La Lettre du Cardiologue - n° 300 - octobre 1998
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e groupe de travail Insuffisance cardiaque et cardio-
myopathie, de la Société Française de Cardiologie, pré-
sidé par le Pr M. Desnos, organise biannuellement des
journées permettant aux cardiologues de partager leur expérience.
Ces 4es Journées se sont déroulées du 4 au 6 juin 1998, à Nice, où
le Pr P. Gibelin a accueilli près de 400 cardiologues.
THROMBOSE, ARYTHMIES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE
Un symposium sur ce thème était organisé par le laboratoire
Procter & Gamble
Pharmaceuticals. Les accidents thrombo-
emboliques sont relativement rares (1 à
2 %) et probablement sous-estimés, avec
une évaluation risque/bénéfice rendue
difficile par cette faible prévalence. Les
facteurs de risque sont assez classiques
(fibrillation auriculaire, thrombus ven-
triculaire, antécédent thromboembo-
lique), même s’ils ne sont pas tous retrou-
vés dans la littérature (Dr R. Isnard).
La
prise en charge est encore très empi-
rique, car les données sont peu nom-
breuses (Dr G. Roul). Selon les carac-
téristiques du patient (âge, facteurs de
risque thromboembolique...), le clinicien
a le choix entre les antivitamines K, l’as-
pirine, ou rien du tout !
Les arythmies supraventriculaires
dans l’insuffisance cardiaque sont domi-
nées par la fibrillation auriculaire (FA),
dont la fréquence, comme celle de l’in-
suffisance cardiaque, augmente consi-
dérablement avec l’âge (Pr Le Heuzey).
L’effet délétère de la FA est lié non seulement à la fréquence ven-
triculaire rapide mais également à son caractère irrégulier. Il est
habituel, lors d’un premier accès de FA, d’essayer de réduire celle-
ci. La prévention de la FA repose principalement sur l’amioda-
rone, les antiarythmiques de classe I étant contre-indiqués, du fait
de leur action chronotrope négative.
Le myocarde défaillant développe des phénomènes d’automa-
ticité anormale avec ou sans réentrée (Dr C. Barnay). Les aryth-
mies ventriculaires sont très fréquentes, avec environ 70-80 %
d’extrasystolie ventriculaire et 30-40 % de tachycardie ventricu-
laire non soutenue ou soutenue. Elles ne permettent donc pas de
discriminer les patients à risque de mort subite, celle-ci consti-
tuant le mode de décès dans environ 30-40 % des cas. Les exa-
mens disponibles sont d’un apport inégal. Le Holter ECG permet
de quantifier les arythmies ventriculaires, mais sa valeur pronos-
tique est incertaine dans les cardiopathies non ischémiques. Les
potentiels tardifs ont surtout une valeur prédictive négative. Enfin,
la stimulation ventriculaire program-
mée a montré son intérêt, principale-
ment lorsque l’on peut déclencher une
arythmie ventriculaire, l’absence de
déclenchement d’arythmie ventricu-
laire ne préjugeant pas de l’absence de
risque de mort subite. Finalement, c’est
l’existence d’une tachycardie ventricu-
laire soutenue documentée ou d’un
arrêt cardiaque récupéré qui reste le
meilleur marqueur pronostique du
risque de récidive.
Le traitement des arythmies ventri-
culaires dans l’insuffisance cardiaque
(IC) (Dr Mabo) est en pleine évolution.
L’effet des traitements est modifié dans
l’insuffisance cardiaque : changement
des propriétés antiarythmiques et pro-
arythmiques, interactions médicamen-
teuses, insuffisance hépatique ou rénale.
Sur le plan pharmacologique, le choix
est limité à l’amiodarone et aux bêtabloquants, qui peuvent être
associés. Seules les arythmies ventriculaires symptomatiques sont
à prendre en compte pour un traitement, qu’il soit médicamen-
teux ou non médicamenteux ; ce dernier volet est dominé par le
défibrillateur implantable, et plus rarement par une ablation, en
cas de tachycardie ventriculaire par réentrée de branche à branche.
L’indication de défibrillateur implantable est difficile chez des
patients souffrant d’IC, qui ont souvent un pronostic sombre.
INFORMATIONS
Insuffisance cardiaque et cardiomyopathies
4es Journées nationales du groupe de travail de la Société Française de Cardiologie
Dr Ph. Duc*
L
* Service de cardiologie A (Pr Aumont), CHU Bichat-Claude-Bernard,
46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris.
