dysfonctionnements du système éducatif haïtien.
Haïti étant riche de deux langues : le créole et le français, il reviendrait à analyser le
Albert Jacquard, extrait de "L'héritage de la liberté"
« Educare » ou « educere » Mais que signifie "éduquer" ?La réponse du dictionnaire, Larousse ou Robert,
est révélatrice : ce verbe viendrait du latin educo, educare. Et, en effet, le dictionnaire latin-français
consulté nous apprend que educo, -are signifie «nourrir, instruire». Mais surtout, il nous révèle un autre
verbe dont la première personne du présent est identique, educo, mais dont l'infinitif est educere ; il ne
s'agit plus de nourrir, mais de e-ducere, c'est-à-dire «conduire hors de», et en particulier, conduire hors de
soi-même. Ce qui a permis à Catulle d'utiliser educere dans le sens de «faire éclore», et à Virgile dans le
sens d' «élever un enfant».L'objectif premier de l'éducation est évidemment de révéler à un petit d'homme
sa qualité d'homme, de lui apprendre à participer à la construction de l'humanitude et, pour cela, de l'inciter
à devenir son propre créateur, à sortir de lui-même pour devenir un sujet qui choisit son devenir, et non un
objet qui subit sa fabrication.
http://maternage.free.fr/definition_eduquer.htm, consulté le 21 février 2009
13
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13
problème que pose le français, installé comme langue de prestige, au système
d’enseignement à tous ses niveaux, primaire, secondaire qu’universitaire. Ce serait, de
notre point de vue, saisir le système éducatif dans ses difficultés, en plein milieu de la
chaîne de questionnement sur ses finalités. Tel n’est pas le sens et le but de notre
recherche.
Nous voulons poser le problème en amont. Avec des questions comme : qu’est-ce
que la citoyenneté haïtienne? Est-elle conçue comme métissage et diversité ou, par contre,
comme quête de ses racines ataviques? Selon la réponse, on expliquera a posteriori et
comme consécutivement, les causes du déchirement : créole et français, école des villes
et école « d’en dehors» ou des campagnes, pays légal et pays réel. Bref, on trouvera la
réponse à la question : quel citoyen veut préparer le système éducatif haïtien ou bien à
quel profil de citoyenneté répond le système éducatif haïtien. Ainsi, serons-nous en plein
dans un problème de finalité de l’éducation ou de philosophie politique de l’éducation.
Puisque nous nous situons sur le champ de la philosophie politique, nous
choisissons de remonter dans l’histoire politique d’Haïti au plus lointain des textes ou des
penseurs fondateurs d’une vision de l’éducation susceptibles d’éclairer le présent. Cette
démarche exige de ne pas nous enfermer dans des courants de pensée ni du passé, ni
d’Haïti exclusivement. D’où la nécessité d’un cadre conceptuel large incluant le passé
historique et le présent de la pensée politique. Vu que la République d’Haïti naquit au
XIXème siècle en pleine mouvance postcoloniale, au moment où la dynamique
émancipatrice des Lumières contrastait avec la quête romantique de l’humanité, le cadre
idéal pour notre recherche est celui du postcolonialisme.
Nous disons postcolonialisme au sens historique et philosophique, sans déborder
sur la post-colonie qui concerne la responsabilité de l’haïtien d’aujourd’hui réfléchissant
sur ses fractures où l’ennemi n’est pas le colon, mais le « frère » de la patrie commune.
Nous saisissons la pensée postcoloniale, comme cadre de recherche, au moment
inaugural du lendemain des luttes anti-coloniales. Ce moment de la réflexion des anciens
colonisés sur eux-mêmes dans leur double identité d’« indigène » et de « sujet » devenu
libre. Nous retiendrons dans notre recherche un texte canonique d’un penseur haïtien,
Anténor Firmin, « De l’égalité des races humaines »
14
. En quoi son discours fut
14 FIRMIN Anténor, 2008, De l'égalité des races humaines (anthropologie positive), éd. Mémoire
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14
postcolonial, et en même temps traça les lignes d’une philosophie politique de
l’éducation? Dans l’ancienne métropole coloniale, également, il a fallu trouver un
penseur canonique s’inscrivant dans ce moment historique du postcolonialisme où les
impulsions de sa pensée de l’éducation s’inscrivent dans la trajectoire conduisant à
l’abolition de l’esclavage en France et dans les colonies. Un penseur français dont la
vision influencera la philosophie politique de l’éducation dans la République, au
carrefour où la pensée émancipatrice des Lumières sera contrée par la vision humaniste
romantique. Ce sera la pensée de Nicolas de Condorcet que nous étudierons afin
d’explorer en quoi elle influencera les auteurs et textes fondateurs
des nations
postcoloniales, la République d’Haïti en particulier. En quoi, les traces de la philosophie
politique de l’éducation de Condorcet se découvriront chez Anténor Firmin? Nous
comparerons ces deux penseurs de l’idée républicaine. La pensée de Condorcet nous
aidera à résoudre le problème qui consistera à déceler si l’école républicaine
postcoloniale répond, en tant qu’institution, à sa vocation civilisatrice d’émanciper le
citoyen ou bien si elle transmet un héritage civilisateur précis soit atavique, ancestrale.
Toute pensée philosophique étant essentiellement ouverte et tissée d’idées
éclaircies et critiques, c’est-à-dire actuelles. Il y a lieu de soumettre nos penseurs à la
critique ou à la confrontation d’idées opposées mais qui nous soient contemporaines et
actuelles. Ainsi, critiquerons-nous la pensée politique de l’éducation de Condorcet au
moyen des pensées de Pierre Rosanvallon ou de Blandine Kriegel, dans l’aspect
républicain de leurs réflexions. La pensée d’Anténor Firmin sera comparée à la pensée
contemporaine du penseur martiniquais Edouard Glissant, dans l’aspect d’une
citoyenneté entre l’identité et l’appartenance, entre l’enracinement et l’arrachement. Bref
nous revisiterons la pensée de Condorcet aujourd’hui au travers de Rosanvallon. De
même, nous revisiterons Anténor Firmin aujourd’hui au travers de Glissant.
Quelle articulation dégage-t-on dans le cadre de la pensée postcoloniale, entre une
citoyenneté selon l’esprit des Lumières et une citoyenneté selon l’esprit du romantisme?
Nous la chercherons de manière politique et historique. Notre retour historique, pour
poser le problème de l’éducation à la citoyenneté en Haïti, nous conduit à l’époque
moderne avec l’avènement de la République en France, la création de la première
d’encrier, Montréal. (Paris: F. Pichon, 1885; Paris: L'Harmattan, 2003).
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15
République nègre dans l’ancienne colonie française d’Haïti. Comment l’éducateur
politique doit-il penser théoriquement sa tâche de former le citoyen? Nous chercherons le
lien entre la tâche de l’éducateur politique et la philosophie politique de l’éducation dans
un contexte postcolonial. Sa tâche visera-t-elle à un arrachement et une ouverture, ou
bien, à un enferment et un repliement? Tendra-t-elle à une identité composite du citoyen
formé ou bien à un renforcement de son appartenance atavique? La modernité
postcoloniale baigne dans cette difficulté politique entre une République selon les valeurs
universelles des Lumières ou une République selon les valeurs multiculturalistes.
En définitive, notre problématique, dans son double aspect historique et de
philosophie politique, consiste en la découverte de l’influence d’une philosophie
politique sur la tâche de l’éducateur politique en Haïti dans le contexte postcolonial.
Notre démarche méthodologique consiste à passer nos auteurs canoniques
sélectionnés au crible de la proposition de Paul Ricoeur dans son texte : « Les tâches de
l’éducateur politique »15. Ce dernier servira de cadre méthodologique, pourquoi? Cet écrit
de Paul Ricoeur nous semble très approprié pour nous permettre de saisir la place laisser
à la distance et à la proximité dans la pensée de nos auteurs Condorcet et Anténor Firmin.
C’est pour mieux saisir la place occupée par la distance et la proximité dans leur vision
de la citoyenneté que nous les plaçons en regard, en comparaison respectivement avec la
pensée de Pierre Rosanvallon et de Édouard Glissant. Autrement dit, Paul Ricoeur fera
office de plan conceptuel sur lequel nous comparerons deux familles de concepts. Notre
recherche consistera, in fine, à découvrir si, éventuellement, la philosophie politique que
développe la pensée de Firmin éclaire la tâche de l’éducateur politique aujourd’hui en
Haïti; et comment? Nous rappellerons la manière dont Ricoeur décrit la tâche de
l’éducateur politique. Nous chercherons à illustrer cette approche de Ricoeur au travers
de la philosophie de l’éducation par Condorcet, ou par Pierre Rosanvallon dans une
perspective critique de celle de Condorcet. À cette étape de notre analyse nous
rechercherons les traces de ces deux trajectoires conceptuelles, de Condorcet versus
Pierre Rosanvallon, dans la pensée de Anténor Firmin, tout en comparant celle-ci à la
pensée de Edouard Glissant.
15 RICOEUR Paul, 1991, « Les tâches de l'éducateur politique » (1965), in Lectures 1, Le Seuil, col.
Points/Essais, Paris.
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16
Cette démarche comparative et symétrique, sur un fond ou un contexte historique
et politique précis, le post-colonialisme français en Haïti, nous permettra mieux de faire
ressortir la spécificité de la philosophie politique de l’éducation pouvant éclairer la tâche
de l’éducateur politique haïtien. Cette démarche témoigne en même temps de notre souci
de tout relativiser. L’éducation du citoyen nous sert en même temps de prétexte ou,
mieux, de présupposé et de perspective, puisqu’il est le thème pour lequel nous
convoquons Condorcet et Rosanvallon. La pensée de Paul Ricoeur sur « les tâches de
l’éducateur politique » nous sert tout autant de présupposé, car elle conjugue bien
l’articulation entre l’enracinement et l’arrachement dont le contexte postcolonial et le
concept de citoyenneté sont prégnants. Finalement, c’est de ce contexte caribéen et
postcolonial, dans lequel baigne la pensée de Anténor Firmin et d’Édouard Glissant, que
nous comparerons deux philosophies politiques de l’humanité où les deux familles de
concepts relatives à l’arrachement et l’enracinement s’affrontent. De celles-ci, nous
faisons l’hypothèse qu’une philosophie politique de l’éducation se dégage, et qu’elle, en
particulier celle de Anténor Firmin qui nous intéresse, puisse relativement dicter les
tâches de l’éducateur politique en Haïti. C’est-à-dire, de ces familles de concepts
élucidées chez Firmin et chez Glissant nous chercherons quels éclaircissements sur la
philosophie de l’éducation de la citoyenneté, ou sur l’éducation à la citoyenneté tout court,
on peut dégager. Déjà notre travail fait œuvre de philosophie politique de l’éducation
puisqu’il consiste à démasquer les contradictions et les limites des discours postcoloniaux
sur la civilisation chez nos auteurs, alors qu’ils font déjà autorité en matière de
philosophie de l’éducation et de la formation à la citoyenneté.
En définitive, deux familles de concepts sont mises en présence dans cette
recherche axée sur l’humanité et la citoyenneté. Les deux familles de concepts en
présence sont d’une part celle de l’humanité comme arrachement, avec les concepts
corollaires tels l’identité, l’ouverture, la civilisation mondiale, l’apprentissage,
l’acquisition, la raison, l’unité et l’universalité des acquis, la diversité, le composite.
D’autre part, la famille conceptuelle de l’humanité comme enracinement, avec les
concepts connexes tels l’appartenance, l’enfermement, la civilisation particulière, le
renoncement individuel, la dissolution, le repliement, la sensibilité, la tendance, les
valeurs et symboles archaïques, l’atavique. Le plan conceptuel sur lequel se déploieront
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17
ces concepts est celui du postcolonial. Bien entendu, le champ à explorer reste et demeure
celui de la République, vu que les deux terrains de recherche dans le cadre postcolonial
impliquent la France comme République et ancienne métropole et la République d’Haïti
comme ancienne colonie française, avec une devise commune aux deux républiques:
liberté, égalité, fraternité.
I-2
Le cadre méthodologique : Le point de vue de Paul
Ricoeur; l’éducation entre enracinement et arrachement
Le motif du choix de Ricoeur, en plus d’être un cadre méthodologique, est d’ordre
philosophique. Il s’agit de bien situer les retombées de la pensée de Ricoeur, quant aux
« tâches de l’éducateur politique », sur notre questionnement au sujet de la
compréhension de l’éducation citoyenne entre arrachement et enracinement.
En effet, si d’un côté éduquer c’est inculquer des valeurs propres et particulières de
ses racines en terme d’images et de symboles, de l’autre, éduquer c’est apprendre à
réfléchir et à parler un langage universel, ou un discours rationnellement acceptable.
Dans le premier cas, l’éducation vise à la formation de l’être dans ses facultés de
sensibilité et d’imagination au sens du « educare » de l’étymologie latine, dans le second
elle vise à faire sortir le sujet de soi-même vers autre que lui, au sens de « educere » en
latin, par l’acquisition d’un savoir. D’un côté, il est question d’une socialisation par
imitation ou par immersion au moyen d’un mode de transmission traditionnel
s’instruisant, se nourrissant ou s’enracinant dans la tradition, de l’autre, il s’agit d’une
socialisation méthodique par le discours réflexif arrachant à la tradition.
Or, ces deux perceptions se trouvent bien articuler dans « Les tâches de l’éducateur
politique » 16.
16 RICOEUR Paul, Ibidem.
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I-2-a
18
Les trois tâches de l’éducateur politique
Trois niveaux de réalité ou trois aspects du phénomène de civilisation, au sens
large, sont dégagés par Ricoeur dans son texte « Les tâches de l’éducateur politique »17, il
s’agit de l’outillage, l’institution et les valeurs. Les trois tâches assignées à l’éducateur
politique sont respectivement greffées à chacun de ces aspects.
D’abord, l’expérience humaine de tout sujet historique, qu’elle soit spirituelle,
individuelle, morale ou scientifique, un savoir, un pouvoir ou un bien disponible, elle
constitue un témoignage culturel durable et appartient à la civilisation mondiale. Elle
appartient à toute la collectivité humaine. En cela, elle témoigne d’une humanité unique.
C’est ce que Ricoeur nomme comme domaine de l’outillage. Il est formé des traces, des
documents et des monuments, des ouvrages, des livres et des bibliothèques. Comme
premier niveau du phénomène de civilisation, il est constitué par l’ensemble des biens
communs à une unique civilisation humaine. Donc, l’humanité est comme un seul
homme. Cela implique que tout homme est membre d’un genre humain universel.
Nous retenons, pour la suite de notre recherche, notamment en ce qui aura trait à
la doctrine anthropologique d’Anténor Firmin dans « De l’égalité des races humaines »18,
que Ricoeur parle d’unité et pas forcément d’égalité à ce niveau de la civilisation ou
d’universalité de l’humanité.
« … l’humanité, dans sa profondeur, est une, bien que cette unité ne
puisse se saisir elle-même, ne puisse prendre conscience de soi que par le moyen
de la communication, et non pas par un processus d’identification et de
nivellement. » 19
Ricoeur est en cela très proche de l’humanité prônée par les Lumières au sens où
l’autonomie individuelle est importante, aussi bien que la publicité, de manière à tenir
17 RICOEUR Paul, idem.
18 FIRMIN Anténor, 2005, De l'égalité des races humaines (anthropologie positive), éd. Mémoire
d’encrier, Montréal. (Paris: F. Pichon, 1885; Paris: L'Harmattan, 2003).
19 RICOEUR Paul, idem, p. 247.
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19
compte de l’autre comme sujet dans la communication en tant qu’un autre soi-même, un
« idem », plutôt qu’un « ipse ».
D’où la première tâche de l’éducateur politique. Ce dernier dans son intervention
ne sera pas seulement protestataire contre l’injustice et l’inégalité, mais, devra préparer
ou initier, donc former, les hommes ou le citoyen à la responsabilité de la décision
collective. C’est-à-dire à répondre de la civilisation mondiale ou de l’unique humanité au
travers des choix collectifs.
Dans la deuxième et la troisième partie de notre travail, au travers de ce premier
aspect de la tâche de l’éducateur politique nous questionnerons l’hégémonie de
l’humanisme éducatif occidental soit dans la doctrine de l’instruction publique chez
Condorcet, soit dans la doctrine anthropologique de Firmin, et peut être tout
différemment dans la vision du « Tout-monde » chez Glissant. Quelle place occupe les
concepts de responsabilité collective, de la civilisation mondiale et de l’égalité dans le
contexte postcolonial?
Un deuxième niveau de la civilisation, au sens large, consiste en les manières
pour chaque groupe d’individus ou chaque peuple de faire exister les moyens matériels et
spirituels qui forment les biens communs de l’humanité. Ceux-ci sont considérés comme
mis en œuvre par le groupe, en tant que réalité technique et économique. Ricoeur pense
que cela est de l’ordre des institutions. C’est de l’ordre des formes d’existence sociale ou
de droit, ou par décision, ou par l’exercice de la force c’est-à-dire de l’exercice du
pouvoir. Autant que cette politique témoigne d’un vivre ensemble propre à un peuple,
autant que les réalisations techniques ou bien les manières de vivre témoignent de la
société technique mondiale ou de la civilisation universelle.
Si l’outillage forme un héritage culturel durable, les institutions par contre restent
abstraites, aléatoires et soumises à évolution. Celles-ci ne se développent pas de manière
autarcique et fermée. Au moyen des échanges, les techniques sont sujettes à progrès ou à
évolution. En ce sens, cet aspect politique ou cette dimension institutionnelle du pouvoir
est périssable, incertaine et toujours à se renouveler. Une tension existe à ce niveau. D’un
côté, il y a l’universalisme technique qui concorde avec un temps d’acquisition et de
progrès. De l’autre, il y a le plan éthico-politique qui convoque la responsabilité morale
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20
du citoyen. La société mondiale industrielle contemporaine offre un exemple notoire de
cette tension. Ricoeur en parle ainsi :
«… face à l’anonymat et à la déshumanisation des rapports entre individus
au sein de la société industrielle. La formes barbares de l’urbanisme dans
lesquelles nous sommes plongés, le nivellement des goûts et des talents par les
techniques de consommation et de loisir nous montrent assez qu’il faut lutter sur
deux fronts » 20.
D’une part, il faut entrer dans la civilisation mondiale d’autre part il faut veiller à
promouvoir la vocation humaine à l’identité individuelle. Ces chantiers impliquent deux
moralités : une morale de conviction d’une part et une morale de responsabilité de l’autre.
La civilisation moderne, dans son aspect universel ou au niveau du développement
technique et économique mondial, nécessite de bien distinguer les niveaux de
responsabilités morales au niveau éthico-politique. Il y a lieu de bien distinguer entre qui
répond de la morale de conviction, de l’ordre de la personnalité individuelle et culturelle,
et qui répond des décisions et de l’usage de la force ou de l’exercice du pouvoir, ce qui
est de l’ordre des décisions politiques ou institutionnelles relativement à l’entrée dans la
société technique mondiale. Cependant, ces deux morales interagissent et s’exercent des
pressions réciproques.
La tâche de l’éducateur politique revient à arbitrer ces deux moralités. Autrement
dit, cette tâche consiste à un équilibrage. « La tâche de l’éducation est, à mon sens, de
maintenir en ce point une tension vivante » 21, dit Ricoeur.
Dans la suite de notre travail de recherche nous questionnerons les philosophies
de nos auteurs, Condorcet, Firmin et Glissant, sur cet équilibre des temporalités dont
parle Ricoeur. Puisque pour ce dernier, la citoyenneté est toujours un plaidoyer
philosophique pour la subjectivité, mais également la manifestation d’un équilibre entre
s’ouvrir au monde et assumer ses spécificités sans s’enfermer dans son histoire ou dans
20 RICOEUR Paul, idem, p. 252.
21 RICOEUR Paul, idem, p. 251.
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21
l’esprit de son peuple, qu’en est-il dans les doctrines philosophiques des auteurs que nous
étudions?
La subjectivité sera au centre du troisième niveau de la civilisation qui définira la
troisième tâche de l’éducateur politique. Cette subjectivité n’est pas seulement entre un
arrachement et un enracinement à la naturalisation, mais intègre plutôt les deux. Il ne
s’agit pas d’un sujet maître et possesseur de la nature, mais d’un sujet qui reçoit une
nature, rationnelle et sensible à la fois, comme monde commun à la fois universel et
particulier. La subjectivité dont parle Ricoeur, est une résultante de l’humanité telle que
conçue par les Lumières et par les romantiques dans l’anthropologie moderne occidentale.
Robert Legros commentait Hannah Arendt sur cet équilibre nécessaire à une subjectivité
pleinement affirmée et accomplie.
« Cependant l’arrachement à la naturalisation n’est pas pour Arendt le fait
d’un sujet car il suppose un monde commun, et ne peut viser un isolement car il
ne peut se poursuivre qu’au sein d’un monde commun : c’est seulement par son
appartenance à un monde commun que l’être humain peut penser et juger par luimême, faire et sentir par lui-même. » 22
L’autonomie du sujet, si chère à la modernité tant des Lumières que des
romantiques, trouve un sens plein chez Arendt comme chez Ricoeur. Penser, juger, agir
ne sont pas l’apanage d’un sujet dénoué de sensibilité, mais d’un sujet nourri d’une
spiritualité intégrant la raison et la sensibilité.
Le troisième aspect de la civilisation, celui des valeurs, n’est pas isolé ni ne
constitue le seul chantier de la tâche de l’éducateur politique. Il est cependant articulé aux
deux précédents aspects. Les valeurs, les images et les symboles sont propres à chaque
peuple et à chaque culture. Ils sont de l’ordre d’un rapport de valorisation faite de
rapport au monde, aux autres et à soi-même. Ils ne sont pas thésaurisables en vue d’une
préservation et d’une transmission. Ce sont des mœurs pratiques que Ricoeur qualifie de
22 LEGROS Robert, (1993), L’idée d’humanité, Introduction à la phénoménologie, éd. Grasset, France, p.
266.
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22
« noyau éthico-mythique » 23 . Ils témoignent de la pluralité de l’humanité, faite de
tradition, de mémoire, d’imaginaire, d’enracinement archaïque.
La troisième tâche de l’éducateur politique sera la dialectique entre
l’enracinement et l’arrachement par la faculté de penser, de juger et d’agir par soi-même.
Et, nous ajoutons, avec Robert Legros, de sentir par soi-même. C’est une tâche de
réinterprétation. Il s’agit de réinterpréter le passé avec ses valeurs, ses images et ses
symboles, afin d’être singulièrement créatif, contre la tentation universaliste des sciences
et des techniques considérées comme civilisation universelle ou comme universalisme
technique. Bien sûr, il s’agit d’une seule humanité souffrant et voulant, mais également
d’une humanité plurale. Ricoeur prône ainsi l’arbitrage entre l’universalisme et le
particularisme, comme troisième tâche de l’éducateur politique.
Nous verrons, dans la deuxième partie de notre développement, où situer l’école
condorcétienne dans cette finalité de l’éducation politique définie par Ricoeur. Mais,
nous verrons dans la troisième partie du développement si l’anthropologie de Firmin et
celle de Glissant trouvent oui ou non une affinité dans cette troisième tâche de
l’éducateur politique.
En définitive, Ricoeur fait l’option d’une articulation des trois tâches de
l’éducateur politique. La nécessité de la réinterprétation du passé est réciproque pour la
civilisation universelle comme pour la civilisation particulière. Cela justifie la nécessité
pour toute spiritualité de se rendre compte de la responsabilité de l’homme d’entrer dans
la civilisation universelle
donc dans l’arrachement et d’entrer dans la dimension
historique de l’homme donc dans l’enracinement.
C’est à l’aune de cette philosophie politique de l’éducation définie par Ricoeur
que seront évalués les philosophies politiques de Condorcet, Firmin et Glissant.
23 RICOEUR Paul, ibidem, p. 248.
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I-2-b
23
Quelques retombées ou questionnements de cette approche de Ricoeur
pour notre recherche
En quoi les concepts d’enracinement et d’arrachement, que fait bouger ou que
déplace Ricoeur, peuvent intéresser une réflexion sur des philosophies fondatrices de
l’éducation dans l’ancienne colonie française? C’est que l’école en Haïti se fait dans une
langue qui n’est pas la langue maternelle de l’enfant. L’idée d’un enseignement en
français fait office d’arrachement à une langue d’enracinement, le créole. De plus, nous
considérons que l’école congréganiste c’est-à-dire chrétienne et l’école nationale c’est-àdire républicaine et publique charrient des valeurs éducatives venant d’ailleurs et d’une
histoire autre. Celles-là confrontent du coup des valeurs et des symboles natifs ou propres
à cette ancienne colonie française.
C’est en analysant le phénomène de civilisation que Ricoeur dégage les tâches de
l’éducateur politique. Dès le premier aspect de la tâche de l’éducateur nous distinguons la
civilisation et les civilisations. Les biens disponibles et produits par les citoyens
quelconques appartiennent d’emblée à la civilisation humaine. Au sens où tout savoir est
un patrimoine de l’humanité universelle. Par contre, les images, les symboles et les
valeurs d’une société ou d’une cité donnée, desquelles se nourrissent ou s’instruisent tout
citoyen, relèvent des civilisations particulières. Ce clivage, solutionné et articulé par
Ricoeur par un déplacement au travers de la tâche de réinterprétation par l’éducateur
politique, traversera constamment notre recherche. Nous resterons éveillés sur le danger,
comme par suspicion, qu’entraîne l’idée « d’ouverture à l’universel », face au dilemme
de l’enracinement au travers les termes cultures particulières et culture universelle,
civilisations particulières et civilisation universelle. De manière récurrente, nous
questionnerons les pensées de nos auteurs sur le capital civilisationnel, sur le phénomène
de civilisation et sur le phénomène humain. A savoir, le phénomène humain, que sousentend le sujet ou le citoyen que l’on voudra éduquer, réfère-t-il à une humanité comme
appartenance à la civilisation mondiale ou à un homme concret et historique bien inscrit
dans une civilisation particulière? Nous devons à chaque fois chercher à clarifier de quel
phénomène de civilisation il s’agira chez nos auteurs : d’un patrimoine universel c’est-à-
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dire de la civilisation universelle ou bien des images, valeurs et symboles particuliers
comme témoins des civilisations particulières. Par ailleurs, que faire de l’obsolescence, a
priori, de tout capital civilisationnel? Précisément, dans le cas qui nous concerne, celui de
l’éducation du citoyen en Haïti, s’agira-t-il du capital civilisationnel de l’occident
hégémonique c’est-à-dire des acquis de l’école républicaine ou bien de celui des cultures
ancestrales et ataviques? Dans les deux cas, le facteur temporel est d’emblée présupposé.
Dans le premier cas, même si Haïti comme République indépendante est autant coconstructeur de la République que l’ancienne métropole, l’école républicaine, du fait de
l’indépendance, fait référence au passé, et pas n’importe lequel, le passé colonial. Dans le
second cas, les cultures ancestrales et ataviques réfèrent à un passé lointain qu’il s’agit de
l’Afrique ou des traditions nées dans la colonie esclavagiste. Nous interrogerons les
pensées de nos auteurs sur l’obsolescence a priori du capital civilisationnel qu’il priorise.
Par la tâche d’arbitrage qu’assigne Ricoeur à l’éducateur politique, ce danger
d’obsolescence du capital civilisationnel découlant de ces deux temporalités est écarté.
L’éducateur portera l’éduqué à arbitrer ou équilibrer la double nécessité d’entrer dans la
société technique mondiale ou la civilisation universelle et en même temps d’assumer son
passé culturel propre notamment les valeurs, les images et les symboles particuliers.
Qu’en sera-t-il des auteurs sur lesquels portera notre recherche relativement au contexte
postcolonial?
Ricoeur nous éclaire dans sa manière de solutionner le problème avec une belle
équation. Tel n’est pas d’emblée le cas pour les auteurs que nous voulons étudier. D’où la
pertinence et l’opportunité de notre recherche. En effet, pour remonter la pente
hégémonique de l’humanisme éducatif occidental, Ricoeur propose la somme que
constitue le seul patrimoine mondial. Somme résultant de l’addition de la fondation
en « droit » de l’acquis scientifique de l’histoire mondiale de l’humanité et de l’acquis
des cultures d’origine. Les deux forment un seul patrimoine mondial. Ce concept de
monde commun, chez lequel de nos auteurs est-il présent? Si oui, serait-ce en référence à
la formation d’un sujet à la rationalité ou à la sensibilité? Ce sera l’objet de la troisième
partie de notre travail.
En particulier c’est au moyen de la pensée de Ricoeur que nous interrogerons les
tensions, les oppositions ou déplacements fondateurs qui irriguent le fait éducatif haïtien,
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dans l’enseignement public comme dans l’enseignement privé. D’où l’étude de l’école
républicaine condorcétienne et la philosophie anthropologique d’Anténor Firmin. Au
travers de cette pensée de déplacement, d’équilibre ou d’arbitrage inhérente à la tâche de
l’éducateur politique nous opposerons cette culture particulière enfermée dans un projet
éducatif universel chez Condorcet à cette autre culture particulière et nationale
revendiquée par Anténor Firmin au nom d’une science universelle. La finalité ou la
portée de cette recherche symétrique et comparative est celle de creuser si oui ou non
l’éducation du citoyen haïtien reflète cette rencontre, ou par contre ce déplacement, cette
tension, cette opposition entre enracinement et arrachement. À cela, l’exploration des
traces d’une philosophie politique de l’éducation est un préalable. Notre problème sera de
déceler si l’école républicaine postcoloniale répond, en tant qu’institution, à sa vocation
civilisatrice d’émanciper le citoyen ou bien si elle transmet un héritage civilisateur précis
soit atavique ou ancestral.
