M I S E A U P O I N T Chimiothérapie orale : actualités et perspectives ● T. Braun*, J.P. Spano*, J.F. Morère* D epuis quelques années, les oncologues portent une attention particulière à l’impact du traitement sur la qualité de vie de leurs patients. La chimiothérapie demeure, en 2002, perçue comme une source majeure de stress et d’inconfort du fait de ses effets secondaires et de la nécessité d’abords veineux répétés. L’utilisation de chambres implantables permettant un traitement ambulatoire grâce aux pompes portables a constitué une première réponse à ce stress. Ces dispositifs restent cependant sources d’incidents sérieux dans 5 % des cas. Le développement de molécules de chimiothérapie administrées par voie orale représente une nouvelle option intéressante sur trois points clés : confort et simplicité d’utilisation pour le patient, gain économique, intérêt pharmacocinétique. chimiothérapie par voie orale. Si ces nouveaux agents sont en général plus coûteux sur le plan pharmaceutique, ils peuvent réduire les coûts globaux des soins, en particulier les coûts d’hospitalisation tant de jour que conventionnelle. La contribution des médicaments apparaît en effet relativement modeste dans le coût global d’une prise en charge oncologique par rapport aux coûts d’hospitalisation. Les besoins techniques et la nécessité d’un personnel qualifié pour la réalisation d’une thérapeutique intraveineuse semblent en effet jouer un rôle majeur dans ces coûts (3). Dans cette optique, la chimiothérapie orale pourrait contribuer à une réduction importante des coûts d’administration. LE POINT DE VUE DU PATIENT Dans certaines conditions, l’utilisation prolongée d’agents par voie orale semble avoir des avantages pharmacocinétiques par rapport à une administration intraveineuse en bolus, comme cela été démontré avec l’étoposide dans les lymphomes réfractaires (4). Les effets pharmacodynamiques peuvent être optimisés pour des agents dérivés de la camptothécine tels que le topotécan (5). Une étude portant sur 103 patients a démontré que la préférence des patients allait à un traitement oral plutôt qu’à une chimiothérapie intraveineuse palliative (1). Quatre-vingt-douze d’entre eux préféraient le traitement oral, 10 préféraient la chimiothérapie intraveineuse et un seul patient n’avait aucune préférence. Ces résultats sont indépendants de l’âge, du sexe, de l’expérience des chimiothérapies antérieures ou du type de tumeur primitive. Les principales raisons favorisant le choix d’une chimiothérapie orale sont sa simplicité d’utilisation et les incidents liés aux abords veineux : douleur, infections ou complications plus exceptionnelles telles qu’un pneumothorax (1, 2). Un point important pour le patient semble être le contrôle de son environnement, le patient préférant recevoir sa chimiothérapie dans un environnement familier plutôt qu’à l’hôpital. Pour ce surcroît de confort, la plupart des patients interrogés dans cette étude n’étaient cependant pas prêts à sacrifier l’efficacité du traitement, 70 % n’acceptant pas un taux de réponse plus bas et 74 % n’acceptant pas une durée de réponse plus courte. Ces constatations sont à prendre en considération dans le choix des traitements anticancéreux futurs. ASPECTS PHARMACO-ÉCONOMIQUES L’éventuel bénéfice pharmaco-économique est une justification supplémentaire du développement des nouveaux agents de * Service d’oncologie médicale, CHU Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93000 Bobigny. 