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Pourquoi le post-partum est-il une période à risque
pour la sexualité du couple ?
● A. de Kervasdoué*
ans les quelques mois qui suivent un accouchement,
toutes les conditions sont réunies pour freiner,
voire inhiber, une activité sexuelle qui, dans la
majorité des cas, avait déjà ralenti en fin de grossesse. Ce constat
paraît tellement évident que le médecin a tendance à négliger
l’aspect sexuel pour ne privilégier que les facteurs médicaux proprement dits – infection génitale, hypotonie utérine, lymphangite
du sein ou abcès, hypertension artérielle, hémorroïdes, défaut de
cicatrisation de l’épisiotomie, assurance d’une contraception – et
se réjouir avec la mère de cet heureux événement. Il a raison, car
une fois passés ces désagréments somme toute naturels, les
choses reviennent dans l’ordre pour la plupart des couples.
Et pourtant, cette période peut être un moment délicat à passer,
douloureux pour certains couples, révélateur de troubles psychologiques ou sexuels masqués, et catalyseur de crises.
Certains, marqués durablement, ne se remettront jamais vraiment
de cet épisode. Et longtemps, par ignorance ou par pudeur, la
femme se taira, et la situation perdurera.
Nous, gynécologues, avons le privilège d’exercer un métier où
l’intimité, la proximité physique favorise les échanges et les
confidences sur des sujets habituellement tabous. Prenons garde
à ne pas céder à la facilité de la technicité ; apprenons à détecter
les troubles sexuels au-delà des plaintes exprimées, et à prendre
la peine d’aider nos patientes à les surmonter.
Nous pouvons jouer un rôle utile de dépistage, de prévention,
d’information, de soutien psychologique, et proposer des solutions thérapeutiques, souvent simples.
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APRÈS UN ACCOUCHEMENT PAR VOIE BASSE,
LA SITUATION LOCALE NE PRÉDISPOSE PAS
AUX RAPPROCHEMENTS AMOUREUX
Sur le plan local, il est rare de sortir totalement indemne d’un
accouchement par voie basse, à tel point que certaines femmes,
anticipant déjà les dégâts, réclament à l’avance une césarienne à
leur obstétricien. La question de la place de la césarienne de
convenance est fréquemment soulevée, suscitant des débats au
sein du corps médical et une certaine perplexité de l’obstétricien
face à la demande de sa patiente. Les raisons ne manquent pas,
privilégiant la qualité de vie ultérieure : confort pelvien, sexualité
sans obstacles, meilleure continence anale et urinaire à court et à
long terme. Des risques existent dans les deux cas. Chacun jugera
* Cabinet médical, 5 bis, rue Béranger, 75003 Paris.
La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001
en fonction du contexte et de sa conscience. Pour l’heure, nous
n’évoquerons que les modifications locales après un accouchement, peu propices aux ébats amoureux.
• Au minimum, la femme constate une modification de la sensibilité périnéo-vaginale. La violence du passage – même effectué
dans la douceur – et la distension tissulaire qu’il occasionne
créent un relâchement musculaire et une petite béance vaginale, à
l’origine d’une certaine insensibilité dans le meilleur des cas.
• Pour d’autres, les rapports sexuels réveilleront les petites blessures ou déchirures du périnée et l’inflammation résiduelle
des parois vaginales, elle-même entretenue par l’atrophie liée au
contexte hormonal, sur lequel nous reviendrons. L’inconfort ressenti est bien réel, même en cas de césarienne.
• L’épisiotomie, objet de soins quotidiens et fastidieux, siège de
douleurs localisées pénibles, voire obsessionnelles, dans un certain nombre de circonstances de la journée, ôte toute envie et
même toute idée de pénétration. Un point de suture a pu lâcher, à
l’origine de brûlures, de suintements, de douleurs à la miction. Il
n’est pas rare que la cicatrice s’infecte, obligeant à des soins
redoublés. Dans l’ensemble, plus de la moitié des patientes ressentent des douleurs manifestes après une épisiotomie ou des difficultés lors des rapports sexuels.