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PRONOSTIC DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
(modérateurs Drs M. Baudouy et M. Ferrière)
La mort subite représente 28 à 42 % des décès (Dr M. Gali-
nier), avec une fréquence inversement proportionnelle à la classe
NYHA (50-60 % des classes I et II de la NYHA pour 20-30 %
des classes III et IV).
Les facteurs responsables de mort subite sont multiples (figure 1).
Les troubles du rythme à l’origine de la mort subite sont nom-
breux : tachycardie ventriculaire soutenue, fibrillation ventricu-
laire, torsades de pointe, dissociation électromécanique et bra-
dycardie. Il est à noter que, dans les classes III/IV, les troubles du
rythme ventriculaire (TV ou FV) ne représentent que 38 % des
causes de mort subite. Ce concept de mort subite est difficile à
apprécier, car la définition varie selon les études. Ainsi, pour
Bayes de Luna, la notion de mort subite suppose une stabilité
antérieure de deux à quatre semaines, alors que d’autres études
retiennent comme critère un décès survenu dans l’heure qui suit
les premiers symptômes. Les facteurs prédictifs retrouvés de
manière concordante dans les études sont peu nombreux : syn-
cope et mort subite récupérée. Les épisodes de tachycardie ven-
triculaire non soutenue sont davantage des marqueurs de morta-
lité globale que de mort subite. Certaines études retrouvent, au
Holter ECG, des éléments prédictifs de mort subite : la présence
de plus de trois salves d’ESV/24 h, la fréquence rapide des ESV
et leur caractère prolongé. Enfin, un taux élevé de noradrénaline
est un marqueur de mort subite. Ainsi, même si le lien entre insuf-
fisance cardiaque et mort subite est fort, il est faible entre trouble
du rythme et mort subite.
La variabilité aussi bien sinusale que tensionnelle a été étu-
diée dans l’IC (Dr R. Vidal). De nombreux marqueurs ont été
décrits pour la variabilité temporelle (SDNN, SDANN, RMSSD,
pNN50) ou spatiale (PT, VLF, HF, ULF, LF). Le SDNN est un
marqueur indépendant de la mortalité dans l’IC, que celle-ci soit
symptomatique ou non. Globalement, on observe une diminution
des paramètres de la variabilité de la fréquence cardiaque, d’au-
tant plus importante que l’IC est sévère. Pour la variabilité ten-
sionnelle, il existe une diminution préférentielle des paramètres
de basse fréquence.
Le pronostic de l’IC diastolique est difficile à apprécier
(Pr P. Bareiss). Les études sont souvent effectuées sur de faibles
effectifs avec une hétérogénéité de définition. La mortalité
annuelle varie de 1,3 à 17,5 %, avec une moyenne de 3-9 %, même
si ces chiffres ne sont malheureusement pas indexés à l’âge. Le
pronostic semble donc nettement meilleur que celui de l’IC avec
dysfonction systolique.
BIOLOGIE DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE
(modérateurs Prs M.C. Aumont et M. Lazdunski)
Les endothélines sont produites par les cellules endothéliales
(Dr F. Pousset). Il existe trois formes d’endothélines (ET-1, ET-
2, ET-3), mais c’est principalement l’ET-1 qui a des effets biolo-
giques. L’ET-1 est sécrétée par les cellules endothéliales, les cel-
lules musculaires lisses et les myocytes. Elle a de multiples
actions : vasoconstriction intense, hypertrophie et croissance
cellulaire, action inotrope positive, stimulation de la synthèse de
l’angiotensine II et “up-regulation” des récepteurs bêta-2.
L’ET-1 est le plus puissant des vasoconstricteurs actuellement
connus. Ces trois endothélines agissent par l’intermédiaire de deux
récepteurs à l’endothéline, les récepteurs ET-A et ET-B. Les ET-
A sont à l’origine d’une vasoconstriction des cellules musculaires
lisses et les ET-B d’une vasodilatation de l’endothélium vasculaire.
L’endothéline est principalement augmentée dans les stades III
et IV de la NYHA, en raison d’une diminution de sa clairance
pulmonaire. Plusieurs antagonistes des récepteurs de l’endothé-
line sont connus (ET-A, ET-B, ET-A et ET-B). Plusieurs molé-
cules sont en développement, sans que l’on puisse déterminer
quelle serait la meilleure approche pharmacologique entre les
antagonistes mixtes ou les antagonistes spécifiques ET-A ou B.
Le taux des cytokines est augmenté dans l’IC (Dr L. Beck).
À titre d’exemple, le TNF alpha ainsi que l’interleukine 6 ou 8
sont d’autant plus augmentés que la classe NYHA est sévère. La
surexpression du TNF alpha chez la souris entraîne une cardio-
myopathie dilatée avec un syndrome inflammatoire, mais il
semble être encore trop tôt pour pouvoir extrapoler chez l’homme
le rôle des cytokines dans la pathogenèse de l’IC.