L’éducation doit donc viser la formation d'un sujet, auteur et acteur de sa propre
vie, liée à celle des autres personnes en tant que sujets. Or ce sujet est-il éduqué comme
acteur rationnel pour une république rationaliste ou comme acteur appartenant à une
nation spécifique ayant une histoire propre? Une étude de la philosophie politique de
Condorcet et de son influence historique dans la pensée de l’enseignement public dans la
République française du XVIIIème siècle est incontournable.
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I-3
26
Condorcet : Motif historique et pertinence de sa
philosophie politique pour notre recherche
I-3-a
Motif historique et politique
Une considération épistémologique, bien sûr, sera faite de l’approche de
l’enseignement public par Condorcet. Mais, nous évoquons présentement l’aspect
politique de son approche. Ce qui nous mettra en phase avec le contexte postcolonial
dont l’indépendance d’Haïti demeure un fait marquant. Mais, cet évènement n’est pas
sans lien avec les idées et mouvances politiques agitées dans la métropole française à
l’époque des Lumières.
Ceci dit, le rationalisme politique dans lequel baigne l’approche de Condorcet se
base sur l’ordonnancement de la liberté aux lois de la nature. Non pas une nature
environnante faite d’habitude, d’observation sensuelle, ou révélée par la croyance, mais,
plutôt, une nature de droit telle que notre raison nous la révèle aux travers des idées. Les
hommes, pour êtres libres n’ont qu’à observer les lois de la nature. Cette vision découle
directement
de
l’approche
philosophique
de
Nicolas
de
Malebranche
dans
« Éclaircissements sur la recherche de la vérité » 24. Tout ce qui arrive est régulièrement
ordonné aux lois inscrites dans la Raison universelle, non pas selon une quelconque
efficace propre de la nature, mais, selon les lois générales et les plus simples pouvant
produire une infinité d’effets différents. L’attention, comme vue fixe et arrêtée de l’esprit,
donne une parfaite intellection de l’évidence. Comme pour Descartes qui l’avait déjà
établie comme règle, se rendre à l’évidence est l’une des premières règles générales pour
éviter l’erreur. Même si les idées sont innées et mises en nous par Dieu selon Descartes
ou bien qu’elles soient vues en Dieu selon Malebranche, toujours est-il que notre raison
en a accès. C’est l’évidence qui éclaire parfaitement l’esprit. Conséquence : l’évidence,
dans l’ordre des connaissances naturelles, en plus d’être critère de la vérité, est le principe
même de l’autorité, parce qu’elle est celui de la réunion des volontés. L’avènement d’un
24 MALEBARNCHE, Nicolas de, (2006), Éclaircissements sur la recherche de la vérité, Vrin, Paris, 480
pages.
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27
État rationnel constitue dans cette perspective une condition de la liberté, parce que loi,
État et règle générale se superposent, tout comme la nature est elle-même légalement
ordonnée par une Raison universelle. Telle est le fondement de ce rationalisme politique
du XVIIIème siècle en France. Cette remontée, aux racines épistémologiques du
rationalisme jusqu’à Descartes, en passant par Malebranche, nous fait comprendre la
lignée, mieux le fondement épistémologique, du rationalisme politique de Condorcet.
N’affirma-t-il pas : « …Les progrès vers la liberté ont, dans chaque nation, suivi ceux
des lumières avec cette constance qui annonce, entre deux faits, une liaison nécessaire
fondée sur les lois éternelles de la nature. » 25 ? Bien sûr que cette affirmation paraît
fortement physiocrate, mais Condorcet hérite encore plus de Lumières pour qui l’homme
n’a rien de naturel s’il n’applique sa raison pour penser, juger, calculer et agir de par luimême. Donc, Condorcet paraît plus en faveur d’un arrachement à la naturalisation, plus
en faveur de ce qui donne à l’homme sa majorité, sa raison, pour ne pas se conformer à ce
qui est naturel.
Or, Condorcet, voulant garantir la vérité contre l’erreur du grand nombre en vue
d’harmoniser l’État républicain, allia le nombre ou le calcul de la probabilité à la raison.
Toute décision doit être légitime et non pas hasardeuse. Puis, il a le souci de résoudre ce
paradoxe de l’impossibilité de dégager avec certitude une volonté générale à partir d’une
somme de volontés individuelles. Donc, les systèmes des votes doivent être remis en
cause. C’est la lumière de la raison jointe au calcul des probabilités qui, en tant que
critères de légitimité, peuvent ensemble contrer le hasard et l’erreur et rendre toute
décision légitime. Avec Condorcet, il est question de situer la doctrine de l’enseignement
publique dans le cadre de son projet de garantir le républicanisme rationaliste, c'est-à-dire
équilibrer le nombre par la raison ou diminuer la probabilité d’erreur inhérente au grand
nombre par la forme rationnelle de la vérité. Avec Condorcet, le citoyen sera acteur
rationnel, capable de parler, de lire, d’écrire et de calculer.
Nous sommes intéressés à analyser cette approche politique de Condorcet, en tant
que rationnelle et selon l’esprit de Lumières, également en tant que fondatrice de l’esprit
CONDORCET, Nicolas de, «Sur la nécessité de l’instruction publique » in, Condorcet, (1994), cinq
mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris.
25
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28
républicain. De plus, il se focalise spécifiquement sur le rôle de l’éducation dans la
formation de ce citoyen éclairé et républicain.
I-3-b
Motif philosophique
Peut-on avec Condorcet parler d’une ouverture du citoyen à l’ordre universel, à la
civilisation universelle, c’est-à-dire à une éventuelle grande société universelle des
sciences? Ne serait-ce pas alors un arrachement à la nature environnante? En quoi la
pensée de Condorcet serait enracinement dans la nature puisqu’il atteste que : « La nature
n’a fait que des hommes et des citoyens. » 26 ? Ainsi, l’éducation sera-t-elle une entrée
effective dans la nature ou une dénaturation ? Si pour les physiocrates la tâche de
l’instruction publique est centrale pour l’État. Il en est de même pour Condorcet. Pour lui
comme pour les physiocrates, les lois sont comme les vérités déduites par la raison à
partir des principes du droit naturel. Donc, toute sa réflexion et sa production sur l’école
et l’instruction publique en particulier ont une finalité politique, mais le fondement est
épistémologique. L’identification du citoyen à un acteur rationnel, en plus de penser
globalement les conditions de régulation de la tension démocratique et de sa légitimité, a
surtout des présupposés anthropologiques ou philosophiques dont nous pouvons trouver
des traces dans la doctrine de Anténor Firmin et postérieurement dans la pratique
républicaine postcoloniale en Haïti. Ce sera l’objet de la deuxième partie de notre
développement.
CONDORCET, «Post-Scriptum à l’Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées
provinciales » in, Condorcet, (1994), cinq mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris,
p.333.
26
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I-4
Anténor Firmin : Motifs du choix
I-4-a
Motif historique
29
Au lendemain de la Révolution Française et des efforts en vue de l’abolition de
l’esclavage dans les colonies françaises, naquit une République postcoloniale avec ses
propres penseurs.
Il nous fallait un philosophe fondateur d’origine haïtienne et témoin des péripéties des
valeurs républicaines dans cette République d’anciens esclaves devenus citoyens,
également témoin de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Le concert des Nations est marqué par, à la fois, le triomphe des Lumières et l’essor
du romantisme. Firmin, prôna-t-il une citoyenneté basée sur l’émancipation par la
lumière universelle de la raison, ou resta-t-il enfermé dans le romantisme radical d’une
citoyenneté raciale ou du sang?
Le contexte du XIXème siècle plus marqué par le romantisme que par la raison a vu
la publication par Arthur de Gobineau de l’«Essai sur l’inégalité des races». Anténor
Firmin, membre de la société d’Anthropologie de Paris a réagi à cette incohérence de voir
des hommes réunis au nom de la raison universelle admettre une théorie qu’il jugea non
scientifique. Comment, selon lui, la première République nègre postcoloniale fournit-elle
un contre exemple de cette théorie? Firmin profita, en répondant à De Gobineau, de
contredire d’éminents scientifiques comme contemporains notamment Broca, De
Quatrefages et Ernest Renan.
I-4-b
Motif politique : son engagement politique national et international
L’esclavage est aboli en Amérique du Nord et l’expansionnisme américain bat son
plein, avec les conquêtes de l’Ouest, l’annexion de Hawaï et la mise sous tutelle de Cuba
et de Porto-Rico. Tour à tour ministre de divers gouvernements, il fut apôtre du
panafricanisme et instigateur avec José Marti d’un projet de « confédération antilléenne »,
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30
tout en défendant l’intégrité du territoire nationale d’Haïti. Sa pensée ou sa quête
d’haïtianité fut-elle empreinte d’un enferment nationaliste ou d’un arrachement ouvrant
sur un multiculturalisme? Etait-ce déjà une manière d’être le « même » tout en étant
« autre »?
Membre d’un Parti Libéral réputé élitiste et protagoniste des Guerres civiles et des
rivalités de couleur marquant la fin du XIXème siècle en Haïti, sa conception de l’ÉtatNation, de la citoyenneté et de la civilisation fut-elle axée sur une élite postcoloniale
instruite ou bien sur le progrès intellectuel et l’instruction des couches sociales inférieures?
La nation haïtienne est-elle un projet fondé sur des principes républicains (liberté, égalité,
fraternité) ou bien sur des références à des composantes comme la langue, la culture, la
race ou la généalogie?
I-4-c
Motif philosophique : Son option pour la philosophie des lumières.
Penseur croyant au progrès de la vérité et à la capacité particulière qu’à l’homme
instruit et intelligent de l’appréhender lorsqu’on le lui présente selon un certain ordre
d’idées. Il considérait que le culte de la science est le seul vrai et le seul digne de tout
homme qui se laisse guider par la libre raison. Il ne cache pas son adhésion à la doctrine
positiviste d’Auguste Comte.
Or, sa référence atavique à l’Afrique sur la base d’une identité négritique n’est-elle
pas marquée d’un enracinement dont les traces marqueront la philosophie politique de
l’éducation haïtienne? Car, il pense qu’« Il n’y a aucune différence fondamentale entre le
noir d’Afrique et celui d’Haïti.» Que pense-t-il de l’identité antillienne qu’acquiert
l’haïtien? Opta-t-il pour une citoyenneté d’appartenance, lorsqu’il affirme que « Si le noir
antillien fait preuve d’une intelligence supérieure; s’il se montre des aptitudes inconnues
à ses ancêtres, ce n’est pas moins à ceux-ci qu’il doit le premier germe mental que la
sélection a fortifié et augmenté en lui. » ? Tombe-t-il dans le même fossé que ceux dont
ils combattent les erreurs d’un héritage de sang? A-t-il tenu compte de l’identité
composite qu’acquièrent les citoyens antillais postcoloniaux? Quelle éducation politique
découlera de sa conception d’une République haïtienne faisant preuve de « qualités
morales et intellectuelles de la race négritique »? Toujours est-il qu’il revendique pour
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31
Haïti de pouvoir « montrer à la terre entière que tous les hommes, noirs ou blancs, sont
égaux en qualités comme ils sont égaux en droits ».N’est-ce pas déjà la portée
civilisatrice de la mission de l’éducateur politique, telle que le veut Ricoeur?
Pour prouver en quoi Haïti, ou la race haïtienne, détient des ancêtres africains les
qualités qu’on persiste à refuser de reconnaître aux africains il présume l’argument de
l’instruction à la Condorcet, celui du « soleil du progrès » sur toute la nation. « Pour
obtenir tout le résultat qu’on est en droit d’exiger de la race haïtienne, il faut donc
attendre que l’instruction, répandue sans réserve dans les masses, vienne enfin refouler et
anéantir tous ces préjugés qui sont pour le progrès comme une pierre d’achoppement. » 27
Ce n’est pas sans intérêt philosophique la présence d’une telle affirmation dans
l’œuvre de Firmin. Dans la troisième partie de notre développement, nous analyserons sa
philosophie de manière symétrique avec la pensée de Condorcet du point de vue
historique, mais également avec celle du philosophe antillais contemporain Edouard
Glissant.
27 FIRMIN, Anténor, (2008), Idem, Préface, p. XXXVII.
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I-5
32
Conclusion partielle
Si méthodologiquement il nous est aisée de dire les motifs du choix de certains
nos auteurs comme Ricoeur, Condorcet et Firmin, nous nous gardons d’exprimer nos
motivations au sujet des auteurs qui sommes contemporains comme Pierre Rosanvallon
et Édouard Glissant. Autant que toute pensée philosophique doit être contemporaine
c’est-à-dire qu’elle doit être faite d’idées éclaircies ou actuelles à son temps, autant que la
subjectivité des penseurs constitue une pierre d’achoppement à une saine et juste
réflexion. Nous voulons écarter cet écueil. Car, devons nous garder d’enfermer des
auteurs qui nous sont contemporains dans une fossilisation, par notre interprétation, de
leur pensée, alors que celle-ci est appelée à évoluer de leur vivant et continuer à se faire
sans jamais être statique. Une saine méthodologie nous contraint à ne pas dévier notre
sujet qui ne consiste pas à adhérer ni à contrer présentement, pas même de dialoguer avec
nos contemporains. Pierre Rosanvallon et Édouard Glissant nous servent uniquement
pour comparer, respectivement Condorcet et Firmin. Ceci établi, notre sujet portant sur la
philosophie politique de l’éducation pouvant orienter une éducation à la citoyenneté en
République, que ce soit chez Condorcet ou Firmin, ne s’enferme pas dans leurs uniques
conceptions, mais plutôt celles-ci sont relativisées par d’autres comme celles de
Rosanvallon et de Glissant. À la différence que la critique de Condorcet est toute moulée
et mâchée par le travail de Rosanvallon, alors que c’est nous qui, en analysant le « Traité
du Tout-monde » de Glissant, ferons naître une critique de Firmin. Ainsi, aurons-nous
critiqué et déconstruit la philosophie politique de l’éducation de Condorcet et celle de
Firmin.
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33
IIème Partie
CONDORCET, Sa Philosophie politique de l’Éducation
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II-1
34
L’influence politique et philosophique de Condorcet
L’influence politique et philosophique de Condorcet peut s’expliquer au travers
d’une part de son rationalisme politique traduit dans sa conception du citoyen comme
acteur rationnel, d’autre part, de sa philosophie politique de l’éducation concrétisée dans
sa doctrine de l’instruction publique.
II-1-a
Le rationalisme politique
Le rationalisme politique de Condorcet se décline selon sa conception du citoyen,
de la loi, et de la raison. En d’autre terme, il faut maintenant saisir en Condorcet
l’identification du citoyen à un acteur rationnel.
Le citoyen est sujet. Voici la base du rationalisme politique de Condorcet. Au lieu
d’être un homme concret, historique et particulier, il est sujet d’une civilisation
universelle. Le citoyen tient d’être sujet de manière originaire c’est-à-dire de droit naturel.
« La nature n’a fait que des hommes et des citoyens. » 28
Nous analyserons plus tard les présupposés et les limites anthropologiques d’une
telle conception de l’homme de la part de Condorcet. Cependant, il importe pour nous de
bien la comprendre et de bien la situer dans l’ensemble de la pensée politique et
philosophique de l’auteur. Oui, le citoyen est non seulement sujet comme être individuel,
être pensant, siège de la connaissance, et titulaire de droit, mais également comme
contenu de pensée puisqu’il réfléchit sur lui-même et sur son rôle devant tous. Le citoyen
est un individu universel, donc abstrait. Ce n’est pas un individu particulier, ni concret.
Comme sujet abstrait, sa volonté rejoint celle d’autres individus, sujets comme lui. Bien
sûr, le peuple également est sujet, mais, c’est un sujet complexe et pluriel. Le peuple est
constitué d’individu-citoyens qui sont aussi des sujets. La compréhension de toute la
28
Idem
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35
philosophie politique de Condorcet exige de comprendre d’abord sa conception du
citoyen. Ce qui s’articulera logiquement avec sa philosophie politique de l’éducation.
Le corps politique nécessite des esprits, c’est-à-dire des sujets capables de
réfléchir sur la nécessité de la loi. La loi en politique est secondaire par rapport à la loi de
la nature. Ainsi, l’abstraction raisonnée ou la réflexion est un détour nécessaire au
politique. Car cette capacité de raisonner, le citoyen la tient de la nature éclairée par
l’instruction. La loi en politique n’est pas l’expression directe de la volonté d’un groupe,
fût-il unanime ou constitué de représentants. Mais, faudra-t-il que les représentants soient
d’abord des sujets formés pour, c’est-à-dire éduqués. Nous reviendrons ci-après sur les
fondements du juridique c’est-à-dire de la loi en politique et, également, sur la tâche de
l’éducateur politique comme formateur du citoyen éclairé et républicain. Mais, il importe
d’abord de bien comprendre le rationalisme politique de Condorcet afin de bien
comprendre par la suite la primauté d’une instruction qui soit publique pour générer des
citoyens aptes à être des représentants du peuple dans sa complexité. C’est pour cela que
Condorcet, dans le Plan de Constitution 29, appelle de ses vœux une citoyenneté instruite
et réfléchie : tous doivent apprendre ce qui pourrait permettre à chacun de défendre son
avis devant tous lors d’un vote et de dénoncer les risques de l’abus de pouvoir. Et dans
cette apprentissage, afin que nul n’ignore ses droits pour ne pas continuer à s’exposer à
être dans les chaînes, il faut être instruit des ses intérêts politiques, il faut que la science
du gouvernement et de l’administration soit à la portée de tout le monde. C’est l’exercice
réel des droits qui rendra manifeste la soumission de tous au seul souverain : la vérité. La
vérité est le seul souverain des peuples, laquelle doit par conséquent exercer sa douce
puissance sur tout l’univers. Nous éclaircirons cet aspect de la doctrine condorcétienne
lorsque nous étudierons les fondements épistémologiques de sa philosophie. Ainsi, ce
n’est pas un peuple qui aura brisé ses fers, mais bien les amis de la raison qui auront
remporté une grande victoire universelle. C’est en cela avions-nous dit que le citoyen est
sujet d’une civilisation universelle. Cet individu-citoyen, armé de sa capacité de vérifier
et de contester toute loi et tout fait, exerce réellement ses droits et sa volonté propre et se
Note : Ce « Plan de constitution » présenté à la Convention Nationale, les 15 & 16 février 1793, l'an II de la République fut imprimé par ordre de la
Convention Nationale by CONDORCET, publié par la Librairie le Feu Follet, France in http://www.biblio.com/cart.php?add=1&bid=152438006, consulté le 19 juin
2009
29
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36
fait une opinion. Ce concept du citoyen est pensé comme singularité et comme autonomie.
Chacun doit se rendre indépendant des autres mais dépendant de sa seule raison, quelque
soit son âge, sexe ou condition afin de pouvoir se saisir par lui-même en tant que sujet
rationnel. Il en va de l’estime intellectuelle qu’on a de soi-même en tant que facteur de sa
liberté et de sa dignité. Ainsi, disions-nous, comme ce dont on peut parler ou ce sur quoi
il peut porter sa réflexion, le citoyen comme sujet est un contenu de pensée, en plus d’un
être individuel et pensant. En conclusion, chez Condorcet ce n’est ni un citoyen, ni un
petit nombre en tant qu’une partie du corps politique puisque l’un et l’autre sont sujets à
l’erreur, ni le peuple, car trop complexe et pluriel, qui détient la souveraineté au sens de
puissance et de force : mais plutôt la vérité.
Cette théorie politique de Condorcet, prônant une souveraineté de la vérité,
n’était-elle pas en prélude des diverses conceptions de la souveraineté qui se sont
succédées avec l’alternance des régimes lors de l’avènement des premières Républiques
en France après 1789 ? Nous voulons parler des tâtonnements de la souveraineté en
tantôt : souveraineté du peuple, souveraineté de la raison, souveraineté de la nation.
Lors de l’analyse critique de la philosophie politique de Condorcet, nous y
reviendrons au moyen de l’analyse des péripéties de la démocratie en France par Pierre
Rosanvallon dans « La démocratie inachevée » 30 . Se peut-il que sa proposition d’une
souveraineté de la vérité relève du mouvement ascendant allant de l’expression de
l’individu citoyen à la volonté générale, au moyen du droit de souveraineté? Justement, il
prouva que l’instruction et le progrès des Lumières ouvrent juridiquement ou
administrativement l’accès à la souveraineté.Toutefois, il est question présentement du
rationalisme politique de Condorcet et de la place qu’il réserve au citoyen dans le corps
politique. Cependant, comment passer de ce citoyen singulier à la totalité ou à la nation?
La transition juridique s’impose.
En effet, la nécessité de s’adresser à tous universellement impose la combinaison
d’une machine juridique qui seule est capable de conjuguer la singularité du citoyen avec
la totalité de la nation. D’abord, l’État ne doit se soucier que du citoyen pris comme point
juridique. C’est déjà une approche qui tient compte de la volonté générale non pas
comme une totalisation de volontés particulières. Mais, il s’agit d’une forme juridique
30
ROSANVALLON, Pierre, (2002), La Démocratie inachevée, Nrf Éditions Gallimard, France, 440 pages.
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dont l’analyse s’efforce d’exprimer le point de vue d’un individu universel, celui d’un
sujet abstrait dont la volonté pourrait être celle de tout autre : en un mot, le citoyen. Pour
Condorcet, la République est un régime « régi par des lois » et la loi est un « acte de la
volonté générale ». Comme nous le montrerons au paragraphe suivant, « la volonté
générale » n’est pas une somme de volontés particulières. Elle est comme la volonté d’un
sujet abstrait que tout autre doit trouver raisonnable. Elle est en gros une raison commune.
C’est pourquoi le citoyen, qu’il soit paysan au autre, doit être instruit de ses intérêts ou de
ce qu’il doit raisonnablement vouloir et se former un esprit critique. De plus, la théorie
juridique de Condorcet est une théorie du social, dans le champ de la loi. Lorsque
Condorcet emploie le terme de loi ou du juridique, c’est plus qu’une question de droit
mais surtout d’administration. Il est question du développement des connaissances, d’un
savoir au service du bien public ou du progrès des Lumières pour tous et de manière
universelle qui ne peuvent être effectifs que dans sa forme juridique.
« Songez que les lumières rendent les vertus faciles ; que l’amour du bien
général, et même le courage de s’y dévouer est, pour ainsi dire, l’état habituel de
l’homme éclairé. » 31
Pourquoi les vertus deviennent-elles faciles avec les Lumières et que l’amour du
bien général soit un état habituel de l’homme éclairé? Parce que c’est naturel de droit.
Les lois se courbent devant la loi naturelle. L’aspect épistémologique du juridique chez
Condorcet sera analysé dans les lignes suivantes. Mais, nous nous attardons un peu sur la
compréhension des lois dans le rationalisme politique de Condorcet. Pourquoi le
juridique est d’abord administratif ? C’est parce que seul l’État peut au travers de
l’instruction publique faire que l’universalité des connaissances soit générale et étendue
et que le savoir et les travaux des hommes de génie soient étendus à l’espèce humaine. Le
citoyen éclairé ou de génie pourra, juridiquement c’est-à-dire administrativement, faire
également œuvre pour tous, et que tous soient formellement ou juridiquement égaux.
Condorcet le dit mieux :
CONDORCET, « Discours sur l’Académie Française » in Catherine Kintzler, (1984), Condorcet
l’instruction publique et la naissance du citoyen, chap. II, « Il n’y a pas de raison pratique », Folio, essais,
France, p.69.
31
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« Une égalité entière entre les esprits est une chimère ; mais si
l’instruction publique est générale, étendue ; si elle embrasse l’universalité des
connaissances, alors cette inégalité est toute en faveur de l’espèce humaine qui
profite des travaux des hommes de génie. » 32
Nous reviendrons, dans la troisième partie de la recherche, sur la notion d’espèce
humaine en comparant Condorcet au philosophe haïtien Anténor Firmin dans la tentative
critique de ce dernier contre le monogénisme et le polygénisme. Mais, présentement
regardons ce qui dans cette formule résonne comme un écho des principes philosophiques
hérités des Lumières, puisqu’il est question d’égalité et de publicité de l’instruction et des
travaux des hommes de génie. Cependant, elle a une forte résonance juridique dans le
système politique de Condorcet. Ces valeurs des Lumières que sont l’égalité et la liberté
suivent les progrès qui sont soumises aux lois éternelles de la nature. Comme Condorcet
le dit lui-même :
« …Les progrès vers la liberté ont, dans chaque nation, suivi ceux des
lumières avec cette constance qui annonce, entre deux faits, une liaison nécessaire
fondée sur les lois éternelles de la nature. » 33
La nature reste la même et elle ne change pas. Ses lois sont éternelles. Nous
progressons dans la connaissance des lois de la nature. Ce sont les connaissances que
nous en avons qui progressent. Le progrès se définit par : la masse de vérités qui
augmente. Nous progressons dans les Lumières. Les progrès vers la liberté et vers
l’égalité suivent le progrès des Lumières. Comme les lois de la nature sont nécessaires,
ainsi doit l’être l’administration de la cité. Il y a un déterminisme ou une relation de
CONDORCET, « Conclusion », Cinquième Mémoire sur l’instruction publique » in Catherine Kintzler,
(1984), Condorcet l’instruction publique et la naissance du citoyen, Folio, essais, France, p. 291.
33 CONDORCET, «Sur la nécessité de l’instruction publique » in, Condorcet, (1994), cinq mémoires sur
l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.343.
32
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causalité entre les lumières et l’avènement d’une société de libres et d’égaux qui ne soit
pas chimérique. Le corps politique et même l’espèce humaine gagnent à ce que des
citoyens soient éclairés, c’est-à-dire instruits. Ainsi seulement, les lois qui régissent le
corps politique sont selon les lois de la nature. Peut-être pense-t-il corroborer cette thèse
par le constat de la rareté des peuples ignorants au sein desquels les droits de l’homme
soient respectés. Il faut alors renvoyer la forme juridique au développement des
connaissances. Car, Condorcet atteste que les vertus, c’est-à-dire l’amour du bien général,
et même le courage de s’y dévouer est, pour ainsi dire, l’état habituel de l’homme éclairé.
Et ceci est de droit naturel. C’est la nature qui conçoit l’homme et le citoyen de la sorte. Il
ajoute même que :
« Dans l’homme ignorant, la justice n’est qu’une passion incompatible
peut-être avec la douceur : dans l’homme instruit, elle n’est que l’humanité même,
soumise aux lois de la raison » 34
Les lois de la raison sont naturelles, cependant, celle-ci est instruite et collective.
La raison de Condorcet est une raison instruite et non la raison formelle de Emmanuel
Kant. Le paysan éclairé de Condorcet, produit de l’Instruction publique, n’est pas
l’homme vertueux à cause de la raison formelle. Ce sont les lumières qui rendent les
vertus faciles à l’homme instruit ou éclairé. C’est différent de l’homme vertueux par le
courage qu’il tire de sa morale pure et formelle. Une humanité soumise aux lois de la
raison est augurée dans l’homme instruit. Ce dernier dit ce corps politique ou cette espèce
humaine rationnelle et juste. Au contraire de l’homme ignorant qui obscurcit la justice
par ses passions.
Cependant, cette raison n’est pas absolue. Elle s’applique à des objets comme les
droits de l’homme et l’organisation du scrutin. La procédure des élections doit être
correcte et juste. Les droits de l’homme doivent être respectés. Ceci est selon la raison.
Non pas une raison formelle, car Kant jugerait comme hétéronomie cette raison qui
CONDORCET, « Discours sur l’Académie Française », in Catherine Kintzler, (1984), Condorcet
l’instruction publique et la naissance du citoyen, chap. II, Il n’y a pas de raison pratique, Folio, essais,
France, p.69.
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s’applique à des objets et qui soit en vue de montrer, ou du moins qui reçoit son caractère
rationnelle de l’application des objets. Ce n’est pas la nature formelle de la raison qui
vaut mais c’est la nature absolue des objets, comme les droits de l’homme et le scrutin,
qui dévoile la rationalité de leur caractère ou qui dévoile la raison, tout court. Il y a
nécessité et obligation d’obéir dans les actions qui doivent suivre une règle commune et
non à sa propre raison. C’est tout à fait opposé à l’idée d’autonomie de la raison chez
Kant.
En cela la raison n’est pas absolue. Elle est instruite de ce qu’est la règle
commune : le droit ou l’organisation d’un scrutin juste par exemple. Cette raison est une
raison collective. Condorcet met ainsi des garde-fous contre tout abus de pouvoir qu’il
soit d’une majorité ou d’une minorité. Ce n’est pas de la volonté générale comme une
somme ou une totalité qui domine. Mais c’est ce qui est raisonnable et juste qui exerce le
pouvoir.
« … je dis à la raison et non à la volonté ; car le pouvoir de la majorité sur la
minorité ne s’étant pas jusqu’à violer le droit d’un seul individu : Il ne va point
jusqu’à obliger la soumission, lorsqu’il contredit évidemment la raison./…/ une
collection d’hommes peut et doit, aussi bien qu’un individu distinguer ce qu’elle
veut, ce qu’elle trouve raisonnable et juste. » 35
Toutefois, la raison est populaire, car elle est politique. Il ne s’agit pas du Cogito
cartésien. Catherine Kintzler le dit bien :
« Mais là où le XVIIème siècle voit avant tout un problème de
connaissance et propose des solutions souvent bornées au domaine individuel et à
la psychologie d’un cogito, le XVIIIe siècle voit aussi et surtout une question
politique dont l’enjeu est le rétablissement du droit naturel : rendre la raison à la
rectitude de son usage, c’est rendre l’homme à sa souveraineté. Rendre la raison
populaire, c’est rendre au peuple son dû. » 36
Idem, p. 62
KINTZLER, Catherine, (1984), Condorcet l’instruction publique et la naissance du citoyen, chap. II, Il
n’y a pas de raison pratique, Folio, essais, France, p.37.
