Dossier Pegvisomant, un antagoniste de l’hormone de croissance Antagonistes de la GH :

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Pegvisomant,
un antagoniste de l’hormone de croissance
V. Goffin*, P. Touraine**
points FORTS
▲ L’acromégalie est une pathologie résultant d’un excès de sécrétion d’hormone de croissance liée, dans la grande majorité des cas, à un adénome
hypophysaire (cellules somatotropes). Les manifestations cliniques sont
une croissance générale accrue (os longs, tissus) et diverses pathologies
associées (risque cardiovasculaire, cancers). Ces effets résultent de l’activation du récepteur somatogénique mais peuvent également impliquer le
récepteur de la prolactine, auquel la hGH est également capable de se lier.
▲ Les thérapies actuelles impliquent essentiellement les approches classiques :
neurochirurgie (adénomectomie), radiothérapie et hormonothérapie
(analogues de somatostatine/dopamine). Bien que souvent satisfaisantes,
ces approches ne permettent pas toujours d’inhiber efficacement les effets
de l’hypersécrétion de GH (growth hormone).
▲ Le pegvisomant est un antagoniste de la GH. D’un point de vue moléculaire,
il s’agit d’un variant de hGH contenant 9 mutations ponctuelles. Ses propriétés antagonistes résultent d’une seule mutation (la glycine de l’hélice 3),
les 8 autres mutations lui conférant entre autres une spécificité de liaison
pour le seul récepteur somatogénique. Enfin, pour augmenter la demi-vie
du pegvisomant in vivo, ce variant est complexé à des molécules de polyéthylène glycol (PEG), ce qui diminue sa filtration rénale et contribue également à diminuer son potentiel immunogène.
▲ Le pegvisomant cible non pas la tumeur hypophysaire (c’est-à-dire la
réduction de la synthèse de GH) mais l’action biologique de la GH sur ces
tissus cibles. Il se lie au récepteur de la GH sans l’activer et, par un simple
phénomène de compétition avec la GH endogène, l’empêche d’exercer
ses effets. Il n’a donc théoriquement aucun effet biologique intrinsèque.
▲ Contrairement aux analogues de somatostatine/dopamine, le pegvisomant
ne réduit pas les taux circulants de GH ni le volume de la tumeur hypophysaire ; parfois même, il a un effet inverse. Cependant, il bloque l’action
biologique de la GH, ce qui se traduit par la baisse des taux circulants
d’IGF-1 (second messager de la GH). L’efficacité du traitement s’apprécie
donc par la mesure des taux d’IGF-1 et non, comme dans les traitements
hormonaux classiques (octréotide, lanréotide), par la baisse des taux de GH.
▲ Dans les études cliniques réalisées à ce jour, le pegvisomant permet de
normaliser les taux d’IGF-1 chez plus de 90 % des patients acromégales
traités quotidiennement (20 mg en s.c.), avec réduction des désordres
associés (gonflements des tissus mous, maux de tête, asthénie, etc.). Le
traitement est globalement bien toléré, avec cependant quelques cas
d’effets secondaires (croissance du volume tumoral, hépatotoxicité).
▲ Quelques données expérimentales (modèles cellulaires et/ou animaux)
suggèrent que les antagonistes de la GH pourraient également avoir un
effet bénéfique dans d’autres pathologies, comme la croissance de certains
cancers, la néphropathie ou la rétinopathie diabétique. Les données
cliniques sont cependant encore à venir.
▲ Le pegvisomant n’est pas encore disponible sur le marché français.
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
Antagonistes de la GH :
quelles applications ?
L’acromégalie est une pathologie
résultant d’un excès de sécrétion
d’hormone de croissance (GH pour
growth hormone), le plus généralement causée par un adénome hypophysaire affectant les cellules somatotropes. Les manifestations cliniques
de l’acromégalie sont une croissance
excessive de nombreux tissus (tissus
mous, os des mains et des pieds, infiltration des tissus mous), des maux
de tête ou encore une altération
visuelle par phénomène compressif
de la tumeur hypophysaire, autant
de signes qui peuvent être associés
à des troubles cardiovasculaires, une
hypertension, une résistance à l’insuline ou encore à diverses formes de
tumeur. En l’absence de traitement
adéquat, l’acromégalie s’associe à
un taux de mortalité élevé, résultant
principalement de ses conséquences
cardiovasculaires et néoplasiques (1).
Les traitements actuels de cette pathologie relèvent de la chirurgie (adénomectomie), de la radiothérapie ou
de l’hormonothérapie (administration de somatostatine/dopamine qui
diminue la sécrétion hypophysaire
de GH). Cependant, cette dernière
approche n’est pas toujours efficace
pour abaisser de manière satisfaisante les taux de GH circulants
ni, en corollaire, ceux de son second
messager, l’IGF-1 (insulin-like
growth factor 1). De même, ils ne
* INSERM U584, cibles tissulaires et moléculaires
des hormones, faculté de médecine Necker.
** Département d'endocrinologie et médecine
de la reproduction, hôpital Necker-EnfantsMalades, Paris.
permettent pas toujours de réduire
le volume de la tumeur hypophysaire.
La recherche d’autres stratégies
thérapeutiques reste donc d’actualité. Parmi celles-ci, le pegvisomant,
un antagoniste de la GH, a fait une
entrée remarquée lors du 81e congrès
A.
annuel de l’Endocrine Society en
1999 (San Diego, Californie) et est
actuellement en phase III d’essai
clinique. Si l’acromégalie est clairement la pathologie la plus directement liée à un excès de sécrétion de
GH et constitue donc la première
B.
4
hydrophile
hydrophobe
3
2
1
N
C
C.
Ala122→Asp
Ala Asp
Glu
Glu 111 122 115 Glu
118
126
Arg
Gly
125
119
Lys
Lys
bGH
114
112
Leu
Leu
109-126
123
121
Leu
Tyr
116
110Glu
Val
117 Met Leu Ile 109
124 113 120
D.
