L’assistance circulatoire aiguë et chronique M

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L’assistance circulatoire aiguë et chronique
Mechanical circulatory support, temporary and permanent
● D. Loisance, de l’Académie nationale de médecine*
Points forts
■ L’assistance mécanique de la circulation est entrée dans
la pratique clinique routinière chez les patients en état
de choc cardiogénique réfractaire à une prise en charge
médicale optimale, afin de permettre soit la récupération de la fonction cardiaque native, soit l’attente de la
greffe cardiaque.
■ Les techniques d’assistance mécanique évoluent actuel-
lement vers des systèmes plus compacts, plus complètement implantables, mieux acceptés par le patient.
■ Le
grand enjeu de l’assistance mécanique réside dans
ses applications très prolongées, voire définitives, chez
les patients en insuffisance cardiaque terminale incontrôlable médicalement, qui ne peuvent être transplantés.
Mots-clés : Insuffisance cardiaque - Choc cardiogénique Récupération myocardique - Transplantation - Assistance
circulatoire - Cœur artificiel.
Keywords : Cardiac failure - Cardiac replacement - Mechanical circulatory support - Artificial heart.
réfractaire à la meilleure prise en charge médicale (2) ; l’attente
de la transplantation cardiaque chez un malade sur le point de
mourir, qui ne peut être greffé immédiatement (3). À cette époque,
les tentatives d’utiliser cette nouvelle technologie comme alternative à la greffe, chez un patient ne pouvant être transplanté faute
de greffon ou présentant une contre-indication à la greffe, ont
échoué.
Le véritable essor de l’assistance mécanique de la circulation et
du cœur artificiel est intervenu dans la dernière décennie du
XXe siècle (4) : plusieurs milliers de patients ont été pris en charge
selon une stratégie de traitement d’attente ou de traitement définitif avec un succès rapidement croissant : un taux de succès
devenu acceptable dans les centres pionniers ; une diffusion de
ces techniques à la majorité des services de chirurgie cardiaque.
Aujourd’hui, un bilan de l’activité permet à la fois de mesurer le
chemin accompli en presque cinquante ans, d’évaluer les voies
de développement raisonnable, et ce pour les divers objectifs :
l’attente de la récupération de la fonction cardiaque défaillante,
l’attente de la greffe, l’implantation définitive.
LES SYSTÈMES DISPONIBLES
Ils sont très variés ; dans une perspective de clinicien, ils peuvent
être décrits comme des systèmes simples, facilement utilisables
par les médecins réanimateurs, ou comme des systèmes plus
complexes, accessibles aux chirurgiens cardiaques.
Les différents systèmes simples d’assistance
L
a longue histoire du cœur artificiel, qui a commencé
au milieu des années 1950 avec le développement de
la chirurgie cardiaque, a atteint un stade décisif au
début des années 1980 (1). Les dispositifs mis au point et évalués chez l’animal ont été utilisés chez l’homme, avec un succès
grandissant, avec divers objectifs : l’attente de la récupération de
la fonction ventriculaire chez un patient en choc cardiogénique
* Service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire, hôpital Henri-Mondor,
51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil.
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Ils sont au nombre de trois :
1. Le premier système comprend l’activation d’un ballonnet
placé dans l’aorte descendante : son inflation en diastole augmente la pression dans l’aorte initiale, par voie de conséquence
le débit coronaire, et sa déflation en systole fait baisser la postcharge ventriculaire, donc le travail cardiaque. Son efficacité est
d’autant plus grande que la pression aortique moyenne initiale
est plus élevée. Elle est donc nulle en cas d’arrêt cardiaque ou
d’un état de choc trop sévère avec pression systolique aortique
basse. Ce concept d’augmentation diastolique, désormais validé
pour optimiser la récupération de la fonction ventriculaire, est si
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important qu’il sera souvent repris dans d’autres systèmes d’assistance. L’efficacité clinique de la contrepulsion diastolique est
conforme à ce que le concept même de l’augmentation diastolique permet de prévoir : elle est maximale lorsque la fonction
mécanique du ventricule gauche est relativement épargnée et que
l’objectif assigné à l’assistance est la correction de l’ischémie
myocardique ; elle est réduite quand la masse myocardique fonctionnelle est par trop diminuée par un processus de nécrose
étendu.
