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Charles III le Gros, l’un des fils de Louis le Germanique, roi depuis 876, empereur
depuis 881, avait été le dernier souverain à régner sur un Empire réunifié (à partir de 884),
plus par le hasard des disparitions dynastiques que par réelle volonté politique. Malade, il est
destitué en novembre 887 puis meurt le 13 janvier 888. Le coup d’État est mené par un fils
illégitime de son frère aîné Carloman, Arnulf de Carinthie (Charles III avait lui-même un
fils illégitime, Bernard, pour lequel il voulut un temps assurer sa succession, mais il est écarté,
mineur). Celui-ci lui succède donc pour ce qui est de l’espace germanique, tandis que les
autres régions de l’Empire se choisissent des rois non-carolingiens, faute de candidats dans la
famille, ou tout au moins de candidats susceptibles d’être pris en considération (en Francie
occidentale, le dernier fils de Louis le Bègue, futur Charles le Simple, né en 879 et seul vrai
légitime sur le marché, est jugé trop jeune) : pour les contemporains, il s’agit d’un événement
d’importance, cf. le récit de Réginon (« les royaumes qui lui avaient été soumis se trouvent
pour ainsi dire sans héritier légitime ; ils se séparent de l’assemblage et ne trouvent plus de
seigneur naturel, chacun se donne un roi tiré de son sein ») ; importance confirmée pour nous
par le fait que les royaumes qui se choisissent alors un roi ont formé les unités politiques du
Moyen Âge central. Ceux qui sont alors élus ou qui tentent de se faire élire avaient déjà des
positions reconnues sous Charles III : Bérenger de Frioul en Italie (Carolingien par sa mère),
Rodolphe (apparenté aux Carolingiens par sa mère) en Bourgogne, Eudes en Francie
occidentale, Gui de Spolète candidat malheureux face à Eudes mais qui prit sa revanche en
Italie contre Bérenger. Cependant, tout en ne manifestant apparemment pas d’autre ambition
que sur la partie orientale de l’Empire, Arnulf s’impose très vite « naturellement » comme
l’homme fort (dominus naturalis, écrit Réginon). D’abord, il considère comme allant de soi
que la Lotharingie et la Francie orientale ne font qu’une, sans rencontrer d’opposition malgré
les velléités des uns et des autres (Rodolphe s’était fait couronner à Toul, Gui de Spolète tente
de se faire couronner à Metz). Surtout, le fait d’être le seul Carolingien en ligne masculine,
succédant à l’empereur qui plus est, semble lui avoir donné d’entrée de jeu une prééminence
reconnue. Les reguli viennent les uns après les autres reconnaître son autorité : en juin 888,
Eudes va chercher à Worms la reconnaissance de son titre royal et c’est avec une couronne
envoyée par Arnulf qu’il est couronné une deuxième fois à Reims au mois d’octobre ;
Rodolphe, qu’Arnulf aurait bien voulu éliminer, est à son tour reconnu par lui à Ratisbonne en
octobre 888 ; en décembre, c’est le tour de Bérenger, à Trente. En quelques mois, Arnulf a
ainsi stabilisé à son profit une situation qui avait pu paraître explosive au début de l’année
888, en « sacrifiant » d’éventuelles ambitions territoriales à la reconnaissance de son autorité
personnelle, obtenue sans difficulté majeure. On trouve une manifestation supplémentaire de
l’acceptation de sa domination par les contemporains dans le fait que, en juin 890, c’est
encore avec des insignes envoyés par lui qu’est couronné roi Louis III en Provence ; de
même, à partir de 893, l’archevêque de Reims Foulque sollicite son soutien pour promouvoir
Charles le Simple face à Eudes. Le corollaire de cette supériorité était l’accession à l’Empire :
après avoir laissé sans suite une première invitation du pape à se rendre à Rome en 890 et,
partant, laissé une possibilité de s’emparer de l’Empire qu’a saisie Gui de Spolète (empereur
en 891 ; lui succède son fils Lambert en 894), Arnulf obtient la dignité suprême de la part du
pape Formose à Rome en février 896. Même s’il n’en tire personnellement aucun bénéfice car
il tombe gravement malade peu après et ne se rétablit pas jusqu’à sa mort (8 déc. 899),
l’événement n’est pas sans importance, puisqu’il marque la dernière tentative de
recomposition en un ensemble intégré et hiérarchisé des éléments de l’ancien empire
carolingien.
Sur le plan intérieur, Arnulf n’a pas rencontré grande difficulté pour s’imposer. En
889, l’assemblée de Forchheim (entre Bamberg et Nuremberg, à la limite entre Franconie et
Bavière) reconnaît la succession au trône pour ses deux fils illégitimes Zwentibold et Ratold
(si toutefois ne naissent pas d’ici son propre décès des enfants d’une union légitime ; Ratold