D O S S I E R Pourquoi le post-partum est-il une période à risque pour la sexualité du couple ? ● A. de Kervasdoué* ans les quelques mois qui suivent un accouchement, toutes les conditions sont réunies pour freiner, voire inhiber, une activité sexuelle qui, dans la majorité des cas, avait déjà ralenti en fin de grossesse. Ce constat paraît tellement évident que le médecin a tendance à négliger l’aspect sexuel pour ne privilégier que les facteurs médicaux proprement dits – infection génitale, hypotonie utérine, lymphangite du sein ou abcès, hypertension artérielle, hémorroïdes, défaut de cicatrisation de l’épisiotomie, assurance d’une contraception – et se réjouir avec la mère de cet heureux événement. Il a raison, car une fois passés ces désagréments somme toute naturels, les choses reviennent dans l’ordre pour la plupart des couples. Et pourtant, cette période peut être un moment délicat à passer, douloureux pour certains couples, révélateur de troubles psychologiques ou sexuels masqués, et catalyseur de crises. Certains, marqués durablement, ne se remettront jamais vraiment de cet épisode. Et longtemps, par ignorance ou par pudeur, la femme se taira, et la situation perdurera. Nous, gynécologues, avons le privilège d’exercer un métier où l’intimité, la proximité physique favorise les échanges et les confidences sur des sujets habituellement tabous. Prenons garde à ne pas céder à la facilité de la technicité ; apprenons à détecter les troubles sexuels au-delà des plaintes exprimées, et à prendre la peine d’aider nos patientes à les surmonter. Nous pouvons jouer un rôle utile de dépistage, de prévention, d’information, de soutien psychologique, et proposer des solutions thérapeutiques, souvent simples. D APRÈS UN ACCOUCHEMENT PAR VOIE BASSE, LA SITUATION LOCALE NE PRÉDISPOSE PAS AUX RAPPROCHEMENTS AMOUREUX Sur le plan local, il est rare de sortir totalement indemne d’un accouchement par voie basse, à tel point que certaines femmes, anticipant déjà les dégâts, réclament à l’avance une césarienne à leur obstétricien. La question de la place de la césarienne de convenance est fréquemment soulevée, suscitant des débats au sein du corps médical et une certaine perplexité de l’obstétricien face à la demande de sa patiente. Les raisons ne manquent pas, privilégiant la qualité de vie ultérieure : confort pelvien, sexualité sans obstacles, meilleure continence anale et urinaire à court et à long terme. Des risques existent dans les deux cas. Chacun jugera * Cabinet médical, 5 bis, rue Béranger, 75003 Paris. La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001 en fonction du contexte et de sa conscience. Pour l’heure, nous n’évoquerons que les modifications locales après un accouchement, peu propices aux ébats amoureux. • Au minimum, la femme constate une modification de la sensibilité périnéo-vaginale. La violence du passage – même effectué dans la douceur – et la distension tissulaire qu’il occasionne créent un relâchement musculaire et une petite béance vaginale, à l’origine d’une certaine insensibilité dans le meilleur des cas. • Pour d’autres, les rapports sexuels réveilleront les petites blessures ou déchirures du périnée et l’inflammation résiduelle des parois vaginales, elle-même entretenue par l’atrophie liée au contexte hormonal, sur lequel nous reviendrons. L’inconfort ressenti est bien réel, même en cas de césarienne. • L’épisiotomie, objet de soins quotidiens et fastidieux, siège de douleurs localisées pénibles, voire obsessionnelles, dans un certain nombre de circonstances de la journée, ôte toute envie et même toute idée de pénétration. Un point de suture a pu lâcher, à l’origine de brûlures, de suintements, de douleurs à la miction. Il n’est pas rare que la cicatrice s’infecte, obligeant à des soins redoublés. Dans l’ensemble, plus de la moitié des patientes ressentent des douleurs manifestes après une épisiotomie ou des difficultés lors des rapports sexuels. • Pour arranger le tout, des fuites urinaires peuvent survenir inopinément, suscitant désagrément et anxiété. Le traumatisme subi par le sphincter urinaire est parfois tel qu’il entraîne une dysurie provisoire. Nombre de patientes ne peuvent uriner qu’en ayant recours à certains petits moyens : entendre de l’eau couler, s’arroser les pieds, mettre les mains dans