35
36
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Il s’agit de faire place nette à la raison politique c’est-à-dire restaurer la raison
dans la pureté de son usage originaire et naturel. L’homme est doué d’un cogito, pourtant,
il est partout dans les fers. C’est parce que la politique n’est pas suffisamment touchée
par la rationalité ou que la raison reste individuelle et psychologique sans devenir
populaire. Il est question de rendre à la raison la rectitude de son usage, ainsi la rendre
populaire. Lorsque l’homme reprend sa souveraineté ou son pouvoir d’usage de sa raison,
la collectivité en bénéficie. C’est comme rendre au peuple son dû. Car, selon Condorcet,
c’est même toute l’espèce humaine qui bénéficie des travaux des hommes de génie. C’est
la collectivité d’hommes qui peut et doit distinguer ce qui est raisonnable et juste. Ceci
lorsque juridiquement, ou administrativement, même le paysan deviendra instruit. Du fait
que Condorcet n’est pas partisan d’une oligarchie éclairée, il n’est jamais question pour
lui de former les assemblées par une quelconque sélection d’élites : il faut donc donner
aux lumières une extension maximale et que chacun en reçoive sa part. C’est à cette
exigence de droit et de légitimité que répond le concept d’instruction publique. Un peuple
républicain ne sera vraiment libre et souverain que si la raison savante devient populaire.
Le rationalisme politique de Condorcet, en identifiant le citoyen à un acteur
rationnel, et ceci légalement, est entièrement articulé à sa conception de l’instruction
publique et à sa philosophie axée sur le concept de vérité.
II-1-b
L’influence philosophique : Garantir la vérité contre l’erreur du
nombre
La philosophie de l’éducation de Condorcet n’est pas sans lien avec la philosophie
des Lumières. De prime abord, l’épistémologie est au service de la politique, d’où l’idée
chez Condorcet d’une épistémologie juridique. La souveraineté de la vérité est fondée sur
une épistémologie de vrai. En proclamant que le seul souverain est la vérité, Condorcet
établit un lien entre l’épistémologique et le juridico-politique; à savoir : comment mettre
ses savoirs au service du bien public? Il y a une cohérence entre le fait que l’instruction
publique soit un instrument de la République et la nécessité pour tous de connaître la
vérité. L’instruction publique avec Condorcet devient une théorie philosophique. Il en va
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de la soumission de la République à la raison et précisément, avec Condorcet, de la
soumettre à la vérité.
De plus, le régime de la chose publique ou le régime républicain pose comme
nécessité originaire une instruction publique fondée philosophiquement, et pas
uniquement historique, mais sur une genèse de droit naturel. Il est comme naturel d’être
citoyen instruit. C’est un dû qu’il faut rendre au peuple en instruisant ses citoyens. Ainsi
seulement l’égalité entre les esprits ou entre les citoyens ne sera pas « une chimère » 37.
Tout ceci, si et seulement si la raison devient populaire. Comme nous l’avons cité cidevant, la justice dans l’homme instruit c’est l’humanité soumise aux lois de la raison,
alors qu’elle n’est qu’une passion dans l’homme ignorant. Et voici, de ce fait, la
rencontre, tout à fait adéquate de la philosophie politique de l’éducation de Condorcet,
axée sur l’instruction publique, avec la philosophie des Lumières. Condorcet arrive à
penser l’instruction comme une nécessité contenue dans l’affirmation de l’égalité et des
droits naturels en général.
Ensuite, l’école devient également l’organe de la liberté et l’ordre politique ne
peut être légitimé en dehors de la question du vrai et du faux. Toute réflexion politique
doit être subordonnée à une réflexion sur la connaissance. Avec Condorcet, comme le
disent Catherine Kintzler et Charles Coutel : « l’école ne peut plus être pensée comme un
outil d’adaptation sociale : elle est un organe de la liberté.» 38 Autrement dit, une société
sans école, ou dans laquelle l’école n’est pas pensée comme un organe de la liberté, est
certainement exposée à l’aliénation, le politique y étant nécessairement soit érigé en
principe absolu d’autorité, soit subordonné à la réalité sociale. Rien ne fait mieux
résonance de la philosophie des Lumières que cette remise en question de l’autorité
absolutiste ou despotique et cet éloge de la liberté. Cependant cette liberté est articulée à
la conquête de soi, ou de son autonomie, c’est-à-dire à l’appropriation de sa raison :
Apprendre à se servir de sa propre raison contre l’erreur. Dit autrement c’est une
articulation de la liberté à la vérité. C’est encore la vérité qui revient comme fondement
de cette liberté.
37
38
CONDORCET, Ibidem, p 291.
KINTZLER Catherine et COUTEL Charles, Idem, p. 20.
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La liberté n’est pas garantie sous le règne de l’erreur, surtout l’erreur du grand
nombre. Le philosophe est doublé du mathématicien c’est-à-dire que les deux s’unifient
chez Condorcet. C’est que d’une part la question du vrai est la seule à fournir la clef
d’une pensée libre de l’autorité légitime. L’homme devient citoyen en se déprenant de
l’erreur, toujours possible et toujours imminente. Le spectre de l’erreur hante la doctrine
de Condorcet. Chercher à conquérir son autonomie c’est chercher en soi-même la seule
forme d’autorité qui empêche d’être dépendant des autres. Cette autonomie se rencontre
dans la découverte des vérités, ou plus exactement dans l’expérience de triompher de
l’erreur. Quand les Lumières progressent, l’erreur recule. Chaque esprit humain
découvrant la vérité implique l’humanité et a une incidence sur le progrès des nations.
Comme le dit Condorcet : « Les progrès de l’esprit humain ne seraient plus ceux de
l’esprit de quelques hommes, mais ceux des nations elles-mêmes. » 39 L’erreur s’appuie
sur l’intérêt et sur le nombre. Quelques hommes de même opinion ne justifient pas qu’ils
soient dans la vérité. De même, une nation ou des nations ne peuvent pas se laisser duper
par quelques fourbes. Car dit-il :
« Un peuple éclairé confie ses intérêts à des hommes instruits, mais un
peuple ignorant devient nécessairement la dupe des fourbes qui, soit qu’ils le
flattent, soit qu’ils l’oppriment, le rendent l’instrument de leurs projets, et la
victime de leurs intérêts personnels. » 40
Par contre, une société savante a la science pour objet. C’est dans le même sens
que les Lumières clament le triomphe de la science que Condorcet exige de chercher des
faits exacts, de rassembler des expériences précises, et de ne pas examiner les détails et le
succès de la pratique, toujours trop liés avec l’intérêt, toujours gênés dans des procédés
par la nécessité de joindre le profit à la connaissance de la vérité. Ainsi promeut-il
l’existence des Académies de recherche sur toutes les branches des connaissances
humaines et dans tous les pays, s’étendant non seulement aux connaissances littéraires
mais mêmes aux connaissances agricoles. Il en va du maintient du rapport entre la liberté
CONDORCET, «Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales » in, Condorcet,
(1994), cinq mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.325.
40 Idem, p. 344.
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et l’égalité au niveau des lumières des hommes les plus éclairés, dans le même pays, et à
la même époque. Nous expliquerons plus tard ce souci pastoral des citoyens lorsque nous
parlerons des buts de l’instruction en rapport à la tâche de l’éducateur politique. Toute la
société, donc, doit bénéficier des lumières brillant chez le citoyen éclairé.
« Plus vous voulez que les hommes exercent eux-mêmes une portion plus
étendue de leurs droits, plus vous voulez, pour éloigner tout empire du petit
nombre, qu’une masse plus grande de citoyens puisse remplir un plus grand
nombre de fonctions, plus aussi vous devez chercher à étendre l’instruction. » 41
Le nombre par rapport à la vérité bénéfice d’un traitement épistémologique
important chez Condorcet. La lumière de la raison doit être jointe au calcul des
probabilités pour contrer le hasard et diminuer la probabilité d’erreur. C’est dans sa
doctrine du suffrage que cet équilibre entre le nombre et la vérité a été le plus marqué. Le
citoyen est un « homo suffragens ». L’homme de vote, doit rester ou devenir un homme
de Lumières, puisque les assemblées populaires ne prennent de décisions légitimes que
celles qui sont conformes à la vérité. Il est instruit de ses droits, de ses devoirs et de ses
intérêts. Par souci du triomphe de la vérité dans les décisions des urnes, Condorcet, en
bon mathématicien, a examiné tous les paradoxes et risques d’erreur inhérents au vote et
a élaboré une solution par le calcul des probabilités. Nous ne traiterons pas de la
complexité des calculs mathématiques conçus par Condorcet dans cette présente
recherche, sinon de mentionner combien la vérité fut primordiale dans sa philosophie
politique.
Passionné de la vérité comme garantie de la liberté et de l’égalité entre les
citoyens, puis du progrès de la connaissance, la philosophie politique de Condorcet et
mieux, son épistémologie juridique furent conformes à la philosophie des Lumières. Sa
doctrine de l’instruction publique a été conforme à cette philosophie au point que la
formation du citoyen éclairé et républicain a pu relever d’une véritable tâche d’éducateur
politique.
41
Idem, p 348.
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II-1-c
45
La tâche de l’éducateur politique : la formation de citoyen éclairé et
républicain
Plutôt en faveur de l’instruction publique que d’une éducation nationale, la
formation du citoyen chez Condorcet n’en dévoile pas moins une tâche à part entière
d’éducateur politique.
D’abord en homme de Lumières il conçoit que c’est l’idée de nation qui aura
ternie celle d’éducation, au point de suggérer la préférence pour une instruction qui soit
publique. En effet, l’enracinement n’a pas été une priorité pour Condorcet tellement fut
forte sa propension à l’universel. C’est ce don témoignent sa conception de l’instruction
publique, de la nation et d’une pastorale éducative.
Bien sûr que lorsque Condorcet parle de l’instruction, dans sa théorie de
l’instruction publique, il s’agit d’abord d’éducation au sens étymologique de nourrir.
Enseigner c’est d’abord nourrir ou garnir l’esprit de connaissances. Ce qui va manquer à
ce premier sens étymologique du mot éduquer, le fait de faire sortir un enfant de luimême pour le révéler à lui-même ou de lui rendre à lui-même par l’accès à la
connaissance, c’est-à-dire, élever l’enfant : Condorcet le retrouve de manière plénière au
travers de l’instruction publique. C’est la publicité ou le cachet juridique ou administratif
de l’instruction qui en fait une éducation à par entière. Car, l’instruction au sens de
nourrir ou de remplir un vide diffère de l’éducation qui, par contre, signifie élever
l’individu à sa pleine stature en qualité d’homme ou construire en lui l’humanité. Pour
Condorcet, lorsque l’instruction devient publique où l’État prend la responsabilité de
construire le citoyen, il s’agit de l’éducation à part entière. Il en va de la définition de la
République comme régime respectueux des droits de l’homme, qui doit exercer une
influence sur la définition de l’école publique. Condorcet, veut de toute sa force une
citoyenneté instruite et réfléchie. Le citoyen ingèrera des connaissances mais, il sera
capable d’utiliser sa raison pour être critique. Tel est l’objectif spécifique de l’instruction
publique. Kintzler et Coutel ont repris pour Condorcet cette idée de Lakanal :
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« l’École républicaine aidera le futur citoyen à former cet esprit critique
dont la République a tant besoin pour « soumettre la démocratie à la raison »
comme le dit Lakanal en 1794. » 42
D’où toute l’interaction de l’épistémologique dans l’instruction publique avec la
didactique, le juridico-politique et l’éthico-humaniste. C’est-à-dire que de manière
respective, la question épistémologique « Quels savoirs enseigner ? » rime avec celle du
« Comment présenter ces savoirs pour qu’ils instruisent réellement ? », avec celle du
« Comment mettre ces savoirs au service du bien public ?» et finalement, avec celle
« De quoi ces savoirs me délivrent-ils ? » Il est bien question d’éducation intellectuelle,
politique et
morale. Condorcet, entre 1791 et 1793, s’était efforcé non de séparer
l’instruction et l’éducation mais plutôt de les articuler philosophiquement. Par exemple,
en termes de programme, tous les principes du républicanisme de Condorcet et les
principes théoriques de l’instruction publique s’appliquent dans la didactique de la
citoyenneté. Car il s’agit en vérité, en tout et pour tout d’éduquer le citoyen. Au moment
de la Révolution en France, entre 1788 et 1791, et sous la mouvance des Lumières
comme le disent Kintzler et Coutel :
«
L’instruction
publique
devient
un
programme
proprement
philosophique ; elle est pensée comme une nécessité contenue dans l’affirmation
de l’égalité et des droits naturels en général. » 43
Ainsi de manière historico-philosophique, nous pouvons définir la République
comme l’institutrice du peuple. L’éducation est bien une manière pour tout individu, par
son savoir, d’échapper à l’autorité politique. Il ne s’agit pas de former des guerriers, ou
des hommes forts pour défendre la République à l’image de la formation des hôplites par
les Spartiates, mais de préférence de former des citoyens instruits et éclairés, sous le
modèle grec, capable de partager leurs savoirs, de se mettre au service de la cité. Ainsi la
République instruit le peuple entier malgré la multiplicité et la complexité de ce dernier,
selon Condorcet. Les plus instruits font participer les moins instruits de leurs savoirs et
42
43
KINTZLER Catherine et COUTEL Charles, Ibidem, note de bas de page, page 10.
ibidem, p. 15.
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sont à même d’en être de dignes représentants. N’est-ce pas là, en instruisant le citoyen,
une tâche d’éducation politique que la République assigne à l’école?
II-1-d
L’éducateur politique selon Condorcet au regard de « la tâche de
l’Éducateur politique » selon Paul Ricoeur
Selon Ricoeur, à l’éducateur politique, disions-nous, sont assignées trois tâches.
D’abord, du fait que l’expérience historique humaine appartient à la civilisation mondiale
ou la collectivité humaine, l’éducateur politique devra préparer le citoyen à la
responsabilité collective. Cette première tâche est également assignée à l’éducateur par
Condorcet. Le citoyen comme élément constituant du corps politique réapproprie l’usage
personnel de sa raison, mais combat l’individualisme en s’incorporant à une communauté
dont l’idée est préformée, pensée comme mythe et comme transcendance. Lorsque
Condorcet prépara les cinq mémoires sur l’instruction publique il se pencha sur la
constitution et les fonctions des assemblées provinciales. Il jugea que le progrès de
l’esprit humain entraîne inextricablement celui des nations. « Les progrès de l’esprit
humain ne seraient plus ceux de l’esprit de quelques hommes, mais ceux des nations
elles-mêmes. » 44 Si dans la logique des Lumières il faut insister sur le renforcement de la
subjectivité par l’instruction publique, il n’en demeure pas moins que la visée et la
finalité de cette entreprise soient le progrès universel. Dans le même document traitant de
la nécessité de l’instruction publique, il revendiqua que c’est fondé de droit naturel au
point que les progrès dans toutes les nations suivent ceux des lumières selon une liaison
nécessaire fondée sur les lois éternelles de la nature. Donc, la tâche de l’éducateur revient
à former un citoyen appelé politiquement à assumer une responsabilité universelle face au
progrès. Y aura-t-il une pareille adéquation entre la philosophie de l’éducation de
Condorcet et la deuxième tâche que conçoit Ricoeur pour l’éducateur politique ?
On sait que, selon Ricoeur, la deuxième tâche concerne la responsabilité morale
du citoyen. C'est-à-dire que l’éducateur politique est chargé de former le citoyen à faire
l’équilibre entre la morale de conviction, sur le plan éthico-politique, et à la morale de
CONDORCET, «Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales » in, Condorcet,
(1994), cinq mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.325.
44
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décision, sur le plan des prises de décisions et de l’exercice du pouvoir. Comment
Condorcet gère-t-il cette mise en tension ou cet arbitrage entre l’exercice du pouvoir et la
moralité? Ricoeur ne dit pas qu’il faille séparer la morale de la politique. Mais, il ne faut
pas que le décideur ou celui qui soit investi de la force du pouvoir ignore ou occulte le
devoir moral et réciproquement. Autant que les fonctions soient réparties ou distribuées à
des citoyens formés à cette conscience du nécessaire équilibre. C’est là où le bas semble
blesser chez Condorcet. Il y a le risque de penser que sa conception de la Représentation
trahit cet équilibre. Car, dit-il : «Un peuple éclairé confie ses intérêts à des hommes
instruits». 45
C’est comme-ci la légitimité de l’exercice du pouvoir vient de l’instruction du
citoyen. Alors, les conventions populaires délèguent des citoyens instruits à l’exercice du
pouvoir. Déjà, Condorcet pose la condition que le peuple soit déjà éclairé ou instruit.
Bien sûr que l’épistémologie juridique de Condorcet prévoit l’articulation avec l’éthicohumaniste : « de quoi ces savoirs me délivrent-ils ? » Il y a donc, de la part de Condorcet,
la conscience d’une tension entre la morale de conviction et la morale de décision. Le
citoyen éclairé est supposément critique et juste, lorsque l’instruction publique l’investit
de cette possibilité. Au point qu’il faut que le peuple entier soit instruit et éclairé pour
pouvoir faire face aux funestes effets du pouvoir. Il le dit par l’ « Essai sur la constitution
et les fonctions des assemblées provinciales » dans les Cinq mémoires sur l’instruction
publique.
« Si, à mesure que les classes supérieures s’éclaireront, les autres restent
dans l’ignorance et la stupidité, il en résultera un partage dans chaque nation ; il y
existera un peuple maître et un peuple esclave, et par conséquent une véritable
aristocratie dont la sagesse des lois ne peut ni prévenir le danger, ni arrêter les
funestes effets. » 46
Donc, il y a un rôle de contrôle du pouvoir auquel le citoyen est appelé. Les
représentants ne peuvent en aucun cas être arbitraires, totalitaires et absolutistes quand le
CONDORCET, «Sur la nécessité de l’instruction publique » in, Condorcet, (1994), cinq mémoires sur
l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.344.
46 Ibidem, p 328.
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peuple est instruit de ses intérêts par l’instruction publique. Nous pouvons affirmer qu’en
cela la morale de décision est à la charge des Représentants formés par les élites instruites
et les classes supérieures. Il y a un rôle critique et de contrôle qui est dévolu au citoyen,
donc une morale de conviction. Et ce rôle lui revient naturellement, une fois que
l’instruction publique l’arme pour bien le remplir. Dans le « Discours à l’Assemblée
nationale au nom de l’Académie des sciences le 12 juin 1790 », Condorcet le laisse
entendre. « …la loi de la nature, qui a voulu que l’homme fût éclairé pour qu’il puisse
être juste, et libre pour qu’il puisse être heureux. » 47 Comme l’a conçu l’éthique chez
Aristote, le bien vivre ou être heureux implique une société juste. Or, pour Condorcet
cette moralité est à la charge du citoyen instruit ou du peuple éclairé. Il n’y a pas, pour lui,
de disjonction entre la logique et la morale, pour laquelle le vrai ne saurait être injuste.
Au contraire, l’équivalence est à établir entre le méchant et l’ignorant. Le méchant est un
ignorant, l’ignorant est un méchant. La raison est en elle-même libératrice par les
connaissances qu’elle construit et ses commandements ne peuvent être nuisibles.
Finalement, chez Condorcet, aussi bien que chez Ricoeur, l’éducation politique doit
assumer la tension ou l’équilibre entre la morale de conviction et la morale de décision,
avec la nuance pour Condorcet que cette tâche revient à l’instruction publique ou à la
République comme institutrice du peuple.
Qu’en est-il, chez Condorcet, de la troisième tâche de l’éducateur politique dont
parle Ricoeur?
La troisième tâche de l’éducateur politique, pour Ricoeur, réside au niveau des
valeurs, des images et des symboles, où l’éducateur politique doit former à l’arbitrage
entre l’universalisme et le particularisme. L’enjeu est celui d’un enracinement ou d’un
détachement à la nature. En effet, Condorcet s’oppose à la Nation comme idée politique
qui s’incarne, s’actualise et s’effectue par ces incorporations. La conséquence immédiate
d’une telle conception de la nation est que l’homme devient citoyen en s’incorporant à
une communauté dont l’idée est préformée, pensée comme mythe et comme
transcendance. Il ne faut pas s’enraciner dans une communauté particulière si on se
réclame instruit d’une science et d’un savoir universel. On comprend que Condorcet
CONDORCET, «Discours à l’Assemblée nationale au nom de l’Académie des sciences le 12 juin 1790 »
in, Condorcet, (1994), cinq mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.329.
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écarte l’idée d’éducation nationale au profit de celle d’instruction publique. C’est l’État
ou la République qui doit l’instruction au peuple pour en faire des citoyens plutôt que ces
derniers qui aient une dette envers la nation. Car cette dernière est un principe politique
engageant un modèle finalisé. Alors que le citoyen instruit a accès au savoir universel par
l’appropriation de sa raison, selon les objectifs de Lumières. Et cet accès à l’usage de la
raison ou au savoir universel, par l’instruction publique, la République le doit au peuple,
pour en faire des citoyens en vertu de l’éternelle loi naturelle.
Ainsi, l’école n’est pas là pour river un homme à sa réalité empirique, à son
origine, à la religion de ses parents, elle n’a pas non plus à inculquer l’amour des lois.
Comme le disent Kintzler et Coutel :
« Faire de la fraternité un principe premier, un a priori et devoir, au lieu
d’y voir le résultat de l’égalité des droits, c’est sommer chacun, non pas d’être luimême, mais de s’identifier à une collectivité qui lui préexiste. » 48
Les valeurs, les images et les symboles de sa communauté d’appartenance sont
relégués en arrière plan, au profit de la civilisation universelle. L’éducateur politique n’a
pas pour tâche, chez Condorcet au contraire de la vision de Ricoeur, de garantir
l’équilibre entre l’universel et le particulier.
Par contre, par l’instruction, l’homme devient citoyen en se réappropriant l’usage
personnel de sa raison. Raison et citoyenneté qu’il tient de droit naturel. Cependant la
citoyenneté chez Condorcet n’est pas une citoyenneté d’appartenance ou d’enracinement,
mais plutôt de détachement et d’ouverture. Il est bien question du détachement de sa
communauté d’appartenance, mais d’enracinement en l’humanité universelle. La
métamorphose de l’homme en citoyen n’est nullement fondée sur l’oubli de soi ou
l’abnégation. Par l’acte de comprendre, quoiqu’il soit difficile, on ne s’y perd pas mais on
s’y recouvre. Donc, l’éducateur politique doit viser à une réappropriation de ce qui en
l’homme lui fait recouvrir universellement son humanité. Le particulier, le national, le
KINTZLER Catherine et COUTEL Charles, Présentation, in Condorcet, (1994), Cinq mémoires sur
l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.38.
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culturel ne relèvent pas de l’éducation du citoyen. Qui plus est, s’il doit agir d’une
éducation nationale, Condorcet la récuse au profit d’une instruction publique.
En définitive, on retrouvait dans la théorie de l’instruction publique de Condorcet
les deux premières tâches de l’Éducateur politique telles que définies par Paul Ricoeur –
c’est-à-dire : la préparation du citoyen à la responsabilité collective de par son
appartenance à la civilisation mondiale, puis, la mise en tension ou l’équilibre entre la
responsabilité morale de critiquer ou de contrôler le pouvoir et l’exercice même du
pouvoir. Quant à la troisième tâche de l’éducateur politique Condorcet, dans le strict
esprit des Lumières, la comprend sans nuance ni équivoque comme une réappropriation
par l’homme de son humanité, par ouverture à la civilisation universelle au détriment des
valeurs, images et symboles particuliers.
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Les limites de la philosophie politique de l’éducation
de Condorcet
Les limites d’une telle philosophie politique de l’éducation seront mises en
lumière à partir de l’analyse des présupposés historiques et anthropologiques, puis
philosophiques, tels que le dévoilent la tension démocratique chez Condorcet.
L’avènement de cet individu-citoyen, à partir de l’instruction publique fondée
épistémologiquement sur le constat et le règne des droits de la nature, ne créera-t-il pas
une tension démocratique, dans la République, au niveau de la Représentation et du droit
universelle
au suffrage?
Nous devons
explorer les
présupposés
historiques,
anthropologiques et philosophiques de cette tension stigmatisant le rationalisme politique
de Condorcet.
II-2-a
Contexte historique
C’est en traçant les forces et les faiblesses de la philosophie politique de
l’éducation de Condorcet sur le plan historique qu’on pourra juger de la tâche de
l’éducateur politique dans la République.
D’abord, la France de 1789 visait-elle la démocratie directe? La chose publique
nécessitait-elle que la souveraineté soit remise entre les mains du peuple? C’est cette
fracture, ou le risque de confusion, peut-être même de confrontation entre la République
et la Démocratie qui permettra de saisir les forces et les faiblesses de la philosophie de
Condorcet.
En effet, la France de 1789 nourrissait une certitude ou une évidence
pratique : la quête de l’invention des formes politiques propres à rompre avec l’ordre
absolutiste. Ainsi, nul à l’époque n’a songé à instaurer un régime de démocratie directe.
Faudra-t-il réunir la nation française individuellement pour exercer ses droits ou faudra-til qu’elle soit représentée? C’est le dilemme entre faire face à un despotisme populaire
ou admettre l’évidence d’une souveraineté nationale qui ne soit pas absolutiste pourtant.
C’est le gouvernement représentatif admis par la Constitution de 1791 qui se chargea de
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résoudre cette tension. Condorcet, s’inscrit largement dans cette ligne admettant
l’évidence de la représentation. La représentation est tour à tour considérée comme un
substitut de la démocratie directe ou une alternative à celle-ci. Ces deux approches
trouvèrent la faveur des constituants. Ainsi admirent-ils que le nouveau régime réalise
une certaine combinaison d’aristocratie et de démocratie. Condorcet est déjà bien ouvert
et avancé contre l’aristocratie lorsqu’il admit l’unique souveraineté de la vérité, dans
cette France moderne entièrement vouée à l’idée cartésienne que la raison soit la chose du
monde la mieux partagée. Son rationalisme politique est parfaitement cohérent à l’esprit
des Lumières. Cependant, il admit que l’homme est raisonnable mais partout il est dans
les fers. C’est pour cela que sa doctrine de la représentation et de la citoyenneté garantie
par une instruction publique fut une avancée puisque non franchement aristocratique.
Même si, comme nous le démontrerons ci-après, que le droit au suffrage universel au
simplement élargi ne fut pas sa première préoccupation. Du moins, nous pouvons
admettre que le spectre du despotisme populaire effraya également Condorcet que ses
contemporains. Nombreux furent ceux, à l’époque de Condorcet, qui réprouvèrent le mot
de démocratie. Pierre Rosanvallon, dans le même esprit que son article publié dans le
premier numéro de la revue La Pensée Politique sur « l’histoire du mot démocratie à
l’époque moderne » 49 , rapporte une réflexion de Brissot : « Le mot démocratie est un
épouvantail dont les fripons se servent pour tromper les ignorants.» 50
Le dédain de Condorcet pour l’ignorance le place ipso facto dans le camp de ceux
qui contestent l’usage du mot démocratie. En plus que sa conception du peuple n’est pas
uniforme ni unidimensionnelle. Alors que la souveraineté du peuple oscille entre : - la
conception, en 1789, d’une représentation extraordinaire nommée Convention ou pouvoir
constituant pour balancer le pouvoir constitué de la représentation ordinaire ou
Assemblée nationale, ou bien - la conception, en 1791, d’une démocratie de sanction ou
de ratification quasi référendaire, mais à distance d’un régime représentatif classique et
de la démocratie pure; Condorcet innova par son discours du 9 août 1792.
49
50
ROSANVALLON, Pierre, (1993), La Pensée politique, #1.
ROSANVALLON, Pierre, (2002). La Démocratie inachevée. France. Nrf Éditions Gallimard, p 25.
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« …on ne doit pas s’étonner de voir les citoyens n’attendre leur salut que
d’eux-mêmes, et chercher une dernière ressource dans l’exercice de la
souveraineté inaliénable du peuple; droit qu’il tient de la nature. » 51
La souveraineté du peuple est ainsi considérée comme originaire et permanente,
par Condorcet. Elle est inaliénable et est originaire car le peuple la tient de nature. Pas
plus tard que le 13 août 1792, Condorcet enfonce le clou en disant que pour sauver la
France, l’Assemblée nationale n’avait vu qu’un seul moyen, c’était de recourir à la
volonté suprême du peuple, et de l’inciter à exercer immédiatement ce droit inaliénable
de souveraineté que la constitution avait reconnu et qu’elle n’avait pu soumettre à aucune
restriction. L’intérêt public exigeait que le peuple manifestât sa volonté par le vœu d’une
convention nationale. Cette Convention devait d’ailleurs affirmer dans son Décret du 21
septembre 1792 qu’ « il ne peut y voir de constitution que celle qui est acceptée par le
peuple. » L’objectif de Condorcet était de donner à la démocratie tout ce qu’elle pouvait
avoir d’influence chez un peuple immense par forme représentative. C’est-à-dire qu’il
voulait concevoir une forme de gouvernement représentatif qui ne conduise pas à limiter
ou à restreindre la souveraineté du peuple. Car la notion de peuple et ses prérogatives font
problème à Condorcet. La solution de Condorcet sur la représentativité sera originale.