• Pour arranger le tout, des fuites urinaires peuvent survenir
inopinément, suscitant désagrément et anxiété. Le traumatisme
subi par le sphincter urinaire est parfois tel qu’il entraîne une dysurie provisoire. Nombre de patientes ne peuvent uriner qu’en
ayant recours à certains petits moyens : entendre de l’eau couler,
s’arroser les pieds, mettre les mains dans l’eau, etc. L’incontinence urinaire est fréquente après un accouchement, et concerne
près de 15 % des jeunes femmes, vraisemblablement plus. Elle est
habituellement modérée et limitée à quelques fuites. Elle se traduit
quelquefois par des signes d’instabilité vésicale (une envie impérieuse d’uriner précède immédiatement la fuite) qui feront rechercher une infection urinaire ou la possibilité d’une miction par
regorgement liée à la péridurale, mais surtout, et le plus souvent,
par une incontinence urinaire d’effort (rires, toux, éternuement…).
Celle-ci reste passagère dans l’immense majorité des cas, mais il
arrive qu’elle soit plus importante et durable. L’incontinence est
due à la distorsion traumatique des tissus lors de l’accouchement ;
il s’ensuit un relâchement des releveurs de l’anus, et parfois un
relâchement des sphincters lisses et striés de l’urètre à l’origine
d’un défaut de verrouillage. Ce risque augmente après une prise
de poids excessive, un accouchement long et difficile, l’usage de
forceps et la naissance d’un bébé de gros poids.
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• L’incontinence anale, beaucoup plus rarement évoquée par les
patientes et par les médecins, qui semblent encore peu la prendre
en considération, embarrassés sur les solutions à proposer,
concerne une primipare sur dix. Un quart seulement des jeunes
mères souffrant de cette incontinence s’en plaignent, par pudeur
souvent, mais aussi parce que les symptômes sont intermittents
ou modérés, et donc relégués au deuxième plan, tant le bébé
accapare leur temps. C’est dire qu’elle est fréquente et grave, car
elle se traduit par des pertes involontaires des selles dans la moitié des cas. Il faudrait immédiatement y penser en cas d’extraction instrumentale par forceps, déchirure périnéale, deuxième
période de travail prolongé, épisiotomie médiane, maladie
inflammatoire de l’intestin (il semblerait que ces accidents
d’incontinence concernent près de deux tiers des patientes présentant un syndrome de l’intestin irritable). Certaines lésions sont
immédiatement identifiées, car les plaies et les déchirures sont
visibles ; d’autres (deux tiers des cas), infracliniques, restent
occultes, et donc préoccupantes. Elles touchent majoritairement
le sphincter anal externe (20 à 45 % des femmes auront une
lésion anatomique), et ne s’accompagnent pas toujours de symptômes d’incontinence qui, de toute façon, dans la moitié des cas,
s’améliorent ou disparaissent dans les mois qui suivent l’accouchement. L’endosonographie permet d’évaluer la nature de ces
lésions pelviennes occultes.
• Les hémorroïdes et leurs complications sont très fréquentes
dans les jours, voire les heures, qui suivent l’accouchement :
thromboses multiples avec réaction œdémateuse marquée. Il faut
parfois intervenir. Dans les cas simples, crèmes, mousses et comprimés soulagent les douleurs.
• La fissure anale atteint 10 % des parturientes au cours des
trois premiers mois suivant l’accouchement. Elle est commissurale antérieure deux fois sur trois. La constipation multiplie son
risque de survenue. Les traitements médicamenteux en viennent à
bout dans la majorité des cas.
• Bref, l’attention de toutes celles qui se sentent ainsi “blessées”
se focalise sur cette région du corps, qui non seulement perd tout
caractère érogène, mais en plus devient intouchable. Cet état est,
bien évidemment, transitoire, mais il semble s’éterniser pour certaines, source de sentiments de dévalorisation et de culpabilité.
• Par ailleurs, la silhouette s’est modifiée sous l’effet du poids et
de la distension du ventre, resté encore mou, marqué parfois de
vergetures, séparé par une ligne blanche pigmentée. Le phénomène est d’autant plus important que la prise de poids est conséquente. La femme, sur le plan vestimentaire, se situe dans une
zone charnière désagréable et mal vécue si elle se prolonge : trop
mince pour porter à nouveau ses robes de grossesse et trop grosse
pour entrer dans ses tenues précédentes.
• Quant aux seins, même en l’absence d’allaitement, ils restent
un certain temps volumineux et déformés, puis parfois flasques.
C’est, pour certaines femmes, l’heure des déceptions : après la
plénitude de la grossesse, le vide ; après la rondeur, le plat. Si
elles allaitent, ils pourront être à l’origine de multiples soucis,
petits et grands : mamelons rétractés ou trop petits, engorgement
mammaire, lymphangite avec fièvre, voire abcès. Bref, ils ont
perdu momentanément leur pouvoir érotique et leurs capacités
érogènes. La peau, elle, a perdu de sa tonicité et peut être marquée de vergetures.