Asp Asp
Glu
Glu 111 122 115 Glu
118
126 Arg
Arg
119
125
Lys
Lys
bGH M8
114
112
Leu
Leu
109-126
123
121
Leu
Tyr
116
110
Val
Leu
109
Met
Ile
117
Leu
124 113 120
Gly119→Arg
Gly117→Leu
cible thérapeutique du pegvisomant,
l’inhibition des actions de la GH
pourrait se révéler bénéfique pour
d’autres pathologies dans lesquelles
l’implication de cette hormone (ou
de l’IGF-1) semble progressivement
émerger, par exemple la néphropathie diabétique, la rétinopathie
diabétique, le diabète non insulinodépendant ou encore certaines formes
de cancer. Les données relatives
aux effets du pegvisomant dans le
contexte de ces diverses pathologies
n’étant encore que très préliminaires,
nous ne nous y attarderons pas.
Dans le cadre de ce bref article de
synthèse, notre objectif est, d’une
part, de retracer les principales étapes
du développement des antagonistes
de la GH, dont la version thérapeutique est le pegvisomant, d’autre
part, de résumer les quelques études
in vivo publiées au cours des deux
ou trois dernières années, qu’il
s’agisse de modèles expérimentaux
ou, pour les plus récentes, des essais
cliniques de phases I à III.
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Aspects moléculaires
Historique
Transgénique
Transgénique
bGH-M8 sauvage
bGH
Figure 1. De la structure tridimensionnelle de la GH aux souris naines.
a. Structure tridimensionnelle de la GH, composée de quatre hélices α antiparallèles. Les
numéros des hélices sont placés à l’extrémité N-terminale de chacune d’elles.
b. Représentation schématique d’un tonneau de 4 hélices amphiphiles parfaites. Les faces
hydrophobes des hélices (bleues) sont orientées vers l’intérieur de la protéine, alors que les
faces hydrophiles (oranges) pointent vers l’extérieur.
c. Projection de l’hélice 3 de la GH bovine (bGH) selon son axe longitudinal. L’hélice présente un
caractère amphiphile marqué bien qu’imparfait en trois positions (Glu 117, Gly 119 et Ala 122).
Un profil d’hydrophobicité parfait est obtenu lorsque ces trois résidus sont remplacés par des
acides aminés à caractère d’hydrophobicité/hydrophilicité approprié, générant le mutant de
bGH appelé M8.
d. Alors que les souris transgéniques exprimant la bGH ont un phénotype de gigantisme, celles
exprimant le mutant bGH-M8 ont un phénotype nain, indiquant que ce variant exerce une
activité antagoniste de la GH endogène.
L’histoire du pegvisomant commence dans la seconde moitié des
années 1980, lorsqu’un groupe américain (Monsanto Corp., Saint Louis)
parvient à déterminer la structure
tridimensionnelle (3D) de l’hormone
de croissance porcine par cristallographie aux rayons X (2). Confirmant
les études antérieures de structure
secondaire, effectuées notamment
par dichroïsme circulaire, l’étude
cristallographique démontre la présence de quelque 50 % de structures
hélicoïdales, réparties en 4 hélices α
antiparallèles (figure 1a). Si, globalement, cette structure tertiaire faisait déjà partie des modes de repliement connus pour d’autres protéines
(par exemple, le cytochrome c), la
structure de la GH apparaît cependant singulière dans la connectivité
des hélices, c’est-à-dire la disposition
des boucles reliant les hélices entre
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
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elles (2). Cette connectivité particulière fut d’ailleurs un des arguments
majeurs pour rassembler au sein
de la même famille des “cytokines
hématopoïétiques” des ligands aussi
différents que la prolactine et la
GH, l’érythropoïétine, la plupart
des interleukines ou encore la leptine (3). Les spécialistes de l’analyse structurale des protéines ont
constaté que, dans ce type de structure 3D, les hélices présentent souvent un caractère amphiphile (ou
amphipathique). En d’autres termes,
si l’on regarde ces hélices comme
des cylindres selon leur axe longitudinal (figure 1b), la surface du
cylindre (c’est-à-dire de l’hélice)
orientée vers l’intérieur de la molécule est généralement constituée
d’acides aminés à caractère globalement hydrophobe, alors que la
moitié orientée vers l’extérieur est
constituée d’acides aminés à caractère majoritairement hydrophile.
Cette distribution spécifique des
acides aminés au sein des hélices
dites “amphipathiques” n’est pas
fortuite, puisqu’elle contribue entre
autres à stabiliser la protéine, les
acides aminés hydrophobes des
faces internes des hélices α, créant
conjointement un “cœur hydrophobe” dont les molécules d’eau
sont exclues, alors que, au contraire,
l’hydrophilicité des faces externes
des hélices contribue à la solubilité
de la protéine dans les solvants
aqueux. Dans les GH porcines et
bovines, très similaires quant à leur
séquence, c’est surtout l’hélice 3,
comprenant les acides aminés 109 à
126, qui présente un caractère
amphiphile (figure 1c). Cette amphiphilicité n’est cependant pas optimale, puisque la glycine 119, acide
aminé neutre en termes d’hydrophilicité, et l’alanine 122 sont sur
la face exposée au solvant, alors que
le glutamate 117, un acide aminé
hydrophile et chargé négativement,
pointe, quant à lui, vers le cœur
hydrophobe de la protéine.