Le peuple étant démultiplié ou multiple, comment combiner les parties de la
constitution de manière que la nécessité de l’obéissance aux lois, de la soumission des
volontés individuelles à la volonté générale, laisse subsister dans toute leur étendue, et la
souveraineté du peuple, et l’égalité entre les citoyens, et l’exercice de la liberté naturelle?
Il propose la démultiplication de la souveraineté du peuple, le peuple réel étant toujours,
double ou triple dans ses expressions. Car, il souhaite sincèrement contrebalancer le
gouvernement représentatif par la souveraineté du peuple, l’égalité entre les citoyens et la
liberté naturelle. La démultiplication de la souveraineté du peuple se décline dans le
temps et dans l’espace. En complexifiant la représentativité du peuple il entend donner un
rôle accru à l’intervention politique du peuple. En des temps politiques diversifiés, pour
réviser les textes constitutionnels, la Convention ou pouvoir constituant doit être mobilisé.
CONDORCET, « Instruction sur l’exercice du droit de souveraineté (9 août 1792) », in,
ROSANVALLON, Pierre, (2002). La Démocratie inachevée. France. Nrf Éditions Gallimard, p. 53.
51
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C’est la souveraineté de contrôle. Alors que la souveraineté déléguée au pouvoir législatif
demeure et il est représentatif du peuple. Avec Condorcet, la Représentation est sauvée,
mais également, le pouvoir permanent de contrôle par le peuple est également sauvé au
travers des conventions. Donc, effectivement Condorcet ne fut pas aristocratique, car il
inclut dans son système politique la division des pouvoirs, tenant compte qu’un peuple
complexe ne peut pas être représenté par une seule de ses manifestations. En ce sens
Condorcet ménagea la chèvre et le chou. Les idées propres au libéralisme des Lumières,
comme la liberté, l’égalité, primat de la raison et de l’idée de la nation sont prises en
compte, mais également les prérogatives du peuple à l’exercice d’un pourvoir direct ne
sont pas laissées de côté. Dans un discours le 15 février 1793 Condorcet propose la
Constitution comme base de la démocratie représentative pour dépasser l’action
révolutionnaire d’un peuple instituant et pour dépasser les abus d’un institué représentatif.
« Il faut que la constitution nouvelle convienne à un peuple chez qui un mouvement
révolutionnaire s’achève, et que cependant elle soit bonne aussi pour un peuple paisible ».
Robespierre ne pourrait en aucun cas admettre une telle appréciation de la Révolution, ni
l’idée de ce peuple double. Entre un peuple qui manifeste sa volonté par la convention,
même si la constitution exige de recourir à sa volonté suprême, et un peuple exerçant
directement le pouvoir, l’écart est grand. Un peuple qui n’est pas identifiée à sa
constitution n’est pas un peuple actif, son pouvoir est légué à ses représentants. De plus,
l’idée du peuple pour les Montagnards est une totalité agissante dans un état fusionnel.
Cette idée du peuple des Montagnards ne peut pas cadrer avec celle de Condorcet qui
parait spéculative et organisée.
Telles sont les présupposés historiques sur lesquelles se fonde le rationalisme
politique de Condorcet, avec les conséquences théoriques que voici. D’abord, on ne sent
pas réellement chez Condorcet l’égalité effective des volontés. C’est, ensuite, la
conception de la loi sous le modèle unique des lois éternelles de la nature qui pousse à
l’avènement de l’individu-citoyen, sans pour autant prendre pour absolu un élargissement
du droit de vote. Il en résulte une tension dans le rationalisme politique de Condorcet
entre la démocratie comme pouvoir ou force effective entre les mains du peuple et la
République comme gestion de la chose publique. D’ailleurs, l’accès à la connaissance est
tellement important dans la philosophie politique de Condorcet que c’est le fondement
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épistémologique qui dirige tout son système. Nous démontrerons dans les lignes
suivantes que l’ignorant n’a plus de place chez Condorcet pour être citoyen, et que sa
conception de la représentativité n’est pas allée jusqu’au bout d’un combat pour la
souveraineté du peuple. La boucle est tout simplement bouclée sur la nécessité d’une
instruction publique comme devoir de l’État envers son peuple.
Sa conception de la loi calquée sur les lois éternelles de la nature contrarie
l’exercice effectif du droit au suffrage. À quoi sert un vote qui ne soit pas décisionnel et
qui n’apporte rien de nouveau en politique, sinon comme processus d’acquiescement et
pour reconnaître un ordre légal, ou naturel, déjà existant? Ne nécessite-t-il pas que de
temps en temps le législateur soit légifacteur et fasse réellement des lois pour la gestion
dans la cité. Il n’est pas clair que face à notre problématique de la citoyenneté entre
identité et appartenance que Condorcet, malgré son exigence d’acquisition des
connaissances et d’apprentissage, ne soit pas encore dans un enfermement ou une
dissolution dans la nature comme chose ordonnée et légale. Le rationalisme politique,
tout en niant l’âme de la nation et la créativité législative, même en visant une quête
d’humanité universelle sous le modèle des Lumières, a carrément occulté l’appartenance
du citoyen sans pour autant ériger l’identité ouverte de cet individu-citoyen. Il s’est
contenté d’en faire un acteur rationnel, comme un genre de type ou schème dans lequel
d’autres individus rationnels peuvent se reconnaître. Pierre Rosanvallon, dans le sacre du
citoyen, propose une définition du citoyen condorcétien tout en exposant son rôle dans le
système.
« Les propositions de Condorcet sur l’instruction publique couronnent sa
tentative de penser globalement les conditions de régulation de la tension
démocratique par l’identification du citoyen à un acteur rationnel.» 52
ROSANVALLON Pierre, (1996), Le sacre du citoyen, histoire du suffrage universel en France, Chapitre
III, le nombre et la raison, éditions NRF Gallimard, France, idem, p.174.
52
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C’est en effet l’instruction publique qui régule la tension démocratique entre
nombre et raison c’est-à-dire la vérité, mais également qui forme un citoyen comme
acteur rationnel, autrement dit le citoyen électeur ou citoyen actif.
Justement, relativement au droit au suffrage, comment Condorcet articule-t-il
l’avènement de l’individu-citoyen et le droit au suffrage? Il semble que c’est l’avènement
de l’individu-citoyen qui prime. Il est instruit, il a droit au suffrage, il sera représentant.
Le citoyen témoigne de la volonté générale en éclairant ce qui doit être raisonnablement
admis par tous. Mais, cette volonté générale, n’est pas la somme des volontés ni d’une
volonté arbitraire d’un plus grand nombre. C’est toute la conception du pouvoir législatif
et de la représentation chez Condorcet qui s’articule à cette conception de l’individucitoyen. Politiquement parlant, la question de l’universalité du droit de vote est
secondaire pour Condorcet d’une part. Mais, d’autre part, nous verrons, dans l’analyse
critique des fondements épistémologiques relativement à la reconnaissance chez
Condorcet d’un ordre naturel déjà existant, pourquoi le droit de suffrage du grand nombre
reste secondaire.
Une dernière limite et non la moindre, sur le plan politique, est sa conception de
citoyenneté sous l’angle de la représentativité. En effet, lorsqu’on sait que Paul Ricoeur
distingue la civilisation des civilisations et reconnaît le capital civilisationnel au travers
des biens disponibles produits par les citoyens au niveau de la civilisation universelle,
nous devons donner le bénéfice de ce pas décisif à Condorcet vers l’universalité dans sa
conception du citoyen. C’est, dans l’avènement du citoyen, une invention libératrice
émancipant les individus des toutes sujétions des communautés particulières. La
représentativité alors, tient-elle compte des exigences d’universalité?
René Rémond, président de la fondation nationale des Sciences politiques et
académicien, a défini le peuple presque de manière analogue à la conception de la
civilisation par Ricoeur. Dans une recherche collective intitulée « le croisement des
savoirs »
53
il réagit à un mémoire collectif
sur la citoyenneté : « Citoyenneté,
Représentation, Grande Pauvreté ». Il parle ainsi :
53 FERRAND, Claude, (dir.). (1999). Le Croisement des Savoirs. Quart Monde, Paris. 525 pages.
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« Le peuple est un être de raison : il est formé de tous les citoyens en ce
qu’ils ont en commun, abstraction faite de tout ce qui les différencie : sexe, âge,
conditions de vie. » 54
Il ne faut pas se cacher que cette définition s’apparente mieux à une définition de
la nation. En tout cas, la définition du peuple par Condorcet ne fait pas abstraction des
différences entre les citoyens pour concevoir un peuple. Il fait un saut des différences à
un peuple éclaté, complexifié et pluralisé : « le peuple est démultiplié ». Si Condorcet
dans ses analyses a même pensé aux femmes, qu’en est-il des autres différences sur le
plan social, comme celle des conditions de vie? Oui, il dit ceci au sujet des femmes :
« Si les hommes se réservent tous les emplois, toutes les préoccupations
étrangères aux soins domestiques, c’est une raison de plus pour que les femmes
soient élevées de manière à pouvoir surveiller l’éducation des enfants, et y
présider. » 55
Ainsi, la famille est prise en compte, les enfants sont pris en compte, les femmes
sont prises en compte. Les différences d’âge, de sexe et même de fonction sont
clairement citées par Condorcet. Ce qui manque c’est la différence des conditions de vie
dans l’avènement du citoyen. Les inégalités au niveau des conditions de vie sont éludées
dans une conception politique de l’éducation, plus encore éducation à la citoyenneté.
On nous objectera, qu’en homme des Lumières comme Rousseau il argua que les
hommes sont doués de raison mais partout ils sont dans les chaînes. Je défendrai que cette
allusion soit relative à la condition de liberté, mais pas au niveau de la condition
économique et sociale c’est-à-dire de l’égalité. Justement, dans la troisième partie de
notre recherche, nous aborderons, cette condition d’esclave comme maillon de la chaîne
54 RÉMOND, René. (1999). Citoyenneté : Représentation, Grande Pauvreté. In FERRAND, Claude, (dir.).
(1999). Le Croisement des Savoirs. Quart Monde, Paris. p.516.
55 CONDORCET, «Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales » in, Condorcet,
(1994), cinq mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.325.
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économique, relativement à l’accession Haïti, colonie française au XVIIIème siècle, mais
devenue République indépendante un peu après l’apogée de la théorie d’instruction
publique de Condorcet, soit en 1804. L’esclavage, bien sûr à son crépuscule, était encore
un maillon fort du système économique et de ses conditions inégales et exclusives.
Question donc importante pour saisir la portée postcoloniale, anticipée, de la philosophie
politique de l’éducation de Condorcet. Ce dernier, réellement, n’a pas tenu compte d’un
forme de représentativité inclusive et universelle mais construite à partir des différences
de conditions de vie. Il ne s’est contenté que de confronter les Montagnards de
Robespierre en disant qu’il faut une Représentation qui tienne compte à la fois du peuple
paisible et du peuple dont le mouvement révolutionnaire s’achève.
Or, pour bien tenir compte des exigences d’universalité dans la représentation,
faudra-t-il que Condorcet aille jusqu’au bout dans sa complexification du peuple. Et
qu’en aval, il tienne compte de la diversité des citoyens, notamment au niveau des
conditions de vie, et de tout ce qu’ils ont en commun, pour relever d’une seule
civilisation humaine et universelle et que par la suite, ou en amont, il fasse proposition de
la représentation universelle. Il ne suffit pas de parler de la représentation universelle par
des citoyens instruits, mais sans dire comment les différences d’âge, de sexe et de
conditions de vie aient été prises en compte. Condorcet en cela proposa une citoyenneté
d’exclusion.
II-2-b
Limite épistémologique
Pour mieux saisir les limites épistémologiques de la doctrine de l’éducation de
Condorcet, il faudra tracer les forces et les faiblesses de sa philosophie sur le plan
épistémologique.
D’abord si les progrès de la liberté dans la nation doivent suivre ceux des
Lumières de manière constante et fondée sur les lois éternelles de la nature de la même
manière que la liaison nécessaire entre faits de la nature, c’est que l’épistémologie
juridique de Condorcet ne considère pas le citoyen comme un légifacteur, mais bien un
législateur. C’est-à-dire que les hommes ni leur gouvernement ne font point de lois, mais
conformément à la raison suprême qui gouverne l’univers, ils sont appelés à les porter.
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Les citoyens sont des porteurs de lois et par conséquent la politique est un art
d’observation et une science déductive. La politique comme la science ne porte rien de
neuf. La nature a des lois éternelles et elle ne change pas. C’est l’homme qui par
l’instruction croît et progresse dans la connaissance.
Ensuite, la démarche cognitive n’institue rien en lui-même, elle est
reconnaissance d’un ordre naturel déjà existant. De plus, en vertu de l’épistémologie
juridique, l’homme ne fait pas les lois mais il les porte, donc, le pouvoir législatif ne
nécessite pas un suffrage qui soit la volonté arbitraire du plus grand nombre. Aisément,
les vérités seront déduites par la raison des principes du droit naturel et seront adoptées
comme telles par la pluralité. La vérité étant le premier objet d’étude chez Condorcet,
c’est sur l’adéquation du nombre à la vérité que se fondera le droit de suffrage. Donc, les
formes des décisions et les lumières de ceux qui composent l’assemblée priment sur le
grand nombre et sa volonté. Comme Condorcet le dit lui-même :
« La vérité des décisions d’une assemblée dépend de la forme suivant
laquelle elles sont rendues, autant peut-être, que les lumières de ceux qui
la composent. » 56
C’est en réalité la vérité qui est la fin, or c’est la forme d’une décision jointe à
l’instruction du représentant à l’assemblée qui aide à y concourir.
Cette mise en forme organisée, ou cette mise en forme représentative qui sert de
critère de vérité n’est- elle pas propre à garder le peuple à distance? La démocratie ne
saurait en aucun cas être souveraineté du peuple dans la conception de Condorcet prônant
une souveraineté de la vérité. Ne pouvons-nous pas dire que ce fondement
épistémologique prépare la représentation capacitaire de Guizot qui affirma que le but de
l’élection est d’envoyer au centre de l’État les hommes les plus capables et les plus
accrédités du pays. De sorte que l’élection a, dans cette perspective, un caractère
purement fonctionnel. La souveraineté de la raison, de la justice ou du droit caractérise le
souverain légitime. Tout comme Jules Ferry, en 1884, enfoncera le clou pointé par
Condorcet en s’affichant pour but, en tant que président du Conseil, « mettre la
56
CONDORCET, Œuvres de Condorcet, t.VIII, p. 118.
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République au-dessus du suffrage universel ». C’était pour lui un moyen de consacrer le
pouvoir parlementaire. On ne peut pas innocenter Condorcet de ces dérives historiques ou
subséquentes de la souveraineté, ou de la République, excluant le peuple, que sont la
souveraineté de la raison de Guizot et la souveraineté de la nation de Ferry. Car, la
souveraineté de la vérité est de la même veine puisque son critère est dans la forme et
dans la composition d’une assemblée. Déjà avec Condorcet, la souveraineté fut
indissociable de la forme représentative du gouvernement, puisque la formation de
l’intérêt général ne pouvait résulter que d’une interprétation et d’une mise en forme
organisée. On ne peut soutenir si la théorie de la citoyenneté de Condorcet est
aristocratique si on n’analyse pas le fondement épistémologique de sa théorie de
l’instruction publique. Est-ce que l’ignorant est citoyen ou pas?
Posons, d’abord, le problème sur le plan anthropologique. La démocratie, traitant
du sujet qui gouverne, a-t-elle besoin d’un homo aristocraticus ou bien d’un homme
anonyme et vulgaire, atomisé et grégaire, interchangeable et dévalorisé, bref, d’un
homme inauthentique? La formation du citoyen, à la Condorcet, ne cache pas sa
prétention à la formation d’une élite. Mais, il s’agit d’une élite au service de l’ensemble.
L’ignorant n’est pas condamné à son état inculte. Comme le dit Blandine Kriegel : « la
nature humaine est culture et que le principe d’égalité n’est qu’un principe d’égalisation,
donc d’éducation.» 57 Justement, Condorcet a-t-il pensé, fondamentalement ou de droit
naturel, à une égalisation entre l’ignorant et le citoyen éclairé? Il admet que la nature n’a
fait que des hommes et des citoyens. Donc, il n’y pas d’ignorant de droit naturel. De
même il n’y a pas une élite de droit naturel. Cependant, il faut rendre, selon l’esprit des
Lumières, à tout homme son humanité, par une instruction publique en toute nécessité.
C’est un fait que par son rapport au savoir un homme échappe à l’autorité
politique, car il sera capable de contrôler celle-ci. Condorcet en convient bien lorsqu’il
fustige les ignorants dans les cinq mémoires sur l’instruction publique :
« Un peuple éclairé confie ses intérêts à des hommes instruits, mais un
peuple ignorant devient nécessairement la dupe des fourbes qui, soit qu’ils le
Blandine, (1994), « Démocratie et anthropologie », in Propos sur la démocratie – Essais sur
un idéal politique, éd. Descartes et Cie, Mayenne, p. 114.
57 KRIEGEL
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flattent, soit qu’ils l’oppriment, le rendent l’instrument de leurs projets, et la
victime de leurs intérêts personnels. » 58
Ainsi, le méchant est un ignorant pour Condorcet. Par principe d’identité,
l’ignorant est un méchant également. D’une part, l’ignorant se rend dupe des fourbes,
mais, adhère à la flatterie et est instrument des projets macabres. Et, s’il est victime des
intérêts personnels des fourbes, il n’est pas sans responsabilité. Car les principes de la
raison ne peuvent être nuisibles. D’autre part, ce sont les lumières, selon Condorcet qui
rendent les vertus faciles, de sorte que l’amour du bien général, et même le courage de
s’y dévouer est, pour ainsi dire, l’état habituel de l’homme éclairé. Donc, ne pas exercer
sa raison libératrice et constructrice des connaissances c’est ne pas se soumettre à ses
commandements. C’est même contre nature d’être ignorant et anti-citoyen si on veut
pousser la logique de Condorcet. Il y a lieu de restaurer la raison dans la pureté de son
usage originaire et naturel, seul moyen pour que l’homme naturellement raisonnable ne
soit plus partout dans les fers. D’où la nécessité de l’instruction publique avec pour
mission d’éclairer le citoyen et pour fondement épistémologique le savoir que procure la
raison naturelle. Cela nous empêche de qualifier Condorcet d’aristocrate. Puisque,
l’homme instruit, pose un acte citoyen en confiant ses intérêts à des hommes instruits.
C’est la généralisation de l’instruction qui égalise les hommes entre eux. Comme nous le
disions tantôt avec Blandine Kriegel ce n’est pas un principe d’égalité mais un principe
d’égalisation, et, nous pouvons ajouter, par le haut. En quoi le bas blesse-t-il dans cette
conception du savoir chez Condorcet? C’est dans la condamnation de l’ignorant ou du
moins par son exclusion de la citoyenneté.
En effet, l’ignorant n’est-il pas également citoyen? Et qui pis est, il est citoyen du
point de vue de la dynamique même du savoir. Le savoir a sa propre dynamique et se
construit par mouvement et croisement. Michel Serres, philosophe et membre du conseil
scientifique du document collectif « Le croisement des savoirs », a donné une bonne
définition de la dynamique du savoir lorsqu’il donne son avis sur le mémoire « Savoirs »
au chapitre trois. Il s’inspire d’un proverbe anglais et affirme : « Si tu ne sais pas quelque
CONDORCET, «Sur la nécessité de l’instruction publique » in, Condorcet, (1994), cinq mémoires sur
l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.344.
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chose, explique-le à un copain, et à ce moment-là tu le sauras.» 59 Il y a donc un processus
avec des paliers successifs à l’accession au savoir. Le premier palier d’accession au
savoir est de sortir de l’exclusion. Il faut d’abord gravir cette marche d’appartenir à une
communauté qui va donner de la reconnaissance. Reconnaître que l’autre n’a pas le
monopole du savoir. Lui aussi a besoin d’apprendre. Condorcet n’était pas loin de cette
conviction car, pour lui, il y a nécessité que l’instruction soit publique, car tous en ont
besoin. L’ignorant doit avoir cette reconnaissance d’appartenir à une communauté
d’hommes en quête d’instruction. La seconde marche d’escalier immédiatement
complémentaire c’est d’entrer dans ce processus contradictoire de donner avant de
recevoir. C’est là que le savoir se clarifie et va progresser chez celui qui l’explique à
l’autre. Tout le monde a des aptitudes, la plupart des gens sont intelligents, ceci, que l’on
soit pauvre ou riche, savant ou pas savant on a un égal besoin de reconnaissance dans une
communauté ou dans la cité. En donnant cette reconnaissance à l’autre, le moins savant
donne avant de recevoir du plus savant. Il y a croisement de savoirs. Ça c’est de la
citoyenneté égale pour l’ignorant que pour le savant. Car ce savoir permet d’entrer dans
une communauté où chacun donne de la reconnaissance. En expliquant à son copain ce
que tu ne sais pas, là tu le sauras.
La force anthropologique de la vision du savoir chez Condorcet, basée sur la
raison naturelle, doit être complétée par une épistémologie du croisement des savoirs,
pour que la citoyenneté ne soit pas exclusive.
SERRES, Michel (1999), « Savoirs. Libérer les savoirs », In FERRAND, Claude, (dir.), (1999), Le
Croisement des Savoirs, éd.Quart Monde, Paris, p.512.
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II- 3
64
Conclusion partielle
Former un citoyen ayant pour identité d’être un acteur rationnel, tel est le but du
rationalisme politique de Condorcet. Car, il est sujet, ce citoyen, d’une civilisation
universelle dont il est un individu universel. C’est de la nature éclairée par l’instruction
qu’il tient cette identité. Appelant de ses vœux cette citoyenneté instruite et réfléchie,
Condorcet fait bien preuve qu’il fit partie des Lumières de son siècle. D’autant plus qu’il
traque l’erreur comme principal ennemi philosophique et politique, au point d’ériger la
vérité comme seul critère philosophique et unique souverain politique. D’où la mission
de l’instruction publique, de rendre populaire la raison politique afin que le progrès non
seulement des sciences mais des valeurs de liberté et d’égalité puisse s’étendre au
maximum. Mission qui devient une nécessité pour la République afin que légalement,
c’est-à-dire régulièrement on puisse rendre au peuple ce qui lui revient de droit naturel.
Toute la société doit bénéficier ou briller de la lumière du citoyen instruit ou éclairé.
L’éducateur politique, non seulement qu’il doit instruire le citoyen, mais il doit
pourvoir également au progrès de la nation. Malgré que son épistémologie juridique
s’articule avec l’éthico-humaniste, Condorcet reste élitiste au point de voir l’équilibre
entre la morale de conviction et la morale de responsabilité au sein du même citoyen
instruit c’est-à-dire éclairé. Le citoyen doit être formé pour contrer (veiller à la moralité),
et équilibrer le pouvoir des représentants ayant la responsabilité des décisions politiques.
Il n’a même pas soupçonné que le savant et l’ignorant partagent la même citoyenneté par
la reconnaissance qu’ils se donnent mutuellement dans le croisement des savoirs. Par
ailleurs, c’est la tâche d’équilibre des valeurs, images et symboles des civilisations
particulières, prônée par Ricoeur, qu’on retrouve moins chez l’éducateur politique de
Condorcet. Les images, les valeurs et les symboles de sa communauté d’appartenance
passent au second rang. La raison totale de l’esprit des Lumières, promouvant une
civilisation unique et devant s’étendre à l’humanité entière, règne dans la philosophie
politique de Condorcet.
Malgré une souveraineté du peuple démultipliée dans le temps et dans l’espace,
l’anthropologie de Condorcet, tendant vers la réalisation d’une humanité universelle sous
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65
le règne du progrès, ne conçoit-elle pas l’homme comme un et pareil dans le temps et
dans l’espace? Artifice conçu par Condorcet pour résoudre la tension au sein du peuple
entre la souveraineté représentative et la démocratie jamais effectivement populaire.
Ordonner tout selon les lois de la nature témoigne d’un enfermement de Condorcet dans
un universel qui ne tient aucun compte des spécificités des civilisations particulières.
Aussi, parlons-nous au sujet de l’anthropologie de Condorcet d’un « homo
aristocraticus » qui relègue tout individu ignorant au rang d’un grand méchant? Malgré
les positions de Condorcet, au nom de la raison, contre l’esclavage dans la République,
ne devra-t-on pas attendre les critiques postcoloniales pour démasquer les ombres
anthropologiques des Lumières? Anténor Firmin et Édouard Glissant résonnent-ils d’une
même tonalité en ce sens?
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66
IIIème Partie
Anthénor FIRMIN et Edouard GLISSANT : Modernes
inspirant une éducation à la citoyenneté dans un contexte
postcolonial
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67
Le traité de l’égalité des races humaines d’Anténor Firmin et le Traité du Toutmonde, d’Édouard Glissant, sont deux anthropologies d’obédience modernes et en
dialogue qui sont susceptibles d’éclairer l’éducation à la citoyenneté dans l’ancienne
colonie française d’Haïti et dans l’aire géographique antillaise. Comment ces deux
philosophies politiques, entre l’arrachement et l’enracinement, guident-elles la tâche de
l’éducateur politique, en contexte postcolonial?
L’objet de cette troisième partie est de mettre l’accent sur un phénomène ou un
concept central à cette étape de notre recherche : le phénomène de civilisation. Il s’agit
de comprendre les concepts d’enracinement et d’arrachement par rapport à celui de
civilisation ou de capital civilisationnel. Paul Ricoeur déclinait le capital civilisationnel
en trois éléments, l’outillage, l’institution et les valeurs. Or, l’outillage consiste en tout ce
qui représente un bien commun de l’humanité comme monde commun. Le concept de
monde commun, comment le trouve-t-on comme patrimoine mondial de l’humanité chez
Firmin et Glissant? Ce concept réfère à quoi chez eux, à la formation d’un sujet à la
rationalité ou bien à la sensibilité? Comment les trois tâches de l’éducateur politique
définies par Ricoeur figurent-elles chez eux? Y aura-t-il une possibilité d’exister pour une
école républicaine postcoloniale s’inspirant de Firmin ou de Glissant? Peut-on retrouver
dans leurs pensées une critique de l’humanité et de l’universalisme européens s’ouvrant
sur une reconnaissance de l’autre et de sa différence? Si oui y dégage-t-on une vision
éducative ayant une mission civilisatrice d’émanciper le citoyen ou bien de lui
transmettre un héritage civilisateur spécifique? Mais, avant de chercher la réponse,
clarifions d’abord la différence entre la philosophie politique des Lumières et celle
romantique.
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III-1
68
La philosophie politique des Lumières face à la
philosophie politique romantique
Parce que nous devons chercher ce que signifie l’expression « République
d’Haïti » en 1804, nous sommes appelés à comprendre d’abord la ou les philosophies
politiques qui s’affrontaient au croisement des XVIIIème et XIXème siècles. La
citoyenneté démocratique dans la République d’Haïti née sous l’égide des Lumières,
sera-t-elle une question de sol, de sang et de race ou bien une question de liberté de
conscience? Pour comprendre ceci il faut remonter à l’interrogation suivante : L’homme
du siècle des Lumières ne diffère-t-il pas de l’homme du siècle romantique? Quelle
compréhension se dégage sur la nature reçue par l’homme en tant que subjectivité et
sensibilité? La réponse à ces questions oriente la vision de la citoyenneté, de la
démocratie, de la représentation, bref de la République dans ces deux siècles qui ont vu
Haïti passée d’une colonie esclavagiste à une République indépendante où des indigènes
naguères esclaves se déclarent sujets libres.
Or, pourquoi ce grand détour, flairant l’anthropologie, vers la vision de l’homme
avant d’aborder nos auteurs en vue d’investiguer sur la philosophie politique de
l’éducation à la citoyenneté? Une question de fondement, en amont, nous oblige à saisir
le problème dans le champ de la philosophie politique. Une dimension politique de
l’homme est toujours en dialogue avec une dimension intérieure de l’homme. L’aspect
éducationnel ne peut pas être abordé sans éclairer l’aspect politique. L’aspect subjectif de
l’homme est en dialogue avec l’aspect objectif de ce dernier.
Y a-t-il dénaturation de l’homme ou de son être propre lorsqu’il opère la
transition de l’intériorité à l’objectif, à la politique? Le Bildung60, en tant qu’intériorité du
moi propre, fait-il profondément résistance à l’idée républicaine, en refusant un ordre
extérieur considéré comme sans importance ? C’est la question de l’humanisme européen
et de son universalisme qui est en cause, de même que la compréhension de l’autre,
DUMONT Louis, (al),1987, opcit. Thomas MANN, Les considérations d’un apolitique ,
In« Individualisme « apolitique » : la « Kultur » dans les Considérations de Thomas Mann », In Sur
l’individu, seuil , Paris, p.39.
60
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69
extérieur à soi, et de sa différence. Fera-t-on face à l’idée d’un individualisme purement
intérieur au sujet, qui laisse intacte son appartenance à la communauté nationale? Peut-on
être un individu au sens purement intérieur, c’est-à-dire selon la bildung ou intériorité
sans être une partie d’une entité (ou totalité) politique nationale ou d’une société
particulière? Un individu peut-il être apolitique en rapport à sa cité ou société particulière?
