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Source : 24 Heures - samedi 26 mars 2011
Les experts lausannois révolutionnent
l’autopsie avec leur science du scanner
MEDECINE LEGALE | Lausanne reçoit lundi des légistes du monde entier venus voir
le scanner surpasser le scalpel.
© Gérald Bosshard | Alexandre Dominguez, technicien en radiologie forensique, mime l’injection du produit de contraste
avant une angiographie post mortem, selon une méthode développée à Lausanne.
Georges-Marie Bécherraz | 26.03.2011 | 00:00
Silke Grabherr, médecin légiste, ne détonnerait pas dans la distribution de la série télé Les
Experts. Mais au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), la réalité fait
mieux que la fiction. Ses recherches ont abouti à la mise au point d’un type d’examens, dont
les résultats surpassent ceux de la dissection pratiquée lors des autopsies.
Utilisé depuis plusieurs années déjà, le scanner joue désormais un rôle nouveau dans la
détection de causes d’un décès. Lundi et mardi prochain, des légistes du monde entier
viendront à Lausanne se familiariser avec cette approche spectaculaire.
Alexandre Dominguez, spécialiste en technique de radiologie forensique, positionne sur la
table du CT scan une housse de plastique bleu renfermant un corps. Il entrouvre le sac pour
placer deux canules dans le défunt, à la hauteur de la cuisse, dans une veine et dans une artère.
Puis il met en marche un mécanisme qui va injecter dans le système circulatoire un liquide
composé de 3,5 litres de paraffine et de 0,2Ԝlitre d’iode.
Le corps est alors passé au scanner. Et là, au lieu d’une collection d’images limitée au
squelette, c’est l’ensemble du système circulatoire qui se dessine sur l’écran.
Une longue recherche
Rien de très révolutionnaire à première vue. Sauf que la mise au point d’un produit de
contraste compatible avec les vaisseaux sanguins d’un mort a nécessité une longue recherche.
La doctoresse Grabherr a poursuivi à Lausanne les travaux qu’elle avait commencé à Berne.
Par ailleurs, la construction d’une pompe adéquate, dont le prototype donne aujourd’hui
satisfaction, a elle aussi nécessité beaucoup d’ingéniosité.
«Nous restaurons les conditions de la vie en recréant la circulation sanguine», résume la
doctoresse. À quoi cela sert-il? «Cela permet de déceler les lésions non seulement au niveau
du système vasculaire, mais aussi dans les tissus. C’est très précieux dans les cas
d’hémorragie, où l’autopsie ne permet pas de voir exactement où se situe la source du
saignement, alors que c’est le plus important.» Et de prendre l’exemple d’une lésion due à un
coup de couteau.
Le professeur Patrice Mangin, patron du CURML: «Si la victime est vivante, le chirurgien qui
l’opère parviendra facilement à voir d’où vient l’hémorragie. Mais après un décès, quand la
pression dans les vaisseaux a disparu, notre système permet de retrouver le trajet de la lame.
Aux endroits de l’hémorragie, le produit de contraste sort du système circulatoire et donne
une tache blanche sur l’écran. En quelque sorte, nous refaisons saigner la personne décédée.
Cela peut être déterminant devant la justice.»
En trois dimensions
Le traitement informatique des données issues du CT scan permet des manipulations quasi
infinies. «Nous obtenons par exemple des reconstructions en 3D autorisant des observations
impossibles à faire en autopsie traditionnelle, explique la doctoreresse Grabherr. Le système a
une telle souplesse que nous pouvons pratiquement réaliser des dissections sur écran. De plus,
toutes ces données étant mémorisées, la possibilité reste toujours ouverte de procéder à de
nouvelles analyses de ces données.»
A la différence du simple examen au scanner, cette angiographie post mortem n’est pas
effectuée systématiquement. Elle est réservée aux cas où la mort résulte d’un problème
cardio-vasculaire.
Large reconnaissance
Le scanner du CURML est un modèle identique à ceux utilisés pour les vivants. Sauf que les
examens des défunts ne nécessitent pas les précautions usuelles pour ce qui est des rayons X
sur le sujet. Alexandre Dominguez: «Nous pouvons pousser très loin pour obtenir la meilleure
résolution possible. La seule limite, c’est la résistance du matériel.»
«Nous sommes les premiers au monde parvenus à une telle efficacité, ce qui nous vaut une
reconnaissance internationale», se réjouit le professeur Mangin.
«Nous ne pourrons cesser d’ouvrir des corps»
L’angiographie post mortem mise au point à Lausanne ne signifie pas la fin de l’autopsie
traditionnelle. «Nous ne pourrons pas cesser d’ouvrir des corps», souligne le professeur
Mangin. «Ce serait faux et prématuré de le penser. Nous n’en sommes pas encore à ce stade.»
L’imagerie médicale a donc ses limites, même si le scanner est sans rival pour déceler des
lésions osseuses et l’angiographie imparable pour repérer les hémorragies.
La doctoresse Grabherr ajoute: «Nous possédons une expérience considérable dans le
domaine de l’autopsie. C’est la combinaison des deux approches qui va et doit se généraliser
dans le futur.» Et d’observer que si la tentation est grande d’y renoncer, notamment pour des
raisons confessionnelles aux yeux de certaines personnes, «ce sera tout de même mieux que
rien.»
C’est ainsi que l’examen d’une dépouille par imagerie médicale peut s’avérer une solution
utile pour les cas de mort naturelle, lorsque la famille s’oppose à une autopsie. Les légistes
estiment aussi que l’imagerie médicale au service de la science forensique est non seulement
précieuse pour déceler des lésions impossibles à repérer en autopsie, mais qu’elle permet
également une meilleure communication des résultats et un respect plus grand du défunt et de
ses proches.
«Les images que nous tirons de ce procédé ne sont pas choquantes comme peuvent l’être des
photographies parfois sanglantes. Elles procurent une représentation juste de la réalité tout en
ayant un petit côté artificiel. Les tribunaux aussi apprécient cette forme de ménagement.»
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