52 ASPECTS PHARMACOCINÉTIQUES INCONVÉNIENTS DES CHIMIOTHÉRAPIES ORALES La chimiothérapie orale est cependant soumise à deux contraintes majeures. Il s’agit avant tout de la compliance au traitement, mais aussi de certaines limites pharmacologiques liées à la biodisponibilité de la forme orale de ces agents cytotoxiques. La compliance au traitement est discutée. Plusieurs études chez des patients atteints de maladies hématologiques (6) ou traités pour des cancers du sein en intention palliative par du cyclophosphamide oral (7) ont en effet montré une mauvaise compliance au traitement oral. À l’inverse, deux autres études réalisées chez des patients atteints de lymphome ou de cancer bronchique à petites cellules ont donné des résultats en faveur de cette administration par voie orale (8, 9). Cette compliance peut être améliorée de façon significative par des programmes de formation et un support psychologique (6). Les résultats obtenus dans les deux dernières études (8, 9), les possibilités de formation du patient (6) et l’expérience du traitement hormonal chez les patientes atteintes de cancer du sein (5) sont encourageants et laissent espérer une diminution du risque éventuel de perte d’efficacité par ce phénomène. La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 2 - mars-avril 2002 La biodisponibilité des molécules anticancéreuses orales est dépendante de nombreux facteurs tels que les propriétés physicochimiques de la molécule, le pH et la vacuité gastriques et les réactions chimiques dans la lumière du tube digestif (5). D’autres facteurs interviennent, tels que les mécanismes de transport actif par la P-glycoprotéine (P-gp) et les enzymes du métabolisme comme le cytochrome P450 CYP3A4 (3, 5, 10). Plusieurs molécules telles que l’étoposide, le topotécan et la vinorelbine sont concernées (3). Une variation de 25 à 75 % de la biodisponibilité a ainsi été constatée chez les patients recevant de l’étoposide par voie orale (3). Ces dernières années, plusieurs moyens ont été proposés pour réduire les effets de la P-gp et du CYP3A4 sur le métabolisme de la chimiothérapie orale. Le CYP3A4 peut en effet être bloqué par le kétoconazole, permettant ainsi d’accroître la concentration plasmatique de l’étoposide. La P-gp dépendant de l’ATP, qui peut rejeter certains métabolites dans la lumière du tube digestif, peut être influencée par un inhibiteur (GF120918) (5). Un meilleur contrôle de ces phénomènes biochimiques paraît être une étape critique pour le développement futur de la chimiothérapie par voie orale. Les données les plus récentes concernent les agents UFT ® (tégafur/uracile), Xeloda® (capécitabine), Navelbine® (vinorelbine), Hycamtin® (topotécan) et Satraplatine® (JM216). LES ACQUIS Les fluoropyrimidines orales constituent un groupe de médicaments déjà bien établi. Les deux fluoropyrimidines orales actuellement autorisées à la prescription sont la capécitabine (Xeloda®) et le tégafur/uracile (UFT®) (12). La capécitabine (Xeloda®) est aujourd’hui utilisée dans le traitement des cancers du sein réfractaires, indication dans laquelle elle a obtenu son autorisation de mise sur le marché en France, et démontre aussi une efficacité particulière dans le traitement du cancer colorectal (3). Elle constitue une prodrogue du 5 fluoro-uracile (5-FU) qui est convertie en 5-FU au travers d’une cascade enzymatique à trois étapes après une absorption à partir de l’intestin selon une cinétique linéaire (13). L’activité plus élevée de l’enzyme critique, thymidine phosphorilase (TP) au niveau tumoral permet une production de 5-FU in situ (14) et donne des effets similaires à ceux d’une perfusion continue en termes d’efficacité et de meilleur profil de tolérance (13). Le schéma d’utilisation optimal de la capécitabine a été bien étudié dans les essais de phase II portant sur les cancers colorectaux métastatiques. Il consiste en une monothérapie à la dose de 1 250 mg/m2, deux fois par jour, délivrée 14 jours consécutifs et suivie par une période de repos de 7 jours. Aucun bénéfice d’une biomodulation par la leucovorine (LV) n’a été mis en évidence. Deux études de phase III randomisées analysées séparément et dans une analyse “poolée” ont comparé ce schéma avec le schéma classique de la Mayo Clinic, qui consiste en une combinaison de LV (20 mg/m2) et de 5-FU (420 