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Ainsi, toutes les zones habituellement dévolues au plaisir sont
transformées en lieux de souffrances et rendent caresses et rapports problématiques. Or, pour avoir envie de rapports, la femme
doit se sentir bien dans son corps.
Ce tableau n’est guère réjouissant, et il est heureux que
l’immense majorité des femmes sur le point d’accoucher ne le
lisent pas, d’autant plus qu’il n’existe aucune prévention, hormis
la césarienne. Cela dit, il semblerait que, même césarisées, les
femmes connaissent une défaillance identique de leur appétence
sexuelle. Un peu d’inconscience ne nuit pas.
Et pourtant, le miracle se produit presque à chaque fois : la nature
répare les dégâts occasionnés, tant bien que mal, parfois seulement en partie. À nous de savoir dépister les lésions pour mieux
les prendre en charge, et surtout de rechercher le problème
“ailleurs” pour éviter à nos patientes une sexualité gâchée.
L’asthénie associée au manque de sommeil est réelle et visible,
même si elle est souvent masquée par un sentiment profond de
bonheur qui fait passer au deuxième plan toutes ces misères corporelles.
LES MODIFICATIONS PHYSIOLOGIQUES NE CONTRIBUENT
GUÈRE À FAVORISER L’APPÉTIT SEXUEL
C’est dans cette période particulière qu’intervient en force la
prolactine, hormone de l’“antidésir” par excellence. Chez celle
qui allaite, les taux de prolactine restent élevés quelques mois,
faisant baisser notablement ceux des estrogènes et autres hormones et neuromédiateurs, avec toutes les conséquences bien
connues : inhibition de la libido, atrophie vulvo-vaginale,
absence de lubrification vaginale, sensibilité accrue aux infections opportunistes, seins gonflés de lait prompt à couler… Pour
les autres, la prise de Parlodel® (habituellement 15 jours) améliore la libido, mais cette amélioration ne se fait pas sans effets
secondaires : nausées, sensations vertigineuses, malaise général.
Par ailleurs, on note une prolongation des saignements pendant
environ un mois et une reprise lente des cycles. Le retour de
couches se fait souvent attendre, parfois dans l’inquiétude. La
micropilule prise par certaines entretient le climat d’atrophie
vaginale, mais elle a l’avantage de minimiser la violence du
retour de couches et d’assurer une contraception. Chez certaines
apparaissent une aménorrhée prolongée, qui devra faire l’objet de
toute l’attention du médecin.
QUEL EST L’ÉTAT D’ESPRIT D’UNE FEMME
QUI VIENT D’ACCOUCHER ?
Une fois le moment d’euphorie passé, les douleurs des blessures
locales apaisées, l’immense fatigue partiellement résorbée, la
femme reprend théoriquement une vie “normale” et active avec
une personne en plus à la maison, et quelle personne ! Un tout
petit bébé totalement dépendant d’elle, de sa nourriture, de sa tendresse, de sa voix et de ses expressions. Il capte toute son attention et son amour. Elle lui consacre son temps disponible.
Il n’est pas inutile de rappeler que la femme d’aujourd’hui a en
moyenne 29 ans au moment de la naissance de son premier
enfant. Elle en avait envie déjà depuis quelques années, mais,
pour diverses raisons, elle différait son projet. C’est un enfant
La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001
voulu, ardemment désiré, très investi sur le plan imaginaire. Elle
a débuté sa vie sexuelle à 17 ans, toujours en moyenne. À la différence de ses aînées, elle a plus de 10 ans d’expérience de la
sexualité et vit en couple avec le futur père depuis plusieurs
années.
Il va lui falloir assumer deux identités et deux rôles : celui de
mère et celui d’épouse. Elle va devoir se partager entre deux personnes qui, à ce moment-là, attendent beaucoup d’elle. La venue
d’un enfant au monde constitue toujours un moment de fragilisation du couple. Les parents vont chercher à construire un nouvel
équilibre, qui va remettre en question non seulement le vécu quotidien, mais encore toutes les valeurs véhiculées par l’éducation
de chacun. Comme l’écrit Pasini, “l’après-naissance – terrain
vague en copropriété – mérite plus d’attentions, plus d’efforts,
plus de concertation surtout, car il est riche de menaces, mais
aussi de promesses”. Le rôle des mères semble rendu encore plus
difficile par les nouvelles exigences des pères, qui se mettent en
position de mères. Compte tenu de l’évolution des femmes, cette
nouvelle répartition des rôles me paraît une bonne chose. Mais
certaines, frustrées du partage de ce rôle qui leur était dévolu,
entrent en rivalité avec leur compagnon et en arrivent à l’affrontement. La naissance d’un enfant va transformer les relations de
communication entre la femme et l’homme. L’enfant est imaginé
et désiré comme celui qui unit. Parfois, son existence réelle
sépare. La naissance est le moment de confrontation entre les
créations imaginaires autour de l’enfant et les frustrations créées
par sa présence.
