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La Lettre du Pneumologue - Vol. X - n° 6 - novembre-décembre 2007
Données nouvelles
Données nouvelles
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délétions en cadre de l’exon 19, emportant la séquence d’acides
aminés LREA (leucine, arginine, acide glutamique, alanine, 747-
750), et les mutations ponctuelles de l’exon 21, aboutissant à la
substitution d’un résidu leucine par un résidu arginine en posi-
tion 858 (L858R). Il faut aussi noter la présence d’un polymor-
phisme silencieux commun (Q787Q), dont la fréquence exacte
est inconnue.
La fréquence des mutations EGFR dans le CBNPC est de l’ordre
de 10 % à 40 %. On les retrouve plus fréquemment chez les non-
fumeurs (45 %) que chez les fumeurs (7 %), chez les femmes
(38 %) que chez les hommes (10 %), chez les patients porteurs
d’adénocarcinome (30 %) que chez les patients porteurs de
carcinomes d’autres types histologiques (2 %) et enfin chez
les patients d’origine asiatique (33 %) que chez ceux d’autres
origines (6 %) [17]. Cependant, dans l’étude BR.21, qui a analysé
177 échantillons et identifié 45 mutations chez 40 patients
atteints de CBNPC, seule l’origine asiatique était significative-
ment corrélée à la présence d’une mutation (18). La cause des
mutations du domaine tyrosine kinase d’EGFR est inconnue.
Les disparités en fonction de la géographie et de l’exposition
tabagique laissent supposer qu’elles résultent d’interactions
complexes entre des facteurs génétiques et environnementaux,
dont la prévalence varie d’une région à l’autre (19).
Les mutations EGFR sont rares dans les autres cancers. Outre les
mutations du domaine extracellulaire décrites dans les gliomes,
des mutations du domaine tyrosine kinase ont été identifiées
dans des cas d’adénocarcinome colorectal, de cancer du sein et de
cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS), ainsi que dans
une lignée cellulaire de cancer épidermoïde de l’œsophage (KYSE-
450). Dans les cas de cancer des VADS, la mutation est toujours la
même (delE746-A750) et n’est pas corrélée au statut tabagique.
Conséquences fonctionnelles des mutations EGFR
Les délétions en cadre dans l’exon 19 surviennent juste en aval
d’un résidu lysine en position 745 (K745), essentiel pour la
fixation de l’ATP (figure 2). La disparition de quelques acides
aminés adjacents pourrait perturber la configuration du site
catalytique d’EGFR et la fixation de l’ATP. La mutation L858R
survient quant à elle à côté du motif très conservé DFG (acide
aspartique, phénylalanine, glycine) dans la boucle d’activation.
Ces mutations peuvent engendrer des changements confor-
mationnels responsables d’une augmentation de l’activité du
récepteur et de la sensibilité aux ITK.
Les travaux sur lignées cellulaires montrent que les mutants
EGFR engendrent une réponse accrue et prolongée après
stimulation par EGF, ainsi qu’une activation de voies sous-
jacentes différentes par rapport aux réponses observées avec
le récepteur sauvage (20). Par ailleurs, la survie des lignées
porteuses de la mutation EGFR est dépendante de l’activité
du mutant EGFR. Ces observations ont contribué à étayer le
concept d’“addiction” au mutant EGFR : les cellules porteuses
d’une mutation seraient constitutivement dépendantes de l’ac-
tivité d’EGFR pour leur survie. Cette hypothèse est confortée
par la constatation que l’inhibition de l’expression de l’EGFR
par si RNA (short-interfering RNA) ou l’inhibition pharma-
cologique de Stat ou d’Akt entraînent une apoptose massive
des cellules porteuses de la mutation, mais ont peu d’effet sur
la survie des cellules exprimant un récepteur sauvage (20).
Néanmoins, il faut souligner que toutes les mutations EGFR
n’ont probablement pas le même impact sur l’activité d’EGFR.
Parmi les mutations rares, certaines ne sont pas associées à
une réponse accrue aux ITK et d’autres sont même associées à
une résistance au traitement (mutation T790M).
THÉRAPEUTIQUES CIBLÉES ET MUTATIONS EGFR
Valeur prédictive des mutations EGFR
La réponse aux ITK peut être très variable : réponse specta-
culaire, stabilisation prolongée, progression sous traitement.
Cette observation a poussé à rechercher des facteurs prédic-
tifs de la réponse aux ITK. Plusieurs facteurs cliniques ont été
rapidement identifiés : statut non-fumeur, origine asiatique,
sexe féminin, histologie de type adénocarcinome (7, 8). Le
“tournant moléculaire” dans la recherche de facteurs prédic-
tifs est venu des premières descriptions de mutations EGFR,
menées chez des patients ayant présenté une réponse specta-
culaire sous ITK (15, 16). Cependant, la valeur prédictive de
ces mutations est loin d’avoir été formellement confirmée.
La recherche de facteurs moléculaires prédictifs de la sensi-
bilité aux ITK porte principalement sur les mutations EGFR,
mais aussi sur l’amplification génique d’EGFR et sur sa sur-
expression protéique. Elle concerne deux paramètres : la
réponse aux ITK et le bénéfice de survie sous ITK. Concernant
la réponse aux ITK, plusieurs études ont rapporté un meilleur
taux de réponse sous ITK chez les patients avec mutation par
rapport aux patients sans mutation. Par exemple, dans l’ana-
lyse moléculaire des essais IDEAL, le taux de réponse sous
gefitinib était de 46 % chez les patients avec mutation et de
10 % chez les patients sans mutation (21). Récemment, Hirsch
et al. ont rapporté, dans l’analyse biologique de l’essai ISEL, un
taux de réponse au gefitinib de 37,5 % chez les patients avec
mutation et de 2,6 % chez ceux sans mutation (22). Néan-
moins, ces résultats doivent être nuancés. D’une part, il est
fréquemment décrit des cas de réponse chez des patients sans
mutation, ce qui peut s’expliquer par les limites techniques de
détection des mutations ou par une éventuelle voie d’action
alternative des ITK. D’autre part, tous les patients avec muta-
tion ne répondent pas aux ITK. Plusieurs hypothèses peuvent
être avancées pour expliquer ces cas : rôle des traitements
intercurrents reçus entre la date du prélèvement histologique
et celle de mise sous ITK, implications d’autres voies que la
voie EGFR dans la réponse aux ITK, fréquence des faux posi-
tifs dans la recherche de mutations EGFR, particulièrement
sur tissu inclus en paraffine (23), type de mutation observée…
Enfin, il faut souligner que la réponse aux ITK n’est pas parfai-
tement corrélée à la survie sous ITK. En effet, les rares réponses
spectaculaires obtenues sous ITK ne peuvent expliquer à elles
seules le bénéfice de survie observé, qui semble donc dû en
grande partie dû aux stabilisations sous ITK.