2. La dérivation veino-artérielle est la deuxième technique d’assistance en théorie facilement utilisable. Son principe est celui de
la CEC, qui permet la chirurgie cardiaque quotidienne. Le système utilisé dans cette application fait appel à une canulation
fémorale artérielle et veineuse périphérique au Scarpa. Son intérêt essentiel est le retour immédiat à un débit artériel satisfaisant.
L’inconvénient réside dans la difficulté de la décharge du ventricule gauche. Pratiquement, la technique est apparue comme étant
difficile à mettre en œuvre, et d’une utilisation très limitée dans
le temps du fait de l’importance du traumatisme sanguin.
3. Un troisième système concerne la dérivation ventriculaire
percutanée : une canule est introduite dans l’oreillette gauche
par voie veineuse et transseptale. Elle est connectée à un système
comprenant une pompe centrifuge, une réinjection artérielle périphérique (système Tandem). L’ensemble permet une dérivation
de deux à trois litres, prolongée plusieurs jours, sans traumatisme
sanguin intolérable. Ce système requiert, dans la pratique courante, une bonne expertise à la fois dans les techniques de cathétérisation et dans la pratique de l’assistance circulatoire.
Ces divers systèmes sont utilisés dans des situations de grande
urgence, pour des périodes d’assistance limitées à quelques jours :
la récupération de la fonction native permet le sevrage. Son
absence impose le recours à un système plus performant.
Les systèmes extracorporels
Le circuit comprend des canules et une pompe extracorporelle.
Il est placé en parallèle au ventricule gauche (dérivation ventriculaire gauche), au ventricule droit (dérivation ventriculaire
droite), ou aux deux ventricules (dérivation biventriculaire)
(figure 1). La pompe est soit une pompe très simple, identique à
celle utilisée en chirurgie cardiaque, mais son utilisation est alors
limitée à quelques jours en raison du traumatisme sanguin qu’elle
induit, soit une pompe plus complexe : pompe occlusive volumétrique, à diaphragme ou à sac, animée par le déplacement d’air
comprimé, ou pompe centrifuge, le sang étant propulsé par la
rotation sur son axe d’un cône ou d’une turbine.
C’est ce type d’assistance qui est le plus souvent utilisé, pour les
raisons suivantes : le système est effectivement très versatile, très
adaptable à des conditions morphologiques et cliniques très
variables. Il est par ailleurs, du fait de sa réelle simplicité, d’une
très grande fiabilité. Les inconvénients tiennent à l’évidence à la
position extracorporelle des pompes, à la présence des orifices
cutanés des canules, portes d’entrée de l’infection, et à la nature
pneumatique de la source d’énergie, encore que les progrès de la
technologie ont permis la mise au point de compresseurs peu
encombrants, facilement déplaçables.
Divers systèmes reposant sur ce principe ont été utilisés en clinique humaine depuis le premier cas, en 1983, à San Francisco :
le système Thoratec®, américain, avec, fin 2002, plus de 3 000 cas
cliniques. Les systèmes allemand (Medos®), japonais (Toyobo®,
Nippon Zeon®) ou espagnols sont d’une utilisation plus confidentielle.
De tels dispositifs ont fait largement la preuve de leur efficacité.
Ils permettent la prise en charge complète du débit cardiaque résiduel, les ventricules natifs pouvant être soit battants, soit fibrillants, mais toujours totalement déchargés. Surtout, ils permettent
le retour immédiat d’une circulation périphérique adaptée. Cela
crée les conditions les plus favorables à la récupération de la fonction native (dans 10 à 20 % des cas selon l’étiologie de l’insuffisance cardiaque), mais surtout à la récupération des diverses fonctions d’organes altérées par l’état initial. Plus tard, ils permettent,
l’atteinte multiviscérale du choc cardiogénique initial étant corrigée, la récupération d’un bon état général, la mobilisation du
patient et le retour à une bonne trophicité musculaire, créant ainsi
des conditions les plus favorables à la greffe cardiaque. La durée
d’utilisation moyenne de ces systèmes est aujourd’hui de plus de
cent jours. La durée maximale dépasse largement les deux ans.
