M I S E A U P O I N T Prise en charge du pied diabétique infecté " S. Jacqueminet*, G. Ha Van*, M. Lejeune*, A. Hartemann-Heurtier* RÉSUMÉ. Les prélèvements bactériologiques des plaies du pied diabétique sont dans la plupart des cas positifs, sans que, pour autant, l’infection ait un rôle majeur dans la pathogénie. La gravité est liée au terrain ischémique artériel qui expose au risque de gangrène et d’amputation. La chronicité est secondaire à la neuropathie, responsable d’une non-conscience de la gravité et d’une non-compliance aux soins. L’antibiothérapie, nécessaire en cas de cellulite ou d’ostéite, n’est qu’une composante du traitement, qui repose en premier lieu sur la mise en décharge complète de la plaie et la revascularisation artérielle si nécessaire. Mots-clés : Diabète - Neuropathie - Artérite - Ostéite. L e risque d’amputation demeure un problème grave du pied diabétique, et d’actualité, puisqu’on estime que 5 à 10 % des diabétiques de type 2 seront un jour amputés d’orteil, de pied ou de jambe (1). La neuropathie et l'artérite sont les deux facteurs de risque essentiels d’infection du pied diabétique. Une ulcération podologique survient sur un pied neuropathique dans 50 % des cas, sur un pied neuroischémique dans 30 % des cas et sur un pied vasculaire pur dans 20 % des cas. L’infection est une complication qui peut prendre la forme d’une cellulite ou d’une ostéite. rant se présente comme une ulcération au sein d’une plaque d’hyperkératose. Il est parfois artificiellement fermé, recouvert par cette plaque. Il sera alors révélé lors du soin de pédicurie d’abrasion de cette plaque de corne. PHYSIOPATHOLOGIE DES PLAIES DU PIED DIABÉTIQUE Le terrain ! Pied neuropathique : le mal perforant plantaire (photo 1). Le mal perforant plantaire est une complication typique du pied neuropathique Par définition, il est systématiquement infecté, dans le sens où les résultats des prélèvements locaux sont toujours positifs. Sa pathogénie repose surtout sur des mécanismes biomécaniques : hyperpression plantaire au niveau des têtes métatarsiennes, raideur articulaire avec déformations, troubles trophiques responsables de sécheresse cutanée. Cependant, c’est l’insensibilité à la douleur qui permet à ces différents facteurs de construire, après des mois d’évolution, un mal perforant plantaire. Le patient appuie au niveau de zones privilégiées d’hyperpression où se forme l’hyperkératose, qui se comporte comme un corps étranger agressif. L’absence de douleur entraîne la chronicisation avec apparition d’une poche de décollement sous-cutanée sous tension, responsable d’une force de cisaillement longitudinale. La corne se fendille, provoquant une effraction cutanée qui favorise la surinfection. Le mal perfo- * Service de diabétologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris Cedex 13. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - no 8 - novembre-décembre 2002 Photo 1. Mal perforant plantaire. 265 M I S E A U P O I N T Cette infection peut soit s’extérioriser à la peau, soit diffuser en profondeur vers les gaines tendineuses ou l’os adjacent responsable d’ostéite. L’examen clinique du mal perforant plantaire doit comporter impérativement la recherche de deux complications qui changeront radicalement les modalités de la prise en charge : il s’agit de l’ostéite et de l’artérite (voir plus loin). L’absence de sensibilité à la douleur va non seulement retarder, mais également rendre très difficile la prise en charge, dont la composante principale est la mise en décharge totale de la plaie. ! Pied diabétique artéritique. L’athérosclérose chez les patients diabétiques ne diffère pas de celle des non-diabétiques sur le plan anatomopathologique. En revanche, elle est plus précoce, plus sévère, et la répartition homme/femme est plus “égalitaire”. Elle touche beaucoup plus fréquemment les artères de jambe, et sa fréquente association à la neuropathie explique l’absence de douleur en cas d’ulcération et l’absence de claudication intermittente. Dans l’étude d’Apelqvist (2), 50 % des patients porteurs