Cette infection peut soit s’extérioriser à la peau, soit diffuser
en profondeur vers les gaines tendineuses ou l’os adjacent res-
ponsable d’ostéite. L’examen clinique du mal perforant
plantaire doit comporter impérativement la recherche de deux
complications qui changeront radicalement les modalités de la
prise en charge : il s’agit de l’ostéite et de l’artérite (voir plus loin).
L’absence de sensibilité à la douleur va non seulement retarder,
mais également rendre très difficile la prise en charge, dont la
composante principale est la mise en décharge totale de la plaie.
!Pied diabétique artéritique. L’athérosclérose chez les
patients diabétiques ne diffère pas de celle des non-diabétiques
sur le plan anatomopathologique. En revanche, elle est plus pré-
coce, plus sévère, et la répartition homme/femme est plus “éga-
litaire”. Elle touche beaucoup plus fréquemment les artères de
jambe, et sa fréquente association à la neuropathie explique
l’absence de douleur en cas d’ulcération et l’absence de clau-
dication intermittente. Dans l’étude d’Apelqvist (2), 50 % des
patients porteurs d’une gangrène n’avaient pas de douleur de
décubitus.
Le diagnostic clinique d’artérite repose sur la sémiologie clas-
sique, mais avec une prédominance des signes en distalité chez
le diabétique : diminution ou abolition d’un pouls, en particu-
lier tibial postérieur. L’examen de la peau, des phanères et de
la plaie peut apporter des arguments complémentaires en faveur
d’une artérite : peau fine, luisante, dépilée, plaie située sur des
zones de frottement (parties latérales et dorsale du pied), aspect
nécrotique.
L’INFECTION DU PIED DIABÉTIQUE
L’infection est une complication majeure des plaies chroniques
du pied diabétique. Elle est, dans la grande majorité des cas,
secondaire à une plaie, et non sa cause. Le facteur déclenchant
est d’abord une blessure mécanique donnant accès à l’infec-
tion, qui se propage ensuite aux tissus. Mais, parfois, une
mycose interdigitale ou unguéale peut se surinfecter et donner
naissance secondairement à une plaie.
Les causes de plaies sur un pied artéritique ou neuro-ischémique
sont souvent d’origine mécanique : frottement d’une chaussure,
blessure à partir d’un durillon ou d’un ongle incarné non soi-
gné, coupure avec des ciseaux, etc. La plaie passe inaperçue en
raison de la neuropathie associée, qui fait disparaître le signe
d’alerte qu’est la douleur. La plaie non soignée va rapidement
se surinfecter : infection des parties molles, puis, par contiguïté,
de l’os, touchant d’abord la corticale puis la médullaire.
Les signes locaux d’inflammation (rougeur, chaleur, œdème)
et leur localisation traduisent une infection des parties molles
et donnent une idée de son extension. Un écoulement, lorsqu’il
est purulent, affirme cliniquement cette infection, mais celle-
ci peut diffuser à distance et réaliser un abcès, voire un phleg-
mon des gaines tendineuses, sans s’extérioriser. Sur un pied
artéritique, ces lésions prendront rapidement un aspect nécro-
tique (cellulite nécrosante). La nécrose peut entretenir l’infec-
tion qui, en se propageant, étend la zone ischémique. Cette plage
nécrotique entourée d’un halo inflammatoire, voire purulent,
est appelée “gangrène humide”. Le risque est l’extension par
contiguïté aux zones saines. Si la plaie ne s’est pas surinfectée,
mais a favorisé une ischémie locale, l’aspect peut être celui
d’une gangrène sèche, limitée, de meilleur pronostic.
La fièvre est un signe de gravité, mais la plupart des infections
graves (cellulite, ostéite) du pied diabétique surviennent sans
décalage thermique. Dans une série publiée par Armstrong (3),
87 % des patients admis avec une ostéite étaient apyrétiques.
PRISE EN CHARGE D’UNE ULCÉRATION PODOLOGIQUE
Bilan
!Prélèvements bactériologiques. Le diagnostic des germes
incriminés dans l’infection est difficile, car l’écologie bactérienne
des ulcérations du pied est polymicrobienne, et il n’existe tou-
jours pas de consensus sur l’antibiothérapie de première inten-
tion à commencer avant les résultats bactériologiques. Les pré-
lèvements superficiels sont souvent contaminés par les germes
commensaux du pourtour de l’ulcère. Les prélèvements profonds
par aspiration/lavage au cathlon semblent plus fiables, mais ont
l’inconvénient de diluer le prélèvement, rendant l’examen direct
incapable de repérer le germe prédominant. Le prélèvement de
pus par drainage d’un abcès ou une biopsie chirurgicale est plus
fiable, mais pas toujours réalisable. L’étude de Wheat comparant
les différents types de prélèvements (4) montre que l’antibio-
thérapie instituée devant un prélèvement dit “non fiable” permet
dans 92 % des cas de traiter le germe profond, mais avec un
spectre trop large dans 31 % des cas. Un prélèvement à l’écou-
villon dans le fond de l’ulcération après en avoir désinfecté la
surface retrouve les germes responsables, mais aussi des com-
mensaux dont il faut savoir ne pas tenir compte.
En moyenne trois à cinq micro-organismes sont isolés par pré-
lèvement, d’autant plus nombreux que la plaie est profonde et
ischémique (5). Les germes les plus fréquemment retrouvés
sont les cocci à Gram positif, incluant Staphylococcus aureus,
staphylocoque à coagulase négative et streptocoque du
groupe B. Les entérocoques, les bacilles à Gram négatif (Pro-
teus spp, Escherichia coli, Klebsiella, Enterobacter) viennent
ensuite. Le Pseudomonas aeruginosa est fréquemment
retrouvé, mais doit être considéré la plupart du temps comme
non pathogène. Il en est de même pour Corynebacterium spp,
qu’on retrouve dans 20 % des cultures. Les germes anaérobies,
exceptionnellement trouvés seuls, sont présents dans 80 % des
cultures. Les anaérobies cocci à Gram positif doivent être consi-
dérés comme des contaminants, et sont présents dans les plaies
peu graves, alors que Bacteroides spp est retrouvé dans les
infections nécrosantes et doit être traité. L’incrimination du sta-
phylocoque à coagulase négatif, fréquemment retrouvé dans
les plaies banales, est s’il n’est pas seul isolé, discutable. On
peut ne pas en tenir compte dans la couverture antibiotique ini-
tiale, suivre l’évolution clinique en traitant les germes pyogènes
classiques, et ne le prendre en compte qu’en cas d’aggravation.
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n
o
8 - novembre-décembre 2002
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