➤
Figure 1.
Système de dérivation ventriculaire gauche
(DVG) et biventriculaire. Les canules
traversent la paroi et connectent le système
vasculaire à une ou deux pompes
occlusives, paracorporelles. La commande
est pneumatique, l’air comprimé fourni
par la console paracorporelle.
La localisation extracorporelle
de la ou des pompes et l’encombrement
de la console gênent la vie en dehors de
l’hôpital.
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Les risques de complications (irréversibilité des lésions viscérales initiales, infection, accident hémorragique ou thromboembolique) sont de l’ordre de 25 %, en régression constante. Les
chances de succès de la greffe dans de telles conditions de réhabilitation complète du malade sont voisines de celles observées
lors d’une greffe chez un malade ambulatoire, stable, en attente
à domicile (80 % à un an), et très supérieures aux chances de succès d’une greffe en extrême urgence, chez un malade en état de
choc (50 % seulement). Les chiffres illustrent bien l’intérêt de
ces systèmes dans la réhabilitation avant la greffe des malades
les plus sévèrement atteints, les plus instables. Il expliquent aussi
que l’indication de la greffe de sauvetage soit aujourd’hui devenue exceptionnelle dans les services équipés de ces systèmes.
Cependant, ils n’apportent pas, à terme, de solution au problème
de la pénurie de greffons, les chances de la récupération de la
fonction native restant, chez ces patients adressés au chirurgien
tardivement, réduites à 10 à 20 % des candidats.
Les systèmes intracorporels
On distingue deux types, selon leur position par rapport au cœur
natif, mais aussi selon l’objectif qui leur est assigné.
✓ Les dérivations ventriculaires implantées : un circuit apex
du ventricule gauche-aorte dans lequel est interposée une pompe
implantable assure une décharge ventriculaire gauche complète.
Du fait de la chute des résistances pulmonaires, le travail du ventricule droit est facilité. Le concept de récupération cardiaque
après décharge gauche a par ailleurs été vérifié dans les contextes
étiopathogéniques particuliers où les lésions causales de la
dysfonction cardiaque sont réversibles (myocardite, myocarde
hibernant).
Le système peut comprendre une pompe volumétrique à commande pneumatique (Thermedic® et Thoratec® pneumatique
implantable). L’autonomie du malade et son confort sont alors
limités par la console d’activation, qui, trop encombrante et
lourde, ne peut être portée. La pompe peut être à commande électrique, la source d’énergie plus compacte étant alors portable à
la ceinture ou en bandoulière (Novacor® [5]) (figure 2), Thermedic® électrique) ou elle-même implantée (Lion Heart® [6])
(figure 3) et rechargeable par voie percutanée.
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Figure 3. Système d’assistance ventriculaire gauche implanté totalement
(système Lion Heart®) : le circuit, clos, impose la chambre de compliance
(a) pour équilibrer le déplacement du volume d’éjection systolique. La
pile primaire (b) et le système de transfert d’énergie percutané sont
implantés.
De tels circuits ont été largement utilisés en clinique humaine,
tels les ventricules Novacor®, puis les ventricules Thermedic®
pneumatiques ou électriques. L’expérience mondiale porte sur
2 780 patients avec le système Thermedic®, au 1er juin 2001, sur
environ 1 500 cas de Novacor® à la même période.
