CAS CLINIQUE
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no301 - novembre-décembre 2005
un revêtement épidermique kératinisé avec des annexes pilo-
sébacées et des îlots cartilagineux, faisant évoquer une lésion
tératomateuse. Une thyroïdectomie totale ainsi qu’un prélève-
ment ganglionnaire médiastino-récurrentiel gauche sont réalisés.
L’examen macroscopique intéresse une pièce de thyroïdectomie
totale pesant 550 g, mesurant 6/5/6 cm, d’aspect blanchâtre et
hétérogène. Le parenchyme thyroïdien est le siège d’une réac-
tion fibreuse mutilante et d’une réaction granulomateuse riche en
cellules à corps étrangers. La formation tumorale, multitissulaire,
est composée de tissus adipeux, épidermique, mésenchymateux
et cartilagineux matures sans atypies. La coque tumorale est
constituée d’un tissu fibrineux dense, comportant un revêtement
épidermique kératinisé avec des annexes pilosébacées et des îlots
cartilagineux. Les ganglions étudiés sont indemnes. L’absence
de signes de malignité ou d’immaturité au niveau des tissus exa-
minés permet de conclure à un tératome mature de la thyroïde.
Le bilan d’extension clinique et paraclinique à la recherche
d’autres localisations est négatif. L’évolution postopératoire
immédiate est bonne et le patient sort une semaine après l’inter-
vention. Le recul est de 14 mois.
DISCUSSION
Les tératomes sont des néoplasies vraies, composées de multiples
tissus de nature étrangère à la région dans laquelle ils se déve-
loppent (Willis). Le siège thyroïdien est rare et le plus souvent
bénin chez l’enfant. Il se distingue, chez l’adulte, par son extrême
rareté et son potentiel malin, tant local qu’à distance (2, 3).
Depuis la première observation rapportée par Hess en 1854, envi-
ron 130 cas ont été publiés dans la littérature mondiale, avec une
grande fréquence des formes infantiles et une nette prédominance
féminine, le sex-ratio étant de 2/1 (1, 2).
La présence de tissu embryonnaire se développant au niveau de
la thyroïde soulève de nombreuses hypothèses étiopathogé-
niques : Kimler et Muth (3)remarquent que les tératomes se déve-
loppent à partir de cellules pluripotentes, ce qui explique que la
plupart soient retrouvés dans les organes de reproduction (gona-
des). Ils soulignent parallèlement la difficulté de situer l’origine
exacte de telles cellules au niveau de la thyroïde ainsi que la pro-
lifération occasionnelle en tumeur tératomateuse. Pour Weaver
(4), cela n’expliquerait pas la possibilité de tératomes cervicaux
ou faciaux unilatéraux, et il suggère le déplacement de cellules
multipotentes ultérieurement différenciées à partir de l’organi-
sation primaire selon des lignes spécifiques et indépendantes de
leur position. Ces cellules apparaîtraient comme transplantées et
échappant à l’organisateur primaire.
Le mode de révélation du tératome thyroïdien mature est progres-
sif, avec un délai moyen de six mois. La tumeur est le plus sou-
vent volumineuse et de croissance rapide, pouvant atteindre jusqu’à
20 cm (1, 4). On décrit le plus souvent une tumeur de grande taille,
arrondie ou ovoïde, bien limitée, d’aspect uni- ou polylobé, de siège
isthmique, à débord généralement unilatéral (5).
Le cliché thoracique de face et de profil permet de vérifier
l’absence d’extension médiastinale (4). À l’examen tomodensi-
tométrique (TDM), ces tumeurs ont généralement une forme bien
circonscrite, avec une capsule souvent épaisse, parfois calcifiée
(qui peut se rehausser à l’injection de produit de contraste). Leur
contenu est variable, pouvant comporter des éléments liquidiens,
graisseux, solides ou calcifiés. L’association de ces éléments rend
hautement probable le diagnostic de tératome, mais ils sont rare-
ment tous présents (6). Certains tératomes kystiques présentent
un niveau graisse-liquide également très suggestif du diagnostic
(6). Rappelons ici la valeur pathognomonique, pour le diagnos-
tic de tératome, de la présence d’éléments organoïdes (dents,
poils, os). Les adhérences aux structures de voisinage sont fré-
quentes ; elles ne signent pas pour autant la malignité, mais ren-
dent difficile l’exérèse chirurgicale (3). L’imagerie par résonance
magnétique (IRM), avec ses intensités de signaux spécifiques,
apporte des informations équivalentes, voire supérieures à celles
fournies par le scanner quant au caractère multitissulaire de la
lésion (hypersignal de la graisse, absence de signal des calcifi-
cations et signaux d’intensité variable pour les autres structures).
Les examens biologiques n’ont pas de spécificité (5). Le dosage
de l’alphafœtoprotéine et de la bêtagonadotrophine chorionique
semble ici indispensable chez l’adulte et d’emblée pour orienter
vers un contingent immature, puisque le tératome mature, par
définition, ne sécrète pas ces marqueurs (5, 6).
Macroscopiquement, il s’agit d’une tumeur le plus souvent mal
limitée, hétérogène, avec des remaniements nécrotico-hémorra-
giques liés au volume tumoral. Elle est le plus souvent mal limi-
tée, refoulant l’axe laryngotrachéal. L’examen extemporané peut
confirmer la malignité, sans pour autant préciser le type de la
tumeur (1). L’histologie montre une prolifération cellulaire pou-
vant dériver des trois feuillets embryonnaires, avec une partici-
pation prédominante des contingents neuroïde et mésenchyma-
teux immatures. La prolifération cellulaire est à différents degrés
de maturation. Certains groupements tissulaires se reproduisent
plus souvent et conditionneraient le pronostic de la lésion (1).
L’hypothèse d’une métastase thyroïdienne d’un autre tératome
malin doit être évoquée et faire rechercher une localisation tes-
ticulaire, ovarienne, médiastinale ou rétropéritonéale.
Le traitement repose sur une chirurgie première (4, 6), aussi large
que possible, suivie, en cas de malignité, d’une chimiothérapie
et d’une radiothérapie. La chimiothérapie peut être instaurée
d’emblée en cas de tumeurs germinales malignes, et adaptée en
fonction de l’évolution des marqueurs tumoraux (7). Celle-ci est
essentiellement à base de phosfamide, de vincristine et d’actino-
mycine D, instaurée en trois cures, avec bilan d’évaluation à la
fin du traitement. La radiothérapie à raison de 50 Gy délivrée sur
le site tumoral et sur le médiastin supérieur est entreprise en cas
de récidive tumorale (6).
Les facteurs influençant l’évolution sont l’âge du patient, la taille
tumorale et la présence d’un contingent neuroïde immature (1, 3).
CONCLUSION
Le tératome de la thyroïde garde une mortalité et une morbidité
préoccupantes. Le souci pour le chirurgien est de réaliser l’exé-
rèse complète de la tumeur, et, pour l’anatomopathologiste, de
rechercher un contingent immature au sein de cette tumeur, dont
la présence conditionne le pronostic et les traitements complé-
mentaires.
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