l’eau, etc. L’incontinence urinaire est fréquente après un accouchement, et concerne près de 15 % des jeunes femmes, vraisemblablement plus. Elle est habituellement modérée et limitée à quelques fuites. Elle se traduit quelquefois par des signes d’instabilité vésicale (une envie impérieuse d’uriner précède immédiatement la fuite) qui feront rechercher une infection urinaire ou la possibilité d’une miction par regorgement liée à la péridurale, mais surtout, et le plus souvent, par une incontinence urinaire d’effort (rires, toux, éternuement…). Celle-ci reste passagère dans l’immense majorité des cas, mais il arrive qu’elle soit plus importante et durable. L’incontinence est due à la distorsion traumatique des tissus lors de l’accouchement ; il s’ensuit un relâchement des releveurs de l’anus, et parfois un relâchement des sphincters lisses et striés de l’urètre à l’origine d’un défaut de verrouillage. Ce risque augmente après une prise de poids excessive, un accouchement long et difficile, l’usage de forceps et la naissance d’un bébé de gros poids. 19 D O S S I E • L’incontinence anale, beaucoup plus rarement évoquée par les patientes et par les médecins, qui semblent encore peu la prendre en considération, embarrassés sur les solutions à proposer, concerne une primipare sur dix. Un quart seulement des jeunes mères souffrant de cette incontinence s’en plaignent, par pudeur souvent, mais aussi parce que les symptômes sont intermittents ou modérés, et donc relégués au deuxième plan, tant le bébé accapare leur temps. C’est dire qu’elle est fréquente et grave, car elle se traduit par des pertes involontaires des selles dans la moitié des cas. Il faudrait immédiatement y penser en cas d’extraction instrumentale par forceps, déchirure périnéale, deuxième période de travail prolongé, épisiotomie médiane, maladie inflammatoire de l’intestin (il semblerait que ces accidents d’incontinence concernent près de deux tiers des patientes présentant un syndrome de l’intestin irritable). Certaines lésions sont immédiatement identifiées, car les plaies et les déchirures sont visibles ; d’autres (deux tiers des cas), infracliniques, restent occultes, et donc préoccupantes. Elles touchent majoritairement le sphincter anal externe (20 à 45 % des femmes auront une lésion anatomique), et ne s’accompagnent pas toujours de symptômes d’incontinence qui, de toute façon, dans la moitié des cas, s’améliorent ou disparaissent dans les mois qui suivent l’accouchement. L’endosonographie permet d’évaluer la nature de ces lésions pelviennes occultes. • Les hémorroïdes et leurs complications sont très fréquentes dans les jours, voire les heures, qui suivent l’accouchement : thromboses multiples avec réaction œdémateuse marquée. Il faut parfois intervenir. Dans les cas simples, crèmes, mousses et comprimés soulagent les douleurs. • La fissure anale atteint 10 % des parturientes au cours des trois premiers mois suivant l’accouchement. Elle est commissurale antérieure deux fois sur trois. La constipation multiplie son risque de survenue. Les traitements médicamenteux en viennent à bout dans la majorité des cas. • Bref, l’attention de toutes celles qui se sentent ainsi “blessées” se focalise sur cette région du corps, qui non seulement perd tout caractère érogène, mais en plus devient intouchable. Cet état est, bien évidemment, transitoire, mais il semble s’éterniser pour certaines, source de sentiments de dévalorisation et de culpabilité. • Par ailleurs, la silhouette s’est modifiée sous l’effet du poids et de la distension du ventre, resté encore mou, marqué parfois de vergetures, séparé par une ligne blanche pigmentée. Le phénomène est d’autant plus important que la prise de poids est conséquente. La femme, sur le plan vestimentaire, se situe dans une zone charnière désagréable et mal vécue si elle se prolonge : trop mince pour porter à nouveau ses robes de grossesse et trop grosse pour entrer dans ses tenues précédentes. • Quant aux seins, même en l’absence d’allaitement, ils restent un certain temps volumineux et déformés, puis parfois flasques. C’est, pour certaines femmes, l’heure des déceptions : après la plénitude de la grossesse, le vide ; après la rondeur, le plat. Si elles allaitent, ils pourront être à l’origine de multiples soucis, petits et grands : mamelons rétractés ou trop petits, engorgement mammaire, lymphangite avec fièvre, voire abcès. Bref, ils ont perdu momentanément leur pouvoir érotique et leurs capacités érogènes. La peau, elle, a perdu de sa tonicité et peut être marquée de vergetures. 