Ce qui paraît tout à fait contraire à l’idée de citoyenneté héritée de la modernité ou de la
Révolution française. La réponse du siècle des Lumières semble être différente de celle
du siècle romantique.
III-1-a
La philosophie politique des Lumières du XVIIIème siècle :
l’humanité universelle fondée sur sa nature seule comme originaire
S’arracher à la naturalisation en vue de viser à l’universel, voilà l’objet des
Lumières. Il existe une humanité universelle et l’homme doit se distancier de la nature
pour en être maître et possesseur. L’homme accède à son humanité par un retrait hors de
toute humanité particulière. L’autonomie originelle, ou la majorité qu’acquiert l’homme
en se servant de sa propre raison l’empêche d’accepter quoique se soit comme naturel ou
allant de soi, sauf le droit naturel d’être supérieur à tout ce que régissent et ordonnent les
lois de la nature. L’homme ne peut pas se donner une nature. La nature de l’homme, s’il
en est, est de s’approprier de sa raison pour dominer la nature extérieure. La nature
humaine, autre que l’immédiateté, le spontané, l’imposé et le transcendant, n’est pas
particulière mais universelle. Cependant, la raison peut-elle fonder l’État à partir d’ellemême?
Nous pouvons débusquer deux paradoxes chez Les Lumières. Le premier est que,
étant un animal essentiellement politique, l’homme ne peut construire ou fabriquer la Cité
comme si ce fut son produit. Celle-ci transcende l’humain car n’étant pas son produit;
puis, elle précède l’homme et lui est à la fois immanente, car il n’est pas extérieur à elle.
Alors c’est la Cité qui serait naturelle et génératrice de l’humain. Cet argument est
pourtant antique et aristotélicien. Le second paradoxe est que l’universalité humaine
réside dans ce qui pousse les individus à aller plus loin, à se dépasser, à acquérir le goût
du nouveau, de l’inconnu, de l’indépendance, de l’échange, de l’exploration, de la
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70
découverte. Si la raison venait à fonder l’État et à organiser la société, elle s’enfermerait
dans sa construction et son organisation. Un argument paradoxal qui sera plutôt
romantique et propre à Fichte61. Pour éviter de confronter témérairement la doctrine des
Lumières à des paradoxes anachroniques, ou antiques ou romantiques, venons-en
résolument à ce qu’elles croient avoir initié.
Les Lumières se sont évertuées à proposer le progrès et le perfectionnement
continu des vertus humaines, à remplacer la religion révélée par la religion naturelle
ordonnée selon la rationalité des lois de la nature, à promouvoir l’éducation politique et
l’instruction de l’homme sauvage par des peuples civilisés plus éclairés, vertueux et
républicains, à construire la volonté générale différente de la volonté de tous comme
moteur de l’histoire, à promouvoir l’autonomie de l’homme gouverné par lui-même, à
affirmer le droit naturel à la liberté, à inventer des formes politiques nouvelles axées sur
la souveraineté du peuple, à répandre la seule croyance consistant en l’organisation
rationnelle du bonheur humain. Mais, quel est le fondement de cet idéal d’autoengendrement des Lumières?
L’idée est que l’homme accède à son humanité en pensant, jugeant, agissant par
lui-même. L’humanisme occidental se fonde sur un subjectivisme. Comme le dit Marie
Lemonier, analysant la contradiction des philosophes de Lumières face à l’esclavage et à
la traite négrière : « Toute l’anthropologie des Lumières concourt à faire de l’homme
civilisé l’être le plus achevé de la création. Et les philosophes n’échappent pas à
l’européocentrisme de leur temps. » 62 C’est exactement cette mentalité que Anténor
Firmin va affronter, dans son traité de l’égalité des races humaines, sous-titré
Anthropologie positive. Mais, puisqu’il fut du XIXème siècle, quelle fut la philosophie
politique des romantiques dans laquelle il s’est baigné?
LEGROS Robert, (1993), L’idée d’humanité, Introduction à la phénoménologie, éd. Grasset, France,
p.85.
62 LEMONIER Marie (janv. 2007), « Condorcet, Raynal, Diderot…Face à l’esclavage » in Le siècle des
Lumières, Le Nouvel Observateur # 2198-2199, France.
61
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III-1-b
71
La philosophie politique du romantisme du XIXème siècle :
l’humanité particulière en appartenance à un monde commun et
s’arrachant à la nature originaire.
L’apparaître des choses et des individus, dans leur différenciation, leurs
particularités, leur diversité et leur variation, s’impose au sujet. Contre toute identité
universelle, l’appartenance à un monde commun différencié et diversifié inspire une
philosophie politique propre au romantisme où la nature reçue par l’homme en tant que
subjectivité tient compte de sa sensibilité.
Contre la conception abstraite des Lumières qui pensait pouvoir fonder la société
sur le seul contrat volontariste, le romantisme affirme que la raison des institutions
n’épuise pas les passions des peuples, leurs mœurs et leur culture, l’esprit général de leur
société, l’esprit du peuple ou l’âme générale de la nation. Qu’on se rappelle bien la
définition que donne Renan de la nation comme une âme ou un principe spirituel fait de
riches legs à partager et de désir de vivre ensemble. Il ne s’agit pas d’une soumission à
toute tradition, mais bien à la tradition vivante. Celle de la vie où l’on cherche son
identité enfouie sous la différenciation. La philosophie politique des romantiques reste
moderne et humaniste. Mais, elle insiste sur la conquête de son originalité, de sa
singularité et de ses capacités humaines contre tout universalisme jugé mortifère. Robert
Legros comprend ainsi le romantisme :
« L’esprit vivant est histoire et non pas culture immuable précisément
parce qu’il est conçu comme vivant dans la mesure où elle se renouvelle, se
maintient en se différenciant, reste identique en cessant de se différencier. » 63
Il s’agit, dans la compréhension romantique, d’un processus où la différenciation,
la diversification et la variation ne cessent de renaître au dépend l’identité l’emportant
constamment sur la différenciation, l’un sur la diversification, la substance sur la
LEGROS Robert, (1993), L’idée d’humanité, Introduction à la phénoménologie, éd. Grasset, France,
p.103.
63
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72
variation. L’identité, l’un, la substance, l’abstraction se veulent une culture immuable,
universelle et supra-historique, alors que la vie est un processus. C’est cette différence au
sein de la compréhension du progrès, notamment de la science, dans les temps modernes,
entre les romantiques et les Lumières. Celles-ci envisageaient l’histoire de l’humanité
sous l’angle d’une progression globale et nécessaire selon un perfectionnement continu
des Lumières, de la science et des vertus humaines. D’où l’eurocentrisme sous couvert
d’universalisme qu’on a pu découvrir dans l’« Esquisse d’un tableau historique des
progrès de l’esprit humain » de Condorcet, publiée en 1793. Alors que le romantisme,
avec les grandes philosophies de l’histoire de Hegel ou de Marx, va rompre avec les
anciens. Le processus historique ne sera plus linéaire et nécessaire, mais vie et
mouvement, intégrant, la diversité, la différence et l’identité de l’identité et de la
différence dans une dialectique. Le romantisme ne peut être réduit à un historicisme
radical et linéaire qui conduit à une déshumanisation au travers d’un humanisme abstrait,
en s’enfermant sous l’emprise d’une seule tradition érigée en loi suprême.
Non,
l’expérience historique selon l’esprit romantique est l’appartenance à une tradition
particulière permettant de conquérir son originalité, sa singularité, ses capacités
proprement humaines par son inscription en elle. Donc, le sujet ne se perd pas soi-même
dans le romantisme, sauf qu’il ne s’enferme pas sur sa subjectivité mais s’ouvre de
préférence à l’apparaître des choses et des autres individus tout aussi particuliers que lui.
Ainsi la philosophie politique romantique revendique une appartenance à un
monde commun qui n’a pas la forme d’un modèle, mais qui répond à une ouverture à
l’apparaître des choses, à leurs particularités et à celles des individus dans leur singularité.
Cette appartenance que revendique le romantisme est un arrachement à la naturalisation
originaire de l’homme comme sujet universel, rationnel enfermé dans un modèle
universel, celui des citoyens éclairés et rationnels. L’homme ne se donne pas une nature
qu’il prétend dominer, mais il reçoit une nature comme toutes les autres choses et
individus. La sienne est aussi faite de sensibilité, mais en même temps de rationalité. Cet
enracinement dans une culture particulière avec des images, des valeurs, des symboles,
des traditions particulières, en s’arrachant de la naturalisation originaire d’une humanité
universelle, nous aidera à comprendre, dans la suite de notre travail, l’avènement, dans la
République nègre et indépendante d’Haïti au XIXème siècle, de la synthèse satisfaisante
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73
des principes différents de la citoyenneté et de la nationalité. Alors que l’idée de la
citoyenneté républicaine reste volontariste et même universaliste, et repose dans la
tradition de la pensée républicaine sur l’idée du contrat social et de la volonté générale,
tandis que de son côté, l’idée de la nationalité repose d’abord sur la filiation (jus
sanguinis) avec les connotations raciales, et ensuite sur un droit à un territoire (jus solis)
indépendant. La République d’Haïti est le prototype de la conjonction du sentiment de
nation à l’idée d’une chose publique en tant qu’objet de la politique (res publica), même
si, malgré l’exploit des masses démunies et esclaves, la démocratie référant au sujet qui
gouverne la politique est en souffrance. Ce que Blandine Kriegel traduit si bien : « Le
droit politique républicain devient alors la chose publique plus la nation. La république
patriotique, le patriotisme républicain.» 64
Haïti aura résolu, de cette façon que l’histoire doit retenir, c’est-à-dire par le choix
de la République patriotique, ce que Pierre Rosanvallon appelle les « apories politiques
modernes » 65. Ceci à la même époque que deux autres expériences révolutionnaires, la
République comme souveraineté du peuple ou de la nation en France en 1789 et la
République comme gouvernement carrément représentatif aux États-Unis d’Amérique en
1787. « Nul ne songe à instaurer un régime de démocratie directe. » 66 dit Rosanvallon.
Que veut dire dans ce cas le terme République dans l’expression « République
d’Haïti » en 1804, lorsqu’on sait que Blandine Kriegel lie la république à l’État de droit
et à la démocratie en tant que gouvernement du grand nombre? Or, la citoyenneté serait,
dans la ligne des Lumières, liée à l’instruction et à l’individu éclairé et doté de la liberté
de conscience, c’est-à-dire «la citoyenneté démocratique dont le fondement n’est ni le
sang ni le sol (version romantique) mais la liberté de la conscience. » 67 Qu’inspire alors
Firmin sur la République et la citoyenneté en Haïti dans son traité « De l’égalité des
races humaines », ou au contraire Glissant dans son « Traité du Tout-monde » ?
Chez lequel donc de nos deux auteurs caribéens, carrément inscrits sous l’égide
de la modernité, on saisira cette appartenance à un monde commun où l’être humain peut
64 KRIEGEL Blandine, (1994), « La démocratie et l’institution de la république», in Propos sur la
démocratie – Essais sur un idéal politique, éd. Descartes et Cie, Mayenne, p. 28.
65 ROSANVALLON, Pierre, (2002), La Démocratie inachevée, France, Nrf Éditions Gallimard, p.31.
66 Idem p.11.
67 KRIEGEL Blandine, (1994), « La démocratie et l’institution de la république», in Propos sur la
démocratie – Essais sur un idéal politique, éd. Descartes et Cie, Mayenne, p. 30.
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penser et juger par lui-même, faire et sentir par lui-même, en revendiquant en même
temps une appartenance communautaire et nationale? Par contre lequel dira mieux cette
identité faite de contradiction et de diversité, construite contre toute nature exclusive,
mais plutôt composite?
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III-2
75
Anténor FIRMIN dans « De l’égalité des races »:
Pour une appartenance citoyenne
Il ne s’agit pas pour nous d’analyser le traité « De l’égalité des races humaines –
Anthropologie positive ». Mais, nous nous proposons d’en faire ressortir les idées
philosophiques de Firmin, comme homme des Lumières et, toutefois, romantique. Son
appartenance au Parti Libéral68 haïtien, branche Boyer Bazelais, est cohérente à son credo
moderne, au point où ce que Condorcet dit des nations il le dira des races quant au rôle
des « progrès de l’esprit humain » 69 en rapport à l’égalité entre les nations, et des
« progrès vers la liberté»70 éclairant toutes les nations à la suite des Lumières. Aussi, cette
doctrine influencera-t-elle l’éducation politique des citoyens de la jeune nation haïtienne?
En concluant que « Tous les hommes sont l’homme », il résume les buts de son ouvrage,
en même temps, il affirme une logique qui renverse, contredit ou rend réfutable la logique
de ses contradicteurs Renan et De Gobineau.
Que vise Firmin par ce traité? De 1888 à sa mort en 1911, il fut membre de la
Société d’anthropologie de Paris dont l’article premier du statut donnait pour but l’étude
scientifique des races humaines et où deux clans s’affrontaient, les polygénistes et les
monogénistes. Il brûlait d’une motivation qu’allumèrent l’incongruité et le choc
douloureux de se voir, en tant que noir, siéger dans une société dont les débats tournent
principalement autour du sujet de l’inégalité des races humaines et de l’infériorité native
de la race noire. S’installant alors sur le terrain polémique au sein de la Société, il voulait,
en vain, engager le débat avec ses savants collègues en leur offrant un exemplaire signé et
dédicacé de son traité sur l’égalité des races qui est passé inaperçu, sans recevoir ni
68 Notes: Selon Anthony Georges-Pierre (2007), Le préjugé de Couleur à travers l’Histoire d’Haïti,
« Firmin a expliqué comment en 1879, ses adversaires politiques avaient détruit sa candidature à la
députation pour la circonscription du Cap, sous la bannière du parti libéral, en faisant savoir aux paysans
des environs que Firmin était un mulâtre aussi clair qu’un blanc. » Or, Firmin fut un noir dans le parti de
Boyer Bazelais, premier député de la capitale et chef du parti libéral, ayant une nuance épidermique très
claire. Firmin en vint à cette conclusion rapportée par Anthony Georges-Pierre à la page 273 « La vérité,
c’est que la question de couleur est à l’usage de tous ceux qui désirent perpétuer la nuit qui règne dans le
cerveau populaire en Haïti, pour en tirer des avantages personnels. »
69 Condorcet, «Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales » in, Condorcet,
(1994), cinq mémoires sur l’instruction publique, éd. GF Flammarion, Paris, p.325.
70 Condorcet, « Conclusion », Cinquième Mémoire sur l’instruction publique » in Catherine Kintzler,
(1984), Condorcet l’instruction publique et la naissance du citoyen, Folio, essais, France, p. 289.
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commentaire, ni compte-rendu, ni louanges, ni appréciation des membres. Face aux
conclusions du savant Broca sur la stérilité des mulâtres entre eux et sur la laideur du
nègre dans ses théories de crânologie, face aux théories alléguant l’existence de races
inférieures et de races supérieures propres à De Quatrefages, lorsque De Gobineau traite
de
« L’inégalité
des
races
humaines »,
Firmin
entreprend
une
investigation
anthropologique mêlant linguistique, préhistoire, archéologie et sociologie pour
contredire et s’inscrire contre l’opinion de ses collègues en proposant comme thèse
principale de son livre que l’influence du milieu et les conditions de situation sociale sont
des facteurs déterminant la physiologie du cerveau et qu’il pouvait conclure que
«l’égalité naturelle existe entre toutes les races »
71
. D’autant plus que pour lui,
ironiquement, s’il y a des nations sauvages et des nations civilisées où les premières sont
inférieures aux secondes, « la race n’y est pour rien, la civilisation y est pour tout » 72. Il
cherchera à prouver que ce mot de race implique une certaine fatalité biologique et
naturelle. Nous montrerons, par la suite, qu’en grand fervent des idéaux de 1789 et des
Lumières, il visait plus l’égalité des races dans un projet de civilisation et de progrès pour
tous les hommes et toutes les races, dans la solidarité des peuples plus que dans
l’exaltation du sang. En montrant que son pays Haïti a une œuvre délicate à accomplir
consistant à montrer à la terre entière que tous les hommes, noirs ou blancs sont égaux en
qualités comme ils le sont en droits, ce fut une occasion pour lui comme il le dit dans les
dernières lignes de sa préface de 1885: «Aussi est-ce religieusement que je lui apporte
mon offrande, humble et respectueuse. » 73 Nous tiendrons compte dans notre recherche
du poids d’un tel élan patriotique pour une vision de la citoyenneté. Toujours est-il que sa
démarche fut imprégnée de sa foi en la science universelle, moderne et positiviste, en une
anthropologie sociale et culturelle, bien mise au service de sa mission et de son
engagement pour, dit-il, une « réhabilitation scientifique de la race noire dont le sang
coule pur et fortifiant dans mes veines.» 74
Les motivations, pour que cet adepte de la philosophie d’Auguste Comte dédie
son traité sous-titré « Anthropologie positive » au service d’une cause patriotique,
71 FIRMIN Anténor, 2008, De l'égalité des races humaines (anthropologie positive), éd. Mémoire
d’encrier, Montréal. (Paris: F. Pichon, 1885; Paris: L'Harmattan, 2003), p. 397.
72 Idem p. 259.
73 Idem p. xxxix.
74 Idem p. 90.
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s’inscrivent dans des contextes particuliers. Ce traité est carrément postcolonial dans sa
visée de démasquer, comme non scientifique, un système colonialiste à cours de
justification scientifique et morale pour conquérir le monde. La parution de ce livre
coïncida avec le congrès de Berlin (1885-1886) par lequel les grandes puissances
européennes se lançaient dans le partage de l’Afrique en colonies d’exploitation. Alors
que l’Angleterre voulut assumer cette tâche comme fardeau de l’homme blanc, la France
par l’impérialisme colonial de la IIIème
République mettait en place la politique
coloniale de Jules Ferry avec pour devoir de civiliser les peuples restés en dehors du
mouvement général de la civilisation. C’est l’époque où Broca gagna, comme sénateur de
l’union républicaine, l’institutionnalisation de la science anthropologique. C’est une
caution scientifique pour la IIIème République pour soutenir sa politique coloniale, à
partir des théories polygénistes sur l’inégalité des races ou sur l’infériorité des peuples
inégalement civilisés. Firmin usa de toute sa science positiviste et sa conviction de
Lumières pour répliquer à cette pseudo-science anthropologique et de lui dire
catégoriquement : « Non, tu n’es pas une science! » 75. Dans sa préface de 1885, alors
qu’il décrit les conditions morales et l’influence dépressive qui entourèrent l’affirmation
de sa thèse au sein de la Société, il affirma son doute sur les théories en cours, son parti
pris scientifique et son adhésion au critère de la vérité et au culte du progrès, si chers à
Condorcet et aux Lumières. Héritage qu’il partage avec Auguste Comte :
« Le simple bon sens m’indiquait là-dessus un doute légitime. Aussi est-ce
alors que je conçus l’idée d’écrire ce livre que j’ose recommander à la méditation
comme à l’indulgence des hommes spéciaux. Tout ce qu’on pourra y trouver de
bon, il faut l’attribuer à l’excellence de la méthode positive que j’ai essayé
d’appliquer à l’anthropologie… » 76
On ne peut pas être plus clair ni plus suggestif. En quoi ce projet firministe
s’apparente-t-il à celui de Condorcet, tout en laissant percevoir des tâches pour
l’éducateur politique haïtien du futur?
75 Idem p. 139.
76 Idem p. xxxiv.
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« Tous les hommes sont l’homme » 77, voici la dernière affirmation du traité de
Firmin et qu’il a empruntée de Victor Hugo. Une formule ouverte avec l’occurrence libre,
« l’homme » en général, placée sous un connecteur universel « tous les hommes »;
énoncé logique à côté duquel, il faut ajouter : « CQFD » 78 . Oui, c’est ce que Firmin
voulait démontrer. En bon positiviste, il croyait à l’humanité. Ce concept d’humanité
tient dans son extension et dans sa compréhension les idées de Progrès, de civilisation, de
science, de vérité, mais également celles de solidarité et de continuité. Toutes ces idées
que la philosophie de Condorcet englobait dans son projet d’éduquer le citoyen.
Contre toute morale spéculative c’est-à-dire « sans qu’on soit obligé de recourir à
des notions de morale spéculative, vagues, irrégulières, incohérentes, changeant de
critérium selon les temps et les milieux » 79, dit Firmin, il y aune conviction intime d’une
unité qui rend l’homme sacré à l’homme. C’est la prémisse, servant d’hypothèse, qui
culmine en cette phrase conclusive du traité de « l’Égalité des races humaines –
Anthropologie positive.» Ce postulat servant à tous les principes sociaux constitue une
vérité primordiale. L’homme n’a que la civilisation comme seule destinée commune.
D’où les concepts de solidarité et de continuité cimentant l’ensemble de l’expérience des
hommes à un moment historique donné. L’ensemble des domaines d’activité constituant
expérience humaine, le mouvement d’organisation et de construction caractérisé par les
sciences modernes comme forme d’expression : voilà un patrimoine qui traduit
l’Humanité. Ce mouvement de Progrès, à l’instar du progrès des Lumières, dans les
valeurs de Liberté et d’Égalité, caractérise non seulement la République occidentale, mais
il est fondamentalement le moteur de la civilisation. Cette vision qu’a Firmin de
l’expérience humaine globale ressemble typiquement au premier niveau de civilisation
que décèle Ricoeur traitant de l’outillage comme un bien commun de toute l’humanité.
Toutes les découvertes scientifiques, tous les exploits techniques de l’homme
appartiennent à tout homme ou à l’humanité. Dans les lignes qui suivent nous
évoquerons nommément les passages où Firmin voyait le rôle de l’éducation à la
77 Idem p.404
78 Note : CQFD est un sigle utilisé dans les conclusions des démonstrations logiques et mathématiques et
qui signifie : Ce qu’il fallait démontrer.
79 Idem p. 75.
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79
construction de cette civilisation. Mais avant, quelle définition de la civilisation peut-on
déduire du traité de Firmin?
Partant de l’unité de l’espèce humaine, distincte de l’unité d’origine ou adamique
que prône la religion, acceptant comme plausible « que l’espèce humaine, tout en faisant
son apparition sur plusieurs points du globe, n’est pas présentée partout avec une même
constitution organique, manifestant l’unité de plan qui donne à chaque création son
caractère typique » 80, il arrive à une définition de la civilisation qui anéantit le poids de la
race dans les compétitions nationales et les luttes intestines. La civilisation est la force
évolutive de la science qui marche, comme sur une longue route immense et sans bornes,
et élargit sans cesse son champs d’investigation et en réduisant l’impuissance de l’homme
devant les forces naturelles et surnaturelles, « si tant qu’on y doive aboutir, que lorsque la
surface entière de la terre sera peuplée d’une humanité aussi sage, aussi éclairée qu’on la
suppose être, dans ce que nous appelons les hommes supérieurs ». 81
Nous sentons le positiviste qu’est Firmin derrière ses propos. L’évolution dont il
parle est intellectuelle et morale. Ses leviers sont la Science et la volonté « pour soulever
tout le poids des fatalités héréditaires accumulées » 82. La nature bien sûr ne change pas,
mais les hommes, par l’aiguillon du progrès des sciences, des Lumières et de l’esprit
humain, opèrent une dénaturation ou un arrachement aux lois fatales de la nature pour
donner du poids à l’histoire et à l’influence du changement de milieu. Ainsi entre les
noirs et les blancs et même entre les noirs eux-mêmes, il est plus raisonnable de chercher
les comparaisons parmi ceux ayant un degré de civilisation supérieure. Firmin illustre,
entre autre, les incidences du progrès des civilisations et du milieu sur la typologie des
hommes dans son chapitre VII « Comparaison des races humaines au point de vue
physique », au moyen d’une analyse esthétique. Parlant de la beauté dans les races et de
l’évolution progressive de la race blanche il dit qu’ « il est incontestable que toutes les
races subissent une évolution qui va de la laideur à la beauté, sous l’impulsion du
développement intellectuel dont l’influence, sur l’organe encéphalique et sur le maintient
général du corps, est chaque jour mieux démontré.» 83 Cette affirmation de Firmin est en
80 Idem p. 71.
81 Idem p. 399.
82 Idem p. 156.
83 Idem p. 171.
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vue de répondre à Broca et à De Quatrefages qui mirent en évidence les résultats de leurs
recherches sur la craniologie de l’homme blanc pour prouver la supériorité de la race
blanche sur la race noire. Firmin va plus loin en accordant que « le type caucasique a
passé par les formes gauches et raides que l’on rencontre parfois dans le type africain,
avant de parvenir à cette beauté réelle qui fait aujourd’hui son légitime
orgueil.»84 Nonobstant le piège dans lequel Firmin s’est laissé prendre au niveau de la
survalorisation du canon de beauté du monde occidental et blanc, il voulait prouver que
l’évolution et « la beauté d’une race, dans la majeure partie des cas, se développe en
raison directe de son degré de civilisation » 85. En fait c’est le degré de civilisation qu’il
accorde à la race blanche et à l’occident européen. Et pour cause, il prouve que la race
noire également suit la même trajectoire du progrès vers la civilisation et les Lumières,
avec Haïti pour modèle, au travers de ses belles figures intellectuelles métisses et noires.
Il met l’exploit dont fit preuve, au travers des prouesses de l’indépendance nationale
« les Noirs d’Haïti à prouver au monde entier les hautes qualités dont ils sont doués à
l’égal de toutes les autres races humaines.» 86 Aussi, reprit-il une phrase d’un autre
écrivain haïtien, Edmond Paul : « Oubliez-vous qu’Haïti seule est appelée à résoudre le
grand problème de l’aptitude des noirs à la civilisation. » 87 Ces affirmations prouvent
deux types d’enfermement de la par de Firmin : son ancrage dans l’admission de la
civilisation occidentale comme référence d’accomplissement de la civilisation, une sorte
d’occidentalisme latent chez lui, et à la fois son insistance sur les prouesses de la race
noire. Nous analyserons plus tard son atavisme même au travers de l’enracinement des
exploits de Haïti dans un héritage africain. Toujours est-il que son appartenance à
l’humanisme européen et ses efforts pour y faire entrer Haïti est on ne peut plus
manifeste. Nous démontrerons plus encore ce culte de l’appartenance chez lui dans les
lignes qui suivent relativement à l’Afrique de laquelle il fait remonter la source
civilisatrice qu’il réclame également pour Haïti. Toute cette démarche de sa part, à partir
d’un modèle de référence et d’un seul canon de comparaison: l’évolution de la science et
de la civilisation occidentales. L’importance de ses citations de Firmin sur la civilisation
84 Idem p. 170.
85 Idem p. 168.
86 Idem p. 197.
87 Idem.
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et sur le rôle du progrès est sans conteste le poids de sa vision républicaine en digne
héritier de Condorcet, comme il dit :
« Le jour où Haïti aura compris la nécessité qu’il y a de réunir tout ce que
ses enfants ont produit, tant dans les arts que dans les sciences, les lettres et
l’industrie, afin de prouver au monde entier toutes les belles aptitudes dont les
descendants de l’Africain peuvent faire preuve, quand ils jouissent de la liberté
et se désaltèrent, comme les autres peuples civilisés, aux sources vivifiantes de la
science. » 88
Là encore nous trouvons, en sourdine, dans ces lignes la première tâche qu’il
assignerait à l’éducateur politique de son pays. Ce qui est en parfaite similarité avec les
affirmations de Ricoeur sur ce point, d’autant plus qu’il est ici question de ce que ce
dernier nomme l’outillage dans la civilisation.
C’est exactement, au travers des conditions que définissent Firmin pour que Haïti
accède à la civilisation, notamment par l’éducation, que nous décèlerons la vision de la
citoyenneté qu’il lèguera à Haïti.
« S’il se trouvait dans la jeune République une vingtaine de commerçants
avec leur position, leurs aptitudes, et leur esprit de progrès, on ne saurait calculer
toute l’influence heureuse qui en jaillirait pour l’avenir de notre patrie et la
régénération de cette race dont nous représentons en Haïti, les spécimens sur
lesquels doivent se faire toutes les observations scientifiques et rationnelles.» 89
On aurait dit du Condorcet tout craché, parlant de l’importance des Lumières et
des impacts de la formation du citoyen sur la nation. Quelle croyance indéfectible de
Firmin dans la formation de l’élite! Il pense que les hommes de la race noire doivent se
persuader que pour faire reconnaître incontestablement leur égalité d’aptitudes, à côté de
tous les autres hommes, ils doivent réaliser les conquêtes matérielles qui donnent les clefs
88 Idem p. 196.
89 Idem p. 200.
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de la fortune et les conquêtes intellectuelles qui donnent les clefs de la science. Mais,
pour ce faire, dit-il : « l’éducation préalable de l’esprit constitue le principal ressort.» 90
Dans la préface au traité il rappelle :
«On est en droit d’exiger de la race haïtienne, il faut donc attendre que
l’instruction répandue sans réserve dans les masses, vienne enfin refouler et
anéantir tous ces préjugés qui sont pour le progrès comme une pierre
d’achoppement » 91
Les concepts d’instruction des masses en vue du progrès sont signe que
Firmin nourrit un projet de formation du citoyen identique à celui de Condorcet.
Au fur et à mesure la question de race disparaît pour faire la place à l’éducation et
à l’instruction comme jauge de comparaison par rapport à la civilisation. Oui, pense-t-il,
il y a des nations sauvages et des nations civilisées. Mais, la race n’y est pour rien, la
civilisation est pour tout.
