Le Courrier des addictions (14) – n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2012 24
E
n
p
r
a
t
i
q
u
e
E
n
p
r
a
t
i
q
u
e
E
n
p
r
a
t
i
q
u
e
E
n
p
r
a
t
i
q
u
e
E
n
p
r
a
t
i
q
u
e
E
n
p
r
a
t
i
q
u
e
ouvre aux soins. Très vite, il faut rendre le
quotidien possible pour soi, puis autour de
soi, puis réorganiser la vie en vue de l’habiter
autrement qu’avec l’alcool.
Les centres de traitement, îlots de pro-
tection, enclaves de l’abstinence, riches en
expérience, en compétences, insérés dans
un réseau sont des ressources nécessaires au
patient. Plus les traitements seront efficaces,
plus les problèmes psychologiques, sociaux,
matériels, apparaîtront dans leur crudité,
plus des espaces de protection et de recons-
truction seront nécessaires pour permettre le
retour à une stabilité, et un accompagnement
de bonne qualité. Leurs propositions évolue-
ront vers une porosité contrôlée avec le mi-
lieu de vie des patients, l’assouplissement et
la personnalisation des contrats de soin. Du
“menu”, l’évolution ira probablement vers une
“carte”, ajustée au “réseau” de proximité.
BESOIN DE RECHERCHE
La première publication, à ma connaissance,
signalant l’intérêt du baclofène est due à une
équipe emmenée par E.M. Krupitsky de
Leningrad (2). Elle est parue en 1993… il y a
près de vingt ans ! Lors de sa “mise en garde
sur l’utilisation hors autorisation de mise sur
le marché (AMM) du baclofène dans le trai-
tement de l’alcoolodépendance” de juin 2011,
l’Afssaps publiait une bibliographie compor-
tant 17 publications. La plus ancienne est
de 2002, la suivante de 2006, toujours de la
même équipe italienne (3, 4). On ne trouve
que 7 publications avant 2010, dont une en
français (5). C’est encore une fois un patient,
O. Ameisen, qui a dû bousculer l’inertie des
professionnels avec ses publications relatant
son auto-traitement. Une recherche en
double aveugle est actuellement en cours. Elle
est à l’initiative d’enseignants de médecine
générale du CHU Cochin, sur des fonds pu-
blics complétés par un mécène (6). Hommage
doit être rendu au Pr Detilleux, interniste à
Cochin, qui, le premier, après plusieurs tenta-
tives, a obtenu un programme hospitalier de
recherche clinique (PHRC) en 2009 pour une
étude en milieu hospitalier. Après des péri-
péties, elle a changé de financeur, de respon-
sable et elle est devenue depuis peu Alpadir.
On attend son démarrage. Nos élites alcoo-
logiques semblent paralysées par les enjeux
de leurs positionnements. Rassurons-nous :
ils prescrivent le baclofène, et, s’ils expriment
beaucoup de réticences pour sa prescription
en France, certains sont beaucoup plus élo-
gieux sur la scène internationale. Sur le sujet,
tout a été dit (et écrit) par le Pr Bernard
Granger (CHU Cochin). Les plus anciens
pourraient se satisfaire de l’assouplissement
récent des positions de l’Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de