Chacun devra redéfinir son rôle et son identité dans sa propre vie
et au sein du couple.
L’attitude de l’homme va jouer un rôle déterminant sur le
moral de sa compagne et conditionner en grande partie la suite
des événements. Il devra faire preuve, à ce moment-là, d’une
grande subtilité. Pas toujours facile !
En effet, il a toutes les raisons de se sentir déstabilisé : il a vu se
transformer avec plus ou moins de bonheur le corps de la femme
qu’il a aimée et désirée. Il est vrai que ce temps lui aura permis
de développer sa fibre paternelle. Le traumatisme de l’accouchement a pu altérer l’image érotique du sexe de sa femme. Par
ailleurs, accaparée par les soins constants qu’exige un bébé et
l’amour quasi exclusif qu’elle lui porte, elle n’a presque plus de
temps pour lui. Elle attend plutôt une aide efficace et tendre, sans
pour autant lui déléguer complètement le rôle de mère. Elle n’a
plus de temps pour se consacrer à sa beauté, à l’érotisme et aux
rencontres à deux. Les affaires et les odeurs du bébé envahissent
l’espace. Le père reste en quête d’une place qui lui permette
d’assumer ses fonctions de père ou de mari. Certains y parviennent très bien. D’autres, très installés dans le rôle de l’“unique”,
éprouvent des sentiments de jalousie et se sentent en compétition
avec l’enfant, agacés par le temps et l’énergie consacrés aux
gestes et aux attentions répétées. Sur le plan sexuel, ils se heurtent à une femme peu désireuse, craignant d’avoir mal, et ils ne
retrouvent pas la même tonicité du vagin, dans lequel ils ont
l’impression de flotter.
Il se sent exclu, il a peur d’être abandonné au profit du couple
formé par la mère et l’enfant, et n’aime pas ce rôle de tiers qu’on
lui assigne. Il se sent frustré et il ne peut l’exprimer, par décence.
La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001
Son désir baisse, car il sent sa femme moins disponible, et il ne
l’accepte pas volontiers. Les relations sexuelles deviennent plus
rares, car elles sont mal vécues par l’un ou par l’autre, ou par les
deux. Certains couples vivront difficilement le deuil de leur vie
amoureuse à deux et en garderont la nostalgie longtemps.
Compte tenu de toutes ces craintes et des difficultés rencontrées,
certains – au moins 10 % – sont atteints par des symptômes peu
habituels : nausées, voire vomissements, insomnies, prise de
poids, irritabilité, autant de manifestations d’anxiété non exprimée
et d’ambivalence. Le deuil de cette vie amoureuse à deux pourra
être difficile à vivre pour certains qui en garderont la nostalgie
longtemps. De sa compréhension, de sa douceur, de son désir maîtrisé par étapes progressives dépendra leur future relation.
D’autres hommes, en recréant une mère, perdent toutes leurs
facultés viriles et deviennent asexués avec la paternité. “Ils
découvrent que leur propre mère, en interdisant toute représentation de sa féminité, les a profondément inhibés dans leur
construction sexuelle” (Didier Dumas). Ils n’avaient jusque-là
rencontré aucun problème avec leur femme. Bien souvent, seule
une véritable analyse de leur inconscient parviendra à lever progressivement cette inhibition. D’autres n’y parviendront jamais,
quels que soient les efforts de leur femme pour les reconquérir.
À ce stade encore, la femme devra surmonter certains maux qui
lui gâchent l’existence : douleurs vaginales résiduelles (en particulier si elle continue à allaiter ou si la reprise hormonale tarde
trop), fatigue insurmontable, difficulté à maigrir, etc. À cause de
l’épisiotomie, la femme peut développer des peurs : peur du
contact, peur d’uriner, peur de regarder la cicatrice sanguinolente
qui semble s’ouvrir à chaque instant, peur de conserver un trou
béant. Cette peur de la douleur anticipée envahit son imaginaire
et crée le cercle vicieux de l’évitement.
