Le Courrier de l’algologie (5), n° 2-3, avril-septembre 2006 47
Mise au point
Mise au point
médecin vont partager en partie, mais
de façon différente, les mêmes objets
d’attention.
Il en est ainsi du corps du patient. Dans
l’approche médicale, il est le lieu du
symptôme et le ressenti corporel va
aider, via l’examen clinique et une mise
en mots par le patient de son mal, à
optimiser la prise en charge, les traite-
ments et, au-delà, à améliorer le devenir
du patient. C’est à ce même corps que
le psychologue va prêter une oreille
attentive puisque ce corps, partenaire
du patient depuis sa naissance, est aussi
le lieu d’expression de la subjectivité
de l’individu, le lieu d’enracinement
de ses pulsions, et le substrat de sa vie
affective et émotionnelle en lien avec
les troubles présentés et auquel ils vont
donner une connotation particulière,
au moins pour ledit patient. La façon
dont ce dernier vit son corps va avoir
des répercussions bien au-delà du seul
temps du soin. Cette écoute complémen-
taire du corps, puisque c’est l’exemple
que nous avons choisi, participera à une
éventuelle restauration psychique (par-
ticulièrement narcissique) du patient,
mais elle peut également concourir à
son avenir somatique, notamment lors-
que cette écoute éloigne les risques de
chronicisation des troubles, risques liés
aux résistances psychiques à son sou-
lagement et qui ne relève que peu des
traitements médicaux en cours.
Ainsi donc, et bien au-delà de la ques-
tion du corps que nous avons esquissée
pour illustrer notre propos, le travail du
psychologue et celui du médecin sont
clairement différents, tout en restant
parfaitement complémentaires (9). L’un
(le psychologue) travaille avec la sub-
jectivité du patient et reste totalement
incompétent pour le reste alors que
l’autre (le médecin) travaille à rendre
objectif ce qui peut l’être pour trouver
des traitements adéquats, tout en res-
tant ignorant des processus inconscients
qui viennent relativiser cette recherche
d’objectivité. Mais chacun peut, d’une
part, être sensible au travail de l’autre
et, d’autre part, apprendre de son collè-
gue au sein d’échanges croisés, car tous
deux, à leur manière, s’inscrivent dans
une relation d’aide auprès du même être
humain, le patient.
Seule cette absence de dichotomie peut
éloigner l’aberration de diagnostics tels
que “trouble psychosomatique”, qui
sclérose la pensée plus qu’elle ne l’épa-
nouit lorsqu’elle est enfermée comme
une sentence différenciant soma et psy-
ché. Car alors cette sentence engage
vers une prise en charge qui, également,
continue à scinder deux spécialités, la
médecine et la psychologie, pourtant
partenaires et amies lorsque chacune
reste dans son domaine de compéten-
ces et n’interprète pas ce qui est pré-
senté par le patient (un symptôme, une
parole) autrement qu’en fonction de ses
prérogatives propres.
Un effort dans ce sens doit sans doute
être fait de part et d’autre, pour le bien
de nos patients communs. Cela prend
notamment la forme d’une implication
du psychologue le plus tôt possible dans
la prise en charge et non celle d’une
décharge future d’un accompagnement
lorsque l’on estime que le cas ne relève
plus de la médecine somaticienne. Du
côté des psychologues, cet effort passe
également par une implication pleine
et entière au sein d’une équipe, avec
une préférence pour la notion de secret
partagé plutôt que pour celle de secret
professionnel et individuel, tout en
respectant la confiance du patient et
le cadre des échanges intersubjectifs
avec lui. Des propositions souvent bien
connues intellectuellement, mais qui
restent dans une large part à appliquer
réellement sur le terrain pour donner
un véritable sens au terme de “prise
en charge pluridisciplinaire”, désignant
celle-ci désignant encore trop fréquem-
ment la présence conjointe de diverses
spécialités dans un lieu de consultation,
sans échanges véritables.
Peut-être sommes-nous en train de
formuler une évidence ? Et pourtant,
c’est ce chemin qui “clive” le travail
du psychologue et celui du somaticien
que prend encore, actuellement au
moins, la compréhension des actuel-
les recommandations du plan cancer.
Alors même que les effets iatrogènes de
l’annonce du diagnostic sur les patients
et leur entourage semblent dans la plu-
part des cas éminemment traumatiques
(10), le travail du psychologue n’est
pas pensé conjointement à celui du
médecin, mais en aval. Une fois cette
expérience potentiellement traumatique
faite, le psychologue clinicien n’a plus
qu’à recoller les morceaux ! Personne
ne sort gagnant de cette situation : ni
les soignants, que la douleur morale
et la souffrance psychique du patient
vont désorganiser et mettre en diffi-
culté, ni le psychologue, qui travaille
“à l’aveugle” et se trouve bien en mal
de dénouer les nœuds qui se sont tis-
sés en son absence, au moment crucial
de l’annonce du cancer, ni bien sûr le
patient et son entourage, que l’angoisse
dévore et qui “éclatent” bien souvent
psychiquement (11).
De même, et toujours dans le cadre
du cancer, on observe en France le
développement des soins de support.
Ils viennent de façon théorique pallier
notamment les difficultés liées à la prise
en charge psychologique des patients et
de leur entourage (12). Mais là égale-
ment, les choses sont “clivées” : sépa-
ration entre équipes de soins en salle et
équipes de soins de support, séparation
du travail des médecins et de celui des
psychologues (qui, encore une fois,
interviennent en aval, bien après la pre-
mière consultation médicale) comme le
montre le programme des 2es Journées
nationales de soins de support en onco-
logie (Paris, mai 2005). Le programme
y fut organisé en deux journées pour
les médecins, suivies d’une journée
pour les aspects psychologiques, bien
distincte, et d’ailleurs en partie animée
par des médecins !
Nous ne remettons pas en cause ici
les bonnes volontés qui participent à
la mise en place de ces projets, mais
l’on ne peut que constater que ce qui
résonne intellectuellement comme une
évidence, l’intrication entre psyché et
soma, ne donne pas lieu sur le terrain
à des politiques de développement
qui y répondent. On suit toujours un
modèle de pratique qui cloisonne les
deux approches, au-delà des appels au
changement de nombreux médecins et
psychologues et du simple bon sens que
vient nourrir l’expérience clinique.
Notamment la douleur, qui est un symp-
tôme répondant à la définition globale
de “psychosomatique” telle que nous
l’avons envisagée (une façon de penser,