20 R Ainsi, toutes les zones habituellement dévolues au plaisir sont transformées en lieux de souffrances et rendent caresses et rapports problématiques. Or, pour avoir envie de rapports, la femme doit se sentir bien dans son corps. Ce tableau n’est guère réjouissant, et il est heureux que l’immense majorité des femmes sur le point d’accoucher ne le lisent pas, d’autant plus qu’il n’existe aucune prévention, hormis la césarienne. Cela dit, il semblerait que, même césarisées, les femmes connaissent une défaillance identique de leur appétence sexuelle. Un peu d’inconscience ne nuit pas. Et pourtant, le miracle se produit presque à chaque fois : la nature répare les dégâts occasionnés, tant bien que mal, parfois seulement en partie. À nous de savoir dépister les lésions pour mieux les prendre en charge, et surtout de rechercher le problème “ailleurs” pour éviter à nos patientes une sexualité gâchée. L’asthénie associée au manque de sommeil est réelle et visible, même si elle est souvent masquée par un sentiment profond de bonheur qui fait passer au deuxième plan toutes ces misères corporelles. LES MODIFICATIONS PHYSIOLOGIQUES NE CONTRIBUENT GUÈRE À FAVORISER L’APPÉTIT SEXUEL C’est dans cette période particulière qu’intervient en force la prolactine, hormone de l’“antidésir” par excellence. Chez celle qui allaite, les taux de prolactine restent élevés quelques mois, faisant baisser notablement ceux des estrogènes et autres hormones et neuromédiateurs, avec toutes les conséquences bien connues : inhibition de la libido, atrophie vulvo-vaginale, absence de lubrification vaginale, sensibilité accrue aux infections opportunistes, seins gonflés de lait prompt à couler… Pour les autres, la prise de Parlodel® (habituellement 15 jours) améliore la libido, mais cette amélioration ne se fait pas sans effets secondaires : nausées, sensations vertigineuses, malaise général. Par ailleurs, on note une prolongation des saignements pendant environ un mois et une reprise lente des cycles. Le retour de couches se fait souvent attendre, parfois dans l’inquiétude. La micropilule prise par certaines entretient le climat d’atrophie vaginale, mais elle a l’avantage de minimiser la violence du retour de couches et d’assurer une contraception. Chez certaines apparaissent une aménorrhée prolongée, qui devra faire l’objet de toute l’attention du médecin. QUEL EST L’ÉTAT D’ESPRIT D’UNE FEMME QUI VIENT D’ACCOUCHER ? Une fois le moment d’euphorie passé, les douleurs des blessures locales apaisées, l’immense fatigue partiellement résorbée, la femme reprend théoriquement une vie “normale” et active avec une personne en plus à la maison, et quelle personne ! Un tout petit bébé totalement dépendant d’elle, de sa nourriture, de sa tendresse, de sa voix et de ses expressions. Il capte toute son attention et son amour. Elle lui consacre son temps disponible. Il n’est pas inutile de rappeler que la femme d’aujourd’hui a en moyenne 29 ans au moment de la naissance de son premier enfant. Elle en avait envie déjà depuis quelques années, mais, pour diverses raisons, elle différait son projet. C’est un enfant La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001 voulu, ardemment désiré, très investi sur le plan imaginaire. Elle a débuté sa vie sexuelle à 17 ans, toujours en moyenne. À la différence de ses aînées, elle a plus de 10 ans d’expérience de la sexualité et vit en couple avec le futur père depuis plusieurs années. Il va lui falloir assumer deux identités et deux rôles : celui de mère et celui d’épouse. Elle va devoir se partager entre deux personnes qui, à ce moment-là, attendent beaucoup d’elle. La venue d’un enfant au monde constitue toujours un moment de fragilisation du couple. Les parents vont chercher à construire un nouvel équilibre, qui va remettre en question non seulement le vécu quotidien, mais encore toutes les valeurs véhiculées par l’éducation de chacun. Comme l’écrit Pasini, “l’après-naissance – terrain vague en copropriété – mérite plus d’attentions, plus d’efforts, plus de concertation surtout, car