114 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 6 - novembre-décembre 2009
ÉDITORIAL
2005, en distinguant les altérations des fonctions mentales et
cognitives des altérations des fonctions psychiques pour répondre à
la demande des associations de patients et de familles, a ouvert un
espace nouveau à l’analyse et à la conceptualisation des problèmes
rencontrés par les sujets vivant avec une schizophrénie, celui du
“handicap psychique”.
Le terme de “handicap” a été initialement mal accueilli par une
partie des patients et des soignants travaillant dans le champ de
la santé mentale, car ils se représentaient le handicap comme un
déficit fonctionnel peu évolutif (consolidé), répondant de façon
peu satisfaisante aux soins et ayant de nombreuses conséquences
sociales dont l’origine et la cause se trouvaient dans la maladie du
sujet. L’attribution du qualificatif de “handicapé” aux sujets souf-
frant de schizophrénie a donc semblé non seulement stigmatisante,
mais surtout contradictoire avec le projet de soin dont l’objectif
reste l’évolution du patient vers la sortie de la maladie. Cette repré-
sentation pessimiste du handicap correspond au modèle médical
traditionnel et sous-tend encore la classification internationale des
handicaps publiée en 1980 par l’OMS (1). Mais cette représenta-
tion négative fait l’impasse sur toute une littérature scientifique
(connue sous le terme de disability studies), qui s’est développée dès
les années 1980 et qui a eu pour objectif de critiquer précisément
cette conception culpabilisatrice et stigmatisante du handicap et
de proposer un modèle alternatif, partiellement démédicalisé, qui
mette l’accent sur les causes sociales des handicaps. Une réponse
(partielle) à ces critiques a été la publication de la Classification
internationale des fonctionnements, du handicap et de la santé par
l’OMS (2). En France, en dehors de la littérature spécialisée, on
trouve quelques traces de ce débat dans la littérature généraliste.
Citons le rapport de Julia Kristeva qui met l’accent sur la notion
de “situation de handicap” (3).
Ces réflexions, centrées initialement sur des problèmes posés par
les handicaps physiques, ont rapidement concerné le domaine
de la santé mentale. S’il importe de rester conscient des diffi-
cultés épistémologiques et éthiques soulevées par ces nouvelles
catégorisations, voire des dangers persistants de stigmatisation,
il faut aussi souligner que l’association du qualificatif “psychique”
à “handicap” implique maintenant une inflexion dynamique qui
s’oppose à la conception fixiste antérieure. Désormais, tous les
intervenants insistent sur le caractère relatif au contexte social
de tout handicap, qui – pour être bref – ne saurait être évalué que
par une approche centrée sur la personne en interaction avec
son environnement. Tout cela ouvre de nouvelles perspectives
de lutte contre les handicaps (notamment en intervenant sur les
contextes sociaux et environnementaux). Il s’est ainsi ouvert un
vaste chantier ayant pour objectif de clarifier l’articulation des fonc-
tions respectives des services de soins et des structures (médico-)
sociales. La création de centaines de groupes d’entraide mutuelle
(GEM) ou l’essor des services d’assistance à la vie sociale (SAVS)
et des services d’accompagnement médico-social pour adultes
handicapés (SAMSAH), proposant un soutien spécifique, sont les
premiers effets de cette évolution.
L’ampleur qu’a déjà pris ce courant dans les revues scientifiques
internationales de psychiatrie témoigne d’un élargissement des
préoccupations des psychiatres, et sans doute aussi d’une véritable
transformation de la conception des maladies mentales. Elles
semblent désormais considérées comme des pathologies persis-
tantes évolutives, dont le retentissement fonctionnel constitue
une dimension essentielle, l’optimisation des conditions et de la
qualité de vie de ces personnes devenant l’objectif premier de la
politique de prise en charge. Une seconde raison de s’intéresser à
ces études est que leurs résultats sont parfois inattendus, du moins
au regard de présupposés inhérents aux conceptions psychiatriques
dominantes, et qu’elles ont par ailleurs des conséquences concrètes
pour les pratiques d’évaluation.
Dans ce contexte, le thème de la réinsertion professionnelle
des sujets atteints de troubles mentaux a pris une importance
particulière. La richesse de la bibliographie sur ce sujet manifeste
l’actualité de cette thématique. Les articles qui constituent ce
numéro de La Lettre du Psychiatre se placent précisément dans
cette nouvelle perspective, plus positive et plus ouverte, sur le
handicap psychique.
Nous avons regroupé quatre articles qui s’inscrivent dans les
travaux réalisés dans le cadre d’un projet de recherche porté par A.
Leplège (université Denis-Diderot), A. Plagnol (université Paris-8),
B. Pachoud (université Denis-Diderot) et C. Barral (Centre tech-
nique national d’études et de recherches sur les handicaps et les
inadaptations [CTNERHI]) et financé par la mission Recherche
de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques (DREES-MiRe) et la Caisse nationale de solidarité pour
l’autonomie (CNSA), en collaboration avec la Direction générale
de l’action sociale (DGAS), le GIS-IRESP et l’Union nationale des
amis et familles de malades psychiques (UNAFAM). Le premier
article (A. Plagnol) souligne que le fonctionnement psychotique
persistant implique de prendre en compte de nombreux facteurs
dans l’appréciation du potentiel professionnel qui dépend d’élé-
ments émotionnels et relationnels complexes. Bernard Pachoud
nous propose une réflexion sur les notions de retentissement
fonctionnel, de devenir de la personne (outcome), de rétablis-
sement et de réhabilitation, ainsi que sur leur incidence sur les
pratiques d’évaluation et de soutien à la réinsertion professionnelle.
Vincent Matrat et Karine Grenier s’intéressent à la notion de real-
world functioning, qui pourrait contribuer à une meilleure prise en
compte de la subjectivité, de la singularité et de la globalité du
vécu individuel, dans une perspective “écologique” d’interaction
avec l’environnement. Enfin, le dernier article (Alain Leplège),
rappelle les principes généraux des études de qualité de vie, décrit le
contenu de quelques-uns des instruments disponibles et insiste sur
la rigueur méthodologique et scientifique nécessaire à la réussite
de ces études. ■
Références bibliographiques
1. Wood P et al. The international classification of impairments, disabilities,
and handicaps. OMS, 1980.
2. Classification internationale des fonctionnements, du handicap et de la
santé. OMS, 2001.
3. Kristeva J. Lettre au président de la République sur les citoyens en situation de
handicap, à l’usage de ceux qui le sont et de ceux qui ne le sont pas. Paris: Fayard, 2003.