d’une gangrène n’avaient pas de douleur de décubitus. Le diagnostic clinique d’artérite repose sur la sémiologie classique, mais avec une prédominance des signes en distalité chez le diabétique : diminution ou abolition d’un pouls, en particulier tibial postérieur. L’examen de la peau, des phanères et de la plaie peut apporter des arguments complémentaires en faveur d’une artérite : peau fine, luisante, dépilée, plaie située sur des zones de frottement (parties latérales et dorsale du pied), aspect nécrotique. L’INFECTION DU PIED DIABÉTIQUE L’infection est une complication majeure des plaies chroniques du pied diabétique. Elle est, dans la grande majorité des cas, secondaire à une plaie, et non sa cause. Le facteur déclenchant est d’abord une blessure mécanique donnant accès à l’infection, qui se propage ensuite aux tissus. Mais, parfois, une mycose interdigitale ou unguéale peut se surinfecter et donner naissance secondairement à une plaie. Les causes de plaies sur un pied artéritique ou neuro-ischémique sont souvent d’origine mécanique : frottement d’une chaussure, blessure à partir d’un durillon ou d’un ongle incarné non soigné, coupure avec des ciseaux, etc. La plaie passe inaperçue en raison de la neuropathie associée, qui fait disparaître le signe d’alerte qu’est la douleur. La plaie non soignée va rapidement se surinfecter : infection des parties molles, puis, par contiguïté, de l’os, touchant d’abord la corticale puis la médullaire. Les signes locaux d’inflammation (rougeur, chaleur, œdème) et leur localisation traduisent une infection des parties molles et donnent une idée de son extension. Un écoulement, lorsqu’il est purulent, affirme cliniquement cette infection, mais celleci peut diffuser à distance et réaliser un abcès, voire un phlegmon des gaines tendineuses, sans s’extérioriser. Sur un pied artéritique, ces lésions prendront rapidement un aspect nécro266 tique (cellulite nécrosante). La nécrose peut entretenir l’infection qui, en se propageant, étend la zone ischémique. Cette plage nécrotique entourée d’un halo inflammatoire, voire purulent, est appelée “gangrène humide”. Le risque est l’extension par contiguïté aux zones saines. Si la plaie ne s’est pas surinfectée, mais a favorisé une ischémie locale, l’aspect peut être celui d’une gangrène sèche, limitée, de meilleur pronostic. La fièvre est un signe de gravité, mais la plupart des infections graves (cellulite, ostéite) du pied diabétique surviennent sans décalage thermique. Dans une série publiée par Armstrong (3), 87 % des patients admis avec une ostéite étaient apyrétiques. PRISE EN CHARGE D’UNE ULCÉRATION PODOLOGIQUE Bilan ! Prélèvements bactériologiques. Le diagnostic des germes incriminés dans l’infection est difficile, car l’écologie bactérienne des ulcérations du pied est polymicrobienne, et il n’existe toujours pas de consensus sur l’antibiothérapie de première intention à commencer avant les résultats bactériologiques. Les prélèvements superficiels sont souvent contaminés par les germes commensaux du pourtour de l’ulcère. Les prélèvements profonds par aspiration/lavage au cathlon semblent plus fiables, mais ont l’inconvénient de diluer le prélèvement, rendant l’examen direct incapable de repérer le germe prédominant. Le prélèvement de pus par drainage d’un abcès ou une biopsie chirurgicale est plus fiable, mais pas toujours réalisable. L’étude de Wheat comparant les différents types de prélèvements (4) montre que l’antibiothérapie instituée devant un prélèvement dit “non fiable” permet dans 92 % des cas de traiter le germe profond, mais avec un spectre trop large dans 31 % des cas. Un prélèvement à l’écouvillon dans le fond de l’ulcération après en avoir désinfecté la surface retrouve les germes responsables, mais aussi des commensaux dont il faut savoir ne pas tenir compte. En moyenne trois à cinq micro-organismes sont isolés par prélèvement, d’autant plus nombreux que la plaie est profonde et ischémique (5). Les germes les plus fréquemment retrouvés sont les cocci à Gram positif, incluant Staphylococcus