il est riche de menaces, mais aussi de promesses”. Le rôle des mères semble rendu encore plus difficile par les nouvelles exigences des pères, qui se mettent en position de mères. Compte tenu de l’évolution des femmes, cette nouvelle répartition des rôles me paraît une bonne chose. Mais certaines, frustrées du partage de ce rôle qui leur était dévolu, entrent en rivalité avec leur compagnon et en arrivent à l’affrontement. La naissance d’un enfant va transformer les relations de communication entre la femme et l’homme. L’enfant est imaginé et désiré comme celui qui unit. Parfois, son existence réelle sépare. La naissance est le moment de confrontation entre les créations imaginaires autour de l’enfant et les frustrations créées par sa présence. Chacun devra redéfinir son rôle et son identité dans sa propre vie et au sein du couple. L’attitude de l’homme va jouer un rôle déterminant sur le moral de sa compagne et conditionner en grande partie la suite des événements. Il devra faire preuve, à ce moment-là, d’une grande subtilité. Pas toujours facile ! En effet, il a toutes les raisons de se sentir déstabilisé : il a vu se transformer avec plus ou moins de bonheur le corps de la femme qu’il a aimée et désirée. Il est vrai que ce temps lui aura permis de développer sa fibre paternelle. Le traumatisme de l’accouchement a pu altérer l’image érotique du sexe de sa femme. Par ailleurs, accaparée par les soins constants qu’exige un bébé et l’amour quasi exclusif qu’elle lui porte, elle n’a presque plus de temps pour lui. Elle attend plutôt une aide efficace et tendre, sans pour autant lui déléguer complètement le rôle de mère. Elle n’a plus de temps pour se consacrer à sa beauté, à l’érotisme et aux rencontres à deux. Les affaires et les odeurs du bébé envahissent l’espace. Le père reste en quête d’une place qui lui permette d’assumer ses fonctions de père ou de mari. Certains y parviennent très bien. D’autres, très installés dans le rôle de l’“unique”, éprouvent des sentiments de jalousie et se sentent en compétition avec l’enfant, agacés par le temps et l’énergie consacrés aux gestes et aux attentions répétées. Sur le plan sexuel, ils se heurtent à une femme peu désireuse, craignant d’avoir mal, et ils ne retrouvent pas la même tonicité du vagin, dans lequel ils ont l’impression de flotter. Il se sent exclu, il a peur d’être abandonné au profit du couple formé par la mère et l’enfant, et n’aime pas ce rôle de tiers qu’on lui assigne. Il se sent frustré et il ne peut l’exprimer, par décence. La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001 Son désir baisse, car il sent sa femme moins disponible, et il ne l’accepte pas volontiers. Les relations sexuelles deviennent plus rares, car elles sont mal vécues par l’un ou par l’autre, ou par les deux. Certains couples vivront difficilement le deuil de leur vie amoureuse à deux et en garderont la nostalgie longtemps. Compte tenu de toutes ces craintes et des difficultés rencontrées, certains – au moins 10 % – sont atteints par des symptômes peu habituels : nausées, voire vomissements, insomnies, prise de poids, irritabilité, autant de manifestations d’anxiété non exprimée et d’ambivalence. Le deuil de cette vie amoureuse à deux pourra être difficile à vivre pour certains qui en garderont la nostalgie longtemps. De sa compréhension, de sa douceur, de son désir maîtrisé par étapes progressives dépendra leur future relation. D’autres hommes, en recréant une mère, perdent toutes leurs facultés viriles et deviennent asexués avec la paternité. “Ils découvrent que leur propre mère, en interdisant toute représentation de sa féminité, les a profondément inhibés dans leur construction sexuelle” (Didier Dumas). Ils n’avaient jusque-là rencontré aucun problème avec leur femme. Bien souvent, seule une véritable analyse de leur inconscient parviendra à lever progressivement cette inhibition. D’autres n’y parviendront jamais, quels que soient les efforts de leur femme pour les reconquérir. À ce stade encore, la femme devra surmonter certains maux qui lui gâchent l’existence : douleurs vaginales résiduelles (en particulier si elle continue à allaiter ou si la reprise hormonale tarde trop), fatigue insurmontable, difficulté à maigrir, etc. À cause de l’épisiotomie, la femme peut développer des peurs : peur du contact, peur d’uriner, peur de regarder la cicatrice sanguinolente qui semble s’ouvrir à chaque instant, peur de conserver un trou béant. Cette peur de la douleur anticipée envahit son imaginaire et crée le cercle vicieux de l’évitement. Il lui faut reconstruire son image érotique, gommée pour un temps. Elle a perdu ses repères corporels : les seins deviennent une source de nourriture, le vagin a servi au passage de l’enfant. Elle a subi une mutation : la mère a provisoirement pris le pas sur la femme. Pour plus ou moins longtemps. Pire que tout, elle n’éprouve plus de désir. Cet état lui fait retarder la reprise des rapports même bien au-delà des deux mois suivant l’accouchement. Elle cède pour satisfaire son mari impatient (à l’exception de ceux qui sont victimes d’une inhibition totale, et certains, hélas, pour longtemps), et pour l’amour qu’il lui manifeste ainsi ; elle cède aussi parce que son désir à lui la rassure sur sa féminité et sa capacité de plaire. Elle se laisse faire pour lui faire plaisir, pour se faire pardonner son manque de présence, mais elle éprouve rarement du plaisir, d’autant que sa réponse sexuelle est lente. Sensible aux états d’âme et aux frustrations de son compagnon, elle éprouvera un sentiment de culpabilité croissant au fur et à mesure que la situation insatisfaisante se prolongera. Il paraît évident que tous ces désagréments seront vécus différemment selon son degré de vulnérabilité psychique, le contexte environnant, l’attitude du père, son goût antérieur pour la sexualité. Mais il n’est pas rare que l’anxiété, le doute, l’asthénie, le manque de sommeil, l’image physique dévalorisée de soi, les douleurs diverses contribuent à faire le lit de la dépression, au départ appelée “baby blues”, mais qui, si elle dure ou prend des proportions importantes, doit être traitée comme telle. Le baby 21 D O S S I E blues atteint plus ou moins, probablement, toutes les femmes. Sa durée est brève, mais si elle excède un mois, ou si des symptômes dépressifs étaient déjà apparus en fin de grossesse, nous devons consacrer à notre patiente une attention particulière, la surveiller ou lui proposer le nom d’un spécialiste du cerveau. La dépression se traduit par une inhibition psychomotrice polymorphe, ou du moins par une perte d’intérêt ou de plaisir dans les activités habituelles. Les symptômes le plus souvent évoqués sont l’insomnie, une difficulté de concentration, l’asthénie, l’irritabilité, un sentiment de dévalorisation et de culpabilité, le repli sur soi, et, chez la femme encore plus que chez l’homme, une perte d’intérêt pour la sexualité : déficience de la libido, absence de lubrification, dyspareunie, absence de plaisir et indifférence. Tout cela conduit à un espacement des rapports sexuels, à une agressivité latente ou exprimée du partenaire, à un sentiment de culpabilité, et retentit sur l’image de soi pour fragiliser davantage. Dans certains cas, cet état se mue en véritable aversion sexuelle, c’est-à-dire en une hostilité totale à l’égard du sexe, ce qui n’arrange rien. Le post-partum et l’année qui le suit constituent une période à haut risque de dépression. Celle-ci se manifeste de plusieurs façons, allant de l’accès dépressif grave exigeant une hospitalisation à la dépression chronique sous-estimée au départ, en passant par la dépression névrotique liée à un excès d’anxiété (10 à 15 % des jeunes accouchées). La dépression de la mère interfère indiscutablement sur sa relation avec l’enfant, qui manifestera à sa façon sa souffrance : pleurs fréquents, moindre qualité d’attachement, troubles du comportement alimentaire, troubles du sommeil et du développement psychique. De même, inévitablement, en lassant le compagnon, cet état dépressif altère la relation amoureuse du couple. Raisons de plus pour intervenir sans tarder. Nous connaissons mieux maintenant le rôle des neurotransmetteurs sur les mécanismes de la dépression. C’est le même déséquilibre biochimique qui est à l’origine de la symptomatologie sexuelle, et les mêmes médicaments sont efficaces. CONCRÈTEMENT, QUEL RÔLE POUVONS-NOUS JOUER POUR AIDER NOS PATIENTES LES PLUS FRAGILISÉES PAR UNE NAISSANCE ? • De notre attitude dépendra la qualité de la relation de confiance. Discrétion et pudeur s’imposent au cours de la consultation. Aucune