> ACTUALITÉS neurosciences > Behavioural Brain Research > European Journal of Neuroscience > Nature > NeuroImage > Neuron > Molecular psychiatry > Science > Trends in Neuroscience > Neurobiology of Learning and Memory > PNAS À la découverte d’un double rôle de la dopamine dans la maladie de Huntington > D. Charvin*, J. Caboche* > ACTUALITÉS neurosciences Charvin D, Vanhoutte P, Pages C et al. Unraveling a role for dopamine in Huntington’s disease: the dual role of reactive oxygen species and D2 receptor stimulation. Proc Natl Acad Sci 2005;102(34):12218-23. L a maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative héréditaire incurable qui se manifeste par des troubles moteurs de type mouvements choréiques, des troubles cognitifs et psychiatriques. Les symptômes se déclarent généralement entre 35 et 42 ans et le décès survient après 15 à 20 ans d’évolution. Six mille personnes en France sont atteintes de la maladie de Huntington, et plus de 12 000 porteurs de la mutation sont provisoirement indemnes de tout signe clinique. L’origine de cette maladie fut découverte en 1993, grâce à l’étude de familles vénézuéliennes particulièrement touchées par la maladie de Huntington. Il s’agit d’une maladie génétique autosomale, liée à une expansion anormale de triplets CAG dans l’exon 1 du gène IT15, qui se traduit par une extension de glutamines (poly-Q) dans la partie N-terminale de la protéine huntingtine. La huntingtine est une grosse protéine dont le rôle précis demeure mal connu mais qui possède de nombreux partenaires intracellulaires. Elle semble être impliquée dans de multiples fonctions intracellulaires, dont la régulation de la transcription, le trafic et l’assemblage protéiques. Elle joue un rôle important dans la survie cellulaire, puisque des * UMR 7102, CNRS et université Paris-VI, Paris. souris génétiquement modifiées, qui n’expriment plus la huntingtine, meurent précocement à l’âge embryonnaire. L’origine moléculaire de la maladie de Huntington pourrait alors reposer sur une perte de fonction vitale de la huntingtine normale. Elle peut également impliquer un gain de fonction toxique de la huntingtine mutée, puisque la présence d’une répétition de plus de 35 glutamines en N-terminal confère à la protéine de nouvelles propriétés, dont celle de former des agrégats intraneuronaux, et la rend toxique pour les neurones. > La maladie de Huntington : principalement une maladie du striatum U ne caractéristique importante de la maladie de Huntington est la vulnérabilité particulière d’une région cérébrale donnée : le noyau caudé-putamen (autrement appelé striatum). Ainsi, bien que la huntingtine soit exprimée de façon ubiquitaire, aussi bien dans le système nerveux central que dans les tissus périphériques, seuls les neurones du striatum dégénèrent dans la maladie de Huntington, tout au moins aux stades les plus précoces de la maladie, et leur dys- La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. X - n° 5 - mai 2006 5 > ACTUALITÉS neurosciences > Behavioural Brain Research > European Journal of Neuroscience > Nature > NeuroImage > Neuron > Molecular psychiatry > Science > Trends in Neuroscience > Neurobiology of Learning and Memory > PNAS fonction constitue la base des symptômes de cette maladie. L’origine de la vulnérabilité préférentielle des neurones striataux à la toxicité de la huntingtine mutée demeure une question à laquelle il semble difficile de trouver une réponse, mais qui devrait permettre de trouver une thérapie contre la maladie, à ce jour incurable. Les neurones striataux pourraient comporter des éléments intrinsèques qui les rendent plus vulnérables que les autres cellules à l’expression de la huntingtine mutée. Par exemple, les neurones striataux semblent souffrir d’un déficit énergétique qui leur est propre dans la maladie de Huntington. Ce sont aussi les premières cellules dans lesquelles se forment les agrégats de huntingtine mutée. L’environnement de ces cellules pourrait également contribuer à cette situation. Ainsi, un défaut d’apport du facteur neurotrophique BDNF (brain derived neurotrophic factor) par les afférences corticales pourrait être impliqué dans la vulnérabilité des neurones striataux, bien que ces cellules ne soient pas les seules à recevoir du BDNF dans le système nerveux central. En revanche, le striatum est la structure cérébrale qui reçoit la plus dense innervation dopaminergique. La dopamine est un neuromodulateur qui assure de multiples fonctions physiologiques telles que le contrôle de la coordination motrice, de l’humeur, et les processus d’apprentissage liés à la récompense. Toutefois, sous certaines conditions, la dopamine peut avoir un effet neurotoxique, aussi bien in vitro qu’in vivo. C’est le cas par exemple lorsque de trop fortes doses d’amphétamine (un agoniste indirect de la dopamine) sont administrées chez l’animal. Nous avons donc envisagé la possibilité que la vulnérabilité spécifique des neurones striataux dans le cadre de la maladie de Huntington puisse être liée à leur innervation massive par les voies dopaminergiques. 