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Autopsie en neurologie
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J.J. Hauw*
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e nombre des autopsies scientifiques effectuées dans
de grands centres hospitalo-universitaires a chuté, en
dix ans, de près de 90 % ; et c’est là un phénomène
général. En effet, dans de nombreuses régions, cet examen est
devenu exceptionnel, y compris en neurologie. Les raisons invoquées pour justifier cette désaffection sont multiples :
• L’autopsie n’est plus utile
Quelles questions poser au neuropathologiste à l’ère de l’imagerie toujours plus performante, et de la biologie moléculaire
toujours plus sensible, qui rendent le doute diagnostique presque
incongru dans le cadre d’une médecine parfaite où des références médicales opposables conduisent à une thérapeutique
réglée enfin efficace? D’ailleurs, force est de constater que les
réponses ne sont pas adaptées aux questions posées, car les
conditions techniques de l’autopsie sont déplorables, les anatomopathologistes ont perdu cette pratique, ou y répugnent, ou
encore succombent au piège du scientisme, pour lequel les
règles comptent plus que le bien-fondé de la réponse. Les
contacts entre cliniciens et pathologistes se résument la plupart
du temps à une courte lettre et à un compte rendu si tardif que
le malade au bout du compte finit par être oublié de tous.
• L’autopsie est chère
Cette objection est souvent mise en avant par les administrations
hospitalières, qui, il est vrai, en supportent seules le coût, la
Sécurité sociale n’y contribuant en aucune manière.
• Les démarches à effectuer sont devenues trop contraignantes
La réglementation a changé et son application plus astreignante
a été hésitante en raison de son caractère peu précis (c’est un
euphémisme).
• L’autopsie n’est pas éthique
C’est une atteinte à l’intégrité de la personne humaine, au mieux
un “acharnement diagnostique”. Ni les patients, ni leur famille,
ni l’équipe soignante ne veulent en entendre parler : quel peut
bien être l’intérêt d’un tel geste si profondément troublant, et
* Laboratoire de neuropathologie R. Escourolle, hôpital de la Salpêtrière,
INSERM U 360, Association Claude-Bernard, Paris.
La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998
qui, de surcroît, s’avère n’être d’aucune utilité pour la personne
tout juste décédée ?
• L’autopsie est-elle encore utile?
L’imagerie moderne et d’autres techniques peu invasives ont
rendu plus rares les surprises spectaculaires révélées à l’autopsie. Dans les accidents vasculaires cérébraux, par exemple, la
distinction clinique entre hémorragies et infarctus cérébraux
n’était correcte que dans 50 % des cas environ (Boudouresque
et coll., 1979). L’autopsie était alors l’étalon indispensable. Ces
temps sont révolus, dans la mesure où le scanner permet de distinguer facilement ischémie et hémorragie.
Pourtant, l’autopsie reste indispensable dans de multiples circonstances. À titre d’exemple, affirmer une angiopathie amyloïde
à l’origine d’une hémorragie cérébrale nécessite l’examen anatomopathologique, quand la biopsie cérébrale, elle, n’est peut-être
pas sans danger (Hauw et coll., 1998). Le diagnostic de certitude
d’une démence dégénérative comme de la majorité des syndromes parkinsoniens est neuropathologique. Les essais thérapeutiques bénéficient, bien évidemment, des résultats de l’autopsie, qui permettent d’apprécier l’efficacité et l’inocuité du médicament. Pour analyser certains facteurs de risque, difficiles à étudier sans danger in vivo, l’autopsie reste particulièrement utile.
Elle a, récemment, permis de montrer l’importance des plaques
ulcérées de la crosse aortique à l’origine d’accidents ischémiques
(Amarenco et coll., 1992), ce qui n’est pas dénué d’implications
thérapeutiques. En santé publique, un autre exemple de son intérêt nous est fourni par les maladies à prions. Certes, leur diagnostic du vivant du malade est amélioré par la mise en évidence
de la 14-3-3 et de l’énolase neurospécifique dans le LCR. Il ne
s’agit là, pourtant, que d’arguments indirects et non spécifiques,
qui ne témoignent que de la rapidité de la mort neuronale.
D’ailleurs, ces dosages sont plus souvent négatifs que positifs
dans la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Seul
l’examen du tissu cérébral permet la certitude diagnostique et la
reconnaissance de la variante en cause. L’autopsie est, de loin, la
méthode de choix, l’indication de la biopsie cérébrale devant rester exceptionnelle (Hauw et coll., 1998).
L’autopsie conserve donc un rôle diagnostique de premier plan
en neurologie clinique, en pharmacovigilance, en santé publique
et en épidémiologie, car il est, bien entendu, possible d’utiliser
les données qu’elle apporte (Alperovitch et Hauw, 1992). Ce
rôle n’est-il que mineur ? L’étude de séries clinicopathologiques
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systématiques permet d’estimer à 25 % la proportion des surprises diagnostiques importantes apportées par l’autopsie.