Il lui faut reconstruire son image érotique, gommée pour un
temps. Elle a perdu ses repères corporels : les seins deviennent
une source de nourriture, le vagin a servi au passage de l’enfant.
Elle a subi une mutation : la mère a provisoirement pris le pas sur
la femme. Pour plus ou moins longtemps.
Pire que tout, elle n’éprouve plus de désir. Cet état lui fait retarder la reprise des rapports même bien au-delà des deux mois suivant l’accouchement. Elle cède pour satisfaire son mari impatient
(à l’exception de ceux qui sont victimes d’une inhibition totale, et
certains, hélas, pour longtemps), et pour l’amour qu’il lui manifeste ainsi ; elle cède aussi parce que son désir à lui la rassure sur
sa féminité et sa capacité de plaire. Elle se laisse faire pour lui
faire plaisir, pour se faire pardonner son manque de présence,
mais elle éprouve rarement du plaisir, d’autant que sa réponse
sexuelle est lente.
Sensible aux états d’âme et aux frustrations de son compagnon,
elle éprouvera un sentiment de culpabilité croissant au fur et à
mesure que la situation insatisfaisante se prolongera. Il paraît évident que tous ces désagréments seront vécus différemment selon
son degré de vulnérabilité psychique, le contexte environnant,
l’attitude du père, son goût antérieur pour la sexualité.
Mais il n’est pas rare que l’anxiété, le doute, l’asthénie, le
manque de sommeil, l’image physique dévalorisée de soi, les
douleurs diverses contribuent à faire le lit de la dépression, au
départ appelée “baby blues”, mais qui, si elle dure ou prend des
proportions importantes, doit être traitée comme telle. Le baby
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blues atteint plus ou moins, probablement, toutes les femmes. Sa
durée est brève, mais si elle excède un mois, ou si des symptômes
dépressifs étaient déjà apparus en fin de grossesse, nous devons
consacrer à notre patiente une attention particulière, la surveiller
ou lui proposer le nom d’un spécialiste du cerveau. La dépression
se traduit par une inhibition psychomotrice polymorphe, ou du
moins par une perte d’intérêt ou de plaisir dans les activités habituelles. Les symptômes le plus souvent évoqués sont l’insomnie,
une difficulté de concentration, l’asthénie, l’irritabilité, un sentiment de dévalorisation et de culpabilité, le repli sur soi, et, chez
la femme encore plus que chez l’homme, une perte d’intérêt pour
la sexualité : déficience de la libido, absence de lubrification,
dyspareunie, absence de plaisir et indifférence. Tout cela conduit
à un espacement des rapports sexuels, à une agressivité latente ou
exprimée du partenaire, à un sentiment de culpabilité, et retentit
sur l’image de soi pour fragiliser davantage. Dans certains cas,
cet état se mue en véritable aversion sexuelle, c’est-à-dire en une
hostilité totale à l’égard du sexe, ce qui n’arrange rien.
Le post-partum et l’année qui le suit constituent une période à
haut risque de dépression. Celle-ci se manifeste de plusieurs
façons, allant de l’accès dépressif grave exigeant une hospitalisation à la dépression chronique sous-estimée au départ, en passant
par la dépression névrotique liée à un excès d’anxiété (10 à 15 %
des jeunes accouchées).
La dépression de la mère interfère indiscutablement sur sa relation avec l’enfant, qui manifestera à sa façon sa souffrance :
pleurs fréquents, moindre qualité d’attachement, troubles du
comportement alimentaire, troubles du sommeil et du développement psychique. De même, inévitablement, en lassant le compagnon, cet état dépressif altère la relation amoureuse du couple.
Raisons de plus pour intervenir sans tarder.
Nous connaissons mieux maintenant le rôle des neurotransmetteurs sur les mécanismes de la dépression. C’est le même déséquilibre biochimique qui est à l’origine de la symptomatologie
sexuelle, et les mêmes médicaments sont efficaces.
CONCRÈTEMENT, QUEL RÔLE POUVONS-NOUS JOUER
POUR AIDER NOS PATIENTES LES PLUS FRAGILISÉES
PAR UNE NAISSANCE ?