« Ces races sauvages, /…/ n’ont aucunement perdu leur droit au
patrimoine commun de l’humanité, c’est-à-dire au relèvement et au progrès. /…/
Elles n’ont qu’à trouver ou retrouver le secret qui a fait naître une si belle
transformation dans la physionomie de ceux qui tiennent aujourd’hui la tête de
l’humanité, parce qu’ils sont les gardiens de la civilisation. » 92
À chacun son tour de porter la couronne de la civilisation. Ce que nous
évoquerons plus tard dans la démonstration de Firmin. Mais, ici il parle de retrouver le
secret. Donc, nous supposons qu’il parle des noirs de l’Éthiopie et de l’Égypte qui avaient
jadis et en premier le secret de la civilisation, puisque son chapitre IX « L’Égypte et la
civilisation » 93 traite explicitement de ce sujet. Mais ce secret de la civilisation dont il
parle est l’éducation. Comme il en emprunte l’idée de Broca : « Ce secret n’est pas
90 Idem.
91 Idem, Préface, p. XXXVII.
92 Idem p.259.
93 Idem, pp. 203-230.
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difficile à découvrir. « l’Éducation, l’éducation sous toutes ses formes, dit l’illustre Broca,
voilà la force intelligente qui permet à la société d’améliorer la race, /…/ Belles paroles!
en vérité.» Ainsi, accorde-t-il à Broca d’avoir franchi les limites étroites de
l’anthropologie systématique pour parler en vrai sociologue et soulever le plus beau des
problèmes que doit soulever, pense-t-il la véritable anthropologie, l’idéal de la science et
la réalisation du bien-être par la promotion de l’éducation, plutôt que la race.
« Parmi les civilisés, il y aura des nations de premier ordre et des nations
de dernier ordre avec de nombreux intermédiaires. /…/En un mot, chaque
communauté nationale pourra être étudiée et reconnue inférieure ou supérieure en
civilisation, quand on considère le degré de son développement sociologique
comparé à l’idéal que nous nous faisons de l’état civilisé; mais il ne sera plus
question de race. » 94
On n’oublie pas que Firmin sait d’expérience que cette question de couleur sert
d’alibi aux querelles politique en Haïti. Mais surtout, pour lui « ce mot (race) implique
une certaine fatalité biologique et naturelle » 95 qui n’a aucune analogie, aucune
corrélation avec le degré d’aptitude trouvé dans les différentes agglomérations humaines
sur la surface du globe. L’état civilisé est l’état où la solidarité humaine est le meilleur
stimulant du progrès et de la prospérité, c’est l’état où il y a un degré d’instruction qui
élève la nation au rang des autres nations éclairées. L’exercice de la raison est le plus bel
apanage de l’humanité. « Selon que le degré de l’instruction et le genre d’éducation
seront les mêmes, les mêmes idées, les mêmes réflexions surgiront en même temps à la
vue ou à l’audition d’un fait.» 96 Même s’il y a des groupes avancés et des groupes
arriérés dans l’alliance universelle des peuples et des races, « ce qui existe en petit, dans
chaque nation doit exister tout naturellement dans la communauté des nations » 97 C’est
vraiment l’esprit de Condorcet au sujet de l’existence d’une grande société des sciences.
94 Idem p. 403.
95 Idem.
96 Idem .
97 Idem .
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Sauf que, pour Firmin, à part que les influences du climat d’Afrique paralysent
certainement l’essor de l’homme noir qui aspire à la civilisation, « les Nigritiens pensent
et agissent comme tous les autres hommes, selon le degré d’instruction et d’éducation de
chacun »
98
Donc, c’est l’influence du milieu et le degré d’instruction qui font la
différence entre les peuples. Il n’y a qu’une différence de degrés dans leur civilisation et
leur industrie comparées à celle de l’Europe. Mais, d’où vient cette différence de degré et
comment y palier ? C’est là qu’on va voir apparaître la deuxième tâche que Ricoeur
assigne à l’éducateur politique.
La nature de cette éducation relève de l’amour des idées pour avoir un esprit de
contrôle entre la moralité des hommes et leur action. L’équilibre et le contrôle sont la
marque de l’homme politique selon Firmin. « La politique, quoi qu’on dise n’est pas
affaire de cœur et de sympathie personnelle, mais de raisonnement. »
99
L’homme
politique doit faire preuve d’esprit de contrôle pour « bien distinguer la vraie route à
suivre » 100 Quand les hommes sont au prise à l’action, ce sont les idées qui feront place à
la moralité. « Ce qu’un doit aimer dans une homme politique, ce n’est pas sa personne
mais bien ses idées. » 101 Cet amour des idées à son tour doit être entretenu avec un tel
esprit de contrôle que l’on soit toujours prêt à condamner l’homme pour le salut des
principes qu’on aime. Firmin sait bien que c’est ce qui fait défaut en Haïti, cette
rationalité en berne devant des partialités, comme en témoigne la question de la race et de
la couleur épidermique. Former à la politique comme rationalité et contrôle, pour faire
advenir la moralité ou pour faire distinguer ce qui relève l’action de l’homme en politique
De ce qui relève de la conviction, des idées et de la moralité de ces hommes, voici ce à
quoi incombe l’éducateur politique. Il faut apprendre à « abandonner ses anciennes idoles
pour ne s’attacher qu’aux idées. » 102 Devenir une belle personnalité intellectuelle et
morale voilà ce qu’il faut faire advenir en politique. La morale de conviction et la morale
de responsabilité ou d’action ne doivent jamais se confondre et c’est l’esprit de contrôle
qui fera discriminer entre l’homme d’action et ses idées.
98 Idem p.361.
99 Idem p.271.
100 Idem.
101 Idem .
102 Idem .
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Toujours est-il que c’est le rationaliste et homme des Lumières qui parle en
Firmin. Le citoyen qui sort d’une telle éducation n’est-il pas un citoyen rationnel ? Est-ce
uniquement une réponse à ce qu’il appelle « ce sot préjugé par lequel on prétend qu’un
peuple noir est incapable de se civiliser à l’état indépendant, vu l’infériorité morale et
intellectuelle de la race africaine. » 103 La fibre patriotique qui agite et soutient la doctrine
de Firmin n’est-elle que rationnelle et héritée des Lumières ? N’y a-t-il pas du romantique
en cet homme au point où il en appela aux sentiments, même dans sa vision éducative ?
L’égalité, plus que la liberté, entraîne indubitablement à « cette fraternité humaine
qui est devenue une des croyances fondamentales des sociétés modernes.» 104 L’égalité
des races démontrée par la science, affirmée par les faits, sera la vraie base de la
solidarité humaine. On sent la citoyenneté des romantiques derrière cet éloge de la
fraternité et de la solidarité. Car, Firmin en disciple d’Auguste Comte, pense quasi
religieusement que l’homme doit marcher ensemble vers l’épanouissement du bien, vers
l’amélioration générale de l’espèce. « Ce sera l’honneur du XIXème siècle d’avoir vu
poindre cette ère de la vraie religion, où l’homme donnera la main à l’homme, partout, en
tout et à tout heure. » 105 Toute la philosophie et tout le droit modernes concluent à la
fraternité en lien à la l’égalité. « Les races, se reconnaissant égales, /…/ aient toujours
besoin de se compléter les unes par les autres. » 106 L’idée d’une reconnaissance entre les
races est analogue à l’idée d’une reconnaissance des valeurs, des symboles et des mœurs
particulières. Le projet condorcétien du progrès universel n’est pas trouvé dans le
romantisme de Firmin. Seulement il en appelle à la source des sentiments généreux et
purs, bien ouverte pour une nouvelle existence. « Les contrastes mêmes, examinés sans
prévention, paraîtront comme autant d’attraits ; car bien appréciés, les contrastes ne se
repoussent pas, ils s’appètent au contraire. » 107 Voilà la troisième tâche de l’éducateur
politique à laquelle Ricoeur fit référence. Le travail d’équilibre entre les civilisations
particulières, entre les mœurs, symboles et valeurs particulières. Ainsi pense Firmin,
« Les races pourront bien s’entraider dans l’exploitation de la nature, sans qu’il y en ait
103 Idem p. 285.
104 Idem p.402.
105 Idem .
106 Idem .
107 Idem .
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des supérieures et des inférieures dans l’œuvre du progrès universel. » 108 C’est un
troisième niveau de la civilisation très cher à Ricoeur et, nous voyons qu’elle le fut
également pour Firmin. Ce progrès universel ne peut souffrir d’exclusion. « L’ouvrier et
le penseur devront se rencontrer côte à côte, parmi les noirs comme parmi les blancs. » 109
Nous pouvons de ce fait affirmer le romantisme de Firmin prônant une appartenance à un
monde commun pour toute humanité particulière. Mais c’est sous l’angle du progrès
universel, et également en référence aux sentiments altruistes gisant dans le cœur de tout
homme. Les particuliers ne restent-ils pas mystérieusement intacts ? Les valeurs
ancestrales ataviques ne pèsent-elles pas de tout leur poids dans le mouvement évolutif
du progrès universel, sous l’égide des Lumières ? Voici comment il conclu son traité.
« À travers toutes les luttes qui ont accablé et accablent encore l’existence
de l’espèce entière, il y a un fait mystérieux qui subsiste et se manifeste
mystérieusement à notre esprit. C’est qu’une chaîne invisible réunit tous les
membres de l’humanité dans un cercle commun. Il semble que, pour prospérer et
grandir, il leur faut s’intéresser mutuellement les uns au progrès et à la félicité des
autres, cultivant de mieux en mieux les sentiments altruistes qui sont le plus bel
épanouissement du cœur et de l’esprit de l’homme. » 110
Il est question des membres de l’humanité dans un cercle commun. Il n’est pas
question des membres de l’humanité comme composite. Le patrimoine, ou l’outillage,
commun de l’humanité est reconnu et admis par Firmin comme composante de la
civilisation. Si les sentiments altruistes sont le plus bel épanouissement du cœur, « la
raison ne perdra pas ses droits. » 111 Qui plus est, « l’exercice de la raison est le plus bel
apanage de l’humanité. »
112
Toutefois, le progrès aura deux moteurs, l’éducation
rationnelle et la solidarité. La lumière est répandue dans les esprits et le sentiment de
justice et de la réalité éveillé dans les cœurs, tel fut le vœu de Firmin pour ce
livre : « Puisse donc ce livre contribuer à répandre la lumière dans les esprits et rappeler
108 Idem .
109 Idem .
110 Idem p.404.
111 Idem .
112 Idem .
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tous les hommes au sentiment de la justice et de la réalité. » 113 Que veut dire cette
anthropologie pour la citoyenneté en Haïti?
Nous ne pouvons pas dire que l’individu soit un « Bildung » c’est-à-dire un
homme universel et apolitique. Firmin le conçoit tout autrement. Sa nation, sa patrie, sa
race sont importantes. L’éducateur politique veillera à l’équilibre des valeurs particulières,
au contrôle du respect de l’éthique de conviction et du respect de l’éthique de
responsabilité dans l’action, à l’instruction comme promotion des productions de biens
propres et utiles à toute l’humanité. Le citoyen éclairé exerce sa raison, mais il met
également en action ses sentiments, son imagination et ses émotions au service du
triomphe de la justice. Ce programme civilisateur est bien celui de Firmin. Dira-t-on que,
à partir de cette doctrine, l’homme haïtien, citoyen d’une République dite noire et
indépendante, construira une nation dont l’âme soit riche des legs et d’un vivre ensemble
qui le distinguent de l’humanisme européen? Il en va de la construction d’une citoyenneté
postcoloniale. C’est le moment pour nous de décrire sa spécificité plutôt atavique que
composite.
Firmin prouva l’égalité scientifique des races humaines pour en finir avec la
survalorisation de la race comme facteur de domination de l’Europe sur les autres nations.
Il met la civilisation au devant comme seul facteur prévalant à la supériorité entre les
nations. Mais, comment décrit-il la nation haïtienne? Y a-t-il une insistance sur des
valeurs ancestrales puis ataviques ou par contre sur des valeurs universelles ou
républicaines?
L’inégalité des races émise par De Gobineau a une incidence directe sur la
domination des certains peuples dits civilisés sur d’autres. L’inégalité des races est une
prémisse à la légalité de l’esclavage, par l’annulation du côté intellectuel et moral de
l’esclave.
« C’est surtout le côté moral et intellectuel qu’on supposait annulé en lui;
car c’est de là que vient principalement la personnalité humaine./…/étant donné
que l’esclavage existait il fallait bien trouver une raison pour légitimer
113 Idem p.403.
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l’institution, et jamais raison ne fut plus plausible que l’infériorité intellectuelle et
morale qu’on supposait juridiquement comme naturelle à l’esclave. » 114
Toujours est-il que la partie la plus postcoloniale de son traité est le vingtième et
dernier chapitre. Là il visait à livrer la finalité de l’ouvrage : affirmer en bon homme des
Lumières que l’égalité des races implique « l’égalité de toutes les classes sociales dans
tous les peuples de l’univers » 115. La doctrine de l’égalité des races humaines pousse la
doctrine des Lumières au bout de sa logique politique. « Ce sera le dernier coup porté aux
conceptions du Moyen Âge, la dernière étape accomplie dans l’abolition des
privilèges.»116 Car la théorie de l’inégalité des races conduit logiquement à un système
oligarchique ou despotique, un régime de distinction, ou un établissement de vraies castes
dans le régime intérieur et national des peuples.
Admettre l’inégalité des hommes et des races c’est légitimer la servitude de tous
ceux qu’on prétend inférieur. Firmin connaît le poids de l’argument très spécifique aux
Lumières selon laquelle, en vertu d’une loi naturelle et logique, qui veut que les plus
aptes dominent sur la terre. C’est une manière de réaliser la précellence incontestable de
l’homme comme être supérieur de la création sur les autres êtres ayant une chétive
existence. « Admettre leur inégalité, c’est donc légitimer la servitude de ceux qu’on
prétend inférieurs.» 117 Ainsi, plusieurs bases de classifications des races ont été émises
par des savants notamment au XVIIIème et XIXème siècles, telles les mesures des crânes
et la différence des langages qui furent notamment évoquées comme arguments par les
polygénistes. Firmin s’est forgé une théorie des nations pouvant contrer ses arguments
illogiques. Au sujet de l’argument du langage il affirme que : « les langues dans ce
qu’elles ont d’essentiel, s’adaptent mieux au caractère social, à la civilisation qu’à la
race.» 118
Et que de plus, « La linguistique ne peut rien affirmer sur l’origine des
nations.» 119 Firmin ne se gêne pas d’admettre l’évolution « que chaque peuple accomplit
114 Idem p.127.
115 idem p.393.
116 Idem.
117 Idem p. 126.
118 Idem p.120.
119 Idem.
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vers un type commun qu’on peut appeler son type national. » 120 Ce glissement de
langage de Firmin au sujet d’un type national confirme son attachement aux valeurs de la
race. Or quand Firmin traite de typique, il traite de la race tenue pour synonyme. Et pour
lui « la couleur est le caractère le plus persistant et le moins trompeur dans la distinction
des races. » 121 Par ailleurs, il n’était pas tout à fait à point sur l’origine de la teinte
épidermique qu’il liait à la coloration du sang « arrivé à un haut degré de carburation et
privé d’oxygène » 122. Ainsi, « la couleur noire de la peau ou des autres tissus n’a pas
d’autre origine que le sang. » 123 /…/ Il devait facilement s’accommoder de l’expression
République nègre, tout comme on trouve sur sa plume les expressions « République
haïtienne » 124 ou « race haïtienne » 125 . Cette race haïtienne est bien sûr ce qu’il croit
fermement, à savoir que « la race noire d’Haïti est destinée à s’améliorer, à grandir sans
cesse en beauté et en intelligence. » 126 L’idée de nation chez Firmin se confond presque
avec l’idée de sang et l’idée de race. Nous trouvons que parlant des élites d’une nation, ce
que Condorcet dit de la nation, Firmin le dit de la race. « Que chacun d’eux se rappelle
qu’une race ne monte, ne grandit que par la vertu, les talents et la science de ceux qui
sont les représentants.» 127 Fustigeant l’européen de ne pas convenir à l’égalité des races,
nous trouvons sur sa plume cette phrase non moins empreinte d’ambiguïté : « où se
rencontrent des nations noires et encore jeunes dans la civilisation.» 128 Ceci dit quelque
chose de sa conception du citoyen. Car il tombe lui-même dans le panneau des
discriminations en admettant que « En somme, il y a des nations sauvages et des nations
civilisées. Naturellement, les premières sont inférieures et les secondes supérieures. » 129
Conséquemment, les individus éclairés, instruits ou civilisés sont des vecteurs et des
garants à l’émergence d’une nation civilisée, donc supérieure. D’ailleurs, qu’il y ait des
hommes supérieurs c’est l’aboutissement inéluctable des progrès ou de l’évolution de la
civilisation. Car, Firmin souhaite de tout cœur l’avènement sur toute la surface de la terre
120 Idem p.259.
121 Idem.
122 Idem p.105.
123 Idem.
124 Idem p.267.
125 Idem, préface, p. XXXVI.
126 Idem .pp 280-281.
127 Idem p.279.
128 Idem p. 385.
129 Idem p.279 .
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d’un peuplement d’humanité sage, éclairée, civilisée « dans ce que nous appelons les
hommes supérieurs » 130 qui ne se comptent que par vingtaine dans un siècle. Sauf que
cette inégalité ne sera pas entre les races humaines, mais entre les hommes civilisés et les
sauvages, dirions-nous.
Quel meilleur signe et quel meilleur témoignage d’enfermement de la part de
Firmin, au travers des précédentes affirmations répertoriées dans son traité. C’est un autre
signe de la conception qu’a Firmin d’une citoyenneté d’appartenance sur le plan des
civilisations et de la culture. Avec une telle conception et une telle anthropologie, le
citoyen ne peut se former qu’en vue de continuer la course à l’expansion de la civilisation
occidentale. D’autant plus que, si l’autre est bel et bien reconnu, je veux parler de
l’homme civilisé européen, c’est comme un modèle sûr. L’autre est, en face du citoyen
haïtien, admis comme un modèle de l’homme supérieur, puisqu’il est civilisé. Le rêve
atavique de Firmin n’est pas seulement de former un citoyen haïtien à la hauteur des
hommes de l’occident ou de l’Europe des Lumières, mais de le dépasser ou recevoir le
relais pour continuer la route vers la civilisation ou vers la réalisation de l’Humanité. On
ne sent pas suffisamment la nécessité de cette solidarité constante et dans l’instant
puisque la rivalité ne s’apaise que par le déplacement de l’objet race, vers l’objet
civilisation. Cela se passe comme René Girard l’expose dans son entretien avec Guy
Lefort et Jean-Michel Oughourlian sur la « Mimésis d’appropriation et la rivalité
mimétique.» 131 L’égalité des races se présente comme un mimétisme renvoyant la rivalité
sur la civilisation, et, la victoire du noir sur le blanc s’obtiendra à partir de l’héritage des
racines africaines reconquises. Son atavisme ne se manifeste-t-il pas dans sa manière de
vouloir se réapproprier de l’Afrique noire?
Firmin aura beau fait l’éloge du métissage dans la perspective de l’égalité des
races, il fit preuve d’un parti pris pour la race noire qui contredit son intention envers les
métis. En plus de revendiquer une République haïtienne, une République nègre, une
nation noire, une race haïtienne, Firmin rédigea un chapitre entier, le chapitre XII, sur
l’évolution de la race noire en Haïti, dans le but de prouver que par rapport à l’Afrique, la
race noire emprunta la route de la civilisation au travers de l’indépendance d’Haïti. Au
130 Idem p.399.
131 GIRARD René (Dir.),( 1978), Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris, p.15.
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sens où il définit l’évolution à la Condorcet : « Évoluer, c’est se différencier, c’est passer
d’un état inférieur à un autre plus élevé par l’action d’une force interne, inhérente à la
nature de tout être animé. » 132 Bien sûr que les Lumières comme Condorcet croyaient que
les lois de la nature imposaient le progrès de sorte qu’ils devaient le faire advenir en
l’homme par l’instruction. Cependant Firmin pris sa distance, dans une phrase suivante
en disant que : « Car en sociologie, les choses ne se passent pas comme dans les sciences
naturelles et biologiques. » 133 Affirmation qui le mettra en étroite ressemblance avec
Glissant révolté également contre les sciences et les systèmes, si ce n’était que Firmin fut
autrement très encré dans retour à l’Afrique noire et mère de civilisations. Au point que
même au mépris de tout métissage, il affirma que « La race noire aura-t-elle un jour à
jouer un rôle supérieur dans l’histoire du monde, en reprenant le flambeau qu’elle a tenu
sur les bords du Nil et dont toute l’humanité s’est éclairée dans les premiers vagissements
de la civilisation ? »
134
Quelle quête plus atavique et nocive contre toute ouverture
contemporaine à une identité citoyenne, preuve de repliement et d’enfermement, cette
fois, contre les valeurs universelles des Lumières ? Vouloir insister sur le fait que « cette
race noire a joué un rôle signalé et décisif dans la destinée de l’espèce humaine, dont elle
fut la première à commencer l’évolution civilisatrice et sociale » 135c’est s’enfermer dans
le passé. Cette attitude est tout à fait romantique dans le fait de faire peser le poids de
l’histoire sur le présent. Pire pour l’héritage de la citoyenneté en Haïti, sera de placer la
République comme stricte héritière de la « race éthiopique » 136 , c’est-à-dire dans sa
racine noire africaine. Ceci est un signe d’enferment contre le métissage de l’époque
moderne et postcoloniale. Il est indéniable que la victoire des esclaves noirs contre le
système esclavagiste ouvre une ère nouvelle pour le nouveau monde, au point où la
République étoilée tout comme les révolutionnaires bolivariens de l’Amérique du sud
vinrent s’abreuver à cette source révolutionnaire pour faire triompher à leur tour la liberté,
l’égalité et la fraternité. Cette vérité est irréfragable. Mais revenir en arrière, pour
s’enfermer dans un panafricanisme, s’étendant en dehors du continent, alimenté par le
132 idem p.280.
133 Idem .
134 Idem p.399.
135 Idem p.352 .
136 Note : Voir Idem p 353, tout le chapitre XVII sur « Rôle de la race noire dans l’histoire de la
civilisation. »
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triomphe de la race noire comme héritage de la civilisation noire, est une marque dont
l’empreinte sur la citoyenneté en Haïti reste fortement imprégnée. L’antillanité de
l’haïtien, l’ouverture de la République d’Haïti à un métissage riche du mélange dont elle
est de fait originaire gagnerait plus dans l’universalité de son identité que dans son
enfermement à l’intérieur d’un héritage ancestral et atavique dont Firmin est le héraut. Ce
qu’il exprime sans ambages dans la préface.
« Si le noir antillien (1866, antillais, 1898) fait preuve d’une intelligence
supérieure; s’il montre des aptitudes inconnues à ses ancêtres, ce n’est pas moins
à ceux-ci qu’il doit le premier germe mental que la sélection a fortifié et augmenté
en lui. » 137
Une manière pour Firmin de dire que « Haïti doit servir à la réhabilitation de
l’Afrique. » 138 Mais, s’il en est ainsi, le métissage en prend un choc dévastateur, malgré
le chapitre VIII entièrement dédié à l’éloge du métissage racial.
Nous savons que Firmin, par son traité, a fait un travail colossal au niveau de la
classification des races, au sein même de la bagarre entre les polygénistes et les
monogénistes. Tout en défendant la seule vérité qui soit : la communauté des races ou des
espèces humaines; il a établi sa propre classification des races avec la couleur comme
seul critère et base unique, d’où les races « sous les dénominations de blanche, jaune,
noire, brune ou rouge » 139. Mais, les métis ou mulâtres ne constituent pas une race. Le
métis devient comme un genre de réacteur permettant de bien discerner les gradations des
deux teintes épidermiques principales, celle de l’Europe et celle de l’Afrique.
« C’est que la différence qui existe entre le blond Germain et un noir
Soudanien est si frappante, à la seule vue du visage du blanc rosé de l’un et noir
violacé de l’autre, qu’on ne peut croire à une organisation semblable des deux
137 Idem, Préface, p. xxxvi.
138 Idem.
139 Idem, p. 102.
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êtres, si on ne connaît pas le mulâtre et toutes les autres variétés qui le font
tourner au noir ou au blanc. » 140
C’est sûr qu’on n’a pas besoin d’appliquer un doute pyrrhonien en suspendant son
jugement, ne se contentant d’affirmer que cet homme est plutôt blanc que noir ou par
contre plutôt noir que blanc, pour être toujours circonspect ou réservé dans son
appréciation en présence d’un mulâtre ou métis. Car en effet, l’affirmation catégorique
est toujours difficile quant aux jugements de couleur relativement aux teintes
épidermiques. La seule affirmation certaine est la parenté entre les races. En effet, comme
le dit Firmin au sujet des métis, il faudra chercher à « reconnaître que si en Amérique,
sous les mêmes parallèles, on ne rencontre pas des races de même nuance que celles de
l’Europe ou de l’Afrique, les gradations suivant une marche dans l’univers prouve une
relation hautement caractéristique ».
141
Cette relation entre les races, c’est le type
composite qui le met en évidence, contrairement à la polarisation des apparences
épidermiques. La diversité au sein d’une même race est un argument contre les
polygénistes et leur théorie d’inégalité des races humaines. Pour cela, Firmin devient très
intéressé à une apologie du métissage des races. Il défend la fécondité continue de
génération en génération au sein de l’hybridité ou du métissage au travers des
croisements spontanés et féconds, sans nul besoin d’eugénisme ou de croisement
provoqué par l’influence de l’homme. Contre les quatre plaies dont Broca les afflige,
telles : la fécondité non-continue, la vitalité, l’intelligence, la moralité, Firmin réagit
vigoureusement. Il se demande : « Tous les enfants issus d’une même race, parmi les
anglais, les Français ou les Allemands, sont-ils toujours égaux à leurs parents maternels
et paternels en longévité, en vigueur, en santé et en intelligence ?» 142 Il pense par-là que
certaines allégations sont « pour satisfaire à l’esprit de système » 143 On retrouvera chez
Glissant cette même attitude anti-système, si on veut donner une chance au métissage,
comme source de pluralité et de diversité. Firmin combat l’argument de l’infécondité au
moyen de l’évidence des causes sociologiques. A partir des exemples des populations
140 Idem, p. 44.
141 Idem, p.45.
142 Idem, p.59.
143 Idem, p.64.
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mélangées comme le Dominicains de l’île d’Haïti, il montre que : « la fécondité des
mulâtres entre eux est un fait d’une évidence irréfragable.» 144 Les métis sont donc
indéfiniment féconds entre comme pour toutes les races humaines. Tous ces arguments
de Firmin servent de preuves d’une communauté d’espèce et qu’il n’y a pas de
différences spécifiques entre les races humaines, sinon la seule différence d’origine
géographique.
Toutefois, s’inspirant de Darwin, il admet que l’influence des climats favorise
certaines espèces, tout comme les conditions sociologiques joue un rôle dans l’essor des
humains de toutes les races vers la civilisation. Ainsi, dans la colonie et même après
l’indépendance en Haïti, les métis ont été très défavorisés par leur condition de fils
d’hommes blancs et des femmes indigènes. Autant qu’il fit l’éloge de valeureux mulâtres,
autant également il reconnaît dans son traité les failles de certains métis à cause de
conditions sociologiques qui leurs étaient imposées en Haïti, dû à leur origine et au
mépris de la part de leurs pères blancs. Comme le dit Vertus Saint-Louis, au sujet des
difficultés des mulâtres en Haïti sous les affres des humiliations et mépris endurés à
cause de teintes épidermiques non entièrement définies entre le blanc et noir :
« Quiconque n’est pas de souche européenne peut être ou peut se sentir l’Africain de
celui qui se croit ou qu’il estime être le plus proche du blanc. » 145 Alors que pour Firmin,
sous les influences climatologiques l’européen s’établissant dans certains milieux,
comme ce le fut dans la colonie de St-Domingue, n’a fait que s’éteindre ou se transformer
physiologiquement et corporellement et même se confondre avec la race indigène, à un
point tel qu’on ne pourra jamais dire lequel des deux éléments a disparu dans la
confusion du sang et des croisements.
Qu’implique tout ceci pour le métissage ? Le métis est-il un éteignoir des valeurs
ou un résidu riche des valeurs de ses deux souches? Alors que les termes de Firmin, au
sujet de cette rencontre des deux races, ne manquent pas de consonances négatives :
éteindre, disparaître, confondre etc…, Glissant ne verra-t-il pas le métissage sous un jour
plus heureux ? Quand on voit que les dangers qu’encourent les racines blanches ou noires
144 Idem, p.62.
145 SAINT-LOUIS Vertus, (2003), « L’assassinat de Dessalines et les limites de la société haïtienne face
au marché international », in BÉNOT Yves et DORYGNY Marcel (dir.), (2003), Le Rétablissement de
l’esclavage dans les colonies françaises – Aux origines de Haïti, ed. Maisonneuve et Larose, France, 591
pages.
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dans le métissage aux yeux de Firmin, ne pourra-t-on pas penser plutôt à une construction,
avec Glissant, qui fait germer autre chose comme des rhizomes?