Les contraintes d’une pompe occlusive (faible rendement et
nécessité d’équilibrer les déplacements de volume dans la pompe
à l’aide d’une chambre de compliance elle-même implantée) ont
justifié la recherche de nouvelles pompes. Les pompes non occlusives que sont les pompes axiales répondent à ces problèmes :
une turbine, dont l’axe est tenu par des supports, assure l’accélération de l’écoulement sanguin de façon continue. Ce système
ne nécessite ni valves, ni système de régulation, son adaptation
aux variations de la demande de débit étant automatique : le débit
de la pompe est fonction des pressions d’amont. Cette turbine (de
Bakey® [7], Jarvik® 2000 [8], Thermedic® II [9]) autorise une
implantation totale, la recharge de la pile implantée étant assurée par une induction transcutanée. Les premiers patients qui ont
pu bénéficier de ces systèmes (174 cas de Bakey Micromed®,
46 cas de Jarvik® 2000, 10 cas de Thermedic® II en novembre
➤
Figure 2.
Système d’assistance ventriculaire gauche
implanté dans la paroi abdominale.
Les seuls éléments extracorporels
portés à la ceinture sont la batterie
et les systèmes de contrôle, connectés
à la pompe par un câble
percutané. Un tel système offre
au patient une vie autonome,
hors de l’hôpital, pendant
plusieurs années.
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2002) ont pu exprimer l’ampleur du progrès réalisé : une intervention moins agressive du fait de la petite taille des pompes,
éventuellement par seule thoracotomie gauche, et un confort d’utilisation supérieur à ce que permettent les pompes occlusives. Les
risques particuliers de ces pompes (blocage par thrombose de la
turbine, dysfonction des divers composants du système…) sont
également apparus rapidement, risques tenant essentiellement à
la conception même des pompes : les supports de la turbine constituent un point de frottement responsable d’usure des pièces, de
dépôts thrombotiques.
hémodynamique satisfaisante. La source d’énergie est non plus
pneumatique mais électrique, ce qui permet l’implantation de tous
les composants du système, la transmission percutanée de
la source d’énergie électrique. Cette même expérience confirme
toutefois les aléas liés à une utilisation chez un malade dont
l’état est trop dégradé (risque thromboembolique...).
Les problèmes observés avec ces pompes axiales à support
devraient être atténués par une innovation technologique importante : le rotor est suspendu dans un champ magnétique. À ce
“détail” technologique devrait correspondre un grand bénéfice
clinique : une durabilité de la pompe plus grande, un risque thromboembolique réduit. L’évaluation clinique de ces nouveaux dispositifs (Thermedic® III, Medos®, Terumo® [10]) est imminente.
De tels systèmes, peu agressifs, bien tolérés par le patient
devraient, pour ces deux seules raisons, permettre des implantations plus précoces dans l’évolution vers le choc cardiogénique.
L’énorme avantage de cette approche plus active dans la prise en
charge des patients condamnés à court terme est probablement
une chance plus grande de récupération de la fonction native.
✓ Les ventricules orthotopiques requièrent une technologie plus
complexe, mais un certain nombre d’avantages justifient la poursuite des recherches : leur fonctionnement est à l’évidence indépendant de l’activité cardiaque, le risque embolique est moindre
du fait de la simplicité du montage. Les limites de fonctionnement des dérivations ventriculaires gauches (dysfonction droite
notamment) n’existent plus. Les inconvénients théoriques de ces
ventricules sont la plus grande complexité de l’implantation
chirurgicale et l’encombrement de l’ensemble des deux prothèses
ventriculaires, avec le risque de compression des organes adjacents.
L’expérience clinique avec un tel système (Jarvik®) a été initialement peu encourageante : l’étude de ces cent premiers cas a
révélé un taux de succès réduit, tant pour conduire le patient à la
greffe qu’après la greffe, et un taux de complications élevé, avec
notamment des complications infectieuses et des accidents thromboemboliques (11).
Dans un second temps, avec le même dispositif, rebaptisé CardioWest®, l’expérience a été plus favorable : on a noté un taux de
succès comparable à celui observé avec les dispositifs extracorporels et un risque de complications sensiblement réduit (12).