aureus, staphylocoque à coagulase négative et streptocoque du groupe B. Les entérocoques, les bacilles à Gram négatif (Proteus spp, Escherichia coli, Klebsiella, Enterobacter) viennent ensuite. Le Pseudomonas aeruginosa est fréquemment retrouvé, mais doit être considéré la plupart du temps comme non pathogène. Il en est de même pour Corynebacterium spp, qu’on retrouve dans 20 % des cultures. Les germes anaérobies, exceptionnellement trouvés seuls, sont présents dans 80 % des cultures. Les anaérobies cocci à Gram positif doivent être considérés comme des contaminants, et sont présents dans les plaies peu graves, alors que Bacteroides spp est retrouvé dans les infections nécrosantes et doit être traité. L’incrimination du staphylocoque à coagulase négatif, fréquemment retrouvé dans les plaies banales, est s’il n’est pas seul isolé, discutable. On peut ne pas en tenir compte dans la couverture antibiotique initiale, suivre l’évolution clinique en traitant les germes pyogènes classiques, et ne le prendre en compte qu’en cas d’aggravation. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - no 8 - novembre-décembre 2002 M ! La recherche d’une ostéite. Le diagnostic d’ostéite peut être affirmé dès l’examen clinique : la présence d’un contact osseux lors de l’exploration de la plaie avec un stylet stérile mousse affirme une ostéite avec une valeur prédictive de 85 % (6) (photo 2). La mobilité complète d’une articulation (interphalangienne ou métatarso-phalangienne) signe la dislocation articulaire, dont l’origine dans ce contexte ne peut être que septique (ostéoarthrite). Des radiographies standard centrées sur la lésion doivent être systématiquement prescrites et renouvelées tous les 15 jours en cas d’évolution non favorable. Elles montrent des signes typiques, comme l’érosion corticale ou le décollement périosté en regard de la plaie. Dans le cas d’une plaie chronique, ne cicatrisant pas malgré la mise en décharge, en l’absence de contact osseux et en présence de radiographies I S E A U P O I N T d’interprétation difficile, on peut, en dernier recours, faire appel à l’association d’une scintigraphie osseuse au 99Tc-MDP avec la scintigraphie aux polynucléaires marqués au 99Tc-HMPAO. Dans les cas douteux, cette association d’examens aurait une sensibilité proche de 100 % et une spécificité de 95 % pour le diagnostic d’ostéite (7). ! Bilan vasculaire (figure 1). Il est indispensable aux décisions thérapeutiques. Toute chirurgie orthopédique doit être précédée d’un bilan artériel minimal. " Mesure de la pression transcutanée d’oxygène (TcPO2). Pos- sible au lit du patient, elle évalue la qualité de la circulation cutanée, et sa baisse est corrélée à l’existence d’une ischémie cutanée. Photo 2. Recherche de contact osseux à l’aide d’une pointe mousse stérile. Bilan vasculaire # clinique # TcPO2 # Doppler artériel jambe et pied Douleur décubitus et/ou nécrose et/ou claudication serrée Pas de nécrose Pas de douleur TcPO2* 30 mmHg et/ou doppler artériel distal de mauvais pronostic Artériopathie avec clichés tardifs Traitement médical Éviter le geste orthopédique Pontage et angioplastie impossibles Pontage distal ± angioplastie + poursuite du traitement médical Assèchement des lésions Assèchement des lésions Pas de nécrose Pas de douleur TcPO2* 30 mmHg 1 axe de jambe au doppler artériel Traitement médical Si ostéite : chirurgie conservatrice possible Traitement médical Si ostéite : chirurgie conservatrice possible Amputation limitée aux zones nécrotiques ou “autoamputation” La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - no 8 - novembre-décembre 2002 Figure 1. Arbre décisionnel chirurgical devant une ulcération artéritique ou neuro-ischémique. 