La troponine I cardiaque semble être un bon marqueur de
l’IC (Dr E. Missov). Lors de l’IC, on observe plusieurs phéno-
mènes cellulaires ou subcellulaires : nécrose, diminution des sar-
comères, œdème, fibrose... La troponine I fait partie du complexe
actine-myosine et inhibe l’activité ATPasique de ce complexe. La
troponine T positionne le complexe de myosine sur le filament
d’actine. Dans l’IC, une libération anormale de troponine I se
produit, reflétant l’exposition du milieu intracellulaire au milieu
extracellulaire, avec libération du contenu cellulaire. Les taux de
troponine I et T sont ainsi le reflet de la désorganisation myo-
cardique, de la mort cellulaire et de la gravité de l’IC. Leur rôle
comme facteur pronostique ou leur évolution ne sont pas encore
connus.
ÉCHOCARDIOGRAPHIE-DOPPLER ET INSUFFISANCE
CARDIAQUE
(modérateurs Drs A. Hagège et A. Habib)
Les myocardiopathies, qu’elles soient dilatées ou hypertro-
phiques (MCH), possèdent un ensemble de caractéristiques per-
mettant un diagnostic positif dans la très grande majorité des cas
(Pr O. Dubourg). Les MCH sont caractérisées par une épaisseur
INFORMATIONS
Facteurs impliqués dans la mort subite
Facteurs structuraux Facteurs iatrogènes
Fibrose Antiarythmiques
Dilatation ou HVG Facteurs fonctionnels Digitaliques
Système sympathique Diurétiques
Système rénine-aldostérone Inotropes positifs
Désordres hydro-électrolytiques
Figure 1. Facteurs impliqués dans la mort subite.
.../...
La Lettre du Cardiologue - n° 300 - octobre 1998
des parois myocardiques supérieure à 13 ou 15 mm selon qu’il
s’agit de formes familiales ou sporadiques. Cet épaississement
est le plus souvent asymétrique, avec une petite cavité ventricu-
laire. L’obstacle dynamique intraventriculaire n’est pas fréquent
(présent dans environ un tiers des MCH), avec une anomalie de
la relaxation (temps de relaxation isovolumique du ventricule
gauche augmenté). Il est à noter que l’oreillette gauche peut être
augmentée sans fuite mitrale associée. L’hypertrophie du ventri-
cule droit est fréquente (4,5 mm), de façon très variable selon
les études (6 à 44 %). Les cardiomyopathies dilatées (CMD) ont
des parois d’épaisseur normale mais sont associées à une dilata-
tion ventriculaire gauche nette et à une altération de la fraction
d’éjection (45 %). Plus la dilatation ventriculaire est importante
et plus le pronostic est sombre. Ainsi, pour un diamètre télédias-
tolique du ventricule gauche > 70 mm, la mortalité à un an est de
71 %. En revanche, lorsque l’épaisseur est augmentée, le pro-
nostic est meilleur. Les critères diagnostiques des CMD ou des
MCH ne reposent donc pas seulement sur les épaisseurs des parois
ou sur le diamètre ventriculaire, mais également sur les indices
doppler ou du ventricule droit.
Le doppler tissulaire (Dr D. Pellerin) constitue une voie de
recherche très intéressante pour aider au diagnostic ou à définir
le pronostic des patients ayant une CMD ou une atteinte isché-
mique. Il permet d’obtenir des informations sur les anomalies
intramyocardiques. Des études sur des effectifs plus importants
permettront de mieux préciser son apport.
I
NSUFFISANCE CARDIAQUE ET BLOCAGE BÊTA-ADRÉNER-
GIQUE
(modérateurs Prs J.P. Bounhoure et P. Gibelin)
L’utilisation des bêtabloquants dans l’IC a été soulignée par un
symposium sur ce thème organisé par Carveteam. La stimula-
tion neurohormonale (Pr M. Komajda) constitue un marqueur
de gravité, qui a été observé dans les études SOLVD (traitement
ou prévention). Elle constitue également un marqueur pronos-
tique. Les marqueurs neurohormonaux vasoconstricteurs s’op-
posent aux systèmes de compensation, vasodilatateurs, natriuré-
tiques et antiprolifératifs. Le rôle antineurohormonal constitue
une des propriétés fondamentales des médicaments bénéfiques
dans l’insuffisance cardiaque, comme les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion et les bêtabloquants.
