20 décembre 2004
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M.CHOPRA :Ces problèmes ne datent pas d’hier et ils
ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Nous avons
dit très clairement que l’Agenda 2010 du gouverne-
ment allemand est un bon point de départ pour la
réforme du marché du travail en Allemagne, mais il
doit être complété par d’autres réformes. Il prévoit di-
verses mesures visant à réduire le chômage et à ac-
croître l’emploi.
C’est bien, mais à long terme, il serait préférable de
rehausser l’emploi en relevant les taux d’activité,sur-
tout parmi les travailleurs âgés, les femmes et les
jeunes, plutôt qu’en diminuant le chômage. C’est là
que doivent porter les efforts. En Allemagne, la popu-
lation en âge de travailler diminue et,faute de mesures
correctrices, le potentiel de croissance et le système de
sécurité sociale vont s’en ressentir.
M.LEIPOLD :En France, le coût du travail et l’emploi
sont plombés par un salaire minimal élevé qui conti-
nue d’augmenter, l’application obligatoire des
35 heures hebdomadaires et le niveau élevé des taux
marginaux d’imposition et du taux de remplacement
des prestations. Les autorités ont cherché à remédier
par voie budgétaire aux effets dissuasifs de ces élé-
ments sur l’offre et la demande de travail, essentielle-
ment en réduisant les cotisations de sécurité sociale,
mais cela a été très coûteux. Le lien entre le marché du
travail et le budget doit maintenant être rompu,et les
institutions du marché du travail changées, à com-
mencer par un assouplissement des 35 heures et une
protection moins rigide de l’emploi.
BULLETIN : La réforme du système de santé et des re-
traites permettra-t-elle de répondre aux contraintes
imposées par le vieillissement de la population? Ces
pays devront-ils relever l’âge de la retraite?
M. LEIPOLD :En France, la réforme des retraites a lar-
gement contribué à abaisser le coût budgétaire du
vieillissement de la population, en le ramenant net-
tement en dessous de la moyenne de la zone euro.
L’âge de la retraite n’a pas été modifié et cela présente
certains avantages. On a créé un lien entre la période
de cotisation obligatoire pour bénéficier d’une re-
traite complète et l’espérance de vie. Aujourd’hui, les
gens vivent plus vieux et reçoivent une pension plus
longtemps. Ils doivent donc cotiser plus longtemps.
En somme, si les implications financières sont équi-
tables, la décision de partir en retraite doit être lais-
sée à l’individu : plus tôt avec une pension réduite ou
plus tard avec une pension plus élevée.
M.CHOPRA :En Allemagne, la bonne nouvelle est qu’il
y a un débat intense sur le système de santé et les re-
traites. Et des progrès sensibles ont été accomplis grâce
à l’Agenda 2010. Mais ces réformes ne seront pas suffi-
santes. Pour ce qui est en particulier de l’âge de la re-
traite, une proposition de le relever progressivement
n’a pas été adoptée. On se dirige plutôt vers un relève-
ment effectif de l’âge de la retraite par l’élimination des
incitations au départ anticipé. Mais le problème du
vieillissement de la population est si vaste et si com-
plexe qu’il nécessitera des mesures complémentaires. Il
faudra non seulement réformer les programmes de
prestations, mais aussi renforcer le potentiel de crois-
sance pour rendre ces programmes plus abordables et
rééquilibrer les finances publiques.
BULLETIN : Certains éléments des systèmes de protec-
tion sociale méritent-ils d’être conservés?
M.CHOPRA :Le modèle européen comporte énormé-
ment d’éléments qui devraient être conservés. Il vise à
concilier paix et cohésion sociales et discipline finan-
cière, et il n’y aucune raison de croire que ces objectifs
sont incompatibles. Mais en même temps, il faut re-
connaître que la croissance de l’Europe a été insuffi-
sante ces vingt dernières années. Dans la zone euro, le
revenu par habitant est resté autour de 75 % des ni-
veaux américains depuis les années 70 et il est même
descendu un peu plus bas pendant les années 90.
Cependant, rien ne permet de conclure que le système
européen de protection sociale dans son ensemble est
responsable de ces résultats médiocres et devrait donc
être supprimé.
Cela dit, il est clair qu’au fil du temps des rigidités
sont apparues auxquelles il faut remédier. L’Europe
doit adopter une approche qui concilie cohésion so-
ciale et discipline financière par l’adoption de poli-
tiques axées sur une croissance plus forte à long
terme. Nous pensons que c’est possible. D’ailleurs,
certains petits pays européens y sont parvenus dans
une certaine mesure. Il n’y a pas une seule manière
d’aborder l’économie de marché. Je m’avance peut-
être, mais il est tout à fait possible qu’une certaine di-
versité à cet égard contribuerait à la stabilité de l’éco-
nomie mondiale.
M.LEIPOLD :Oui, et à ce sujet, le rapport récent de l’an-
cien Directeur général du FMI, Michel Camdessus, sur
les obstacles à la croissance à long terme en France
— qui est une excellente feuille de route pour le pays —
comporte un chapitre intitulé «D’autres l’ont fait».Il
cite les exemples d’autres pays européens qui, tout en
conservant les éléments fondamentaux de la protec-
tion sociale, ont obtenu de bien meilleurs résultats en
matière de croissance moyennant un rééquilibrage des
finances publiques et d’autres réformes. Ils montrent
que cela peut être fait sans sacrifier les éléments fonda-
mentaux du modèle européen.
Les rapports du FMI sur la France nº 04/343 et sur l’Alle-
magne nº 04/341 sont en vente au prix unitaire de 15 $ au-
près du Service des publications du FMI. Pour commander,
voir instructions page 350. Ces rapports figurent aussi sur le
site Internet du FMI (www.imf.org).
L’Europe doit
adopter une
approche qui
concilie cohésion
sociale et disci-
pline financière
par l’adoption
de politiques
axées sur une
croissance plus
forte à long
terme.
Ajai Chopra