Récapitulons pour dire qu’avec Firmin nous sommes en face d’un enfermement
de l’esprit dans la continuité sur la voie d’une Humanité tracée par l’occident européen,
sous l’égide des Lumières. En même temps, il se tourne vers un romantisme, tout aussi
enferment, avec des sentiments nécessaires de justice, d’amour et de solidarité. Car ce
renversement le plonge dans un atavisme comme réappropriation des conquêtes
civilisatrices de la race noire d’Afrique et dont Haïti revendiquerait l’appartenance, pour
être postcolonial. La République et la citoyenneté en Haïti sont pour Firmin taillées à
cette aune. Tournons-nous vers Glissant pour voir s’il y a une place encore pour
l’émergence et la proposition d’une nouveauté antilléenne.
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III-3
96
Edouard GLISSANT et le Tout-monde : Pour une
identité composite
La reconnaissance146 envers Haïti par Édouard Glissant, dans les termes utilisés,
est un signe apparent de leur non innocuité pour les idées émises par Firmin. Pourtant, le
concept du Tout-monde 147 , au travers du Traité du Tout-monde, ne souffre d’aucun
atavisme, du moindre enfermement, ni d’appartenance quelconque. « J’appelle Toutmonde notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la
« vision » que nous en avons. La totalité-monde dans sa diversité physique et dans les
représentations qu’elle nous inspire … » 148 Glissant se situe, entre l’appartenance teintée
d’enfermement et l’arrachement teinté de déracinement, en parfait accord avec l’idée
d’indépendance de la pensée. Celle-ci n’était pas trop promue par Firmin dans son
encrage au positivisme et aux Lumières d’une part et dans sa revendication de la source
de civilisation qu’est l’Afrique noire d’autre part. Nous montrerons que Glissant, par
contre, affirme une reconnaissance antillaise pour Haïti mais, propose une identité
composite comme projet postcolonial, revient avec une pensée du Moyen-Âge contre la
pensée universelle des Lumières, enfin confesse un romantisme axé sur une pensée
dérivante, de la relation et du divers.
La reconnaissance antillaise d’Haïti est conçue comme l’enfantement d’abord
d’un nouvel espace de civilisation, au travers des pays antillais, puis des manifestations
de la créolité dans la nation nègre d’Haïti, et enfin de l’agonie provoquée par le débat
entre les élites nègres et mulâtres.
En effet, dit Glissant, Haïti est « la terre matrice des pays antillais » 149. De cette
matrice s’affirme un pays indépendant qui aidera à d’autres pays des alentours à devenir
indépendants. Les pays antillais forment un archipel de petits pays que Glissant
énumère : « Appelons Barbade et la Jamaïque, Trinidad et Porto Rico, appelons Cuba et
Haïti», comme pour leur dire combien « nous croyons à l’avenir des petits pays lorsqu’ils
146 NOTE : Voir en annexe le poème intitulé : « La terre matrice des pays antillais, Haïti.» Ce texte est tiré
du Traité du Tout-Monde d'Édouard Glissant (Paris: Gallimard, 1997: 139).
147 GLISSANT Edouard, (1997), Traité du tout-monde, Gallimard, France.
148 Idem, p.176.
149 Idem, p.139.
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s’archipélisent ainsi. »
150
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C’est-à-dire quand ils apprennent à penser en termes
archipéliques ou démesure qui n’est ni désordre, ni affolement, mais « dans une
indépendance de la pensée » 151. Les îles de la Caraïbe comme les îles du monde forment
archipel avec d’autres. Or, les îles ont deux avantages, c’est que d’une part on peut
facilement en faire le tour, mais le plus précieux des avantages, c’est que ce tour est
infinissable. L’archipel d’Haïti comprend, l’île mère, avec autour les îles adjacentes
formant la République : l’île de la Tortue, de la Gonave, des grosses et petites Cayimites,
de la Navase et l’île à Vache. On ne dit pas Guadeloupe sans Marie Galante. La pensée
archipélique n’exige pas qu’on définisse d’abord des Fédérations d’États, des ordres
administratifs et institutionnels. «Toute pensée archipélique est pensée du tremblement,
de la non-présomption, mais aussi de l’ouverture et du partage. » 152 Non-présomption
pour dire que nous sommes tout simplement loin de l’esprit des Lumières ou de l’idée
d’humanité du positivisme de Comte. Tremblement pour affirmer le contraire de la
certitude que donne la raison, et que Glissant qualifiera de raison totale à cause de son
caractère systématique, synthétique et englobant. Place alors pour l’imprévu. Le probable
n’est jamais sûr, selon l’idée d’Edgard Morin dans « une politique de civilisation » 153. La
pensée archipélique ou archipélienne exige une nouvelle politique de civilisation où la
technique, la science, le système, le calcul, dans la civilisation occidentale cèdent le pas à
la création artistique et à l’imaginaire pour s’ouvrir aux autres civilisations. Nous y
reviendrons dans les lignes qui suivent. Mais continuons maintenant à clarifier cette
ouverture sur la mer qui est l’ouverture au monde. Les frontières deviennent perméables
aux échanges culturels et intellectuels, ceci par l’effet fatal et sans frein de la
mondialisation de notre siècle par exemple. Chaque communauté humaine se fait un
imaginaire ou une conception de « sa » terre comme une totalité-terre, c’est-à-dire
comme une diversité faisant un monde, et non comme un territoire. Chaque territoire est
une partie de la Terre faite d’une diversité qui dit ou représente la totalité de la terre.
L’imaginaire de cette totalité empêche de rester dans son seul lieu si l’on veut le dire, le
chanter ou le travailler. Cet imaginaire fait éclater la nouveauté du monde. Pour faire
150 GLISSANT Edouard, Idem, p.226.
151 Idem.
152 Idem, p.231.
153 MORIN Edgar, (1997), Une politique de civilisation, éd., Arléa, France.
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comprendre ceci Glissant reprend les paroles de Aimé Césaire et de Léopold Cédar
Senghor. Le premier parlant de la source qui s’illustre ailleurs, comme l’Afrique qui s’est
versée dans les Amériques par l’holocauste de la Traite négrière. Le second parle de son
cœur toujours en errance paraissant comme une mer illimitée, servant de coupure ou de
trait d’union. Donc, la négritude qui se vit dans cet archipel des Antilles ou de la Caraïbe
est à la fois une nouveauté, un ailleurs, une totalité-terre lorsqu’on s’ouvre sur la mer
illimitée. Ainsi Glissant reprend de Césaire un nouvel humanisme dans les « deux
hypostases de la Négritude : l’homme de la source africaine, l’homme de la diaspora. » 154
C’est toujours du même homme qu’il s’agit. Cependant, la flèche de la continuité de la
civilisation change de direction et devient même multidirectionnelle au point où c’est
Haïti la terre matrice: « Qui s'est distribuée à son tour dans les Amériques, la Caraïbe,
l'Europe et l'Afrique, refaisant diaspora.» 155 Nous concluons qu’il n’est plus question,
dans la pensée archipélienne, d’une tension vers l’humanité formée d’hommes supérieurs,
éclairés, savants, rationnels. Tension d’une civilisation qui partirait de l’Afrique ancienne,
passant par les Nations de l’Europe moderne, pour rêver d’une réappropriation de cet
héritage de la part du Nouveau-monde. La communauté humaine peut toujours garder
l’idée de nationalité. Mais, la perméabilité des frontières physiques des nations, à cause
des échanges culturels et intellectuelles, les métissages des sensibilités qui « ont fait que
l’État-nation désormais ne suffit plus à barricader de l’intérieur le rapport de chacun à la
terre » 156. Du coup, l’expression de Nation nègre que Glissant attribue à Haïti à une toute
autre connotation : en référence à un nègre d’ailleurs, en errance ou qui fait diaspora.
D’Haïti Glissant retient « l'audace qu'elle eut de concevoir et de faire lever la
première nation nègre du monde de la colonisation » 157. Cette nation a sa peinture, sa
religion, sa langue créole. Que signifie cette créolisation? C’est un retour à des
spécificités et même des mots beaux et terribles, comme des néologismes, qui ne disent ni
lisent pas le monde. C’est-à-dire que le monde ne se lit pas en eux. Pourtant, ils
deviennent monde, mais un nouveau monde qui n’est pas une fusion, ni une dilution, ni
un reniement des sentiments et des entités antécédentes. Cependant, tout en restant
154 GLISSANT, Ibidem, p.190.
155 Ibidem, p.139.
156 Idem, p.193.
157 Idem, p.190.
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nostalgique de son pays d’enfance, on devient autre en changeant. On entre dans le temps.
Les temps tombent et les horizons bougent. La nouvelle nation haïtienne a, Glissant
l’atteste, « fondé une Peinture et inventé une Religion. » Toutefois, le terme nation a une
autre connotation. Certes, Haïti a une nouvelle peinture qui est l’art naïf, une nouvelle
religion qui est le vodou, un nouveau langage dit créole. Mais, le legs et le souvenir qui
font l’âme de la nation se ramassent dans un vivre-ensemble nouveau, comme un magma
composite où chaque entité se conserve et persévère dans son être. « Il n’est pas
nécessaire de se renier pour s’ouvrir à l’autre. Des concitoyens peuvent être différents,
sans avoir à « s’intégrer » pour travailler ensemble, vivre ensemble. La Nation en prend
un nouveau sens. » 158 C’est être, entre l’enracinement et l’ouverture multiraciale. Juste
dans les lignes qui suivent nous expliquerons en quoi consiste la proposition de cette
identité composite. Glissant rend compte de cet être se faisant, en Haïti, qui sans cesse
agonise, dans un pays « Qui meurt à chaque fois de débattre entre ses élites nègres et ses
élites mulâtres, tout aussi carnassières. » 159 Ce vivre-ensembe, Haïti ne l’a jamais réalisé,
comme si le bébé est voué à être mort-né. La question de couleur est restée un handicap
majeur en Haïti. L’annonce de ce monde créole et métissé est faite et, à la fois, à venir,
dans un avènement sans cesse fracturé et contrarié. Car, la quête incessante de racine, à
l’image de l’effort d’Anténor Firmin, montre que l’identité haïtienne n’est pas encore là,
se cherchant encore. « Les rhétoriques traditionnelles pourraient être envisagées comme
le splendide effort de l’Être-racine pour se confirmer comme Être. »
160
Pour être
réellement, il va falloir affirmer autre chose. Il va falloir être réellement postcolonial. Il
va falloir rompre avec l’humanité occidentale. Ce que Firmin, bien armé de science et
bien paré d’armure historique, n’a pas su définitivement faire. D’où la proposition de
Glissant d’une identité composite comme projet postcolonial, comme étant un bien
commun de l’humanité, une civilisation créole et archipélienne, de l’entre-deux et du
clair-obscur. Avènement confié, comme tâche première mais réellement principale, à
l’éducateur politique.
Une civilisation transhistorique et non universalisante, tout en paraissant comme
un chaos-monde, dit mieux la diversité du monde par ses variances infinies et
158 Idem, p.154.
159 Idem, p.139.
160 Idem, p.154.
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imprévisibles. L’aspect primordial de toute quête atavique et la technique engendrée par
l’esprit de système dans la civilisation occidentale sont deux circonstances hostiles à
l’épanouissement de ce nouveau monde. Entre la raison universelle mondiale bien
éblouissante des Lumières et la racine primordiale de la source africaine des civilisations,
il y a la clairière, l’embellie ou la trace qui disent la filiation. C’est la pensée du
métissage, du clair-obscur ou de l’entre-deux qui aidera à triompher de l’éblouissement
aveuglant des Lumières. Celles-ci dans leurs éclats, comme le pense Régis Debray dans
son essai « Aveuglantes Lumières » 161 , ont projeté des zones d’ombre sur l’humanité et
sur la civilisation : notamment, en ce qui nous concerne, l’appartenance aux cultures
particulières, le domaine de la croyance, enfin la violence non reconnue faite à
l’humanité au travers du système économique esclavagiste (celui des plantations).
L’affirmation d’un credo en des valeurs des Lumières prônant que l’éducation liquiderait
les superstitions est une erreur à laquelle n’échappent ni Condorcet ni Firmin. On est
toujours tué par ce qu’on refoule. En niant leur part nocturne, celle de leurs fantasmes et
de leurs mythes d’origine, les nations postcoloniales risquent d’être submergées part elle.
Il faut surmonter les non-dits de notre histoire pour empêcher au massacre colonial et aux
calamités de se reproduire. Comment la nation haïtienne peut-elle promouvoir une
éducation ou un système éducatif plus rationnel ou plus occidental que la France, sans
prolonger la nuit? Comment Firmin aurait-il pu ambitionner rectifier l’erreur scientifique
et esthétique de l’occident moderne au travers des affirmations de l’anthropologie
moderne, sans se servir de cette même science et ce même canon esthétique? D’où sa
poussée réactionnaire de valorisation de la race noire tout en affirmant qu’au sujet des
inégalités la race n’en est pour rien, la civilisation est pour tout. Sans s’inscrire dans la
voie du progrès de la civilisation occidentale et sans s’en abstraire, Glissant propose de
nous ouvrir au livre du monde, par le biais de la poésie, sans craindre les progrès
inarrêtables des techniques nouvelles ni les mutations qu’ils font en nous. Que le livre
soit typographique ou informatique, malgré l’apparente menace des progrès des
techniques audiovisuelles, ouvrons-nous à la Démesure elle-même, imprédictible et
161 DEBRAY, Régis, (2006), Aveuglantes Lumières. Journal en clair-obscur, Gallimard, France, 208
pages.
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inaccomplie, dit-il : « C’est la tâche des poètes que de nous y convier.» 162 C’est-à-dire
qu’il faut revoir en pensée cet abécédaire d’une ethnie andine par exemple, livre
irremplaçable, égrenant les éléments d’une langue menacée perdue dans le silence de la
montagne, sur un papier brun rougeâtre au grain épais, livre humble et impérieux dans sa
nécessité peut-être déjà inutile. On ne gardera ni ne préservera les grandes bibliothèques
du monde sans en multiplier de petites, enfouies au terreau de la planète. Promouvoir
une esthétique ouverte à l’instruction et à la science, en même temps promouvoir la
même esthétique ouverte à ceux « Pour qui le livre est encore un mirage et, s’il est là, un
miracle» 163 . Voici la vraie civilisation découlant d’une pensée du clair-obscur ou de
l’entre-deux. La tâche première de l’éducateur politique comme promoteur de l’outillage
c’est-à-dire de toutes les formes de production et de création dont parlait Paul Ricoeur, la
voici clairement exprimée chez Glissant. Elle est similaire à la tâche du poète. Cette part
nocturne que les Lumières nous laissent, c’est elle qui nous dicte la nouvelle humanité et
la nouvelle civilisation qui naît de cette pensée du clair obscur. Nous la trouvons, cette
pensée ouverte chez ceux qui exercent, comme chez les anciens esclaves des îles
coloniales, une esthétique ouverte au chaos-monde, en étant broyés par les systèmes
scientifiques, économiques de la période coloniale des Lumières. Ce choas-monde
continue en postcolonie, où l’oppresseur n’est plus le colon blanc mais le frère
compatriote, et il nous instruit encore. Au moins avant d’attaquer la postcolonie, soyons
postcolonial, c’est-à-dire démasquons les calamités de l’esclavage se prolongeant dans
l’humanitaire que propose la civilisation occidentale. Osons critiquer l’humanité et la
civilisation occidentale en expansion continue. Avouons-nous « Tout-monde », comme le
propose Glissant. Reconnaissons notre univers dans sa diversité, en tant que totalitémonde, qui nous enseigne et nous instruit d’être créatif et imaginatif, au cœur de ce
mélange, de ce chaos et de ses calamités. L’instruction, par le lire, l’écrire ou l’accès au
livre, peut continuer à agir contre la misère et l’exclusion que multiplie l’Internet
inaccessible à tous en tant que soi-disant progrès. La civilisation de l’art dans sa créativité
et par sa production d’un nouvel outillage (bien supposément commun à tout homme), à
partir de l’imagination, instruit aux exclus. Glissant sait qui ils sont :
162 GLISSANT, Ibidem, p.168.
163 Idem, p.167.
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« Ceux qui ne sauraient distinguer ni choisir entre l’état de citadin et l’état
de campagnard, pour ce qu’ils vivent à jamais au terrain vague de la vie. Ceux qui
ne ressentent en rien d’avoir à craindre les hypothétiques ravages des techniques
audiovisuelles ou informatiques.» 164
L’Internet et le progrès ne sont pas contradictoires dans ce chaos-monde. Il nous
faut tout simplement apprendre à surprendre la permanence ou du moins son goût dans le
mouvement incessant de la littéralité de ce qui est montré. L’Internet déroule le monde et
le montre tout dru, alors que le livre en illumine et en délivre les invariants.
L’imagination a de la place pour elle dans ce monde informatisé. Saisissons-la.
Cependant, cette clarté de la pensée ou la philosophie comme clarté est un humanisme
qui ne contredit pas l’autre humanisme, celui de l’ineffable, du mystère et de
l’incompréhensible. Elle vient cette clarté comme « celle du pionnier, du défricheur, du
laboureur » 165 avec son lot d’appel au trouble, au mystère, d’attention inquiète à ce qui se
trame dans les dessous du réel, d’une approche de l’incompréhensible, de l’ineffable.
D’où la part laissée en elle à l’imaginaire. Et ce monde de clair-obscur, de chaos, de
mystère est le fruit du métissage différemment de la fusion. On le trouve dans le langage,
fruit de la relation entre la multiplicité non hiérarchisée de langues suscitant
irrésistiblement des langages nouveaux. La pensée créole en est un exemple.
« La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins
de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour
résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme
ou à la simple synthèse de ces éléments.» 166
Elle n’est pas uniforme ni dans le temps ni dans l’espace de l’archipel, pas moins
dans celui de la terre ferme. C’est comme si chacun, ou chaque groupe d’hommes, ou
chaque lieu a son créole. «Les phénomènes de créolisation à l’œuvre dans notre monde
164 Idem, p.166.
165 Idem, p.184.
166 Idem, p.37.
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intéressent non seulement la diversité des temps vécus par des communautés en contact
ou non mais aussi l’interchange des langues écrites et parlées. » 167 La quête atavique des
racines est inutile dans la pensée créole. Celle-ci, sans être une génération spontanée dit
du neuf et un nouveau monde. Par delà ces langues mères, l’imaginaire (ou les
imaginaires) des humanités pourrait inspirer des langages, ou des archipels de langages,
qui équivaudraient à l’infinie variance de nos relations. Nous reviendrons plus tard sur la
pensée dérivante ou de la relation qui est une pensée du divers. Ce qui importe
maintenant c’est de préciser l’ouverture du langage, contre tout enracinement dans une
civilisation, qu’on retrouve dans la pensée créole et qui produit cette identité composite
que charrie un projet postcolonial. «La langue, c’est le creuset toujours bouleversé de
mon unité. Le langage, ce serait le champ ouvert de ma Relation. » 168 Le parler français
pose toujours ce problème en Haïti et dans les antilles. L’instruction publique en français,
et non en langage vernaculaire, propre au pays et à l’indigène, persiste à former une élite,
en continuant à inquiéter l’unité de la nation. Nous reviendrons ci-après sur ce qu’apporte
une pensée de la relation ouverte aux spécificités des uns et des autres, afin de montrer en
quoi consiste la tâche de l’éducateur politique en ce sens. Insistons maintenant sur le fait
que la pensée créole soit à la fois une pensée archipélienne, qui veut dire ouverte. Ce
n’est pas parce qu’elle est indigène qu’elle est fermée. C’est ce qui se cherche dans un
passé emprunté à la modernité occidentale ou à la racine africaine qui est atavique, dans
l’un ou l’autre sens, en cherchant une racine archaïque. Ce à quoi Anténor Firmin n’a pas
échappé. Or, l’indigène est de fait métis et composite. Il est créole. Il est contemporain. Il
surgit des îles ou de l’archipel. La pensée archipélienne nous refuse le retirement du
monde et également dans notre monde. Aussi est-elle contre tout enracinement. Le
monde nous y sommes, tout court.
Être au monde, c’est s’ouvrir et s’arracher de toute racine, en toute indépendance
de pensée, pour ne pas s’enfermer ni se retirer dans un territoire clos. Cette pensée germe
du rhizome et non pas de la racine, qu’elle soit occidentale ou africaine. « Que la racine
multiple manque, et nous voici projetés dans un espace infertile ; mais que la racine se
167 Idem, p.112.
168 Idem.
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referme, s’empiète, nous sommes aveugles à nous-mêmes et au monde. » 169 La racine
multiple n’est ni pivotante, ni fasciculée, puisque celles-ci creusent, s’enfoncent et
s’enferment, alimentant un seul tronc. Elle est par contre rhizome, celle-là. Elle court,
s’accroche et germe, puis continue. C’est peut-être ce que les Lumières, et plus tard les
positivistes, auraient du dire du progrès des sciences, de la civilisation ou de l’humanité
occidentale. Oui, elle doit s’imaginer et se dire autrement. La pensée archipélienne n’est
pas infertile, mais elle n’est tout simplement pas aveugle au monde, à l’autre, non plus.
S’il y a un culte, il est celui de la diversité et non celui de l’universel ou de
l’individuation dans la culture occidentale. La pensée rhizome n’est pas la pensée en
système de l’occident. L’indépendance de pensée de chaque surgeon est sauvegardée.
Dire même que les drageons, à l’image d’Haïti, peuvent être détachés et replantés : faire
diaspora. Telle est l’identité composite que propose Glissant pour une nouvelle
citoyenneté. Que les organes soient différents, des racines adventives peuvent surgir là où
ils touchent terre et faire bourgeonner de nouveaux créoles, métis, bref une pensée de
l’entre-deux, du clair-obscur, archipélienne.
Ainsi, l’éducateur politique aura pour première tâche de faire entrer dans une
civilisation mondiale qui laisse de la place à l’autre humanité sentie comme une partie de
soi-même, non pas uniquement celle de la raison comme unique humanité à réaliser.
Haïti, la mère des pays antillais, dit-elle suffisamment au monde son identité composite?
L’avortement du progrès sur cette terre n’est-ce pas une preuve qu’elle ne se saisit pas
encore comme totalité-terre, par sa diversité, ou « Tout-monde »? Alors, se cherche-t-elle
dans une individuation par l’instruction ou l’éducation à l’universel? Contre Firmin et
Condorcet, la pensée du Moyen-Âge chez Glissant n’ouvrirait-elle pas une voie contre la
pensée universelle des Lumières?
Contre le règne de l’identique, du progrès ou de l’unicité comme raison totale,
une pensée de l’errance et de l’identité plutôt moyenâgeuse contrera la pensée universelle
des Lumières. L’universel, n’a rien du pittoresque ou du paysage que révèle le Moyenâge. L’identité ne peut témoigner d’aucune souche car toutes les identités se relaient dans
quel cas contraire elles se veulent l’identique. C’est ce que le Moyen-Âge a vécu. Le
combat entre les diverses religions, croyances et cultures particulières furent autant
169 Idem, p.184.
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tumultueuses qu’indémêlables. D’où le triomphe que requiert l’universel de la civilisation
occidentale, au dépends de toutes les autres civilisations, par sa propension à l’expansion
généralisée, de conquête, de savoir et de foi. Le Moyen-Âge européen était encore tramé
de la diversité, de l’audace de la connaissance éclatée, non pas totale ni systématique
mais plutôt dérivée. C’est à la quête de ce garant de légitimité que le Moyen-Âge est parti
chercher dans la Raison née chez des Grecs. Glissant plaide en faveur de l’époque
médiévale dans cette dérive généralisante de la Raison occidentale. « Il ne sert de rien
d’affirmer que la Raison est née chez les Grecs et que l’époque médiévale en a peu à peu
redécouvert puis agrandi les principes, lesquels seront parfaits dans les siècles
suivants. »170 La Raison eût pu se développer en marge de la généralisation, n’était-ce le
triomphe qu’a connu la civilisation occidentale, dès les monarchies absolues, passant par
l’éclat des Lumières, puis par la science du XIXème siècle européen. « Pourquoi la
rationalité de l’Universel est-elle devenue la précieuse prétention, semi-exclusive, de cet
ensemble de cultures qu’on a appelé l’Occident?» 171 Parce que l’Universel rationaliste a
triomphé de l’universel chrétien médiéval. Tous les deux se sont efforcés à cet universel,
mais un seul a réussi non pas à simplement le « réaliser », mais à l’imposer. La rationalité
de l’universel est propre à l’occident et est totalitaire au même titre que la Foi au moyenÂge. L’universel est chrétien et rationaliste en tant que pensée en système. Sauf qu’au
Moyen-Âge, l’universel chrétien s’opposait à l’universel rationaliste. Les deux y étaient
en même temps et se combattaient au Moyen-Âge. Alors, la diversité était sauve,
jusqu’au jour moderne où l’universel rationaliste se mit à s’imposer de manière
généralisante, partout identique et totalitaire. La part de l’ombre, du mystère, du religieux
et des identités particulières a été dès lors occultée. Plus de place dans la modernité
rationaliste pour cette diversité. Voici le retour à l’identité moyenâgeuse que réclame
Glissant. Il le dit mieux :
« La diversité ne verse d’abord pas en autarcie, les feux de culture ne
s’isolent pas en suffisances sectaires, du moins pas encore./…/ C’est au détour du
Moyen Âge, une fois résolu le sourd conflit qui anima cette époque (entre la
170 Idem, p.103.
171 Idem, p.101.
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pensée dérivante et la pensée de système), que toute cette constellation va
chavirer en Unique, accompagnant d’une part la constitution de nations
antagonistes mais peu à peu conçues sur le même modèle rationalisant et d’autre
part l’avenue d’une universalité de croyance qui s’exaltera très vite en croyance à
l’universel.» 172
Ceci implique que la pensée unique ou de l’identique ou pensée du système isole
les cultures à force de vouloir les intégrer en une seule grande civilisation. Firmin, dans la
lignée de Condorcet et d’Auguste Comte, est resté pris à ce piège. Or, la réalité caraïbe
s’étend hors du rationnel et du logique. Le multilinguisme dévie les limites rationnelles
des langues utilisées. Une langue composite comme le créole ne saurait être défendue sur
le mode atavique de l’unicité ou de l’enfermement. Elle nous dit la diversité du monde
qui est totalité, si proche du totalitaire mais pas cela, contre toute science faite de lois
générales ou généralisantes. N’en déplaise à Condorcet, pousser sa logique jusqu’au bout
nous aboutissons à l’époque contemporaine à la problématique du progrès de la science et
la mort du livre, au travers du triomphe du numérique et de l’analogique. Alors que
Condorcet, en amoureux des mathématiques, proposait la Mesure de la démesure au
travers des calculs des probabilités. Glissant propose d’assumer la démesure. Et c’est la
tâche du poète de nous ouvrir au monde du livre, tout aussi au monde de la table
informatique. Car ce que la pratique de celle-ci nous procure, c’est l’accumulation
vertigineuse des données du monde, et le moyen le plus rapide qui soit de les mettre en
corrélation les unes avec les autres. L’éducateur politique remplira une tâche similaire au
poète en vue de cet équilibre. L’instruction, toujours nécessaire ne sera pas une course en
avant dans le progrès, mais l’éveil à l’esthétique ouverte à, ou qui convie à, l’instruction
et à la science. Là encore : « c’est la diversité qui nous protège et, s’il se trouve, nous
perpétue. » 173 La puissante unicité moderne nous tenait entassés ou prisonniers des cales
des sciences, des systèmes de développement et des progrès modernes; la pensée de
l’errance vient, contre toute unicité, nous en délivrer. Ouvrons-nous à l’errance dans sa
diversité contre l’unicité promeut par la science moderne. Car cette pensée de l’Un en
172 Idem, p.94.
173 Idem, p.157.
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Occident tout comme ce le fut dans l’Hébraïsme, la Chrétienté, ou l’Islam est contre la
pensée du divers. Cette ouverture au divers produit une pensée de l’errance. Nous
sommes plus grands de toutes les variances du monde, puisque dans le monde qui nous
entoure l’équilibre du système est sauvegardé en dépit des variétés arbitraires, errements
et absurdités des hommes. Ce monde, de son absurdité, pousse à imaginer pourtant. La
pensée de l’errance défourne l’imaginaire, nous projette loin de cette grotte en prison où
nous étions tassés. Telle est l’identité ouverte acquise par l’homme antillais. C’est d’elle,
cette identité, que la matrice d’Haïti était pleine par le triomphe de la révolution des
anciens esclaves : de contradiction, de diversité, d’errance, d’ouverture, bref du
composite. Mais que dit-elle de l’autre, de la relation et des civilisations spécifiques, dans
cette aire antillaise et même de l’archipel du monde?
Une pensée dérivante, de la relation et du divers inclut les images, les valeurs et
les symboles que renferment chaque civilisation particulière. Au travers du dédoublement
et de la contradiction qui habite l’identité composite, il y a de la place pour
les
particularités en relation. Glissant reconnaît le dédoublement qui hante l’homme
antillais. « J’avais déjà fait l’expérience du dédoublement. J’avais connu Oriamé dans ce
que nous appelons le Pays d’avant et qui n’est pas, non monsieur, La France, mais les
terres d’Afrique. » 174 En cherchant ses racines l’homme antillais, ou antilléen pour ne
plus faire référence à la colonisation française, est confus entre l’ancien d’hier, le colon
français et l’ancêtre d’avant-hier l’africain vendu comme le précieux bois d’ébène. Entre
l’archaïque et l’atavique, bien sûr il faut se reconnaître des deux pour s’assumer métis : et
la confusion s’installe. C’est la relation qui exorcise de cette fracture, contre tout
dédoublement, toute confusion entre l’archaïque ou l’atavique. Le parent immédiat est
plutôt occidental, mais l’hérédité des lointains ancêtres africains ne disparaissent jamais.