mg/m2) administrée pendant 5 jours consécutifs en bolus (13). Le taux de réponse a été significatiLa Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 2 - mars-avril 2002 vement supérieur dans le bras traité avec capécitabine (26 % versus 17 %). Le temps jusqu’à progression et la survie globale sont équivalents dans les deux bras. La capécitabine est en règle mieux tolérée : les stomatites, la diarrhée, les nausées, les neutropénies et l’alopécie de grades 3 et 4 sont significativement moins fréquemment. L’incidence de l’émésis et de la fatigue est équivalente dans les deux bras. Le syndrome mainspieds représente la complication la plus fréquemment observée avec la capécitabine. Il aboutit cependant rarement à une hospitalisation et reste bien contrôlé par une réduction de doses de 20 %, qui ne semble pas affecter l’efficacité du traitement (13). Dans les cancers du sein métastatiques en deuxième ligne thérapeutique, une réponse objective est obtenue dans 20 à 28 % des cas et un contrôle de la maladie dans 43 % des cas. Le temps médian jusqu’à progression est de trois mois et la survie médiane de 12,6 mois (18-20). En association avec le docétaxel, cette molécule donne une efficacité tout à fait intéressante et représente une option thérapeutique à discuter dans la chimiothérapie du cancer du sein métastatique (20). L’UFT® (tégafur/uracile) a été particulièrement étudié dans des études de phase II chez les patients atteints de cholangiocarcinome, de cancers colorectaux, de cancers gastriques et de cancers du sein. Les taux de réponse objective varient de 25 à 32 % (21). L’UFT® est une combinaison de tégafur, prodrogue du 5-FU, et d’uracile, un inhibiteur de la dihydropyrimidine déhydrogénase (DPD). Cette enzyme est l’enzyme limitante du catabolisme du 5-FU. La biodisponibilité de l’UFT® est excellente (100 %) (3). Sur la base des résultats des études de phases I et II, une étude de phase III a comparé l’UFT® à la dose de 300 mg/m2/jour associé à la leucovorine (75-90 mg par jour) au schéma classique de la Mayo Clinic déjà décrit (22). Les taux de réponse observés ont été comparables : 12 % dans le bras UFT/LV versus 15 % dans le bras Mayo Clinic. La survie globale est identique dans les deux bras (22). L’incidence des toxicités de grades 3 et 4 telles que stomatite, nausées-vomissements, diarrhée, neutropénie, syndrome mains-pieds était significativement inférieure dans le bras UFT/LV (12). Des études d’association d’UFT® avec l’oxaliplatine et l’irinotécan sont actuellement en cours. Par ailleurs, UFT®-LV est aussi à l’étude dans les cancers rectaux soit en situation adjuvante en association à la radiothérapie, soit en situation néoadjuvante (17). La vinorelbine (Navelbine®) est le seule vinca-alcaloïde récemment commercialisé dans une formulation orale (3). Cette molécule, dont le mécanisme d’action est déjà bien connu, inhibe la polymérisation de la tubuline et bloque les cellules en phase G2 et M. Sa biodisponibilité par voie orale varie de 26 à 45 % et sa pharmacocinétique est linéaire (3). Son absorption est influencée, là encore, par le CYP3A4 et la P-gp (3). Les études de phase I ont permis d’établir une dose recommandée de 80 mg/m2 en administration orale hebdomadaire (23). Une étude de phase II randomisée a étudié l’intérêt de la vinorelbine 53 M I S E A U orale et de sa contrepartie injectable. Les taux de réponse clinique ont été voisins : 14 % pour la forme orale et 12 % pour la forme i.v. (24). Un contrôle de la maladie a été observé dans 40 % des cas avec la voie orale et 37 % des cas chez les patients traités par voie intraveineuse. La durée de réponse est de 7,7 mois avec la voie orale et de 5,5 mois dans le bras i.v. La survie globale médiane est de 9,3 mois (voie orale) pour 7,9 mois avec la voie i.v. Une myélosuppression de grades 3 et 4 est observée plus souvent avec la voie i.v. (62 % contre 46 %), alors que les