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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no1, janvier/février 2003
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elles (2). Cette connectivité particu-
lière fut d’ailleurs un des arguments
majeurs pour rassembler au sein
de la même famille des “cytokines
hématopoïétiques” des ligands aussi
différents que la prolactine et la
GH, l’érythropoïétine, la plupart
des interleukines ou encore la lep-
tine (3). Les spécialistes de l’ana-
lyse structurale des protéines ont
constaté que, dans ce type de struc-
ture 3D, les hélices présentent sou-
vent un caractère amphiphile (ou
amphipathique). En d’autres termes,
si l’on regarde ces hélices comme
des cylindres selon leur axe longi-
tudinal (figure 1b),la surface du
cylindre (c’est-à-dire de l’hélice)
orientée vers l’intérieur de la molé-
cule est généralement constituée
d’acides aminés à caractère globa-
lement hydrophobe, alors que la
moitié orientée vers l’extérieur est
constituée d’acides aminés à carac-
tère majoritairement hydrophile.
Cette distribution spécifique des
acides aminés au sein des hélices
dites “amphipathiques” n’est pas
fortuite, puisqu’elle contribue entre
autres à stabiliser la protéine, les
acides aminés hydrophobes des
faces internes des hélices α,créant
conjointement un “cœur hydro-
phobe” dont les molécules d’eau
sont exclues, alors que, au contraire,
l’hydrophilicité des faces externes
des hélices contribue à la solubilité
de la protéine dans les solvants
aqueux. Dans les GH porcines et
bovines, très similaires quant à leur
séquence, c’est surtout l’hélice 3,
comprenant les acides aminés 109 à
126, qui présente un caractère
amphiphile (figure 1c). Cette amphi-
philicité n’est cependant pas opti-
male, puisque la glycine 119, acide
aminé neutre en termes d’hydro-
philicité, et l’alanine 122 sont sur
la face exposée au solvant, alors que
le glutamate 117, un acide aminé
hydrophile et chargé négativement,
pointe, quant à lui, vers le cœur
hydrophobe de la protéine.
À la charnière des années 1980-1990,
le Dr J.J. Kopchick et ses collègues
(Ohio University) entreprennent de
générer un variant de GH dans
lequel l’amphiphilicité de l’hélice 3
allait être rendue “théoriquement”
parfaite, le but avoué étant d’obtenir
des superagonistes de la GH en vue
d’applications potentielles dans
des contextes pathologiques de
déficience en GH (4). Pour ce faire,
cette équipe remplace le glutamate
117 par une leucine (hydrophobe),
la glycine 119 et l’alanine 122 res-
pectivement par une arginine et un
aspartate, deux résidus chargés et
hydrophiles (figure 1c). Maîtrisant
parfaitement les techniques de
transgenèse, cette équipe produit
dans la foulée plusieurs lignées de
souris génétiquement modifiées,
exprimant ce variant de GH conte-
nant les 3 mutations ponctuelles sus-
mentionnées et dénommé bGH-M8.
Les effets de la surexpression de la
GH in vivo présentant l’immense
avantage d’être très rapidement
repérables par un phénotype de
gigantisme (figure 1d) d’installation
progressive dès la première quin-
zaine de vie postnatale, la seule
analyse visuelle de ces souris trans-
géniques allait permettre de se faire
une idée assez précise de l’activité
du mutant de GH surexprimé. Et là,
quelle ne fut pas la surprise de
constater que les souris exprimant le
mutant bGH-M8 présentaient un
phénotype de nanisme (figure 1d),
leurs taille et poids étant réduits de
manière proportionnelle au taux
d’expression de la protéine trans-
génique dans chaque souris analysée
(4) ! Alors que l’affinité du mutant
bGH-M8 pour le récepteur somato-
génique se révèle identique à celle
de l’hormone sauvage, ces observa-
tions montraient, pour la première
fois, que la liaison au récepteur et
la capacité à l’activer n’étaient pas
nécessairement deux événements
couplés, les auteurs proposant que
leur variant de bGH agisse in vivo
comme un antagoniste de l’hormone
endogène. L’obtention de lignées
transgéniques exprimant les variants
de GH contenant individuellement
l’une des trois mutations précitées
allait permettre d’identifier la seule
mutation de la glycine 119 comme
responsable du phénotype nain,
c’est-à-dire nécessaire et suffisante
pour générer un antagoniste de la GH
(5). Bien inspiré, le Dr Kopchick
protège ces mutants de GH par un
brevet (6) et publie ses résultats peu
après, se limitant à l’époque à
conclure que “l’hélice 3 est impor-
tante pour l’activité biologique de
la GH”. Sans le savoir encore,
l’histoire du pegvisomant venait de
commencer et, comme on l’aura
perçu, sur une observation totale-
ment fortuite.
Bases moléculaires
de l’activité antagoniste
des mutants de GH
À peu près à la même époque que
ces études pionnières menées à
l’Université d’Ohio, la société de
biotechnologie Genentech (South
San Francisco, Californie) lançait
une étude de grande envergure de
l’hormone de croissance humaine
(hGH), dont l’ADN complémen-
taire avait été cloné quelque dix ans
plus tôt par une équipe de l’UCSF
(7, 8). Cette analyse plurielle de la
hGH, focalisée sur des éléments
structuraux, biochimiques et bio-
logiques (9),allait amener des
connaissances essentielles dans la
compréhension des mécanismes
moléculaires régissant l’interaction
entre l’hormone et son récepteur
(GHR). Parmi les travaux les plus
marquants de cette vaste étude, la
détermination de la structure 3D du
complexe entre la GH et le domaine
extracellulaire du GHR (10) allait
rapidement devenir une donnée
incontournable dans le contexte de
l’activation des récepteurs de cyto-
kines (figure 2a). Ce fut en effet la
première démonstration claire de
l’hormone de croissance induisant
la dimérisation de son récepteur :
une seule molécule de GH interagit
avec deux molécules (identiques) de
récepteur (figures 2a et 3a). Cette
interaction implique deux régions
distinctes sur l’hormone, appelées
site de liaison 1 (entre GH et pre-