267 M I S E A U P O I N T " Écho-doppler artériel. Il n’est pas indispensable au diagnostic positif d’artérite, qui est le plus souvent clinique, mais il est nécessaire en cas de doute, ou pour apprécier l’étendue et la sévérité des lésions Artériographie. Ce n’est pas un examen diagnostique ni de suivi. Il doit être réservé aux patients chez lesquels l’indication d’un geste de revascularisation a été posée. Les lésions étant multifocales, avec une nette prédominance des lésions fémoro-poplitées et jambières, l’exploration distale est indispensable. Elle nécessite la réalisation de grands clichés traditionnels tardifs. La totalité du pied doit être visualisée, afin de pouvoir définir le site d’implantation d’un pontage distal. " Traitement ! Hospitalisation. Elle est indispensable en cas : – de plaie chez un artéritique, pour réaliser un bilan artériel et contrôler la décharge ; – de la présence de signes généraux ou locaux extensifs ; – de la présence d’une ostéite ; – de non-compliance à la décharge. ! Mise en décharge de la plaie. La mise en décharge est une condition essentielle de cicatrisation. Elle doit supprimer ou diminuer l’hyperpression ou le frottement sur la plaie. Certains auteurs n’hésitent pas à dire qu’une plaie non correctement mise en décharge est une plaie non traitée ! Différents moyens peuvent être mis en œuvre pour la décharge de la plaie en fonction de sa localisation (8). Pour les plaies de l’avant-pied et des orteils. La solution la plus adaptée et la plus simple est le port d’une chaussure de décharge totale de l’avant-pied (type Barouk Mayzaud ou Barouk). Ces chaussures permettent la cicatrisation du mal perforant plantaire si elles sont portées à chaque fois que le patient pose le pied à terre, et s’il n’existe pas d’artériopathie sévère associée ou d’ostéite sous-jacente à traiter (voir plus loin). Le plâtre de décharge permet une décharge totale chez les patients ayant une mauvaise compliance pour la décharge classique, et lorsque la chronicité de la plaie entraîne un risque d’amputation. Cependant, il n’est pas anodin de mettre une botte plâtrée à des patients ayant une neuropathie. La technique de pose doit être rigoureuse. Le bénéfice de cette technique doit être pondéré par la nécessité d’une parfaite maîtrise technique et d’une surveillance étroite avec possibilité de revoir le patient régulièrement, et si besoin en urgence. Elle ne doit donc pas être utilisée en première intention. Elle est contre-indiquée chez les patients ayant une artérite sévère ou des œdèmes des membres inférieurs non stabilisés. " Les autres moyens de décharge de l’avant-pied peuvent être l’alitement, le fauteuil roulant ou les cannes béquilles. Remarque. Les semelles orthopédiques ou orthèses plantaires sont habituellement inefficaces pour guérir totalement un mal perforant plantaire. 268 " Pour les plaies dorsales des orteils ou des bords latéraux du pied. Un mal perforant ou une ulcération artérielle peuvent parfois survenir sur une zone de frottement. Dans ce cas, il est nécessaire de mettre en décharge la face dorsale de l’orteil, ou la face latérale du pied. Le moyen le plus simple est d’inciser en croix la chaussure habituelle en regard de la plaie. On peut aussi avoir recours à une chaussure de décharge type Orthop USA. Celle-ci, ouverte à l’avant, permet de loger un pansement en évitant le frottement sur la face dorsale des orteils. ! Équilibration du diabète. L’équilibration du diabète doit être optimale et rapide, comme dans toute infection bactérienne chez le diabétique. L’arrêt des biguanides s’impose et le recours à l’insuline est presque toujours nécessaire. ! Les soins locaux. Dans le cas d’un mal perforant, un débridement large retirant toute l’hyperkératose qui entoure la lésion doit être effectué de manière mécanique, à l’aide d’une pince convexe, ou pince-gouge. La plaie sera nettoyée au sérum physiologique. L’utilisation d’un antiseptique n’est pas recommandée. On appliquera ensuite localement un pansement peu gras du type Adaptic®. Une plaie nécrotique ne sera pas débridée avant d’être revascularisée (risque d’aggraver la nécrose), mais asséchée (fluorescéine aqueuse à 1 ‰). On doit néanmoins “mettre à plat” et exciser les collections purulentes sous tension. Une mycose interdigitale doit être traitée. ! L’antibiothérapie (9). L’indication de l’antibiothérapie doit être discutée. On distingue quatre éventualités : – Si