Curieusement, ce pourcentage ne diminue pas significativement
dans les travaux les plus récents (Veress et coll., 1994). Il est
permis d’avancer quelques hypothèses. Si l’éventail des possibilités diagnostiques s’élargit au fur et à mesure du perfectionnement des outils à notre disposition, toutefois, la médecine
moderne est coûteuse, et ses techniques les plus performantes
longues à mettre en œuvre. De plus, l’ensemble des malades
n’en bénéficie pas, même dans les meilleurs systèmes de santé.
La population vieillit et les investigations diagnostiques sont souvent moins complètes chez les personnes âgées, fréquemment
porteuses de multiples pathologies. Les meilleures techniques
ont, en outre, leurs faux négatifs et leurs faux positifs, et les
hommes qui les pratiquent leurs faiblesses. La multiplication des
actes diagnostiques génère, en elle-même, nombre d’incertitudes.
L’autopsie répond-elle à toutes les questions? Certainement pas.
Mais sa tâche sera d’autant plus facilitée qu’elles seront clairement posées. De la qualité de l’acte technique et de son interprétation dépend également, bien entendu, la pertinence de la
réponse. Les techniques les plus modernes sont souvent mises
en œuvre lors des autopsies. Cela ne peut se faire de façon systématique. Un protocole de qualité doit avoir été conçu avant
l’acte technique. C’est, en définitive, du dialogue poussé entre
le médecin formulant la demande et l’anatomopathologiste
effectuant cet acte difficile — avant, après et si possible pendant
l’autopsie elle-même — que dépend son utilité.
Enfin, est-il nécessaire de rappeler qu’il y a loin, à ce jour, entre
une culture de tissu ou un animal de laboratoire et un patient.
Aucun modèle parfait n’est disponible pour des maladies aussi
importantes que les affections dégénératives du système nerveux (maladies d’Alzheimer, de Parkinson, de Charcot,…), la
sclérose en plaques ou le neuro-SIDA, les artériopathies des
petits vaisseaux cérébraux (ou même des artères de calibre
élevé) et la majorité des épilepsies... L’étude du tissu nerveux
humain est plus que jamais indispensable à la recherche en neurologie. La mise en œuvre de “banques de tissus nerveux” dans
tous les pays industrialisés répond au mieux à l’attente de chercheurs désireux d’appliquer leurs hypothèses et leurs techniques
à l’homme, et à celle des patients et de leur famille, lesquels
désirent la meilleure utilisation possible du don fait pour la
recherche. La qualité des précautions réglementaires, sécuritaires, techniques et scientifiques qu’elles apportent à l’utilisation de ce don est un des éléments de l’éthique de la recherche,
qui ne doit en aucune façon être négligé.
• L’autopsie est-elle chère ?
Du personnel et des installations sont nécessaires à l’activité de
funérarium, de biopsie, de pratique médicolégale, ainsi que pour
les besoins de santé publique. Le coût marginal d’une autopsie
peut être estimé à prix moyen allant de 150 à 800 F, en fonction
du nombre de prélèvements et des techniques complémentaires.
À titre de comparaison, le même calcul conduit à évaluer celui
d’une biopsie musculaire à une fourchette comprise entre 225 et
700 F.
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• Les démarches à effectuer sont-elles devenues trop contraignantes ?
La loi “Éthique et liberté” a modifié les conditions des prélèvements médicoscientifiques post mortem. Elle distingue deux
circonstances :
- dans le cas d’une recherche des causes de la mort, le consentement est présumé, comme le prévoyait la législation précédente, mais une enquête active auprès des proches à la recherche
d’une éventuelle opposition que leur parent décédé aurait exprimée est prévue, et ceux-ci doivent être informés de l’autopsie ;
- pour les prélèvements à usage scientifique, le consentement du
patient qui vient de mourir, ou le témoignage de sa famille en
faisant état, est nécessaire.
Les modalités de recueil du consentement ne sont pas définies
et les critères de distinction entre recherche des causes de la
mort et usage scientifique des prélèvements ne sont pas précisés
non plus. Le registre informatisé d’opposition aux prélèvements
prévu par la loi n’a toujours pas vu le jour.
En pratique, dans l’un et l’autre cas, le témoignage de la famille (souvent transformé en “consentement de la famille”) doit
être demandé, et il l’est le plus souvent au plus mauvais
moment, celui du deuil aigu. Parfois, cette tâche combien délicate incombe à des soignants (ou à des agents administratifs)
non ou mal formés, voire même peu disposés pour des raisons
personnelles à remplir pareille mission.