Les progrès de la technologie ont permis en juin 2001 l’implantation d’un nouveau type de cœur artificiel : AbioCor® (13)
(figure 4). Cette prothèse repose sur l’activation successive et
non plus simultanée des deux ventricules, par le déplacement
alternatif d’un septum mobile. Le septum est activé lui-même par
une micropompe électromécanique. Les sept premiers cas cliniques réalisés confirment l’intérêt du concept : chez des patients
extrêmement instables, la prise en charge immédiate de l’activité
des deux ventricules autorise le retour immédiat à une activité
40
Figure 4. Cœur artificiel AbioCor®. Les ventricules orthotopiques et le
moteur sont en position orthotopique, connectés aux oreillettes par la
suture d’une coiffe (a). Le système de commande et le système de transfert de l’énergie (b) sont également implantés. L’ensemble autorise une
autonomie complète de quelques heures (à charge complète de la pile
implantée). Hors de ces séquences, le patient est connecté à une source
d’énergie portée à la ceinture, l’énergie étant transmise de façon percutanée.
LES INDICATIONS
La grande variété des systèmes aujourd’hui disponibles permet
de couvrir l’essentiel des indications, que l’intention de traiter
soit l’attente de la greffe cardiaque, la facilitation et l’attente de
la récupération myocardique, ou une vie prolongée après une
implantation définitive.
L’attente de la greffe
L’assistance circulatoire est indiquée lorsque la défaillance circulatoire est incontrôlable avec les procédures thérapeutiques
conventionnelles, mais avant que ne s’installe une détérioration
irréversible des grandes fonctions, la fonction cérébrale en particulier. Le délai de réflexion entre une implantation trop précoce
et une implantation trop tardive est ainsi particulièrement limité
(14).
Lorsque les seuls dispositifs disponibles sont des systèmes peu
confortables, comme les dérivations extracorporelles, ou qu’ils
sont agressifs du fait de l’encombrement important, comme les
dérivations intracorporelles utilisant des pompes occlusives, la
tendance naturelle est de différer au maximum l’implantation du
système. La mise au point de systèmes plus confortables, car peu
volumineux, silencieux comme le permettent les turbines, autorise naturellement des implantations plus précoces, voire des
implantations électives chez un patient en insuffisance cardiaque
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terminale pas encore arrivé au stade de la décompensation
majeure. Les études contrôlées prospectives actuellement en cours
paraissent encourageantes.
Quel que soit le type de système utilisé (12), le taux de succès est
très voisin, toutes indications confondues : chez les patients pris
en charge au stade du choc cardiogénique, le taux de décès pendant la période d’attente sous assistance est de l’ordre de 25 %,
et le taux de succès de la greffe est comparable à celui observé
dans une greffe classique (80 % de succès à un an). Le facteur de
risque essentiel est constitué par la sévérité de l’état initial, et l’on
peut opposer un taux d’échec supérieur à 50 % dans les indications compassionnelles, trop tardives, à un taux de succès de 80 %
dans les bonnes indications.
Le recul permet de dire que si l’assistance mécanique a supprimé
l’indication de la greffe cardiaque en extrême urgence, elle ne
constitue cependant pas une solution acceptable au problème de
la pénurie d’organe.
L’attente de la récupération myocardique
Les techniques d’assistance peuvent à la fois autoriser la survie
et créer un nouvel équilibre hémodynamique et métabolique facilitant la récupération de la fonction ventriculaire native (15). Cela
se voit couramment dans les salles de cathétérisme où la contrepulsion diastolique est aujourd’hui très largement utilisée. Cela
est aussi démontré au décours de l’infarctus du myocarde, où la
réduction même minime de l’étendue de la nécrose peut permettre au malade la survie et une meilleure qualité de vie que
celle d’un greffé. Les plus beaux succès de l’assistance, indiscutables, sont obtenus dans les cas de myocardites aiguës, gravissimes, la récupération myocardique étant observée après
quatre à six semaines d’assistance.