santé (ANSM). Mais tous ces atermoiements
ont un coût élevé, en termes de formation des
professionnels et d’adaptation des établisse-
ments de soins. Alexander Fleming aurait-il
dû tester la pénicilline en double aveugle
contre placebo ? Lors de l’émission de France
Culture “Science publique”, J.Y. Nau (EHE S P,
Slate) se faisait l’écho d’interrogations sur
l’opportunité, voire la pertinence éthique des
recherches en double aveugle sur cette mo-
lécule aujourd’hui: “En 1950, 1955 et 1960,
aurait-on prescrit de la pénicilline contre
placebo ?... À partir de quand le placebo est-
il encore légitime face à un médicament dont
on a démontré de façon très pragmatique
l’efficacité ? C’est un problème de timing : on
arrive trop tard”. Pouvait-on envisager des
modalités d’investigation simplifiées? C’était
ma demande lorsque, inquiet de la fragilité
de prescriptions isolées, j’avais proposé en
avril 2009 à R. de Beaurepaire, A. Heim,
P. Ja u r y, et J.F.Moulin de nous rencontrer.
R. de Beaurepaire avait déjà bien avancé son
étude prospective. Les réunions rapprochées
de notre “Lioréseau” ont rapidement conduit
à harmoniser nos premiers protocoles, à une
réunion d’information auprès de psychiatres
libéraux, et à la mise en place d’une étude de
cohorte dont les premiers résultats ont été
rassemblés par C. Alexandre Dubroeucq
dans sa thèse “Alcool et baclofène: étude pros-
pective sur 132 patients suivis pendant 1 an
en ambulatoire” soutenue en avril 2011 à Co-
chin (7). Ce travail est poursuivi et fera l’objet
d’autres publications nationales et interna-
tionales. C’est sur des préventions éthiques
que nous avons essayé de faire reconnaître
le produit, sans passer par une étude contre
placebo qui exclut des malades d’un traite-
ment efficace. Merci à I. Amado, clinicienne
et méthodologiste déjà très reconnue, d’avoir
affronté notre difficulté à admettre qu’il n’y
avait aucune alternative, l’étude en double
aveugle étant la seule reconnue. Ce sont les
limites de la recherche institutionnelle. Alors
Philippe Jaury prit son bâton de pélerin...
BESOIN D’AVANCER
Des recherches disparates nous ouvrent de
nouvelles possibilités thérapeutiques, per-
mettant de proposer aux patients les plus
gravement dépendants un recours au baclo-
fène, molécule imparfaite, comme les autres.
Ce traitement nous donne accès à une souf-
france de la dépendance par nos patients
que nous n’allions pas toujours interroger. La
médication semble plus rapidement efficace,
à des doses plus faibles, quand elle est don-
née dans les conditions des traitements anté-
rieurs: cadre, abstinence, soutien. Le système
de soin mis en place constitue l’outil dont les
patients d’aujourd’hui ont besoin, comme
ceux d’hier. Il lui faudra, comme il le fait
quotidiennement, évoluer, se diversifier, sans
pour autant s’appauvrir. Il reste encore beau-
coup de travail à faire en alcoologie. L’expé-
rience que nous vivons nous confirme que les
patients, leurs proches et les soignants qui les
entourent sont riches de motivation et de res-
sources. Comment donner à ce gisement une
forme qui en fasse un outil opérationnel pour
stimuler la recherche et accompagner l’évo-
lution du système de soin? Beaucoup de pa-
tients sont soignés, en bonne santé, réinsérés,
et beaucoup de familles sont reconnaissantes.
Peut-être plus que pour toute autre maladie
dans notre pays. Est-ce rêver que d’évoquer
la création d’une fondation, sur le modèle de
celle que Gilbert Lagrue a créée pour “La
recherche sur la dépendance tabagique et son
traitement”? Place aux initiatives!
v
Remerciements au Pr J.P. Olié pour m’avoir permis
d’ouvrir un espace alcoologique dans son service hos-
pitalo-universitaire du CH Sainte-Anne, et aux Drs O.
Canceil puis R. Gourevitch pour l’avoir développé sur
le secteur 14 ; au Dr E. Boissicat pour m’avoir accueilli
dans son service de psychiatrie au CH De Blois pour
y accompagner un “protocole Baclofène” dès 2010 ;
aux Drs F.Tillie et C. Rieu pour avoir fait le bilan des
prescriptions de baclofène chez les patients alcoolo-
dépendants traités dans les services de psychiatrie
des CH de Blois et Sainte-Anne, ainsi qu’à la maison
d’arrêt de Bloisà Mme Valérie Lebec et au service de
documentation de l’ANPAA.
Références bibliographiques
1. Volkow ND, Fowler JS, Wang GJ. e addicted
human brain: insights from imaging studies. J Clin
Invest 2003;111:1444-51.
2. Krupitsky EM, Burakov AM, Ivanov VB et al. Ba-
clofen administration for the treatment of affective
disorders in alcoholic patients. Drug Alcohol Depend
1993;33(2):157-63.
3. Addolorato G, Caputo F, Capristo E et al. Baclo-
fen efficacy in reducing alcohol craving and intake:
a preliminary double-blind randomized controlled
study. Alcohol Alcohol 2002;37(5):504-8.
4. Addolorato G, Leggio L, Agabio R, Colombo
G, Gasbarrini G. Baclofen: a new drug for the
treatment of alcohol dependence. Int J Clin Pract
2006;60(8):1003-8.
5. Ameisen O, de Beaurepaire R. Suppression de la
dépendance à l'alcool et de la consommation d'alcool
par le baclofène à haute dose : un essai en ouvert.
Elsevier Masson, 2010.
6. Entretien avec Ph. Jaury. Courrier des Addictions
2012;14,3.
7. Alexandre Dubroeucq C. Alcool et haut dosage de
Baclofène. Courrier des Addictions 2011;13,3.
Addict déc 2012.indd 24 10/12/12 11:08