L’autopsie est assujettie aux mêmes modalités qui régissent les
rencontres entre le malade et la recherche au CHU. Comme
l’ensemble d’entre elles, elle doit être préparée. Cela nécessite
explications, dialogue et technique. Il faut, bien sûr, respecter
toutes les convictions personnelles (notamment religieuses),
celles des personnes qui s’opposent à l’autopsie, comme celles
des patients qui la demandent ou l’accepteraient, et à qui,
aujourd’hui, elle est rarement proposée, parfois même refusée.
S’adapter à la nouvelle réglementation est impératif (Dupont et
Macrez, 1998, Lemaire, 1998). Dans un pays qui se veut riche
d’une médecine de pointe, il serait navrant qu’une large proportion des malades meure avec un diagnostic convenu, fruit d’une
croyance plus que d’une certitude, et que les statistiques reflètent encore plus les modes médicales que la réalité. Rien ne
serait plus paradoxal que la disparition d’une technique d’évaluation fiable et peu coûteuse à l’époque des “bonnes pratiques”
et de “l’accréditation”.
• L’autopsie est-elle contraire à l’éthique ?
Ce sont les raisons sociologiques et “éthiques” qui expliquent
pour une grande part la désaffection vis-à-vis de l’autopsie.
Cette dernière est vécue comme une possible atteinte à l’intégrité de la personne humaine, comme le rappelle l’introduction
de la loi “Éthique et liberté”, et cette vision peut être nourrie de
multiples fantasmes. Au mieux, elle est perçue comme un
“acharnement diagnostique” et non comme l’ultime acte médical, utile pour le malade suivant, c’est-à-dire pour la communauté. L’évolution vers l’individualisme, le scepticisme envers
la médecine et la science, le recul du rationnel ne sont certaineLa Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998
ment ni généraux ni irréversibles. Il n’en est pas moins vrai
qu’ils sont probablement plus prégnants de nos jours.
Notre époque est celle des révisions déchirantes, de la remise en
question permanente des pratiques et de la morale, ainsi que de
l’abstention volontaire à l’égard de certaines techniques soupçonnées d’être dangereuses. L’autopsie doit-elle être de celles
là ? Doit-on, au nom de la compassion et d’une éthique individuelle indispensables, mais génératrices d’autant de manquements à la générosité, privilégier l’ignorance, l’inculture et
l’obscurantisme ? Aucune des grandes religions de notre pays
ne s’oppose à l’autopsie (Dupont et Macrez, 1998).
Bien entendu, l’empathie, la compassion du soignant, et notamment du médecin, pour le mourant et sa famille, sont nécessaires. Nous ne pouvons ignorer que c’est là le motif principal
du peu d’enthousiasme que suscite la demande d’une autopsie,
et ce souvent à juste titre, car cette démarche est tout sauf facile. Il faut sans doute y ajouter le recul nécessaire devant ce qui
est souvent vécu comme un échec, la perte de son patient, et
plus généralement devant l’effroi qu’inspire à1 chacun d’entre
nous la mort, peut-être surtout la mort de l’autre . Il est bien plus
ardu d’oser aborder des questions difficiles comme celles du
don d’un organe que de formuler sa sympathie. Il est encore
plus difficile d’évoquer l’autopsie devant un proche du malade
qui vient de mourir (Lemaire, 1998), geste sans motif charitable
manifeste, qui peut être mal compris, puisqu’il ne se justifie que
par une quête de vérité, de savoir, en des temps où cette exigence, la science et la santé publique ne sont plus des raisons irréfutables.
Dans bien des cas, l’autopsie qui apporterait la certitude diagnostique n’est pas effectuée, car les “juniors” n’en mesurent
pas l’importance et les “seniors” n’osent pas la demander.
L’acte courageux qui consiste à parler d’une possible autopsie,
à justifier son intérêt et à réduire les fantasmes qu’elle inspire,
en expliquant que la reconstitution du corps est telle que l’autopsie n’est pas décelable, lorsque le corps est habillé, même en
cas de prélèvement cérébral, est certainement une tâche difficile. Mais il n’en demeure pas moins que c’est un acte utile. ■
1. L’idée qu’on mourra est plus cruelle que mourir, mais moins
que l’idée qu’un autre est mort. M Proust (La Prisonnière).
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B I B L I O G R A P H I Q U E S
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Ginsberg, J. Bogousslavsky Eds. Cerebrovascular diseases. Pathophysiology,
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• Hauw J.J. et coll. Les maladies à agents transmissibles non conventionnels
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• Lemaire F. Information-consentement aux autopsies après la loi bioéthique de
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• Veress et Alafuzoff I. A retrospective analysis of clinical diagnosics and autopsy findings in 3042 cases during two different time periods. Human Pathol 1994 ;
25 : 140-5.
3e Journée A nnuelle du CNHGIF
(Collège des Neurologues des Hôpitaux Généreaux d’Ile-de-France)
Hormones
Ovariennes
et
Du développement cérébral à la pathologie
PARIS - 13 décembre 1997
La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998
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