À la charnière des années 1980-1990,
le Dr J.J. Kopchick et ses collègues
(Ohio University) entreprennent de
générer un variant de GH dans
lequel l’amphiphilicité de l’hélice 3
allait être rendue “théoriquement”
parfaite, le but avoué étant d’obtenir
des superagonistes de la GH en vue
d’applications potentielles dans
des contextes pathologiques de
déficience en GH (4). Pour ce faire,
cette équipe remplace le glutamate
117 par une leucine (hydrophobe),
la glycine 119 et l’alanine 122 respectivement par une arginine et un
aspartate, deux résidus chargés et
hydrophiles (figure 1c). Maîtrisant
parfaitement les techniques de
transgenèse, cette équipe produit
dans la foulée plusieurs lignées de
souris génétiquement modifiées,
exprimant ce variant de GH contenant les 3 mutations ponctuelles susmentionnées et dénommé bGH-M8.
Les effets de la surexpression de la
GH in vivo présentant l’immense
avantage d’être très rapidement
repérables par un phénotype de
gigantisme (figure 1d) d’installation
progressive dès la première quinzaine de vie postnatale, la seule
analyse visuelle de ces souris transgéniques allait permettre de se faire
une idée assez précise de l’activité
du mutant de GH surexprimé. Et là,
quelle ne fut pas la surprise de
constater que les souris exprimant le
mutant bGH-M8 présentaient un
phénotype de nanisme (figure 1d),
leurs taille et poids étant réduits de
manière proportionnelle au taux
d’expression de la protéine transgénique dans chaque souris analysée
(4) ! Alors que l’affinité du mutant
bGH-M8 pour le récepteur somatogénique se révèle identique à celle
de l’hormone sauvage, ces observations montraient, pour la première
fois, que la liaison au récepteur et
la capacité à l’activer n’étaient pas
nécessairement deux événements
couplés, les auteurs proposant que
leur variant de bGH agisse in vivo
comme un antagoniste de l’hormone
endogène. L’obtention de lignées
transgéniques exprimant les variants
de GH contenant individuellement
l’une des trois mutations précitées
allait permettre d’identifier la seule
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mutation de la glycine 119 comme
responsable du phénotype nain,
c’est-à-dire nécessaire et suffisante
pour générer un antagoniste de la GH
(5). Bien inspiré, le Dr Kopchick
protège ces mutants de GH par un
brevet (6) et publie ses résultats peu
après, se limitant à l’époque à
conclure que “l’hélice 3 est importante pour l’activité biologique de
la GH”. Sans le savoir encore,
l’histoire du pegvisomant venait de
commencer et, comme on l’aura
perçu, sur une observation totalement fortuite.
Bases moléculaires
de l’activité antagoniste
des mutants de GH
À peu près à la même époque que
ces études pionnières menées à
l’Université d’Ohio, la société de
biotechnologie Genentech (South
San Francisco, Californie) lançait
une étude de grande envergure de
l’hormone de croissance humaine
(hGH), dont l’ADN complémentaire avait été cloné quelque dix ans
plus tôt par une équipe de l’UCSF
(7, 8). Cette analyse plurielle de la
hGH, focalisée sur des éléments
structuraux, biochimiques et biologiques (9), allait amener des
connaissances essentielles dans la
compréhension des mécanismes
moléculaires régissant l’interaction
entre l’hormone et son récepteur
(GHR). Parmi les travaux les plus
marquants de cette vaste étude, la
détermination de la structure 3D du
complexe entre la GH et le domaine
extracellulaire du GHR (10) allait
rapidement devenir une donnée
incontournable dans le contexte de
l’activation des récepteurs de cytokines (figure 2a). Ce fut en effet la
première démonstration claire de
l’hormone de croissance induisant
la dimérisation de son récepteur :
une seule molécule de GH interagit
avec deux molécules (identiques) de
récepteur (figures 2a et 3a). Cette
interaction implique deux régions
distinctes sur l’hormone, appelées
site de liaison 1 (entre GH et pre-
A.
hGH
hGHBP1
hGHBP2
B.
Hélice 3
Arginine
Glycine
Figure 2. Bases structurales de l’action
antagoniste des mutants de la glycine de
l’hélice 3
a. Structure tridimensionnelle du complexe
hGH-hGHBP2 (BP : domaine extracellulaire
du GHR). Cette structure cristallographique
fut la première démonstration claire de la
GH induisant la dimérisation de son récepteur, ce qui implique deux régions de l’hormone (sites de liaison).
b. La glycine de l’hélice 3 permet l’existence
d’une cavité (trait blanc) entre les hélices 1
et 3. Lorsque la glycine est remplacée par
une arginine, cette cavité est occupée par la
chaîne latérale plus encombrante que celle
de la glycine (un hydrogène), ce qui crée un
encombrement stérique au sein du site de
liaison 2 de la GH (trait pointillé).
