la convergence entre le respect des valeurs éthiques fon-
damentales et la recherche d’efficience qu’impose la
concurrence sur les marchés. C’est de bon augure pour
le succès des efforts engagés pour atteindre notre nou-
vel objectif de croissance de haute qualité.
Parallèlement, une nouvelle perception de la mon-
dialisation se fait jour, qui montre celle-ci sous un jour
désormais plus positif; non pas, comme certains l’ont
dit, comme une force aveugle et peut-être malveillante
qu’il importe de dompter, mais plutôt comme un pro-
longement logique de ces grands principes de l’écono-
mie et des rapports humains qui ont déjà apporté la
prospérité à tant de pays et permis d’améliorer le sort
de la population mondiale. Mais si cette dynamique de
progrès est si forte, comment expliquer ces inquié-
tudes, ces réactions de rejet que suscite dans de nom-
breux milieux cette nouvelle tendance économique que
symbolise la mondialisation? C’est, je crois, parce que le
monde n’a pas encore fait preuve d’une compassion
suffisante, ni montré sa capacité de résoudre le prob-
lème majeur de notre époque : la pauvreté.
La pauvreté
L’écart entre riches et pauvres dans nos pays et le
gouffre qui sépare les pays nantis des pays déshérités
sont à la fois moralement scandaleux et économique-
ment aberrants, voire socialement dangereux.Nous sa-
vons aujourd’hui qu’il ne suffit pas d’accroître la taille
du gâteau; la façon de le partager pèse lourdement sur la
dynamique du développement.Si les pauvres sont pri-
vés d’espoir, la pauvreté minera le tissu social et favori-
sera la confrontation,la violence, les troubles sociaux.
Nous ne pouvons nous permettre d’ignorer la pauvreté,
où que ce soit, mais c’est d’abord chez les plus déshérités
que la pauvreté extrême ne doit plus être tolérée. Nous
avons le devoir de collaborer pour éradiquer ce fléau.
Il ne suffit pas d’y consacrer des conférences interna-
tionales. Nous devons nous efforcer, dans notre travail
auprès de ces pays et de ces populations, d’appliquer
ces principes. Nous devons tâcher ensemble d’aider les
pays en développement à renforcer les moyens qui leur
permettront de faire reculer la pauvreté, et mobiliser les
ressources nécessaires pour appuyer leurs efforts.
Cela dit, même s’ils bénéficient d’une aide extérieure
accrue, c’est aux pays pauvres qu’il appartiendra en
dernière analyse de mener le combat contre ce fléau.
Plusieurs d’entre eux ont déjà montré ce qui peut être
fait lorsque l’objectif ultime est le développement hu-
main et, en particulier, le recul de la pauvreté. Leur ac-
tion s’est ordonnée autour de cinq volets :
• une stratégie véritablement nationale faisant de la
lutte contre la pauvreté la clé de voûte de la politique
économique et s’appuyant sur une croissance rapide
tirée par le secteur privé;
• une politique macroéconomique avisée,
un taux élevé d’épargne et des investissements
efficaces dans le capital physique comme dans les res-
sources humaines;
• la promotion d’une économie de marché tournée
vers l’extérieur;
• des institutions économiques, sociales et politiques
solides capables d’assurer le bon fonctionnement
du marché;
• un important volet social, enfin, fondé sur des dis-
positifs de protection ciblés et d’un bon rapport coût/
efficacité, un redéploiement des dépenses publiques
vers l’éducation et la santé et un effort particulier pour
procurer du travail rémunérateur aux plus démunis.
Mais si la teneur des programmes engagés est impor-
tante, l’appui dont ils bénéficient dans le pays ne l’est pas
moins. L’«appropriation» de ces programmes par les
bénéficiaires, c’est-à-dire la participation de la société
civile à un dialogue constructif, est la clé de leur succès.
Les partenaires pour le développement peuvent ap-
porter leur appui aux efforts des pays les plus pauvres
de trois façons. D’abord — et en priorité — en assurant
à l’ensemble des exportations de ces pays un libre accès
aux marchés développés; c’est important en particulier
pour que les pays pauvres très endettés (PPTE)
puissent enfin mieux tirer parti de l’intégration au sys-
tème commercial mondial. Ensuite, en encourageant
activement les flux de capitaux privés, et notamment
d’investissements directs étrangers, vers ces pays. Enfin,
en concrétisant, sur le plan financier, les engagements
de lutte contre la pauvreté qu’ils ont pris. Nous pou-
vons compter sur les organisations multilatérales. Le
FMI a remplacé son mécanisme de prêts concession-
nels, la FASR, par la facilité pour la réduction de la pau-
vreté et la croissance (FRPC) qui met explicitement
l’accent sur la réduction de la pauvreté et qui va devenir
le principal vecteur de son aide aux pays à faible revenu.
Un multilatéralisme redynamisé
Tout ce que je viens de dire nous appelle à renforcer la
coopération internationale. Pourtant, l’incohérence de
nos efforts reste une menace permanente; nous
risquons de trébucher sur le premier obstacle venu.
Pour éviter cela, nous devons assurer une plus grande
cohérence des politiques économiques à l’échelle mon-
diale. En d’autres termes, il nous faut redynamiser le
multilatéralisme. Aujourd’hui, en effet, la communauté
internationale reprend d’une main ce qu’elle donne de
l’autre. Les pays membres des institutions de Bretton
Woods ont pris une décision de portée considérable :
réduire de moitié environ la dette de 35 à 40 pays
pauvres très endettés dans le cadre de l’Initiative en
faveur des PPTE. Cependant, ces mêmes pays n’ont pas
su, dans le cadre de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC), lancer le nouveau cycle de négocia-
tions commerciales ou franchir le pas très modeste
consistant à lever les obstacles aux exportations des
pays les plus pauvres, et en particulier des PPTE.
28 février 2000
51
Le monde n’a
pas encore fait
preuve d’une
compassion
suffisante,
ni montré
sa capacité
de résoudre
le problème
majeur de
notre époque :
la pauvreté.
M. Camdessus