Le romantisme nous a convié à cet arrachement qui n’est pas déracinement, comme nous
l’avions montré ci-devant. Appartenir à une culture particulière, s’y enraciner, sans
s’enfermer dans un modèle unique, c’est s’arracher à la naturalisation de l’homme
comme sujet universel. Accepter l’apparaître des choses, c’est admettre d’appartenir à un
monde commun différencié. Être rhizome, quoi! Être de son identité-rhizome. S’ouvrir à
cette pensée dérivante et de la relation entre les civilisations, c’est être à l’image de la
174 Idem, p.53.
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liane des plantes adventives. C’est être comme un « Étant-comme-relation » 175, dans les
infinies et imprévisibles variances du chaos-monde en mouvement. Là, toutes les images,
les valeurs ou tous les symboles des civilisations particulières entrent en relation,
s’équilibrent, se soutiennent, et se valorisent. Ricoeur voyait en cela, comme Glissant,
une tâche pour l’éducateur politique : celle de la mesure et de l’équilibre.
« La mesure est audace et renouvellement, soutenus. Tous les peuples
sont jeunes dans la totalité-monde. Il n’y a plus de vieilles civilisations qui
veilleraient à la santé du Tout…/…/Qui est ancien est qui se coule en unanimité
dans ce mouvement du monde. L’ancienneté n’est plus évaluable à terme-révolu.
Nous sommes tous jeunes et anciens, sur les horizons. Cultures ataviques et
cultures composites, colonisateurs et colonisés d’hier, oppresseurs et opprimés
d’aujourd’hui. Nous combattons les oppressions en notre lieu, nous ouvrons aussi
sur les îles voisines, et sur toutes les terres. Ce n’est pas là quitter nos ancêtres,
connus et inconnus. Celles et ceux qui ont chaviré au fond des Eaux Immenses
pendant la traite, celles qui ont étouffé le produit de leurs entrailles pour le
soustraire à l’esclavage, celles et ceux qui ont piété sur les Plantations, qui ont
marronné sur les mornes. » 176
L’implication de ces propos, c’est la fin de la quête atavique : nous sommes tous
jeunes et anciens sur les horizons. Horizons qui bougent sans cesse. Combattre les
oppressions en notre lieu est déjà faire de la postcolonie. Il y a de la postcolonie dans le
Tout-monde. Ce qui n’est pas l’objet de notre présent travail, puisque nous voulons
creuser l’éducation à la citoyenneté, en amont, dans un contexte postcolonial. Car, ce
contexte est encore actuel culturellement et dans l’humanitaire.
Identité ouverte à l’Autre, comme être participant d’un rhizome ou d’un système
non systématique de relation, ne dit pas qu’on abdique nos identités quand nous nous
ouvrons à l’Autre. Elle dit que nous réalisons notre être comme participant d’un rhizome
étincelant, fragile et menacé mais vivace. Nous ne formons pas un rassemblement
175 Idem, p.114.
176 Idem, p. 230.
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totalitaire, où tout se confondrait dans un tout, mais nous sommes dans une relation où
nous devinons l’imprévisible du monde. Les cultures et les spécificités des civilisations
particulières en contact multiplié produisent un bouleversement qui refait nos imaginaires.
La reconnaissance d’une spécificité est différente d’une fermeture sur une
spécificité : exemple, la langue créole en tant que composite et non atavique. « Une
langue composite comme le créole ne saurait être défendue sur le mode atavique de
l’unicité ou de l’enfermement.» 177 Dans ce langage il y a cela d’abord : la fréquentation
de l’organique, des spécifiques d’une langue et, en même temps, son ouverture à la
relation. Toutes les langues, par ailleurs, voient leur unicité close menacée par la trame
du divers. Heureusement, c’est celle-ci qui les soutient en vie, tant qu’elles se disent
langues vivantes. C’est l’oralité, dans le langage, qui garantit cette relation enrichissant
sans cesse ce creuset que constitue la langue. Les poètes exercent cette esthétique de la
relation qui doit inspirer l’éducateur politique. L’esthétique de la Relation est
déracinement, car les cultures humaines s’échangent en perdurant, s’échangeant sans se
perdre. « L’esthétique de la Relation anachronise les illusions de l’exotisme, lequel
uniformisait partout. » 178 Ce temps est révolu où tout ce qui n’est pas soi-même, normal,
universellement admis et reconnu était considéré comme exotique. L’autre n’est pas à
conquérir mais plutôt à reconnaître et s’interchanger. Le citoyen formé à cette pensée de
la relation et à cette identité de la relation forgerait plus facilement un vivre ensemble où
l’État-nation tel que définit par Zvetan Todorov soit une réalité. L’élitisme de Firmin lui
aura beau fait trouver des intelligences d’une érudition peu commune parmi les noirs
d’Haïti pour illustrer le chapitre XII de son traité et montrer « l’Évolution de la race noire
en Haïti. » 179 ; cela n’a pas garantit le vivre ensemble qu’à chaque fois les élites
carnassières dévorent. Et pour preuve, c’est à la cause du progrès et de l’humanité
universelle que son anthropologie positive consacre cette élite noire. C’est au sein des
élites noires, pense Firmin, que « Haïti trouvera les meilleurs ouvriers pour l’œuvre de
progrès et de civilisation qu’elle doit réaliser dans l’archipel antilléen. »
180
Cette
affirmation n’a rien de véritablement postcolonial, puisqu’elle continue le même projet
177 Idem, p. 86.
178 Idem, p. 86.
179 FIRMIN, Anténor, 2008, De l'égalité des races humaines (anthropologie positive), éd. Mémoire
d’encrier, Montréal. (Paris: F. Pichon, 1885; Paris: L'Harmattan, 2003), pp. 267-290.
180 Idem, p. 286.
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des Lumières en changeant uniquement de teinte épidermique. A-t-il compris, Firmin,
que cet archipel antilléen est plutôt métis que nègre avec une identité composite et de
relation propre à la civilisation du nouveau monde? La citoyenneté dans la nation
haïtienne a besoin de la reconnaissance de cette identité de relation pour rendre possible
le vivre ensemble propre à cette vocation antilléenne.
Si la deuxième tâche de l’éducateur politique proposée par Ricoeur, celle qui a
trait aux institutions, à savoir de maintenir vivante la tension pour arbitrer entre deux
moralités, la morale de conviction et la moralité de responsabilité de l’homme au pouvoir,
les deux autres tâches sont explicitent chez Glissant. Bien sûr que la non-présumption de
la pensée archipélique penche plus du côté de la morale de conviction que de la morale de
responsabilité à laquelle les politiques, de surcroît représentants du peuple, sont appelés.
Nous devinons que dans cette pensée archipélique, l’éducateur politique, de facto, n’a pas
à préparer un citoyen en vue de remplir les ordres conventionnels et institutionnels. Du
fait de son ouverture, cette pensée implique pour l’éducateur politique de former une
identité composite, métisse dont le désordre apparent rééquilibre l’individuation, l’unicité
ou l’ordre identique promue par l’Universel occidental. Toutefois, la première tâche
assignée à l’éducateur dans la formation du citoyen est de promouvoir toute création et
tout outillage au rang de bien commun appartenant à toute l’humanité. Tout élément petit
soit-il est une petite bibliothèque enfouie au terreau du monde esseulé pour contribuer à
la grande bibliothèque du monde. Quant à la tâche d’équilibre des valeurs, entre la
reconnaissance et la valorisation des spécificités des civilisations particulières, pour dire
son ouverture à l’humanité « Tout-monde », Glissant ne peut être plus suggestif.
III-4
Conclusion partielle
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Alors que Firmin croit en une « race haïtienne» 181, noire par-dessus le marché, à
laquelle on doit exiger la marche du progrès et de la civilisation, au prix de l’instruction
répandue dans les masses, Glissant voit dans Haïti la matrice des pays antillais, et qui
meurt à chaque fois de débattre entre ses élites nègres et ses élites mulâtres. Ce qui
implique que le vivre ensemble de la nation dépend, pour ce dernier, de l’appropriation
par le citoyen de sa vraie identité composite et de relation. Si pour l’un et l’autre penseur
l’éducateur politique aura pour tâche d’inscrire le citoyen dans la civilisation de ce
monde commun qu’il a en partage, ils divergent pourtant sur le sens de la continuité dans
la voie d’une Humanité tracée par l’occident européen. Du coup la tâche d’équilibre des
spécificités des civilisations particulières se décline différemment et avec un autre accent,
chez l’un ou l’autre. Firmin croit que la race noire propre à Haïti a l’obligation de prendre
la mise ou le relais pour faire avancer le monde dans la voie de la réalisation de
l’Humanité et elle en est capable, avec pour preuve la proclamation de la première
République Nègre du monde en 1804. Glissant ne niant pas la capacité de l’homme
antillais de répondre à cette vocation si ce fut le cas. Mais en aucun cas, l’antillais n’a
pour vocation de continuer la civilisation occidentale, au contraire, depuis l’Indépendance
d’Haïti, le moment est venu de dire au monde l’identité composite, métisse et
archipélienne de l’homme antillais.
La citoyenneté, pour Firmin, est basée sur l’appartenance et l’enfermement dans
la quête atavique de ses racines civilisatrices nègres, brillantes de l’éclat du modèle des
Lumières et de la science positive occidentale, tandis que pour Glissant elle est faite
d’identité composite ouverte.
Les politiciens, les philosophes et les éducateurs haïtiens contemporains ont-ils
déjà franchi les portes sombres des prisons de la civilisation occidentale où se déroulent
encore les joutes du combat postcolonial? Comment se réapproprier les zones d’ombre
mortifère projetées par l’instruction des « Aveuglantes Lumières »
182
, empêchant à
l’haïtien de bien nommer l’appartenance culturelle, la croyance et la violence, afin peutêtre de s’affirmer citoyen « Tout-monde»?
181 Idem, Préface, p. XXXVII.
182 DEBRAY, Régis, (2006), Aveuglantes Lumières. Journal en clair-obscur, Gallimard, France, 208 pp.
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Ce qui est sûr, une recherche de terrain s’impose sur le type d’éducation à la
citoyenneté qui se donne en Haïti en vue du progrès et de la civilisation. Il est grand
temps de questionner les enseignements relativement au positionnement face à
l’appartenance culturelle, à la croyance et la violence récurrente, puisque la promesse
civilisatrice de l’indépendance de 1804 ne s’est jamais réalisée. Le monde attend encore
en Haïti cet État-nation qui témoigne d’un vivre ensemble digne des gestes accomplies
par la Révolution indigène de Saint-Domingue. Cette investigation n’est pas encore faite,
en témoigne la croyance transmise selon laquelle, depuis l’avènement de cette
République noire sous le modèle de la République représentative de la France,
l’instruction est le moteur du progrès de l’humanité et de la civilisation universelle.
Firmin a pris le relais de Condorcet en ce sens. C’est ce que nous nous proposons de faire,
en thèse maintenant, par un travail de terrain, à partir de cette exploration conceptuelle,
de cette mise en place d’une problématique et d’une méthodologie, dans le cadre
spécifique d’une philosophie politique de l’éducation dans le contexte postcolonial
antillais.
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CONCLUSION GÉNÉRALE ET BILAN CRITIQUE
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Pour résumer, commençons par constater qu’au cœur des apories politiques
modernes, Haïti, en proclamant son indépendance le 1er janvier 1804 proposa la solution
d’une République patriotique où, les éléments et valeurs concourant à la formation d’une
nation sont bien pris en compte. C’est à la même époque où deux autres expériences
révolutionnaires avaient auparavant initiées deux Républiques différentes. En 1787, les
États-Unis d’Amérique arrivèrent avec une République comme gouvernement carrément
représentatif tandis qu’en 1789 la Révolution française aboutissait à une République
visant à la souveraineté du peuple et de la nation. De ces trois expériences, « Nul ne
songe à instaurer un régime de démocratie directe. » 183 dit Rosanvallon. L’originalité
d’Haïti réside dans la fondation de la première République nègre de l’histoire suite à
l’aboutissement de la première révolution anti-esclavagiste et anticolonialiste. Or, nous
constatons que cet État-Nation n’a jusqu’à aujourd’hui réalisé un vivre ensemble, ni une
société où le progrès moral, scientifique et économique suivent l’exploit de 1804. Un
penseur canonique dans le monde intellectuel et politique haïtien, Anténor Firmin,
considéra pourtant qu’il y a un riche legs de souvenirs et de traditions, dont hérite ce
groupe humain et qui sont cristallisés dans la race noire que constitue globalement
l’ensemble de ces citoyens, mais plus encore dans la manifestation du relais que prend
cette nation dans la marche continue de la civilisation vers la réalisation de l’Humanité,
au travers de ses talents et ses élites. Une façon pour lui de critiquer l’humanité et la
civilisation occidentales de son époque qui nièrent ce fait, sur la base scientifique de
l’inégalité des races. Dans cette même mouvance de critique postcoloniale, l’essayiste
martiniquais Édouard Glissant reconnaît en Haïti la matrice des pays antillais, mais qui ne
cesse de mourir par les luttes continuelles de ses élites noires et mulâtres.
Deux visions d’une même réalité qui nous poussent à nous interroger sur le type
de formation du citoyen qu’assure le système éducatif dans cette République. La
recherche que nous avons entamée se situe dans un cadre postcolonial et dans le domaine
d’une philosophie politique de l’éducation. Elle est théorique et se saisit de ces deux
penseurs non contemporains mais différemment modernes dans leurs réflexions. Firmin
s’est montré carrément héritier des Lumières par son ancrage positiviste en sous-titrant
son œuvre majeure comme une « Antropologie positive » pour défendre, au nom de la
183 ROSANVALLON, Pierre, (2002), La Démocratie inachevée, France, Nrf Éditions Gallimard, p.11.
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science et de la raison universelles, sa thèse « de l’égalité de races ». Au rebours,
Glissant se positionne en romantique axant son traité du « Tout monde » sur le rôle
primordiale de l’imaginaire dans la civilisation.
Alors, nous sommes parti de la question de départ : quel type de citoyen forme le
système éducatif haïtien? Nous avons visé à rechercher, en amont, quelle philosophie
politique peut avoir influencé l’éducation à la citoyenneté dans ce pays. Notre démarche
consistait à clarifier, en tout premier lieu, notre problématique et les motifs du choix de
nos auteurs. Ainsi, dans un contexte postcolonial, et à partir d’un double aspect historique
et de philosophie politique de l’éducation nous avons cherché à découvrir l’influence
d’une philosophie politique sur la tâche de l’éducateur politique en Haïti. D’où notre
choix de Paul Ricoeur, dans son exposé sur « les tâches de l’éducateur politique » en
rapport au capital civilisationnel, comme axe de comparaison de tous nos auteurs, pour
conduire notre démarche.
Ensuite, une étude critique de Condorcet s’imposait, puisqu’il est un inspirateur
figurant bien en amont des présupposés de la doctrine de Firmin. Sa doctrine sur
l’instruction publique concourant à la formation du citoyen a été analysée au moyen
notamment des critiques de Pierre Rosanvallon dans « Éduquer le citoyen » et la « La
démocratie inachevée ». Ce dernier fut méthodologiquement capitalisé dans notre travail
en vue d’analyser comparativement et symétriquement Condorcet.
Enfin, en choisissant un penseur mythique comme Anténor Firmin, nous avons
cherché également à déconstruire sa pensée par une méthode comparative et symétrique.
C’est-à-dire en remontant d’abord à ses présupposés philosophiques, nous avons mis en
lumière son lien étroit avec la doctrine de l’instruction publique de Condorcet. Mais, nous
avons également comparé sa philosophie à une pensée contemporaine et actuelle, celle de
Glissant. Tous trois, Condorcet, Firmin et Glissant furent étudiés dans la perspective de
faire ressortir des orientations ou propositions similaires aux trois tâches assignées à
l’éducateur politique par Ricoeur relativement au capital civilisationnel.
Ce que nous sommes en mesure d’affirmer à cette étape de notre recherche, à
partir des doctrines anthropologiques dégagées par Firmin et à l’opposé par Glissant,
c’est que la citoyenneté en Haïti peut s’inspirer de deux sources, relativement au concept
d’égalité. D’une part, elle peut se fonder sur la race et des valeurs ataviques si on retient
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la conception de Firmin, à savoir, tous les hommes sont pareils en tout temps et en tout
lieu, et qu’il n’y a pas d’inégalité de races mais plutôt des inégalités de civilisations. En
conséquence, l’éducation à la citoyenneté, en Haïti, consisterait à civiliser l’individu
c’est-à-dire à le rendre apte à être protagoniste de la marche du progrès des sciences dont
il est le digne héritier pour entrer dans la civilisation universelle. Car, la race nègre
d’Haïti est digne, de droit anthropologiquement et de fait historiquement, c’est-à-dire
capable de manifester la civilisation universelle comme ce fut le tour de la race blanche
en son temps. Voir le traité « de l’égalité des races » au chapitre XII « Évolution
intellectuelle de la race noire en Haïti » 184, au chapitre XV « Rapidité de l’évolution
dans la race noire » 185, et au chapitre XVII « Rôle de la race noire dans l’histoire de la
civilisation » 186 .
D’autre part, la citoyenneté en Haïti peut se fonder sur l’identité
composite, créole et métisse des individus de la nation, en référence à la pensée
archipélienne et rhizome contraire à toute quête de racine archaïque et atavique. La geste
historique du 1er janvier 1804 dit au monde que toutes les civilisations, au-delà de
l’apparent chaos non systématique qu’elles figurent, forment un paysage qui change puis
en s’interchangeant elles s’enrichissent et créent des nouveautés qui constituent des biens
communs de l’humanité. Autrement dit, l’appartenance à une civilisation mondiale
universelle basée sur les progrès de la science, en s’arrachant à ses spécificités culturelles,
est une voie pour former le citoyen. Contrairement, l’ouverture au multiculturalisme, dont
son identité de relation, composite, métisse ou créole est porteuse, s’érige comme une
autre voie alternative à l’enfermement que constitue l’humanisme universel de l’occident,
afin de former le citoyen haïtien. La mission civilisatrice de l’école doit choisir entre ces
deux voies : soit de former à la raison totale, universelle, systématique, sûre, unique et
identique de l’Occident, soit de former à l’imaginaire c’est-à-dire à la pensée imaginative,
créatrice, tremblante, errante, dérivante et imprévisible. On dirait que l’éducation prend
des sens qui se croisent chez nos deux penseurs. Firmin partirait d’un travail de formation
par l’acquisition des savoirs généraux, mais en final l’être formé aboutirait à son
intégration dans une civilisation universelle à nulle autre pareille. Tandis qu’avec
Glissant il s’agirait d’abord d’une intégration des éléments spécifiques de sa civilisation
184 FIRMIN, Anténor, 2008, pp. 267-290.
185 Idem, pp. 221-240.
186 Idem, pp. 253-263.
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particulière où l’individu nourri par son imaginaire créateur est conduit à s’enrichir de
l’autre connu et reconnu avec les spécificités de sa civilisation propre. Ces deux voies ou
ces deux trajectoires seront les branches alternatives de l’hypothèse que nous émettrons et
chercherons à valider ou invalider, en thèse, au moyen d’une enquête de terrain par la
méthode quantitative.
Les présupposés de ces deux voies sont modernes. L’une découle des Lumières,
l’autre du romantisme. Auquel cas nous conjecturons que l’éducation à la citoyenneté en
Haïti s’est cherchée, éperdument comme par errance, entre les valeurs rationnelles des
Lumières et les valeurs sentimentales romantiques. Errance que Glissant assume comme
identité, anthropologiquement normale et propre à l’antillanité. Notre recherche est
d’autant plus opportune que, de ces présupposés d’où remontent les positions de Firmin
et de Glissant, il n’est question que d’insistance et de circonstances historiques pour
trancher du différent. Déjà, chez Anténor Firmin, nous décelons conjointement une
conception de l’homme où « l’exercice de la raison est le plus bel apanage de
l’humanité » 187 , avec également celle où les sentiments altruistes « sont le plus bel
épanouissement du cœur et de l’esprit de l’homme. » 188 Nous disons que tout vient de
l’insistance, car Firmin, à la suite de Condorcet, n’admet pas la fraternité comme une
valeur principale anthropologiquement ni politiquement, car dit-il: « C’est que
logiquement, on ne saurait concevoir la fraternité en l’absence de l’égalité. » 189 Dans la
deuxième partie de notre travail, nous avions déjà montré comment Condorcet refusa de
faire de la fraternité un principe premier et à priori sur l’égalité, afin que l’individu reste
lui-même pour ne pas s’identifier à une collectivité qui lui préexiste. Pas de meilleure
preuve de l’héritage direct de Condorcet chez Firmin. Sauf, que le contexte historique et
postcolonial voudra que ce dernier insiste, comme par provision, à prouver
scientifiquement l’égalité sur le plan racial, alors que ce domaine reste un facteur
sentimental identifiant l’individu à sa collectivité, même nationale. Ce fut pour lui une
démarche provisoire, car il visait à prouver scientifiquement l’inanité du facteur racial
comme facteur d’inégalité pour, en affirmant l’inégalité des civilisations, mettre en
évidence son incorporation et celle de sa nation, de droit et de fait, à la grande civilisation
187 FIRMIN, Anténor, (2008), ibidem, Conclusion, p. 403.
188 Idem, p. 404.
189 Idem, p. 402.
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universelle. Pourtant chez Glissant, le choix romantique est tranché puisque l’ouverture
aux spécificités des civilisations particulières n’est pas de s’enfermer dans une spécificité
civilisatrice particulière comme la civilisation occidentale qui veut s’imposer comme
universelle. Sa conviction reste et demeure que l’Occident n’est qu’un projet. C’est
l’indépendance de pensée qu’il revendique en partant de la révolution de Saint-Domingue
et de la création de la République postcoloniale d’Haïti. L’enracinement de l’individu
dans ses propres valeurs culturelles restant sauf, car : « Il n’est pas nécessaire de se renier
pour s’ouvrir à l’autre. » 190 Bref, nous pouvons conclure à la présence des idées d’identité,
d’arrachement et d’ouverture dans la pensée de Glissant, et des idées d’appartenance
atavique, d’enfermement et de repliement chez Firmin. Tendances qui pourraient être
susceptibles d’influencer l’éducation à la citoyenneté et les tâches de l’éducateur
politique dans cette nation antillaise. Tels sont les résultats de notre recherche théorique.
Les difficultés d’ordre méthodologique n’ont pas manqué pour tracer la ligne ou
la portée finale de la recherche, à savoir les tâches de l’éducateur politique. Nous avons
opté pour les intuitions de Paul Ricoeur sans trop les soumettre à des critiques, car ce
n’est pas le but du travail. Toutefois, elles ont servi comme axe de comparaison aux
doctrines politiques de nos auteurs, et à pouvoir centrer notre réflexion sur l’éducation et
la formation politique du citoyen. La mise en parallèle de Firmin et de Glissant fait
abstraction de l’écart chronologique, car le premier est du XIXème siècle et le second
nous est contemporain encore au XXIème siècle. Cependant, leurs sensibilités à la
modernité et leur tendance postcoloniale c’est-à-dire critique de l’humanité occidentale
d’une part, leurs anthropologies critiques de la civilisation d’autre part, en plus d’être
confrontés tous deux au dilemme de l’identité de l’individu antillais francophone, tout
ceci nous laissait soupçonner qu’une mise en comparaison peut aider à la déconstruction
de la philosophie de la citoyenneté en Haïti. D’autant plus, que Glissant, ayant dédié un
chapitre de son « Traité du Tout-monde » à Haïti, pour les mêmes raisons que Firmin
dans son traité « De l’égalité des races », à savoir : la portée et l’impact, pour les
civilisations du monde et des Antilles, de la Révolution des esclaves de Saint-Domingue
aboutissant à la naissance de la République d’Haïti en 1804. Il aurait fallu faire état de
l’ensemble des publications de ces deux penseurs. Nous nous sommes contenté de
190 GLISSANT Edouard, (1997), Traité du tout-monde, Gallimard, France, p.154.
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mentionner leurs écrits dans notre bibliographie, en vue d’en élargir l’étude dans un
travail de thèse pour affiner notre analyse du résultat des enquêtes de terrain. C’est
également pour les besoins de la déconstruction que nous avons creusé les présupposés
de la pensée de Firmin, sous-titrant son œuvre « Anthropologie positive », au travers des
visées de Condorcet sur la formation du citoyen dans un contexte républicain et de
propagation des idées de Progrès chères aux Lumières de l’Europe. Là encore, pour ne
pas prendre les idées de ce dernier sur l’instruction publique comme des vérités absolues,
nous avons du nous servir des critiques de Pierre Rosanvallon sur la pensée politique et
les limites démocratiques des idéologies émises par Condorcet. Blandine Kriegel, Charles
Coutel et Catherine Kintzler ont été les guides indispensables, par leurs essais sur
Condorcet ayant déjà fait autorité, pour nous permettre de résumer la pensée si étendue
de Condorcet, afin d’éviter toute digression à notre sujet principal. Toute la deuxième
partie, soit un tiers de notre rédaction, n’était pas de trop pour asseoir la doctrine de
l’éducation du citoyen qui doit servir de base à notre problématique sur l’éducation à la
citoyenneté. Pour le thème de l’éducation et pour la pensée politique, il était doublement
utile pour nous de remonter à Condorcet comme philosophe situé en amont et inspirateur
d’Auguste Comte dans son positivisme qui est devenu la doctrine admise par Anténor
Firmin pour asseoir scientifiquement sa critique postcoloniale. Science systématique
occidentale que Glissant critiquera d’un bout à l’autre de son traité. Condorcet s’imposait
pour l’analyse des présupposés des doctrines de nos auteurs.
La problématique dans le cadre duquel nous initierons un travail de recherche de
terrain en thèse, sera la même. Il faudra vérifier la corrélation, ou pas, entre la
philosophie politique et la formation du citoyen en Haïti. Est-ce qu’il existe une
philosophie politique de l’éducation, et laquelle qui influence le système éducatif haïtien
dans ses finalités, dans les discours des responsables politiques, dans les programmes
d’instruction civique, dans la formation des maîtres, dans le contenu des cours
d’éducation à la citoyenneté, dans la culture sociale des élèves c’est-à-dire leurs relations
avec les agents du système : relations élèves-élèves, élèves-maîtres, élèves-parents et
maîtres-parents. Il s’agira de définir et d’établir des variables qui vont ou valider ou
invalider l’hypothèse selon laquelle : le système éducatif haïtien forme des citoyens à
l’identité composite ou au contraire à l’identité d’appartenance. Nous nous limiterons
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d’arrêter la présente recherche en deçà des implications politiques de cette identité du
citoyen, qu’on aura découverte, sur toute éventuelle faillite des élites, ou échec
quelconque en démocratie ou en développement. Notre recherche visera spécifiquement à
définir le fait éducatif haïtien ou le projet éducatif haïtien c'est-à-dire de comprendre la
tâche de l’éducateur politique en Haïti. Y a-t-il une philosophie politique qui influence la
formation du citoyen en Haïti? Découvrirons-nous une corrélation ou pas? Notre modèle
reste l’expérience du programme d’instruction publique de Condorcet qui visait à la
formation du citoyen comme citoyen-acteur, et la manière dont ce projet s’inscrivait dans
le cadre d’une épistémologie juridique et de la politique de la Convention. Bien sûr,
l’analyse de nos résultats d’enquête de terrain pourra nous faire remonter en amont vers
les présupposés philosophiques et politiques des discours et des pratiques éducatives
relatives à la formation du citoyen. Pour ce faire, nous maintiendrons les définitions de la
citoyenneté dans les trois aspects retenus dans notre présente introduction : le statut, les
prérogatives et droits liés à la qualité, les comportements. Nous garderons également la
même définition de l’État-nation de Todorov et celle de la nation par Renan. Et bien
entendu, une recherche entreprise dans le cadre d’un contexte postcolonial, d’après notre
point de vue selon lequel Haïti n’est pas encore entrée dans la postcolonie pour
comprendre pourquoi l’ennemi est le frère de la patrie commune et pas un étranger colon
de surcroît, car le problème de l’identité en vue d’un vivre ensemble n’est pas encore
élucidé. D’autant plus que le projet de civilisation que constitue l’Occident continue sa
course au travers de l’humanitaire, notre recherche s’inscrira dans le postcolonialisme.
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BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXE
« La terre matrice des pays antillais, Haïti »
(extrait du Traité du Tout-Monde)
La terre matrice des pays antillais, Haïti.
Qui n'en finit pas d'acquitter l'audace qu'elle eut de concevoir et de faire lever la
première nation nègre du monde de la colonisation.
Qui depuis deux cents ans a éprouvé ce que Blocus veut dire, chaque fois renouvelé.
Qui sans répit souffre ses campements et sa mer folle, et grandit dans nos imaginaires.
Qui a vendu son sang créole un demi-dollar le litre.
Qui s'est distribuée à son tour dans les Amériques, la Caraïbe, l'Europe et l'Afrique,
refaisant diaspora.
Qui a consumé tout son bois, marquant de plaies arides l'en-haut de ses mornes.
Qui a fondé une Peinture et inventé une Religion.
Qui meurt à chaque fois de débattre entre ses élites nègres et ses élites mulâtres, tout
aussi carnassières.
Qui a cru qu'une armée était faite de fils de héros.
Qui a charroyé des mots beaux ou terribles, le mot macoute, le mot lavalass, le mot
déchouquer.
Ce texte est tiré du Traité du Tout-Monde d'Édouard Glissant (Paris: Gallimard, 1997:
139)
© 1997 Édouard Glissant
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