
que A.J.S. appelle « emotions of self-giveness » (l’orgueil, la honte et la
culpabilité), je suis révélé à moi-même d’une manière telle qu’il m’est
impossible d’effectuer cette donation de mon propre chef. Ce qui est donné
au sein du rapport à autrui, je ne pourrais le produire moi-même. C’est bien
en ce sens que A.J.S. peut parler de « révélation » : il y a quelque chose que
je découvre au sein de cette réduction morale et, bien que ce quelque chose
soit « moi-même », il m’est impossible d’y accéder par la réflexion.
L’introspection ne peut donc suffire seule à accomplir la réduction morale
étant donné que celle-ci ne peut être amorcée que par ce qu’elle rend
justement explicite : la dimension morale, interrelationnelle de toute exis-
tence. Ce qui est alors suspendu dans la réduction morale, c’est la cohérence
familière de mon expérience selon laquelle je me rapporte couramment à
moi-même et aux autres. Parce qu’elle brise le cours habituel de mon
existence, la réduction morale échappe à toute tentative d’anticipation. Mais
elle engage également la possibilité, voire la nécessité, d’une reprise ou
d’une réorientation de la dynamique du moi sur la base même de ce qu’elle
aura fait apparaître. Ainsi, par exemple, lorsque je ressens de la culpabilité, je
n’expérimente pas simplement les effets d’une faute commise. Plus
fondamentalement, ce qui est en jeu, c’est la manière à chaque fois unique
dont ma dépendance à l’autre apparaît et réactualise la perception courante
que j’ai de moi-même et des autres. C’est cette réactualisation spontanée que
la relation à autrui fait surgir et qui recèle, au sein même du quotidien
apparemment le plus ordinaire, un potentiel critique.
Il faut alors comprendre en quel sens le potentiel critique de la phéno-
ménologie constitue une réévaluation de la place des émotions dans le cadre
de la philosophie à l’égard, notamment, de la psychologie. En effet, selon
A.J.S., l’approche psychologique des émotions se donne comme point de
départ la perspective d’un individu autonome, pris en lui-même et pour lui-
même. De la sorte, elle voilerait la constitution interpersonnelle et dès lors
morale de tout individu. À cet égard, il faut mettre en évidence le rôle
important joué par l’analyse phénoménologique du phénomène de l’orgueil
(Pride). Au contraire de la honte et de la culpabilité, l’orgueil n’est pas
« self-revelatory », bien qu’il induise un rapport singulier du moi à lui-même.
Plutôt, l’orgueil désigne selon A.J.S. une attitude subjective qui se caractérise
par une résistance du moi à l’égard des autres et de leurs contributions dans
mon existence. Dans l’orgueil, le moi se vit comme auteur et fondement de
son existence ; les autres semblent être rejetés au dehors de ce qui fait la
spécificité et la singularité profondes du moi.
Cependant, si l’orgueil consiste bien en une attitude subjective, celle-ci
est aussi fondée sur ce que A.J.S. nomme des lures for pride. Ces « leurres »
Bull. anal. phén. XI 6 (2015)
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