La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998
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systématiques permet d’estimer à 25 % la proportion des sur-
prises diagnostiques importantes apportées par l’autopsie.
Curieusement, ce pourcentage ne diminue pas significativement
dans les travaux les plus récents (Veress et coll., 1994). Il est
permis d’avancer quelques hypothèses. Si l’éventail des possi-
bilités diagnostiques s’élargit au fur et à mesure du perfection-
nement des outils à notre disposition, toutefois, la médecine
moderne est coûteuse, et ses techniques les plus performantes
longues à mettre en œuvre. De plus, l’ensemble des malades
n’en bénéficie pas, même dans les meilleurs systèmes de santé.
La population vieillit et les investigations diagnostiques sont sou-
vent moins complètes chez les personnes âgées, fréquemment
porteuses de multiples pathologies. Les meilleures techniques
ont, en outre, leurs faux négatifs et leurs faux positifs, et les
hommes qui les pratiquent leurs faiblesses. La multiplication des
actes diagnostiques génère, en elle-même, nombre d’incertitudes.
L’autopsie répond-elle à toutes les questions? Certainement pas.
Mais sa tâche sera d’autant plus facilitée qu’elles seront claire-
ment posées. De la qualité de l’acte technique et de son inter-
prétation dépend également, bien entendu, la pertinence de la
réponse. Les techniques les plus modernes sont souvent mises
en œuvre lors des autopsies. Cela ne peut se faire de façon sys-
tématique. Un protocole de qualité doit avoir été conçu avant
l’acte technique. C’est, en définitive, du dialogue poussé entre
le médecin formulant la demande et l’anatomopathologiste
effectuant cet acte difficile — avant, après et si possible pendant
l’autopsie elle-même — que dépend son utilité.
Enfin, est-il nécessaire de rappeler qu’il y a loin, à ce jour, entre
une culture de tissu ou un animal de laboratoire et un patient.
Aucun modèle parfait n’est disponible pour des maladies aussi
importantes que les affections dégénératives du système ner-
veux (maladies d’Alzheimer, de Parkinson, de Charcot,…), la
sclérose en plaques ou le neuro-SIDA, les artériopathies des
petits vaisseaux cérébraux (ou même des artères de calibre
élevé) et la majorité des épilepsies... L’étude du tissu nerveux
humain est plus que jamais indispensable à la recherche en neu-
rologie. La mise en œuvre de “banques de tissus nerveux” dans
tous les pays industrialisés répond au mieux à l’attente de cher-
cheurs désireux d’appliquer leurs hypothèses et leurs techniques
à l’homme, et à celle des patients et de leur famille, lesquels
désirent la meilleure utilisation possible du don fait pour la
recherche. La qualité des précautions réglementaires, sécuri-
taires, techniques et scientifiques qu’elles apportent à l’utilisa-
tion de ce don est un des éléments de l’éthique de la recherche,
qui ne doit en aucune façon être négligé.
• L’autopsie est-elle chère ?
Du personnel et des installations sont nécessaires à l’activité de
funérarium, de biopsie, de pratique médicolégale, ainsi que pour
les besoins de santé publique. Le coût marginal d’une autopsie
peut être estimé à prix moyen allant de 150 à 800 F, en fonction
du nombre de prélèvements et des techniques complémentaires.
À titre de comparaison, le même calcul conduit à évaluer celui
d’une biopsie musculaire à une fourchette comprise entre 225 et
700 F.
• Les démarches à effectuer sont-elles devenues trop contrai-
gnantes ?
La loi “Éthique et liberté” a modifié les conditions des prélève-
ments médicoscientifiques post mortem. Elle distingue deux
circonstances :
- dans le cas d’une recherche des causes de la mort, le consen-
tement est présumé, comme le prévoyait la législation précé-
dente, mais une enquête active auprès des proches à la recherche
d’une éventuelle opposition que leur parent décédé aurait expri-
mée est prévue, et ceux-ci doivent être informés de l’autopsie ;
- pour les prélèvements à usage scientifique, le consentement du
patient qui vient de mourir, ou le témoignage de sa famille en
faisant état, est nécessaire.
Les modalités de recueil du consentement ne sont pas définies
et les critères de distinction entre recherche des causes de la
mort et usage scientifique des prélèvements ne sont pas précisés
non plus. Le registre informatisé d’opposition aux prélèvements
prévu par la loi n’a toujours pas vu le jour.
En pratique, dans l’un et l’autre cas, le témoignage de la famil-
le (souvent transformé en “consentement de la famille”) doit
être demandé, et il l’est le plus souvent au plus mauvais
moment, celui du deuil aigu. Parfois, cette tâche combien déli-
cate incombe à des soignants (ou à des agents administratifs)
non ou mal formés, voire même peu disposés pour des raisons
personnelles à remplir pareille mission.
L’autopsie est assujettie aux mêmes modalités qui régissent les
rencontres entre le malade et la recherche au CHU. Comme
l’ensemble d’entre elles, elle doit être préparée. Cela nécessite
explications, dialogue et technique. Il faut, bien sûr, respecter
toutes les convictions personnelles (notamment religieuses),
celles des personnes qui s’opposent à l’autopsie, comme celles
des patients qui la demandent ou l’accepteraient, et à qui,
aujourd’hui, elle est rarement proposée, parfois même refusée.
S’adapter à la nouvelle réglementation est impératif (Dupont et
Macrez, 1998, Lemaire, 1998). Dans un pays qui se veut riche
d’une médecine de pointe, il serait navrant qu’une large propor-
tion des malades meure avec un diagnostic convenu, fruit d’une
croyance plus que d’une certitude, et que les statistiques reflè-
tent encore plus les modes médicales que la réalité. Rien ne
serait plus paradoxal que la disparition d’une technique d’éva-
luation fiable et peu coûteuse à l’époque des “bonnes pratiques”
et de “l’accréditation”.
• L’autopsie est-elle contraire à l’éthique ?
Ce sont les raisons sociologiques et “éthiques” qui expliquent
pour une grande part la désaffection vis-à-vis de l’autopsie.
Cette dernière est vécue comme une possible atteinte à l’inté-
grité de la personne humaine, comme le rappelle l’introduction
de la loi “Éthique et liberté”, et cette vision peut être nourrie de
multiples fantasmes. Au mieux, elle est perçue comme un
“acharnement diagnostique” et non comme l’ultime acte médi-
cal, utile pour le malade suivant, c’est-à-dire pour la commu-
nauté. L’évolution vers l’individualisme, le scepticisme envers
la médecine et la science, le recul du rationnel ne sont certaine-
ÉDITORIAL