• De notre attitude dépendra la qualité de la relation de
confiance. Discrétion et pudeur s’imposent au cours de la consultation. Aucune question ne doit être vécue par la patiente comme
embarrassante ou insistante, sous peine d’inquiéter ou de culpabiliser. Le choix des mots est important. Il s’apprend. Comme
s’acquièrent, avec l’expérience, l’écoute et le savoir-faire, l’effet
“naturel” du ton adopté.
• Les conseils devront s’adapter au profil psychologique et à la
réceptivité de chaque femme, et être ciblés sur des idées ou des
arguments qui font mouche. Savoir être rassurant sur ce qui va se
résoudre rapidement (la cicatrisation de l’épisiotomie par
exemple) et alerter sur les risques potentiels susceptibles de prévention.
• Dépister les anomalies physiques susceptibles d’inhiber ou
de freiner la sexualité : blessure vulvaire ou vaginale, douleur
profonde faisant craindre une atteinte ligamentaire haute, début
d’incontinence urinaire ou anale, faiblesse des releveurs ou
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béance vaginale, mais aussi aménorrhée prolongée. Encourager
la prise en charge globale du périnée : non seulement rééducation
personnelle et instrumentale, mais aussi divers conseils comportementaux pour garder un périnée tonique et une sexualité harmonieuse. Le rôle de cette rééducation n’est pas uniquement la
prévention de l’incontinence ou du prolapsus, il est aussi celui de
favoriser le plaisir de chacun dans une relation sexuelle. Les
Asiatiques, qui commencent leurs exercices périnéaux dès l’adolescence, l’ont bien compris.
• Aider la femme à retrouver une image valorisante et séduisante d’elle-même : l’exhorter à maigrir si elle a pris trop de
poids, sachant que certaines femmes semblent s’enlaidir à dessein par peur d’être désirées et sollicitées sur le plan sexuel, et à
ne pas prolonger trop longtemps l’allaitement, qui maintient un
taux de prolactine élevé et diminue celui des estrogènes, par
essence hormones du désir. Par ailleurs, la double fonction des
seins, érogène et alimentaire, peut semer le trouble dans l’esprit
de la femme comme dans celui de l’homme. Il faut l’encourager
à se remuscler et à prendre soin de son corps.
• Lui dire de reprendre les rapports si elle semble réticente et si les
conditions locales le permettent. L’inactivité sexuelle est un inhibiteur du désir. Trop attendre fait perdre le goût de faire l’amour. Au
besoin, prescrire des crèmes trophiques ou des gels lubrifiants.
• Libérer la femme de ses craintes et de ses maux pour
qu’enfin, elle se sente bien dans son corps et s’épanouisse sexuellement.
Savoir déceler le trouble psychologique et/ou sexuel à travers
la plainte somatique.
• Profiter de l’occasion fournie par le moindre signe envoyé par
la patiente, plus ou moins consciemment, pour ne pas passer à
côté d’une problématique plus sérieuse : “je suis fatiguée”, “j’ai
mal pendant les rapports”, “mon mari m’en veut”, “je n’ai plus
de désir”, “je n’ai pas besoin de contraception pour le moment”,
en particulier au-delà des deux mois suivant l’accouchement.
Tenir compte du contexte environnant : relation avec la belle
famille, modifications économiques, habitudes territoriales
(l’enfant dort-il dans une chambre à part ?), du fonctionnement
sexuel antérieur, du désir partagé ou non d’enfant. Certaines
femmes cherchent inconsciemment à compenser avec un enfant
un manque affectif de leur enfance. Elles attendaient en réalité de
leur mari qu’il soit un géniteur avant tout, un père souvent, beaucoup plus rarement un amant. Une fois l’enfant né, ces femmes
semblent être devenues frigides, comme si leur libido antérieure
n’était mue que par un désir obsessionnel d’enfant.
• Encourager le couple à s’organiser pour se séparer de l’enfant
de temps en temps afin de retrouver une vie à deux pendant
quelques jours. Donner quelques idées ou conseils pratiques.
Enfin, si le blocage sur la reprise des rapports persiste, malgré les
antiasthéniques, orienter selon le contexte (dépression, facteurs
familiaux hostiles, trouble sexuel) vers un psychiatre, un psychothérapeute ou un sexologue.
Davantage qu’une lésion organique, le plus souvent résolutive, il
me semble que c’est la dépression, le plus souvent masquée, qu’il
faut savoir dépister et traiter rapidement pour éviter qu’elle ne s’installe durablement. C’est elle qui est majoritairement responsable de
la symptomatologie sexuelle pathologique la plus fréquente.
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La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001
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