la plaie ne présente pas d’aspect inflammatoire (rougeur, chaleur, œdème), s’il n’y a ni signe septique (écoulement séropurulent), ni aspect évocateur d’ostéite sous-jacente (voir plus loin), elle ne nécessite ni prélèvement bactériologique, ni antibiothérapie. La décharge, les soins locaux et l’équilibration du diabète, en l’absence d’ostéite et d’artérite, doivent permettre la cicatrisation. – Si la plaie présente des signes inflammatoires modérés (rougeur et chaleur localisées au pourtour de la plaie) et en l’absence de signes généraux (fièvre, frissons), il est préférable d’attendre les résultats du prélèvement bactériologique et de suivre l’évolution clinique, afin d’instaurer, uniquement si celle-ci n’est pas rapidement favorable, une antibiothérapie adaptée. Dans l’étude prospective randomisée de Chantelau sur des plaies neuropathiques peu sévères et sans ostéite (10), l’efficacité du placebo est comparable à celle de l’amoxicilline plus acide clavulanique (Augmentin®) en taux et durée de cicatrisation. Cette notion est renforcée par la constatation faite dans différentes études d’une amélioration clinique des plaies possible, alors même que l’antibiothérapie ne stérilise pas les prélèvements (11, 12). On vérifiera l’absence d’ostéite. En présence d’une artérite clinique, le patient sera hospitalisé pour un bilan vasculaire et une surveillance quotidienne (13). – Si la plaie présente des signes septiques évidents (écoulement purulent), ou inflammatoires extensifs (cellulite extensive), ou est associée à des signes ischémiques (nécrose pouvant traduire la présence d’une artérite, ou fasciite nécrosante), ou des signes généraux, il faut effectuer un prélèvement bactériologique, mettre la plaie en décharge et débuter une antibiothérapie probabiliste en attendant les résultats. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - no 8 - novembre-décembre 2002 M – Si la plaie s’accompagne de signes cliniques d’ostéite, l’urgence de l’antibiothérapie dépend de la présence ou non des signes de gravité décrits ci-dessus et de l’histoire de la plaie. La 3e Conférence de consensus de pathologie infectieuse a conclu à l’absence d’urgence devant les formes chroniques d’infections ostéo-articulaires (14). Il est donc justifié, devant une plaie chronique sans signes de gravité, même en présence d’une ostéite, d’attendre le résultat du prélèvement bactériologique pour mettre en route l’antibiothérapie, étant entendu que l’appui sur l’articulation doit être immédiatement et totalement supprimé. L’antibiothérapie initiale. Il n’y a pas de consensus sur la nature de l’antibiothérapie initiale à instituer, mais plusieurs paramètres sont à prendre en compte (15) : l’activité contre les microorganismes les plus fréquemment en cause ; les concentrations à obtenir au site de l’infection (os et parties molles) compte tenu de l’artérite ; la toxicité, en particulier rénale, chez des patients diabétiques multicompliqués avec possible néphropathie. " " L’activité sur les germes pathogènes les plus fréquemment en cause. Le seul antibiotique recueillant un certain consensus dans le traitement initial est l’amoxicilline plus acide clavulanique. Il est actif sur les staphylocoques méticilline-sensibles, les streptocoques, les entérocoques, les anaérobies et la plupart des entérobactéries. En l’absence de signes de gravité (fièvre ou signes locaux extensifs), on peut donc commencer un traitement par l’amoxicilline plus acide clavulanique seul, en attendant le résultat des prélèvements. En présence de signes de gravité, il est licite d’associer un aminoside. Il est actuellement conseillé d’administrer celui-ci en une seule injection par 24 heures. La situation est différente chez un patient multihospitalisé présentant une plaie. C’est souvent le cas des patients diabétiques ayant une ulcération du pied, qui sont les plus à risque de “récidiver”. Si le patient a été hospitalisé dans l’année ou bien fréquente une consultation hospitalière de podologie, il est à haut risque d’être porteur d’une bactérie multirésistante (BMR) (S. aureus méticilline-résistant ou P. aeruginosa multirésistant). Chez ces patients, il pourrait être justifié, en présence de signes généraux (fièvre, frissons), de commencer un triple traitement couvrant les germes hospitaliers avant de pouvoir les adapter aux prélèvements : association d’une bêtalactamine type pipéracilline plus tazobactam (Tazocilline®) ou imipénème plus cilastatine (Tienam®), avec un aminoside et un glycopeptide (Vancomycine®, Targocid®). Il est également licite, en dehors de signes infectieux graves, de ne pas couvrir les BMR et de traiter par amoxicilline-acide clavulanique, sachant que les BMR sont retrouvées dans moins de 50 % de ces plaies. " Les concentrations à obtenir au site de l’infection doivent être bactéricides, ce qui est difficile, compte tenu de la présence d’une artérite, limitant la diffusion des antibiotiques. Les posologies maximales de l’AMM doivent être prescrites, et l’administration doit se faire par voie parentérale. La toxicité rénale doit être prise en compte : les aminosides ne seront pas administrés plus de 5 jours, les posologies d’aminosides et de glyLa Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - no 8 - novembre-décembre 2002 I S E A U P O I N T copeptides doivent être adaptées à la clairance de la créatinine, et des dosages résiduels doivent être demandés à 24 heures. À la réception des résultats bactériologiques, le traitement doit être poursuivi en tenant compte des mêmes règles (posologie maximale de l’AMM, voie veineuse si possible) et des paramètres suivants : ne pas traiter d’emblée les germes commensaux, instituer un traitement avec le spectre le plus étroit possible, et, en cas d’ostéite (16), associer deux antibiotiques à bonne diffusion osseuse : pristinamycine, rifampicine, fosfomycine, acide fusidique, fluoroquinolones. Dans bien des cas, l’aide des bactériologistes est souhaitable, car une erreur de prescription peut favoriser l’émergence de bactéries multirésistantes. " " La durée de l’antibiothérapie n’est pas définie. Elle doit prendre en compte l’évolution clinique. La disparition des signes locaux inflammatoires et la stérilisation des prélèvements devraient conduire à son arrêt. Certaines équipes la poursuivent pourtant jusqu’à cicatrisation. En cas d’ostéomyélite, la durée totale de traitement recommandée serait de 10 à 12 semaines (17). Elle pourrait être plus courte en cas de résection chirurgicale du foyer ostéitique. ! Chirurgie orthopédique. En présence d’une ostéite, le délai de cicatrisation peut être nettement raccourci par l’association au traitement médical d’une chirurgie dite conservatrice (18). Après quelques jours de traitement médical visant à “refroidir” la plaie, on peut proposer un geste chirurgical, le plus limité possible, sur la partie osseuse infectée. Ce geste concernera donc une phalange ou une tête métatarsienne sans élargissement aux parties saines. Cette chirurgie limitée permet non seulement de raccourcir la durée de la plaie, mais aussi de conserver le maximum de points d’appui et l’aspect extérieur du pied. L’objectif est surtout de limiter le risque de récidive, mais aussi d’offrir une bonne acceptation psychologique. À l’occasion du geste chirurgical, l’ulcération sera mise à plat et la plaie refermée à l’aide de points de suture lâches. La mise en décharge postopératoire doit être totale jusqu’à cicatrisation. Cette chirurgie est réservée aux pieds neuropathiques, en l’absence d’artérite sévère. ! Chirurgie vasculaire. Devant un pied artéritique ou neuroischémique, tout geste de débridement agressif ou toute chirurgie orthopédique doivent être précédés d’un geste de revascularisation. Le cas le plus fréquent chez les patients diabétiques présentant une plaie ischémique du pied reste celui des lésions infra-inguinales isolées (fémoro-poplité) avec, fréquemment, une destruction quasi complète du réseau jambier. Heureusement, dans la majorité des cas, les clichés tardifs de l’artériographie révèlent la présence d’un axe artériel distal en bas débit, mais dont la