CAS CLINIQUE
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no303 - mars-avril 2006
L
es manifestations ORL et cervicofaciales observées au
cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH) ont une fréquence très variable. Pour
Smith et Eisele (1), elle varie entre 40 et 70 % selon les patients.
Ces manifestations peuvent révéler la maladie et méritent, à ce
titre, d’être bien connues des ORL.
Sur le continent africain, l’infection par le VIH est bien plus fré-
quente que dans les pays occidentaux. Néanmoins, les formes
ORL de la maladie restent aussi peu spécifiques, se traduisant en
règle générale par une infection des voies aérodigestives supé-
rieures (2, 3), plus rarement par des tumeurs malignes. Consé-
quence de l’immunodépression, ces infections évoluent de façon
torpide et récidivante, ce qui doit alerter.
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Afin de compléter les données concernant cette virose, nous avons
analysé rétrospectivement les dossiers de 110 patients venus en
consultation ORL sur une période de 10 ans dans deux hôpitaux
universitaires de Lomé (Togo). Tous ces patients avaient une
infection au VIH connue, diagnostiquée par la méthode ELISA
et confirmée par le Western Blot ou le HIV check. Il s’agissait
de 45 patients reçus au CHU Tokoin de 1991 à 1995 et de
65 patients reçus au CHU Campus de 1996 à 2000.
Nous avons étudié la fréquence de cette infection au VIH chez
l’ensemble des patients vus en consultation ORL, les caractéris-
tiques de cette population atteinte par le VIH et le type de patho-
logie ORL diagnostiquée.
Manifestations ORL de l’infection par le VIH :
étude clinique de 110 patients
ENT disease in the HIV infection: clinical study
of 110 infected patients
E. Boko
1, 2
, M. David
3
, E. Kpemissi
1
, P. Beutter
2
, E. Lescanne
2
1. Service d’ORL, CHU Tokoin, Lomé (Togo).
2. Service d’ORL-CCF, hôpital Bretonneau, CHU de Tours (France).
3. Service d’immuno-hématologie, CHU Tokoin, Lomé (Togo).
Résumé : Les manifestations ORL rencontrées au cours de l’infection par le VIH sont diverses et peuvent constituer un motif
de consultation. Les auteurs ont voulu, au cours de la présente étude menée dans deux hôpitaux, voir quelles étaient ces mani-
festations à Lomé (Togo).
Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 110 patients VIH+. Les manifestations otologiques (46 %) étaient dominées par
les paralysies faciales périphériques, les manifestations buccopharyngolaryngées (23 %) par les mycoses, les manifestations
nasosinusiennes (18 %) par les pansinusites. Les adénopathies cervicales représentaient 13 % des cas.
Il faut fortement suspecter une infection VIH devant une paralysie faciale périphérique, une otite séromuqueuse chez un adulte,
une candidose buccopharyngée, une pansinusite et des adénopathies cervicales sans lésions primitives, et avoir le réflexe de pro-
poser une sérologie VIH.
Mots-clés : Manifestations ORL - VIH - Sida - Togo.
Summary: The ENT symptoms during HIV infection are diverse and may be the motive for consultation. We therefore deemed it
necessary to conduct this study in order to see how these symptoms appear in Togo.
It is a retrospective study on 110 HIV infected patients. The main otologic symptom was peripheric facial paralysis, the main
buccopharyngeal symptoms was buccopharyngeal mycosis and the main sinus pathology was pansinusitis. Cervical adenopa-
thies were enlarged in 13% of cases.
One has to be highly suspicious of HIV infection in case of peripheric facial paralysis, glue ear in an adult, buccopharyngeal can-
didosis, pansinusitis and cervical adenopathy without primary lesions, and propose an HIV serology.
Keywords: ENT symptoms - HIV - AIDS - Togo.
RÉSULTATS
Entre 1991 et 1995, sur un total de 23 785 patients venus en consul-
tation ORL, 45 étaient séropositifs (1,9 ‰). Le sex-ratio de 1,4
était en faveur des hommes (26 H/19 F). L’âge moyen était de
32 ans chez les hommes (3-64) ainsi que chez les femmes (3-55).
Entre 1996 et 2000, sur un total de 8 385 patients venus en consul-
tation ORL, 65 étaient séropositifs (7,7 ‰). Le sex-ratio était
proche de 1 (33 H/32 F). L’âge moyen des hommes était de 37 ans
(15-65), celui des femmes de 29 ans (11-39).
À l’issue de la consultation, 121 manifestations ORL ont été
recensées chez nos 110 patients (tableau).
Chez ces 110 patients, quatre types de manifestations extra-ORL
ont été notées. Il s’agissait d’anémie (8 cas), d’amaigrissement
(6 cas), de zona intercostal (3 cas) et de dermatose du pied (2 cas).
DISCUSSION
Les manifestations ORL et cervicofaciales de l’infection au VIH
sont fréquentes et polymorphes au cours de l’évolution de la mala-
die. Elles peuvent être inaugurales et constituer le mode d’entrée
dans la maladie. Dès lors, le rôle du praticien ORL-CCF devient
essentiel dans le diagnostic de cette maladie. Les formes ORL
peuvent aussi se révéler à un stade plus évolué de l’immunodé-
pression. Malheureusement, aucune de ces manifestations ORL
n’est spécifique de cette virose. Ainsi, seuls les examens sérolo-
giques confirmeront ou infirmeront l’orientation diagnostique.