6 > La dopamine, suspectée de jouer un rôle dans la maladie de Huntington P lusieurs données anatomiques et expérimentales laissent penser que la dopamine pourrait être impliquée dans la maladie de Huntington. Par exemple, chez les malades, la perte des neurones striataux progresse selon un axe dorso-ventral qui correspond au gradient de concentration de dopamine dans le striatum. D’autre part, en 1998, l’équipe de J. Morton a montré, dans un modèle murin pharmacologique de la maladie de Huntington, que la lésion des afférences dopaminergiques protégeait les neurones striataux de la mort. De plus, chez les souris knock-out pour le transporteur de la dopamine, DAT, qui présentent des concentrations de dopamine anormalement élevées dans les synapses, on observe une neurodégénérescence striatale spontanée et des altérations comportementales rappelant celles de la maladie de Huntington, et qui se déclarent spécifiquement au cours du vieillissement des souris. Malgré l’existence de ces arguments indirects, il n’existait pas, jusqu’alors, de lien direct entre la dopamine et la toxicité de la huntingtine mutée dans les neurones striataux. > À la recherche d’un rôle éventuel de la dopamine dans la maladie de Huntington A fin de déterminer de manière directe si la dopamine a un rôle à jouer dans la maladie de Huntington, nous avons utilisé un modèle in vitro de cultures primaires de neurones striataux. Ceux-ci sont transfectés transitoirement avec des ADN complémentaires codant l’exon 1 du gène humain de la huntingtine, possédant soit 25 glutamines pour la forme normale de la pro- La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. X - n° 6 - juin 2006 téine, soit 103 glutamines pour sa forme mutée. Ces séquences sont fusionnées à leur extrémité 3’ avec celle codant la green fluorescent protein (GFP), ce qui permet d’identifier les neurones transfectés par émission de fluorescence et de suivre la localisation cellulaire de la huntingtine. Nous avons choisi ces constructions pour plusieurs raisons : – l’équipe de G. Bates a démontré en 1996 que la surexpression de l’exon 1 du gène humain codant la huntingtine mutée (avec 115 glutamines) est suffisante pour reproduire un phénotype de la maladie de Huntington chez la souris ; – le fragment N-terminal codé par cette construction possède les caractéristiques importantes de la huntingtine mutée, telles que la capacité de former des agrégats et la possibilité d’influencer les interactions de la huntingtine avec nombre de ses partenaires protéiques. Nous avons démontré que ce modèle cellulaire reproduisait deux caractéristiques neuropathologiques importantes de la maladie de Huntington, à savoir la formation d’agrégats de huntingtine mutée dans tous les compartiments intraneuronaux : noyau, soma, neurites dans les neurones striataux, puis la dégénérescence progressive de ces neurones, qui se caractérise par la rétraction des neurites précédant la condensation puis la fragmentation du noyau. Tous les effets observés dans ce modèle sont spécifiques à la forme mutée de la huntingtine puisque, par comparaison, l’expression du fragment N-terminal de la huntingtine normale, contenant 25 glutamines, ne forme pas d’agrégat et n’est pas toxique pour les neurones striataux. Nous avons appliqué sur ce modèle cellulaire des doses de dopamine subtoxiques, c’està-dire induisant peu d’effet par ellesmêmes sur la mort striatale, et analysé les effets de ce traitement sur la toxicité de la huntingtine mutée. > En produisant des radicaux libres, la dopamine agit en synergie avec la huntingtine mutée pour activer la voie proapoptotique de JNK/c-Jun L a voie JNK est une voie de MAPkinases qui est importante pour la mise en place d’un programme proapoptotique. Cette voie est notamment impliquée dans la mort neuronale dans plusieurs modèles de maladies neurodégénératives, telles que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Notre équipe a montré, dans un premier temps, que cette voie JNK est activée spécifiquement dans le striatum dans un modèle pharmacologique in vivo de la maladie de Huntington. In vitro, sur les cultures primaires de neurones striataux, la huntingtine mutée est capable d’activer JNK et sa cible nucléaire, le facteur de transcription c-Jun, dans une population relativement faible de neurones. Nous avons montré, dans notre modèle in vitro, que la dopamine, en produisant des radicaux libres, exerce un effet synergique avec la huntingtine mutée sur l’activation de la voie JNK/c-Jun dans les neurones striataux. Ce mécanisme est précoce dans la pathophysiologie induite par la huntingtine mutée, puisqu’il apparaît avant la formation des agrégats nucléaires et avant toute souffrance neuronale. > La dopamine augmente la formation d’agrégats de huntingtine mutée, via l’activation des récepteurs dopaminergiques de type D2 C omme dans de nombreuses maladies neurodégénératives, l’une des caractéristiques neuropathologiques de la maladie de Huntington est la for- mation d’agrégats protéiques insolubles. Ces