De façon tout à fait surprenante, la prolongation de l’assistance
mécanique a permis de révéler un potentiel de récupération,
jusque-là peu soupçonné, chez les patients en insuffisance cardiaque chronique. Les quelques belles observations de sevrage
réussi après six à dix mois d’assistance chez des patients porteurs
de cardiomyopathies dilatées, idiopathiques, sont ainsi très encourageantes. Les progrès de la biologie moléculaire, qui permettent
une meilleure compréhension de cette maladie (16), aux contours
encore méconnus, devraient fournir des indicateurs précis de cette
récupération à l’échelon moléculaire et cellulaire. L’association à
l’assistance mécanique (qui assure la perfusion périphérique et la
décharge du ventricule) des agents pharmacologiques suscitant ou
favorisant le remodelage myocardique paraît augmenter les
chances de la récupération mécanique des ventricules. Il n’est surtout pas exclu de penser que la thérapie génique et/ou la thérapie
cellulaire appliquées pendant la période d’assistance puissent augmenter les chances de reprise fonctionnelle dans ces cœurs très
altérés initialement, mais mis au repos de façon prolongée.
L’implantation définitive se conçoit de deux
manières
✓ L’implantation définitive d’une dérivation ventriculaire
gauche, les batteries portables à la ceinture, ou connectée à des
batteries implantées. L’expérience acquise avec des systèmes
à pompe volumétrique (Novacor®, Thermedic® II, LionHeart®)
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souligne les difficultés de la réhabilitation complète des patients,
surtout si l’état initial est plus critique ou le patient plus âgé, mais,
surtout, les risques infectieux à long terme. Les résultats récemment obtenus à l’aide de systèmes comprenant des pompes non
occlusives paraissent, en revanche, tout à fait encourageants. Quel
que soit le système utilisé, l’expérience clinique souligne enfin
la faisabilité et l’intérêt de l’assistance ventriculaire gauche, exclusive, permanente, définitive, alternative au remplacement cardiaque complet du fait de la récupération très fréquente et complète de la fonction ventriculaire droite.
✓ L’implantation de deux ventricules orthotopiques. Les succès récents dans ce domaine, notamment avec le cœur AbioCor®,
autorisent l’optimisme, malgré les risques thromboemboliques,
les perturbations de l’inflammation et de l’immunité. La relative
autonomie complète, réduite à la durée de charge de la batterie
primaire, reste cependant un souci.
LES PROBLÈMES POSÉS
L’expérience acquise depuis le début des années 1980 permet
d’identifier les problèmes encore mal maîtrisés, qui sont d’ordres
très divers :
Problèmes technologiques
La technologie des pompes volumétriques elle-même est aujourd’hui bien maîtrisée, ce dont atteste le caractère exceptionnel des
dysfonctions primaires de système d’assistance ou de cœurs artificiels. En revanche, la fiabilité des pompes axiales, quelles
qu’elles soient, reste à démontrer. L’expérience clinique, encore
restreinte, des pompes axiales de première génération, où la turbine est fixée sur des supports, confirme la nécessité d’une évolution vers les pompes sans support, où la turbine est maintenue
sur son axe par un champ magnétique.
Un second problème est constitué par la durée de charge des
batteries implantées, qui contrôle la durée de la vie totalement
autonome ; l’expérience montre que celle-ci est encore insuffisante.
Le troisième problème concerne l’impact des biomatériaux sur
l’interface avec le sang : l’activation des diverses cascades (coagulation, fibrinolyse, inflammation) et des plaquettes persiste,
quel que soit le revêtement choisi. Le risque thromboembolique
reste un souci majeur, directement lié aux propriétés des surfaces,
mais aussi aux caractéristiques du circuit (17). Le comportement
à long terme des surfaces, enfin, reste mal évalué. Il y a tout lieu
de penser, cependant, que l’augmentation de l’activité clinique
permettra de dégager les protocoles adéquats et de financer le
développement des nouveaux systèmes.