mière molécule de GHR) et site de
liaison 2 (entre GH et seconde molécule de GHR). Complémentant cette
analyse structurale pionnière, un
ensemble d’éléments biochimiques
allaient ensuite renforcer la caractérisation de cette interaction hormonerécepteur. En 1992, le groupe du
Genentech publie dans la revue
Science l’article faisant désormais
référence pour les antagonistes de la
GH humaine (11). Comme l’on
pouvait s’y attendre à la lumière des
travaux antérieurs de Kopchick et
al. sur la GH bovine, le remplacement de la glycine de l’hélice 3 de
la hGH par une arginine (mutant
G120→R) génère également un
antagoniste. Grâce à l’analyse de la
structure 3D du complexe GH/GHR
(10), le mécanisme sous-tendant les
propriétés antagonistes des mutants
de la glycine allait enfin être
décrypté. L’interaction entre le site
2 de l’hormone – auquel appartient
la glycine de l’hélice 3 – et le récepteur est directement corrélée à la
petite taille de cet acide aminé. En
effet, grâce à une chaîne latérale
réduite à sa plus simple expression
(un atome d’hydrogène), la glycine
contribue à l’existence d’une cavité
(figure 2b, droite) entre les hélices
1 et 3, dans laquelle viennent s’ancrer deux résidus tryptophane du
récepteur (10). Le remplacement de
la glycine par quelque acide aminé
que ce soit, c’est-à-dire de l’hydrogène par toute autre chaîne latérale,
vient encombrer la cavité (figure 2b,
gauche), empêchant par là même
les résidus tryptophane du récepteur
d’établir une interaction fonctionnelle avec le site 2 de l’hormone. En
corollaire, le variant G120R-hGH
(ou bGH-G119R) n’est plus capable
d’induire une dimérisation fonctionnelle du GHR (figure 3b). En
revanche, comme son site de liaison 1
n’est pas altéré, il garde la capacité
de se lier au récepteur et peut donc
agir comme compétiteur de l’hormone sauvage lorsque les deux
ligands sont mis en présence l’un de
l’autre (figure 3c), comme dans le
cas des souris transgéniques évoqué
plus haut (GH endogène et antagoniste transgénique) (4). Le mutant
exerce alors une activité antagoniste
de manière dose-dépendante, par un
simple mécanisme de compétition
pour la liaison au récepteur. En
conclusion, et c’est un point extrêmement important à garder en mémoire
pour l’application clinique, les antagonistes de la GH n’ont – jusqu’à
preuve du contraire – aucune activité intrinsèque, c’est-à-dire qu’ils
n’induisent aucun phénomène sur
les cellules cibles et n’agissent qu’en
empêchant la GH naturelle de se lier
à son récepteur et, ainsi, d’exercer
ses activités biologiques.
Développement du pegvisomant
Le mécanisme d’action des antagonistes de la GH contenant la mutation
“glycine” reposant sur une compétition avec la GH, cette propriété est
directement corrélée avec son affinité de liaison pour le récepteur
somatogénique. La mutation de la
glycine n’affecte pas l’affinité de
liaison de l’hormone pour le GHR ;
lorsque les hormones sauvage et
mutée sont en quantité équimolaire,
on observe donc une diminution
d’activité de l’ordre de 50 %. En
corollaire, le mutant doit être présent en excès molaire par rapport
à la GH sauvage pour inhiber totalement l’activité somatogénique. La
première étape du développement
d’un antagoniste utilisable dans
un contexte thérapeutique fut donc
d’améliorer l’affinité de liaison du
G120R-hGH. Grâce au criblage
d’envergure réalisé par phage display (analyse de l’effet de mutations
aléatoires sur l’affinité de la hGH
pour son récepteur soluble), plusieurs substitutions d’acides aminés
ayant un effet bénéfique sur ce paramètre furent identifiées (12). Une
seconde version du G120R-hGH
répondant au nom de B2036 fut donc
générée, se différenciant du G120RhGH par la présence de 8 substitutions additionnelles dans le site de
liaison 1 (12). De manière encore
mal comprise, cependant, l’augmentation d’affinité (d’un facteur 5) de
ce nouveau variant, mise en évidence sur le récepteur soluble, n’est
pas observée sur la forme membranaire du GHR (13), qui est et reste
la principale cible moléculaire des
antagonistes in vivo. Toutefois, le
B2036 présente un avantage non
négligeable sur le G120R-hGH. En
effet, la hGH a la capacité de se lier
non seulement au récepteur somatogénique, mais également au récepteur lactogénique (ou récepteur de
la prolactine, le PRLR), très proche
du GHR d’un point de vue structural
(14). Comme la hGH naturelle, le
mutant G120R-hGH est capable de
se lier au PRLR et exerce également
des propriétés antagonistes sur ce
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
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récepteur in vitro (15). En revanche,
parmi les 8 mutations supplémentaires introduites dans le site 1 du
B2036, certaines affectent des résidus clés de l’interaction hGH-PRLR
(16). C’est le cas notamment du
glutamate 174, résidu impliqué dans
la coordination d’un ion de zinc lors
A.
de l’interaction hGH-hPRLR, et dont
la seule mutation en alanine diminue
350 fois l’affinité de la hGH pour le
récepteur soluble de la PRL (17).
En conséquence, ces 8 mutations
empêchent le B2036 de se lier au
récepteur de la PRL (18), ce qui
confère à ce mutant une spécificité
hGH
1 2
1 2
1 2
membrane plasmique
hGHR
B.
inactif
actif
IGF-1
Pegvisomant
PEG
PEG
1
PEG
PEG
PEG
PEG
PEG
1
PEG
membrane plasmique
PEG
PEG
PEG
PEG
PEG
inactif
IGF-1
+ Pegvisomant
C.
PEG
PEG
1
hGH
1 2
PEG
PEG
PEG
PEG
PEG
1
1 2
membrane plasmique
PEG
PEG
PEG
PEG
PEG
1
PEG
PEG
PEG
inactif
actif
IGF-1
IGF-1
Figure 3. Bases moléculaires de l’action antagoniste du pegvisomant.
a. La GH active son récepteur en induisant sa dimérisation de manière séquentielle : le site de
liaison 1 d’abord, puis le site de liaison 2 ensuite interagissent chacun avec une molécule de
récepteur. Une fois dimérisé, le GHR active les cascades de signalisation intracellulaire, ce
qui conduit notamment à la synthèse de son second messager, l’IGF-1.
b. Dans le pegvisomant, le remplacement de la glycine de l’hélice 3 par une lysine génère un
encombrement stérique dans le site 2 (figure 2b), ne permettant plus à cette région d’établir
une liaison fonctionnelle avec le GHR. Ce mutant de hGH, bien qu’encore capable d’interagir
avec le récepteur via son seul site 1, est donc inactif, ce qui se traduit notamment par son
incapacité à induire l’expression d’IGF-1.
c. Lorsque le pegvisomant est mis en présence de la hGH naturelle, une compétition s’exerce
pour la liaison au GHR. Lorsque la concentration de pegvisomant est suffisante pour prendre
le pas sur la hGH endogène, l’effet antagoniste du mutant supplante l’effet agoniste de l’hormone naturelle, ce qui se traduit par la baisse des taux circulants d’IGF-1.