revascularisation peut permettre le sauvetage du membre et la cicatrisation. Ainsi, on réalise des pontages artériels distaux. En raison de sa longueur, la technique de référence est le pontage par veine saphène inversée in situ. Le risque périopératoire de cette chirurgie est aussi variable selon les études de 269 M I S E A U P O I N T 2 à 10 % de mortalité, mais ne dépasse pas celui des interventions pour amputation d’emblée. La réalisation d’un pontage artériel distal vaut donc la peine d’être tentée chaque fois que possible. Les contre-indications à ce type de geste de revascularisation sont exceptionnelles. L’angioplastie a l’avantage d’être un geste simple, réalisé sous anesthésie locale, à condition que la lésion sténosante soit courte, unique, non calcifiée et à distance d’un ostium. Ces conditions sont rarement remplies chez le patient diabétique présentant une ulcération du pied ischémique. Mais cette technique, en distalité (sous-poplité) chez le patient diabétique, est encore du domaine de l’évaluation. L’angioplastie sur une sténose haute, associée à un pontage distal, pourrait avoir un intérêt. Les gestes de revascularisation (pontage artériel distal et angioplastie) précéderont toujours des soins locaux plus agressifs ou la prise en charge chirurgicale d’une ostéite (13). CONCLUSION L’infection est une complication et non une cause des plaies du pied diabétique. L’antibiothérapie n’est qu’une composante du traitement, qui repose essentiellement sur la décharge. Dans la plupart des cas, l’antibiothérapie sera commencée après récupération des résultats bactériologiques, et sa durée sera fonction de la clinique. En l’absence d’artérite, l’ostéite sera traitée par un geste chirurgical limité, encadré par une double antibiothérapie à bonne diffusion osseuse. $ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Rieber GE. The epidemiology of diabetic foot problems. Diabetic Med 1996 ; 13 : S6-S11. 2. Apelqvist J, Larsson J, Agardh CD. The importance of peripheral pulses, peripheral oedema and local pain for the outcome of diabetic foot ulcers. Diabetic Med 1990 ; 7 : 590-4. 3. Armstrong DG, Lavery LA, Sariaya M, Ashry H. Leukocytosis is a poor indicator of acute osteomyelitis of the foot in diabetes mellitus. J Foot Ankle Surg 1996 ; 35 : 280-3. 4. Wheat LJ, Allen SD, Henry M et al. Diabetic foot infections : bacteriologic analysis. Arch Intern Med 1986 ; 146 : 1935-40. 5. Frykberg RG, Veves A. Diabetic foot infections. Diabetes Metab Rev 1996 ; 12 : 255-70. 6. Grayson ML, Gibbons GW, Balogh K, Levin E, Karchmer AW. 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Quels sont les examens nécessaires C II. Devant une plaie non artérielle, au diagnostic d’ostéite ? ? la composante essentielle du traitement est : ? III. Une plaie du pied diabétique nécessite toujours : a. radiographies centrées - b. IRM - c. scanner - d. recherche d’un contact osseux - e. scintigraphie aux leucocytes marqués a. antibiothérapie générale - b. antibiothérapie locale - c. décharge d.chirurgie - e.équilibration du diabète a.une antibiothérapie générale - b. un bilan vasculaire minimal c. des antiseptiques locaux - d. une exploration clinique de la plaie Voir réponses page 304 Marie-Hélène Nicolas-Chanoine, rédacteur en chef, remercie tous les auteurs des articles parus en 2002 dans La Lettre de l'Infectiologue, ainsi que les lecteurs de ces articles, dont les critiques et suggestions contribuent aussi à la qualité de la revue. Amoura Zahir, Bougnoux Marie-Élisabeth, Bourgot-Villada Isabelle, Bretagne Stéphane, Bricaire François, Caumes Éric, Chapelon-Abric Catherine, Chauveheid Marie-Paule, Chermette René, de Clercq Erik, Dupouy-Camet Jean, Fillet Anne-Marie, Flahault Antoine, Garrafo Rodolphe, Gouin François, Harzic Martine, Houin René, Jonquet Olivier, Korinek Annie, Miailhes Patrick, Paris Luc, Poirot Jean-Louis, Raffin-Sanson Marie-Laure, Raulo Yvon, Rouveix Élisabeth, Schlemmer Benoît, Veber Benoît et Wolkenstein Pierre. 270 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - no 8 - novembre-décembre 2002