agrégats sont formés, dans le cadre de la maladie de Huntington, par des fragments N-terminaux de huntingtine mutée, que reproduit notre modèle cellulaire. L’implication directe de ces agrégats dans la toxicité de la huntingtine reste sujet à controverse. Toutefois, leur présence témoigne d’une souffrance cellulaire. Nous avons démontré dans notre modèle que le nombre de neurones transfectés présentant la huntingtine mutée sous forme d’agrégats est fortement augmenté en présence de dopamine. Cet effet, qui lui aussi est précoce, est entièrement médié par l’activation des récepteurs D2. En effet, la potentialisation de la formation d’agrégats de huntingtine mutée par la dopamine est totalement mimée par un agoniste des récepteurs D2 (le quinpirole), complètement inhibée par un antagoniste des récepteurs D2 (le raclopride), et n’est pas reproduite dans les neurones striataux provenant de souris knock-out pour le récepteur D2. > La dopamine augmente la toxicité de la huntingtine mutée dans les neurones striataux, à la fois par la production de radicaux libres et par l’activation des récepteurs D2 D ans notre modèle cellulaire, la dopamine augmente la toxicité de la huntingtine mutée dans les neurones striataux, et ce via deux effets. Le premier repose sur la production de radicaux libres et l’activation de la voie proapoptotique JNK/c-Jun. Le deuxième implique l’activation des récepteurs D2. En bloquant l’un ou l’autre de ces effets, une partie significative des effets de la dopamine sur la mort des neurones striataux est inhibée. Ce n’est qu’en présence d’un cotraitement, bloquant à la fois la production de radicaux libres et l’activation des récepteurs D2, que les effets de la dopamine sont complètement inhibés. > Perspectives et applications thérapeutiques L es résultats issus de notre étude dévoilent pour la première fois les mécanismes moléculaires qui impliquent la dopamine dans la vulnérabilité des neurones striataux dans le cadre de la maladie de Huntington. Cette implication est double, mettant en jeu la production de radicaux libres par la dopamine et l’activation des récepteurs D2. L’auto-oxydation de la dopamine, source de radicaux libres, augmente dans le striatum au cours du vieillissement. De ce fait, la dopamine pourrait renforcer fortement, dans les neurones striataux, l’activation de la voie proapoptotique JNK, qui peut être faiblement stimulée par la huntingtine mutée seule, et contribuer ainsi à la vulnérabilité préférentielle de ces cellules dans la maladie de Huntington. Cela pourrait en outre expliquer l’apparition tardive des symptômes malgré l’expression de la huntingtine mutée depuis le développement embryonnaire. La formation d’agrégats de huntingtine mutée sous activation des récepteurs D2 témoigne d’une souffrance accrue des neurones porteurs de ce type de récepteurs, qui sont précisément, au sein du striatum, ceux qui dégénèrent les premiers chez les malades. De plus, les régions cérébrales dans lesquelles ces neurones projettent leurs axones – en particulier le globus La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. X - n° 6 - juin 2006 7 > ACTUALITÉS neurosciences > Behavioural Brain Research > European Journal of Neuroscience > Nature > NeuroImage > Neuron > Molecular psychiatry > Science > Trends in Neuroscience > Neurobiology of Learning and Memory > PNAS pallidus externe – sont précisément celles dans lesquelles les agrégats neuritiques apparaissent en premier. Nos résultats permettent donc de concilier ces observations neuro-anatomiques et pathophysiologiques. Notre étude a permis d’identifier plusieurs cibles thérapeutiques prometteuses pour la maladie de Huntington. L’une de ces cibles est la production de radicaux libres par la dopamine, ou l’activation de la voie JNK/c-Jun. En effet, le blocage de l’un ou l’autre de ces événements est neuroprotecteur pour les 8 neurones striataux exprimant la huntingtine mutée et recevant de la dopamine, in vitro. Le traitement avec un antioxydant, l’ascorbate, s’est déjà montré bénéfique sur les symptômes moteurs de souris transgéniques modèles de la maladie de Huntington. L’inhibition de la voie JNK/c-Jun est quant à elle une stratégie thérapeutique de plus en plus étudiée pour soigner les maladies neurodégénératives, telles que la maladie de Parkinson. L’autre stratégie thérapeutique identifiée dans notre étude consisterait à bloquer l’activation des récepteurs dopaminergiques de type D2 à un stade La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. X - n° 6 - juin 2006 précoce de la maladie. Cela pourrait être réalisé par un traitement aux neuroleptiques dès les stades présymptomatiques. Ce type de traitement est largement utilisé dans le cadre de la schizophrénie, et pourrait permettre de ralentir la progression de la maladie de Huntington. Ces différentes pistes d’investigation sont d’autant plus intéressantes qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement permettant de ralentir la progression de la maladie, qui conduit inexorablement à la mort des patients. ■