PEG : polyéthylène-glycol.
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
de liaison pour le seul GHR, avantage
non négligeable dans un contexte
thérapeutique, car il est toujours plus
complexe de contrôler les effets
d’une molécule ayant plusieurs cibles
moléculaires. Bien que le B2036
soit un antagoniste efficace de la
hGH, certaines observations expérimentales suggèrent que ce variant
demeure capable d’induire la formation de dimères de récepteurs,
sans qu’un tel dimère n’adopte toutefois une conformation permettant
l’activation des voies de signalisation en aval (13). Cette observation
demande cependant confirmation.
Une dernière amélioration apportée
au cours du développement du pegvisomant est le paramètre de sa
demi-vie in vivo. La GH (naturelle
ou mutée) a une demi-vie qui oscille
aux alentours de 15 à 60 minutes
selon l’espèce considérée (19).
Dans la perspective d’inhiber efficacement et de manière prolongée
les effets biologiques résultant des
taux élevés de hGH, il est donc préférable d’administrer un antagoniste
dont la demi-vie sera aussi longue
que possible. Dans cette optique,
des molécules de polyéthylène glycol (PEG5000) ont été greffées sur
l’antagoniste B2036, générant le
B2036-PEG ou pegvisomant (figure
2c, tableau I). La “PEGylation” a
plusieurs avantages. Le premier
concerne la taille apparente de la protéine “PEGylée”. Une moyenne de
4 à 5 molécules de PEG5000 (masse
moléculaire de 5 000 daltons) étant
liées sur chaque protéine, la masse
moléculaire théorique du pegvisomant avoisine les 45-50 kDa, versus
22 kDa pour l’hormone “nue” (20).
Il est cependant probable que la
masse moléculaire apparente du
pegvisomant soit plus élevée encore,
l’encombrement stérique réel des
molécules de PEG étant, de par leur
structure polymérique, plus élevé
que celui d’une protéine globulaire
de masse équivalente. Il en résulte
une demi-vie nettement accrue (T1/2
de l’ordre de 15 heures), due essentiellement à une diminution du taux
de filtration glomérulaire rénale
(19). De plus, il a été montré que le
pegvisomant n’est pas internalisé
dans ses cellules cibles (via internalisation du complexe hormonerécepteur), ce qui diminue également son niveau de dégradation
(13). Par ailleurs, le PEG étant une
molécule inerte, il contribue à diminuer l’immunogénicité de la protéine
à laquelle il est lié, avantage notable
lorsqu’on se rappelle que le pegvisomant est une molécule de hGH
comportant 9 mutations ponctuelles.
Enfin, alors que la protéine de liaison
soluble de la GH (appelée GHBP,
pour GH binding protein) diminue
l’activité antagoniste du B2036,
sans doute par un phénomène de
compétition avec le récepteur membranaire pour la liaison au B2036,
cette GHBP n’influence pas l’activité antagoniste du pegvisomant
(13).
Au rang des aspects défavorables,
les molécules de PEG génèrent un
encombrement stérique non négligeable, qui crée une interférence lors
de l’interaction hormone-récepteur,
dont le résultat est une perte d’affinité
pour le GHR de l’ordre de 40 fois
par rapport au B2036 “nu” (13). Le
PEG étant conjugué aux amines
primaires du B2036, c’est-à-dire
essentiellement aux acides aminés
lysine, deux des 8 mutations introduites dans le site 1 du B2036
concernent des lysines (K168 et
K172, remplacées respectivement
par alanine et arginine) (tableau I),
afin de limiter l’encombrement du
site 1 par des molécules de PEG. À
l’inverse, dans le pegvisomant, la
glycine 120 est remplacée non par
une arginine, comme dans la version
originale de l’antagoniste (G120RhGH), mais par une lysine (G120KhGH), afin d’y favoriser la liaison
d’une entité de PEG et, ainsi, d’accroître encore l’encombrement stérique dans le site de liaison 2 et de
perturber plus efficacement le processus de dimérisation du récepteur
(figure 3b).
En résumé, les différentes versions
d’antagonistes de la GH (tableau I)
comprennent toujours une mutation
ponctuelle de la glycine de l’hélice
3 en un autre acide aminé, de préférence encombrant et dont le prototype est la substitution Gly→Arg
(G120R-hGH) ou Gly→Lys (G120KhGH). Le B2036 comporte de plus
8 mutations dans le site 1 visant à
augmenter l’affinité et à assurer une
spécificité de liaison pour le GHR.
Enfin, l’addition de molécules de
PEG au B2036 permet d’accroître la
demi-vie de la version thérapeutique
de l’antagoniste GH, le pegvisomant
(ou B2036-PEG, précédemment
appelé Trovert™ ou Somavert™).
Dossier
Dossier
Aspects expérimentaux
Pharmacologie du
pegvisomant
• Taux de GH, IGF-1 et IGFBP
L’objectif des approches thérapeutiques classiques de l’acromégalie
(adénomectomie, analogues somatostatine/dopamine) est la réduction
de la taille et de l’activité de la
tumeur produisant la GH, et leur
efficacité est évaluée selon la baisse
des taux circulants de GH et d’IGF-1.
Avec le pegvisomant, l’élément
ciblé n’est plus la production de la
GH par la tumeur, mais l’action biologique de l’hormone. En d’autres
termes, la cible moléculaire n’est
plus le gène hypophysaire de la
hGH, mais le récepteur somatogénique (GHR) exprimé à la surface
des cellules cibles. En conséquence,
l’action du pegvisomant in vivo se
reflète généralement par une baisse
du taux d’IGF-1, alors que le taux
de GH a, quant à lui, tendance à
augmenter suite à la perte du rétrocontrôle négatif exercé par l’IGF-1
(en baisse) (21). De plus, comme
expliqué précédemment, le pegvisomant doit être administré à doses
élevées pour exercer une compétition efficace avec la GH endogène
(elle-même élevée, par définition,
Tableau I.