L’apoptose ou mort cellulaire programmée (Pr J.J. Merca-
dier) intervient dans de nombreux processus pathologiques car-
diovasculaires, notamment dans l’insuffisance cardiaque. Cette
mort cellulaire programmée fait intervenir aussi bien les corps
cellulaires que les noyaux, suite à un ensemble de stimulations.
L’ensemble du processus d’apoptose et des stimulations qui en
sont à l’origine n’est pas encore parfaitement connu. L’apoptose
étant le résultat d’une cascade d’événements, elle pourrait être
régulable quand ces mécanismes seront mieux connus. Même si
l’apoptose ne concerne qu’une minorité des myocytes cardiaques
à un moment donné, pendant un laps de temps assez bref, elle
peut être à l’origine d’une destruction importante du myocarde.
La plupart des étiologies d’IC impliquent l’apoptose (ischémie
coronaire, myocardite virale, hypertrophie secondaire à une sur-
charge barométrique ou volumétrique...).
Lors de l’IC, on observe une diminution de la densité des
récepteurs, en raison aussi bien de la non-stimulation de leur
gène que de la “down-regulation” (Dr B. Crozatier). Le sys-
tème bêta-adrénergique est constitué de trois éléments : le récep-
teur bêta-adrénergique, l’adénylate cyclase, qui est l’enzyme per-
mettant la transformation de l’ATP en AMP cyclique, et la
protéine G, qui est l’enzyme effectrice. Lors de l’IC, un cercle
vicieux s’installe progressivement : une moindre réponse du myo-
carde et la “down-regulation” des récepteurs bêta-1 entraînent
une moindre réponse à la stimulation des catécholamines, celle-
ci étant elle-même à l’origine d’une “down-regulation” des récep-
teurs adrénergiques... Les bêtabloquants exercent une action béné-
fique par plusieurs mécanismes : protection cellulaire par
diminution des effets délétères des catécholamines, restauration
de la densité des récepteurs bêta-adrénergiques, diminution de la
surcharge calcique...
Les bêtabloquants diminuent la morbi-mortalité de l’IC, avec
comme principal mécanisme de contrer la stimulation sympa-
thique qui, si elle est initialement bénéfique, devient délétère à
terme (Pr P. Lechat). Si la stimulation des récepteurs alpha- et
bêta-adrénergiques est initialement bénéfique, car permettant une
augmentation du débit cardiaque, elle est à l’origine d’une sur-
charge calcique intracytosolique et d’une ischémie, entraînant à
long terme une diminution de la masse contractile et une apop-
tose. La propriété chronotrope négative des bêtabloquants a, par
elle-même, probablement un effet bénéfique. Dans l’étude
CIBIS I, le ralentissement de la fréquence cardiaque est le
meilleur facteur prédictif de survie. Dans l’IC, l’augmentation de
la production des radicaux libres et leur plus faible élimination
sont à l’origine d’un stress oxydatif qui est réduit par les bêta-
bloquants. Ces éléments expliquent, après plusieurs semaines de
traitement, l’amélioration de la fonction ventriculaire systolique
(fraction d’éjection). Cette amélioration est un paramètre qu’il
est important de prendre en compte pour la survie. La préserva-
tion de la fonction systolique est un des principaux facteurs pré-
dictifs de l’amélioration de la survie. Inversement, chez les
patients qui n’ont pas amélioré leur fonction ventriculaire, une
augmentation de la mortalité a été observée (CIBIS I). L’étude
CIBIS II permettra de connaître les effets du bisoprolol sur la
morbi-mortalité.
L’un des principaux problèmes rencontrés avec les bêtabloquants
dans l’IC concerne leur mise en route. Le Pr J.B. Bouhour a
exposé les résultats de différents schémas de mise en route du
carvédilol. Les patients ont été classés comme étant à haut risque
(groupe A) ou à bas risque (groupe B) en fonction de la classe
NYHA, de leur âge et de la dose de diurétiques. Le groupe A ras-
semblait les patients en classe IV de la NYHA ainsi que les
patients en classe II ou III de la NYHA ayant plus de 65 ans et
une dose de furosémide journalière supérieure à 80 mg. Trois
schémas de mise en route ont ensuite été comparés : augmenta-
tion lente (toutes les trois semaines) ou augmentation standard
(toutes les deux semaines) pour le groupe A ; augmentation stan-
dard ou accélérée (toutes les semaines) pour le groupe B. Une
majorité des patients étaient traités simultanément par les inhi-
biteurs de l’enzyme de conversion et les diurétiques (70 %), et
une moindre proportion par l’association inhibiteurs de l’enzyme
de conversion, diurétiques et digoxine (40 %). Les sorties d’es-
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