Dans notre étude, et selon le recrutement hospitalier, 1,9 à 7,8 ‰
des patients consultant en ORL avaient une infection connue par
le VIH. L’analyse séparée des deux consultations a montré
quelques différences épidémiologiques. En effet, alors que le
nombre de patients vus en consultation était moindre entre 1996
et 2000, l’incidence du VIH était quatre fois supérieure. S’il est
difficile d’affirmer une réelle augmentation de la fréquence de
l’infection au VIH entre ces deux périodes, on constate en
revanche que le recours à la sérologie VIH a été plus fréquent.
Cette sérologie était demandée devant l’évolution torpide d’une
pathologie qui, autrefois, était facilement traitée. Dans une série
malienne de près de 700 patients consultant en 2002, Mohamed
et al. (4) ont retrouvé un taux de 27 ‰ patients séropositifs pour
le VIH, soit une fréquence encore plus élevée que celle que nous
observions quelques années auparavant.
La prépondérance masculine dans notre première population n’a
pas été retrouvée dans notre seconde série de patients. Sacko et
al. (2), dans leur étude portant sur 65 patients au Mali, ont retrouvé
un sex-ratio de 1,10 en faveur des hommes. Sept ans plus tard,
Mohamed et al. (4) notaient une inversion de ce rapport au Mali,
avec cette fois-ci une prédominance féminine. Delbrouck et al.
(3) ont bien décrit cette prédominance féminine qui semble désor-
mais se dessiner en Afrique noire. Sur la série de 100 patients
belges infectés par le VIH et venus à leur consultation ORL, 34
étaient d’origine centrafricaine. Parmi ces 34 patients, 27 (79 %)
étaient des femmes. Néanmoins, pour Delbrouck et al. (3), la pré-
dominance masculine reste classique dans la population d’ori-
gine occidentale : sex-ratio de 3,4 pour Deb et al. (5), de 8 pour
Géhanno (6) et de 13,3 pour Grein (7).
L’âge moyen des patients variait entre 30 et 40 ans selon les
études, ce qui correspondait à nos observations. Pour Deb et al.
(5), il était de 33 ans. Pour Delbrouck et al. (3), les manifesta-
tions survenaient à un âge moyen de 40 ans pour les hommes,
contre 34 ans chez les femmes. Nous avons également constaté
cette différence d’âge selon le sexe.
Les manifestations otologiques ont été fréquentes dans notre
étude (46 %), dominées par la PFP (34 cas, soit 30 %). Grein (7)
constatait également la survenue de ces PFP, mais avec une inci-
dence de 6 %. Elles étaient encore plus rares dans la série de Del-
brouck et al. (3) (< 1 %). Pour Debroucker et al. (8), 15 % des
patients séropositifs présenteront des manifestations cliniques du
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no303 - mars-avril 2006
Les affections otologiques dominaient : elles représentaient 46 %
des manifestations ORL du VIH. La paralysie faciale périphérique
(PFP) constituait le principal diagnostic, les autres manifestations
étant plus rares (otite séromuqueuse [OSM], otite moyenne aiguë
[OMA], vertiges, acouphènes). Les affections de la sphère buc-
copharyngolaryngée venaient au deuxième rang, avec une fré-
quence de 23 %. Les candidoses buccopharyngées et les gingi-
vostomatites mycosiques étaient prédominantes. Les affections
nasosinusiennes arrivaient au troisième rang des diagnostics, avec
une fréquence de 18 %. Il s’agissait essentiellement de pansinu-
sites et de rhinites d’évolution chronique, mais aussi d’épistaxis.
Les tuméfactions cervicales représentaient les autres manifesta-
tions, avec un taux de 13 %. Dans la majorité des cas, il s’agissait
d’adénopathies sans lésions primitives reconnues.
Tableau. Manifestations ORL.
Manifestations Nombre Pourcentage
Otologiques 56 46
– Paralysie faciale périphérique (PFP) 34 28,12
– Otite séromuqueuse (OSM) 8 6,61
– Otite moyenne chronique purulente 5 4,13
– Otite externe suppurée 4 3,30
– Vertiges 2 1,65
– Acouphènes 2 1,65
– Otite moyenne aiguë (OMA) 1 0,82
Buccopharyngolaryngées 28 23
– Candidose buccopharyngée 12 9,92
– Gingivostomatite mycosique 7 5,78
– Cellulite d’origine dentaire 3 2,49
– Carcinome du voile 2 1,65
– Carcinome épidermoïde du larynx 2 1,65
– Toux chronique 2 1,65
Nasosinusiennes 21 18
– Pansinusite chronique 8 6,61
– Rhinite chronique 5 4,13
Épistaxis 5 4,13
– Lymphome malin non hodgkinien
(LMNH) du cavum 3 2,49
Masses cervicales 16 13
– Adénopathie cervicale > 3 cm 14 11,57
– Hypertrophie parotidienne 2 1,65
Total 121 100
1 / 2 100%
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