Hormone
hGH
G120R-hGH
G120K-hGH
B2036
Mutations
PEG
Affinité
Spécificité
Activité
Dimérisation
Avantage
de liaison
du récepteur
Kd = 3nM GHR et PRLR
agoniste
oui
idem hGH GHR et PRLR antagoniste oui (?), mais non
inhibe
fonctionnelle
action hGH
• ↑ 5x
GHR
antagoniste
oui (?), mais
1. affinité (?)
pour GHBP
non fonctionnelle 2. spécificité
• idem hGH
GHR
pour GHR
aucune
0
site 2 : G120R
0
ou G120K
site 2 : G120K
0
site 1 : H18D,
H21N, R167N,
K168A, D171S,
K172R, E174S,
I179T
Pegvisomant Idem B2036 4 à 5 PEG
↓ 40x
par
pour GHR
molécule
d’hormone
GHR
antagoniste
non (?)
Autre nom
–
–
–
3. ↑ demi-vie B2036-PEG,
in vivo
Trovert™,
4. ↓ immuno Somavert™
génicité
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
25
Dossier
Dossier
dans les cas d’acromégalie). La plupart des radio-immuno-essais (RIA)
de routine pour la GH croisant avec
l’antagoniste, le taux apparent de
GH circulante est donc par définition considérablement élevé (22).
En résumé, la mesure des taux de
GH chez les patients traités au pegvisomant ne peut refléter l’efficacité
du traitement.
Le pegvisomant est moins actif chez
les rongeurs que chez les primates,
principalement parce que son affinité pour le GHR murin (rat/souris)
est de 20 à 50 fois inférieure à celle
pour le GHR humain (22). L’administration de pegvisomant à des
doses de 1 à 10 mg/kg/jour réduit de
manière dose-dépendante les taux
circulants d’IGF-1, avec un effet
plafonné à 70 % des valeurs contrôles.
Les taux hépatiques et rénaux de
transcrits IGF-1 sont également
réduits, contrairement à ceux de
l’IGFBP-3 (IGF binding protein-3).
Chez des singes ovariectomisés
traités au pegvisomant, l’administration d’IGF-1 restaure le taux
d’IGFBP-3, confirmant l’action
directe du pegvisomant sur l’axe
GH/IGF-1 (23). Bien que les taux
d’IGF-1 soient réduits de manière
rapide et constante après 5 jours
de traitement par 0,3 mg/kg, le taux
de GH reste élevé, voire augmente,
suite à des pics de sécrétion pulsatile
d’amplitude augmentée, sans changement de fréquence.
• Taille, reproduction
À notre connaissance, des souris
transgéniques exprimant le B2036
n’ont pas été générées à ce jour. Les
données se limitent donc, pour les
modèles transgéniques, aux animaux
exprimant les mutants “glycine” de
GH bovine (G119R) ou humaine
(G120K). Ces deux types de souris
ont un phénotype nain (taille et poids
diminués) indiquant clairement un
effet antagoniste des mutants “glycine” in vivo (24). Il faut cependant
noter que les souris knockout pour
le récepteur de la GH ont un phénotype de nanisme (taille/poids) plus
marqué encore (J.J. Kopchick, com-
26
munication personnelle), suggérant
que les effets somatotropes de la GH
endogène ne sont pas totalement
inhibés chez les souris exprimant
l’antagoniste. Lorsque les souris
exprimant le G120K-hGH sont croisées avec des souris transgéniques
exprimant la GH bovine sauvage –
modèle expérimental mimant la surexpression de hGH chez les patients
acromégales – le phénotype de
nanisme est proportionnel au taux
d’expression relatif des deux hormones, observations en accord total
avec le mécanisme d’action des
antagonistes par compétition avec la
GH naturelle (25).
Les femelles transgéniques pour le
G120K-hGH montrent certains déficits de reproduction, alors que les
performances de reproduction des
mâles sont également diminuées
(26). Des altérations de l’axe HPG
ont également été décrites dans ce
modèle. Cependant, l’antagoniste
G120K-hGH ayant une double spécificité de liaison pour les PRLR et
GHR (tableau I), une réserve doit
être émise sur ces observations
quant à leur éventuelle extrapolation
au pegvisomant, puisque l’on ne
peut savoir avec certitude lequel de
ces récepteurs est impliqué dans
l’effet observé avec le G120K-hGH
(27).
• Néphropathie
Alors que les souris surexprimant la
GH ont des lésions rénales ressemblant à celles observées chez les
patients acromégales, les souris surexprimant l’antagoniste G120K-hGH
ne présentent pas ce phénotype. De
plus, administré à des souris rendues expérimentalement diabétiques,
l’antagoniste a un effet protecteur
contre l’apparition d’une hypertrophie glomérulaire et de lésions
rénales. Par ailleurs, la croissance
rénale compensatoire observée après
néphrectomie unilatérale est également suspendue suite à l’injection
de G120K-PEG, tout comme le sont
la croissance rénale, l’hypertrophie
glomérulaire et la sécrétion urinaire
d’albumine observées chez les souris
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
diabétiques (28). L’ensemble de ces
données suggère que les antagonistes de la GH exercent une fonction protectrice contre la néphropathie diabétique dans les modèles
expérimentaux.
• Effet antitumoral
L’excès de GH peut conduire à l’apparition/croissance de tumeurs de
différents organes. L’action antitumorale potentielle des antagonistes GH (G120R ou G120K) a
donc été évaluée dans divers modèles
expérimentaux. In vitro, ces antagonistes inhibent la prolifération de
cellules tumorales mammaires
humaines (29), mais il est probable
que cet effet implique le récepteur
de la PRL plus encore que celui de
la GH. La surexpression de l’antagoniste in vivo a également un effet
protecteur contre les tumeurs mammaires induites par des carcinogènes (30).