question ne doit être vécue par la patiente comme embarrassante ou insistante, sous peine d’inquiéter ou de culpabiliser. Le choix des mots est important. Il s’apprend. Comme s’acquièrent, avec l’expérience, l’écoute et le savoir-faire, l’effet “naturel” du ton adopté. • Les conseils devront s’adapter au profil psychologique et à la réceptivité de chaque femme, et être ciblés sur des idées ou des arguments qui font mouche. Savoir être rassurant sur ce qui va se résoudre rapidement (la cicatrisation de l’épisiotomie par exemple) et alerter sur les risques potentiels susceptibles de prévention. • Dépister les anomalies physiques susceptibles d’inhiber ou de freiner la sexualité : blessure vulvaire ou vaginale, douleur profonde faisant craindre une atteinte ligamentaire haute, début d’incontinence urinaire ou anale, faiblesse des releveurs ou 22 R béance vaginale, mais aussi aménorrhée prolongée. Encourager la prise en charge globale du périnée : non seulement rééducation personnelle et instrumentale, mais aussi divers conseils comportementaux pour garder un périnée tonique et une sexualité harmonieuse. Le rôle de cette rééducation n’est pas uniquement la prévention de l’incontinence ou du prolapsus, il est aussi celui de favoriser le plaisir de chacun dans une relation sexuelle. Les Asiatiques, qui commencent leurs exercices périnéaux dès l’adolescence, l’ont bien compris. • Aider la femme à retrouver une image valorisante et séduisante d’elle-même : l’exhorter à maigrir si elle a pris trop de poids, sachant que certaines femmes semblent s’enlaidir à dessein par peur d’être désirées et sollicitées sur le plan sexuel, et à ne pas prolonger trop longtemps l’allaitement, qui maintient un taux de prolactine élevé et diminue celui des estrogènes, par essence hormones du désir. Par ailleurs, la double fonction des seins, érogène et alimentaire, peut semer le trouble dans l’esprit de la femme comme dans celui de l’homme. Il faut l’encourager à se remuscler et à prendre soin de son corps. • Lui dire de reprendre les rapports si elle semble réticente et si les conditions locales le permettent. L’inactivité sexuelle est un inhibiteur du désir. Trop attendre fait perdre le goût de faire l’amour. Au besoin, prescrire des crèmes trophiques ou des gels lubrifiants. • Libérer la femme de ses craintes et de ses maux pour qu’enfin, elle se sente bien dans son corps et s’épanouisse sexuellement. Savoir déceler le trouble psychologique et/ou sexuel à travers la plainte somatique. • Profiter de l’occasion fournie par le moindre signe envoyé par la patiente, plus ou moins consciemment, pour ne pas passer à côté d’une problématique plus sérieuse : “je suis fatiguée”, “j’ai mal pendant les rapports”, “mon mari m’en veut”, “je n’ai plus de désir”, “je n’ai pas besoin de contraception pour le moment”, en particulier au-delà des deux mois suivant l’accouchement. Tenir compte du contexte environnant : relation avec la belle famille, modifications économiques, habitudes territoriales (l’enfant dort-il dans une chambre à part ?), du fonctionnement sexuel antérieur, du désir partagé ou non d’enfant. Certaines femmes cherchent inconsciemment à compenser avec un enfant un manque affectif de leur enfance. Elles attendaient en réalité de leur mari qu’il soit un géniteur avant tout, un père souvent, beaucoup plus rarement un amant. Une fois l’enfant né, ces femmes semblent être devenues frigides, comme si leur libido antérieure n’était mue que par un désir obsessionnel d’enfant. • Encourager le couple à s’organiser pour se séparer de l’enfant de temps en temps afin de retrouver une vie à deux pendant quelques jours. Donner quelques idées ou conseils pratiques. Enfin, si le blocage sur la reprise des rapports persiste, malgré les antiasthéniques, orienter selon le contexte (dépression, facteurs familiaux hostiles, trouble sexuel) vers un psychiatre, un psychothérapeute ou un sexologue. Davantage qu’une lésion organique, le plus souvent résolutive, il me semble que c’est la dépression, le plus souvent masquée, qu’il faut savoir dépister et traiter rapidement pour éviter qu’elle ne s’installe durablement. C’est elle qui est majoritairement responsable de la symptomatologie sexuelle pathologique la plus fréquente. ■ La Lettre du Gynécologue - n° 267 - décembre 2001