CAS CLINIQUE
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La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 237 - novembre 1998
La seconde phase de la maladie correspond à l’apparition
d’infiltrats d’éosinophiles dans les tissus, notamment pulmo-
naires. La troisième phase est marquée par l’évolution d’une
angéite systémique accompagnée de signes généraux (altération
de l’état général, fièvre, amaigrissement). Cette vascularite se
développe en moyenne trois ans après le début de l’asthme (3).
En dehors de ces lésions rhinosinusiennes et pulmonaires, de
multiples manifestations viennent grever l’évolution de la
maladie. Les atteintes neurologiques sont représentées par des
multinévrites rapidement invalidantes touchant les membres
supérieurs et inférieurs (sciatique poplitée externe) (4). Les
atteintes digestives entraînent des diarrhées et des hémorra-
gies, parfois fatales (5). Les manifestations cardiovasculaires
(insuffisance coronarienne, HTA, péricardite) sont prépondé-
rantes et évoluent fréquemment vers l’insuffisance cardiaque
(6). Les néphropathies glomérulaires sont moins fréquentes
mais de pronostic redoutable (1). Les manifestations cutanées
(nodules sous-cutanés, lésions ulcéro-nécrotiques et gangré-
neuses) s’observent dans 70 % des cas et sont souvent doulou-
reuses (7). Les biopsies cutanées permettent souvent d’étayer
le diagnostic.
Les manifestations ORL du syndrome de Churg et Strauss sont
essentiellement localisées dans les fosses nasales et les sinus
paranasaux (8). L’obstruction nasale bilatérale associée, à des
degrés divers, à une rhinorrhée antérieure ou postérieure est le
signe clinique le plus fréquemment retrouvé à l’interrogatoire
initial (3). Cette obstruction peut être le témoin d’une rhinite
d’évolution saisonnière (4) ou d’une polypose nasosinusienne.
Le clinicien doit dépister précocement ces atteintes nasales
présentes dès le début de la maladie, car elles peuvent être res-
ponsables de surinfections sinusiennes grevant l’évolution de
la vascularite systémique. Le scanner des sinus en coupes axiale
et coronale sans injection objective des lésions sinusiennes
(épaississement muqueux, polypes) associées aux lésions
nasales dans près de 80 % des cas (3). Plus rarement, une rhi-
nite croûteuse, des lésions granulomateuses semblables à
celles de la maladie de Wegener et des perforations septales
sont décrites (3) dans la littérature. Ces perforations du septum
nasal siègent préférentiellement au niveau du septum antérieur.
L’histopathogénie de ces lésions cartilagineuses lytiques est
inconnue. D’autres symptômes rhinologiques peuvent être
diversement observés. Des douleurs nasales à irradiation cen-
trofaciale et des épistaxis sont retrouvées dans la littérature (3).
En ce qui concerne les autres atteintes cervicofaciales, des
nodules sous-cutanés peuvent être palpés chez environ 20 %
des patients (4). Ces nodules sont souvent multiples, de petit
diamètre, fermes à la palpation. Le cuir chevelu, les pavillons
des oreilles, les paupières sont aussi quelquefois touchés. La
biopsie de ces lésions sous-cutanées permet généralement le
diagnostic histologique du syndrome de Churg et Strauss, mais
le diagnostic différentiel avec la maladie de Wegener n’est pas
évident à faire. Les lésions histologiques de la muqueuse nasa-
le (cornet nasal inférieur, polypes) sont caractérisées par la
présence de micro-abcès tissulaires et de granulomes nécro-
tiques bordés d’un infiltrat d’histiocytes et d’éosinophiles (3).
En revanche, aucune lésion spécifique de vascularite n’est
retrouvée sur les biopsies de muqueuse nasale.
Sur le plan thérapeutique, la symptomatologie des rhinites aller-
giques ou croûteuses peut être contrôlée par des lavages pluriquo-
tidiens au sérum physiologique associés à une corticothérapie
locale en spray (béclométasone à la dose de 150 µg par fosse
nasale et par jour). Les antihistaminiques sont indiqués en cas de
rhinorrhée ou de crises sternutatoires invalidantes. Le problème
posé par la prise en charge des polyposes nasosinusiennes résis-
tantes au traitement par corticothérapie locale seule est plus diffi-
cile. En effet, la corticothérapie per os et prolongée à faible dose
(5 à 15 mg/j de prednisone) est le traitement essentiel de la mala-
die de Churg et Strauss, en association au cyclophosphamide et
aux échanges plasmatiques suivant les cas (9, 10). La corticothé-
rapie au long cours est difficilement compatible avec la prescrip-
tion concomitante d’une corticothérapie en cure courte à forte
dose (0,5 à 1 mg/kg/j de prednisolone) eu égard à la possibilité
d’un effet rebond à l’arrêt de la cure. Dans les polyposes nasosi-
nusiennes évoluées et invalidantes (obstruction nasale importante,
surinfections fréquentes), en cas d’échec du traitement local ou de
contre-indication à la corticothérapie en cure courte, la nasalisa-
tion ethmoïdale semble être la seule alternative au traitement
médical. Cette indication chirurgicale doit être discutée en fonc-
tion des risques liés à l’état général souvent altéré de ces patients.
CONCLUSION
Le syndrome de Churg et Strauss est une vascularite systémique
chronique évoluant en plusieurs stades. Dès le début de la maladie,
les lésions tissulaires plurifocales peuvent toucher les fosses nasales
ou les sinus. Le clinicien doit évoquer le diagnostic de maladie de
Churg et Strauss devant des atteintes rhinosinusiennes (rhinite
inflammatoire, polypose nasosinusienne) associées à un asthme et à
une altération de l’état général. Cette démarche diagnostique permet
ainsi une prise en charge thérapeutique plus précoce de ces malades
dans un service de médecine interne. La difficulté posée par le trai-
tement médical des polyposes nasosinusiennes évoluant dans le
cadre de cette vascularite doit souvent faire discuter l’indication
d’une nasalisation ethmoïdale chez ces patients. ■
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