Au cours des dernières années, une
attention de plus en plus importante
a été portée sur l’action des hormones (GH ou PRL) produites en
périphérie. En effet, il existe de
nombreuses sources extrahypophysaires de ces ligands, qui sont supposés agir sur le tissu par lequel ils
sont produits, via un mécanisme de
type autocrine-paracrine. Une des
principales caractéristiques de ces
hormones locales, par ailleurs strictement identiques à l’hormone hypophysaire, est que leur action biologique semble pouvoir s’exercer à
des concentrations extrêmement
faibles, en tout cas inquantifiables
expérimentalement. En conséquence,
les effets de ces hormones locales
sont très difficiles à inhiber. Ainsi,
sur cellules tumorales mammaires
in vitro, le B2036 exogène n’est
capable d’inhiber l’action proliférative de la hGH endogène que lorsqu’il est présent en très large excès
(1 000 à 6 000 fois), alors que son
affinité pour le GHR est au moins
égale à celle de la hGH (31). Ces
observations suggèrent que le pegvisomant n’aura qu’une capacité
d’inhibition très réduite sur les effets
résultant spécifiquement de l’action
de la hGH produite localement.
L’effet du pegvisomant sur la croissance tumorale in vivo a également
été analysé. Lorsque des cellules
tumorales mammaires sont injectées
dans des souris immunodéprimées,
un traitement de 200 mg/kg/semaine
de pegvisomant ralentit significativement la croissance du foyer tumoral
(32). Cette action s’observe également sur des xénogreffes de méningiomes humains (33, 34).
Aspects cliniques
Essais cliniques
• Volontaires sains
Trente-six volontaires sains répartis
de manière aléatoire en cinq groupes
ont reçu des doses de 0,03, 0,1, 0,3
ou 1 mg/kg de pegvisomant ou un
placebo. Les taux circulants d’IGF-1
sont restés inchangés chez les deux
groupes ayant reçu les deux doses
les plus basses de l’antagoniste,
alors qu’une baisse de 28 à 44 % a
été observée après 3 jours de traitement chez les patients ayant reçu
respectivement 0,3 et 1mg/kg, avec
une diminution maximale de 50 % à
5 jours (35). Comme attendu, aucune
variation du taux de GH n’a pu être
mise en évidence.
• Patients acromégales
Trois études cliniques principales
concernant l’utilisation du pegvisomant chez des patients acromégales
ont été publiées. Dans la première
(36), 46 patients ont été répartis de
manière aléatoire en trois groupes,
traités respectivement par placebo,
30 mg ou 80 mg de pegvisomant,
administrés par injection sous-cutanée
hebdomadaire durant 6 semaines.
Malgré une baisse de 30 % du taux
d’IGF-1, les résultats furent décevants d’un point de vue clinique,
puisque seulement 20 % des patients
traités ont vu leur taux d’IGF-1 se
normaliser. Il est vraisemblable que
l’administration hebdomadaire de
l’antagoniste ne permet pas de
maintenir sa concentration à un
niveau suffisant pour inhiber de
manière prolongée les effets de la
hGH endogène. Dans une seconde
étude randomisée en double aveugle
versus placebo (37), 112 patients
acromégales furent mis sous placebo
ou traités par différentes doses de
pegvisomant (10, 15 ou 20 mg par
injections sous-cutanées quotidiennes)
durant 12 semaines. La normalisation du taux d’IGF-1 fut observée
chez 89 % des patients traités avec
20 mg de pegvisomant. Concomitamment, une diminution de la taille
de bague, de l’infiltration des tissus
mous, des sueurs et de la fatigue fut
également décrite, de même qu’une
amélioration du bien-être, évalué
selon un questionnaire incluant divers
paramètres (maux de tête, fatigue,
etc.). L’étude rétrospective publiée fin
2001 dans The Lancet (38) a permis
d’évaluer l’efficacité à long terme
du pegvisomant sur la plupart des
patients (152) inclus dans les deux
études précitées, traités pendant une
durée moyenne de 425 jours. Quatrevingt-sept patients sur 90 traités
quotidiennement au pegvisomant
ont vu leur taux d’IGF-1 se normaliser. Le traitement est généralement
bien toléré, bien qu’une augmentation de la taille de la tumeur hypophysaire fût observée chez deux
patients, alors que deux autres ont
dû sortir de l’étude suite à une augmentation de l’activité aminotransférase et aspartate-transaminase.
La dernière étude clinique s’est focalisée sur l’efficacité du pegvisomant
chez des patients résistants aux analogues de la somatostatine (octréotide). Chez les six patients résistants
aux doses maximales d’octréotide
inclus dans cette étude (39), une
normalisation du taux d’IGF-1 fut
observée après 12 semaines de traitement au pegvisomant. Paradoxalement, le traitement par octréotide
de patients préalablement traités au
pegvisomant s’est révélé efficace,
suggérant que, dans certains cas,
l’association de ces deux approches
d’hormonothérapie peut s’avérer
opportune (40). Quelques autres
études cliniques ont également
montré l’efficacité du pegvisomant
sur divers paramètres métaboliques,
comme le métabolisme du cortisol
ou les taux de leptine. Mais, aucun
effet bénéfique n’a été observé sur
la vascularisation oculaire dans le
contexte de rétinopathie diabétique
(41).