Problèmes cliniques
L’expérience confirme le rôle considérable de l’état du patient au
moment de l’implantation : la simplicité des suites opératoires et,
partant, le risque vital sont fonction de la sévérité de l’atteinte
des grandes fonctions, cérébrale, hépatique, rénale, pulmonaire,
au moment de l’implantation. Cette observation permet de sou41
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ligner à nouveau le rôle déterminant du choix du moment optimal du recours à une telle procédure thérapeutique : trop tardive,
l’implantation ne permet pas d’éviter le risque propre à la
déchéance viscérale préopératoire ; trop précoce, elle peut éventuellement exposer inutilement le patient au risque de complication de ce traitement.
Les études randomisées, comparant de façon prospective deux
groupes de patients, un premier traité médicalement, un second bénéficiant des techniques d’assistance, devraient permettre d’établir définitivement ces stratégies thérapeutiques agressives. La première étude
(étude REMATCH – Randomized Evaluation of Mechanical Assistance in the Treatment of Congestive Heart failure) est à cet égard
particulièrement intéressante, et ce pour au moins trois raisons. La
durée très longue qui a été nécessaire pour inclure les patients dans
l’étude (68 dans le groupe médical, 69 dans le groupe assistance) est
un bon reflet de l’extrême difficulté d’évaluer avec précision le pronostic chez un patient insuffisant cardiaque sévère. Par ailleurs, la
très franche supériorité des résultats dans le groupe des patients assistés (la survie à un an est doublée) confirme l’intérêt de l’assistance.
Enfin, la majeure partie des échecs, dans le groupe des patients traités par assistance, est liée à des complications du système. Une marge
de progrès réside donc à ce niveau : le risque infectieux (18), le risque
thromboembolique (19) et le risque de dysfonction du système peuvent être réduits. Cela permettra de convaincre la communauté médicale de l’efficacité du traitement. Le contrôle de la réponse inflammatoire (20) est également indispensable. La validation de protocoles
permettant de réduire l’incidence de ces divers problèmes est en cours,
reposant beaucoup sur une approche multicentrique, dans le cadre de
grands registres (21, 22).
Pendant l’assistance, l’essentiel des problèmes est constitué par
la prévention du risque infectieux et thromboembolique, ces deux
risques étant par ailleurs très liés, et par le contrôle de la réponse
inflammatoire. La parfaite adhésion du malade au protocole de
rééducation est enfin indispensable. Ce critère, d’une évaluation
prospective, toujours délicate au moment de la décision de l’assistance circulatoire, s’avère déterminant pour la qualité de la
récupération et pour la bonne adaptation du malade à sa machine.
Problèmes financiers
Le coût de l’assistance mécanique, quelles que soient ses modalités, est actuellement considérable. Il comprend d’une part le
coût des prothèses (de 250 000 à 1,2 million de francs pour les
modèles les plus récents) et le coût des soins médicaux et infirmiers dans des structures hautement spécialisée. Les études de
coût/efficacité et de coût/bénéfice réalisées à ce jour (23) soulignent que le succès et l’absence des complications sont importants pour maintenir ce critère à des niveaux acceptables, comparables à ce qui est accepté dans la défaillance d’autres organes.
Cela dit, si les études de coût/efficacité ont un intérêt considérable chez un patient donné, dans la décision de traiter et le choix
des options, la valeur nominale des coûts bruts reste un problème
considérable : il est insupportable dans un système de santé
qui repose sur le budget global, et dans les systèmes où aucun
organisme n’intervient dans la couverture des prothèses.
L’ampleur des coûts à consentir conduit à un problème éthique
délicat : il existe en effet, du fait de ces coûts élevés, un conflit
évident entre l’éthique individuelle, où chaque patient a droit aux
42
soins les plus efficaces, quels que soient les coûts, et l’éthique
collective, où la société a pour obligation d’offrir ces soins à tous
sans discrimination, mais doit en assurer le financement. Les évaluations du marché de l’assistance, dans toutes ses modalités
(environ 2,5 milliards de dollars par an pour les seuls États-Unis),
donnent une bonne idée de l’importance du problème.
■
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La Lettre du Cardiologue - n° 365 - mai 2003
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