complications gastro-intestinales comme la constipation et les diarrhées sont plus fréquentes avec la formulation orale (3, 24). Une étude de phase II dans le cancer du sein métastatique la crédite d’un taux de réponse de 29 % d’une durée médiane de 24 semaines (25). PERSPECTIVES Le topotécan, du fait de son activité sur la topo-isomérase, nécessite un traitement prolongé qui justifie une formulation orale (26). Une étude de phase II a permis de fixer la dose maximale tolérée de cette molécule à 2,3 mg/m2/jour pendant 5 jours (27). Sa biodisponibilité est de 42 % (5). Les études de phase II ont porté essentiellement sur les cancers de l’ovaire en deuxième ligne et sur les cancers bronchiques à petites cellules (28). Dans une étude portant sur 266 patientes atteintes de cancer de l’ovaire, la forme orale a été comparée à la forme intraveineuse (28). Les taux de réponse (13 % pour la forme orale, 20 % pour la forme i.v.) ne diffèrent pas significativement. La survie moyenne est voisine (51 semaines pour la voie orale, 38 semaines pour la forme i.v.). Le profil de tolérance est légèrement différent. Une neutropénie de grade 3 est en effet un événement plus fréquent avec la voie i.v., alors que les complications gastro-intestinales sont légèrement plus souvent observées avec la forme orale. Dans cette indication de cancer de l’ovaire en deuxième ligne, une autre étude montre un taux de réponse de 22 %, tout à fait comparable à celui obtenu en règle avec la formulation injectable (29). Dans les cancers bronchiques à petites cellules, l’efficacité semble aussi intéressante, avec un taux de réponse de 23 %, contre 15 % pour la voie intraveineuse (30). Plusieurs études utilisant le topotécan en association sont actuellement en cours. Une nouvelle évaluation de la dose maximale tolérée pourrait être intéressante dans le cadre d’un traitement prolongé audelà de 5 jours (31). Le développement d’un analogue du platine, le JM216 (Satraplatine ® ) répond aux mêmes motivations (32). Le JM216 entraîne une alkylation de l’ADN induisant une mort cellulaire secondaire à la prolongation de la phase S et un blocage des cellules en phase G2 (32). La dose maximale tolérée est de 120 à 140 mg/m2 par jour, pendant 5 jours (32). Son effet secondaire essentiel est une myélosuppression de grades 3 et 4, alors qu’il ne semble pas exister de neurotoxicité ou de néphrotoxicité (3, 32). Dans les études de phases I et II, des réponses cli54 P O I N T niques ont été observées dans les cancers de l’ovaire, les cancers du sein, le mésothéliome et les cancers bronchiques à petites cellules (32, 33). Une étude de phase III est actuellement en cours dans les cancers de l’ovaire (32). CONCLUSION La chimiothérapie anticancéreuse orale doit satisfaire à plusieurs conditions : améliorer la qualité de vie des patients, être source d’économie, avoir des avantages pharmacocinétiques. Xeloda®, UFT® et Navelbine® offrent de nouvelles options thérapeutiques particulièrement intéressantes chez certains patients du fait leur efficacité, de leur bon profil de tolérance et de la possibilité de réduire le nombre d’hospitalisations. L’expérience de ces molécules doit s’étendre en situation adjuvante, voire néoadjuvante, et peut permettre la réalisation de combinaisons de chimiothérapie “toute orale”. Elles représentent un effort galénique qui mérite d’être souligné. Elles confirment aussi l’intérêt de ce concept, qui peut se développer si l’adhésion des médecins et des patients se renforce. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Liu G, Franssen E, Fitel MI, Warner E. Patient preferences for oral versus intravenous palliative chemotherapy. J Clin Oncol 1997 ; 15 : 110-5. 2. Borst CG, de Kruif AT, van Dam FS. Totally implantable venous access ports : the patients’ point of view. Cancer Nurs 1992 : 378-81. 3. DeMario MD, Ratain MJ. 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