Dossier
Dossier
Pharmacocinétique
Un radio-immuno-essai spécifique
pour la quantification du pegvisomant dans le sérum humain a été
développé (42). Les aspects pharmacocinétiques du pegvisomant ont
ainsi pu être étudiés chez des volontaires sains et chez des patients
acromégales. Dans la première
étude (sujets sains), les valeurs de
Cmax, tmax, et aire sous la courbe,
mesurées après injections souscutanées de 0,03 à 1 mg/kg, se sont
respectivement révélées de l’ordre
de 0,9 – 9,6 µg/ml, 15 – 77 h et
9,3 – 1 594 µg-h/ml. Dans une
seconde étude, après injection de
0,3 ou 1 mg/kg de pegvisomant
chez six patients acromégales, les
paramètres pharmacocinétiques et
pharmacodynamiques sont apparus
très voisins de ceux mesurés chez
les sujets sains.
Effets secondaires
Aucun effet secondaire n’a pu être
clairement mis en évidence dans les
études prospectives décrites ci-dessus, si l’on excepte un cas d’hépatotoxicité dont les causes n’ont pu être
éclaircies. Cependant, ces données
émanent d’études réalisées sur une
durée maximale de 12 semaines, ce
qui ne prouve pas grand-chose en
termes d’effets secondaires à long
terme (22). En revanche, l’une des
questions qui doit être soulevée
concerne l’effet à long terme du
pegvisomant sur les taux de GH. En
effet, ces derniers augmentent jusqu’à quelque 300 % de leur valeur
initiale après 12 semaines de traitement, parallèlement à la baisse des
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
27
Dossier
Dossier
taux d’IGF-1. Il est envisageable
que des traitements de plus longue
durée s’accompagnent d’une augmentation plus forte encore. Les
conséquences d’une telle augmentation des taux de GH sont inconnues.
En théorie, il est possible que des
taux élevés de GH circulante finissent
par contrecarrer l’effet inhibiteur du
pegvisomant, puisque cet antagoniste agit par compétition au niveau
du récepteur. Cette éventualité n’est
cependant soutenue à ce jour par
aucune observation expérimentale.
Par ailleurs, l’absence de rétrocontrôle négatif de l’IGF-1 sur la
sécrétion de GH pourrait également
conduire à une augmentation du
volume de la tumeur. L’étude réalisée sur 12 semaines n’a pas montré
un tel effet, pas plus que le suivi de
131 patients acromégales traités par
pegvisomant durant six mois.
Un autre effet secondaire potentiel
concerne le caractère immunogène
du pegvisomant. Bien que complexé
à des molécules de PEG censées
réduire l’immunogénicité de l’hormone, on ne peut écarter, au vu du
nombre relativement conséquent de
mutations (9 au total) présentes
dans cette GH modifiée, l’éventuelle apparition d’anticorps antipegvisomant au cours du temps, ce
qui aurait évidemment pour conséquence de diminuer son efficacité.
Cette hypothèse reste cependant sans
fondement expérimental à ce jour.
Conclusion
La GH stimule la croissance de
nombreux tissus. Une surexpression
de GH, telle qu’observée chez des
patients acromégales, conduit à de
multiples désordres cliniques et
est notamment associée à une augmentation de mortalité liée à des
maladies cardiovasculaires et des
cancers. L’objectif des thérapies
actuelles (chirurgie, analogues de la
somatostatine) est donc avant tout
de normaliser les taux de GH circulants. Dans certains cas, cependant,
28
ces traitements ne parviennent pas
à atteindre pleinement cet objectif,
rendant toute stratégie alternative
bienvenue. Le pegvisomant est l’une
de ces nouvelles molécules qui seront
prochainement mises sur le marché.
Son mode d’action, totalement différent des thérapies classiques agissant
sur la sécrétion et non sur l’action
biologique de la GH, le rend sans
doute très complémentaire des
analogues de la somatostatine. De
plus, grâce à sa grande spécificité –
la liaison au récepteur de la GH –,
le pegvisomant pourrait également
avoir d’autres cibles thérapeutiques.
Certaines études récentes suggèrent
en effet que la GH et l’IGF-1 seraient
impliqués dans diverses pathologies,
comme la néphropathie diabétique
ou encore certains cancers. Le pouvoir inhibiteur du pegvisomant a pu
être démontré dans divers modèles
expérimentaux de ces pathologies, ce
qui constitue sans doute un point de
départ encourageant vers d’autres
applications.
Remerciements
Nous remercions le Dr J.J. Kopchick pour avoir partagé des informations non publiées ainsi que
pour avoir mis à notre disposition
certaines figures présentées dans
cette mini-revue.
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Dossier
Dossier
Auto-test
1. Le pegvisomant est un nouvel analogue de la somatostatine et agit en bloquant la synthèse de la hGH.
2. Le pegvisomant est un variant de la GH humaine contenant 9 mutations ponctuelles, dont une seule, celle
de la glycine de l’hélice 3, confère des propriétés antagonistes.
3. Le pegvisomant active le récepteur somatogénique et son action biologique intrinsèque a un effet inverse
de celle de la GH.
4. Le pegvisomant bloque le récepteur somatogénique dans une conformation inactive et, par compétition avec
la GH pour la liaison au récepteur, bloque les effets de celle-ci.
5. Contrairement à la GH naturelle, qui se lie aux récepteurs de la GH et de la prolactine, le pegvisomant ne
peut se lier au récepteur de la prolactine. Il est donc spécifique du seul récepteur somatogénique.
6. Le pegvisomant réduit les taux circulants de GH.
7. Chez les patients acromégales, une administration quotidienne de pegvisomant (20 mg) est suffisante pour
bloquer durablement les effets de la GH endogène.
8. Les études cliniques permettent d’écarter définitivement l’existence d’effets secondaires lors des traitements à long terme par pegvisomant.
9. Les propriétés antitumorales des antagonistes de la GH ainsi que la protection contre les néphropathies
diabétiques ont été suggérées sur des modèles animaux, mais pas encore chez l’homme.
1. Faux ; 2. Vrai ; 3. Faux ; 4. Vrai ; 5. Vrai ; 6. Faux ; 7. Vrai ; 8. Faux ; 9. Vrai.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
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