La chronologie politique - Capes

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La chronologie politique :
l’avènement de royaumes « nationaux » et l’hégémonie germanique
Ce premier chapitre de cadrage est strictement événementiel, volontairement plat et se
place du point de vue des souverains et des questions de succession au trône, anticipant sans
doute des points qui seront repris dans le chapitre sur la royauté, mais partant de l’idée que
beaucoup de candidats n’auront rien lu avant et qu’il est peut-être bon de leur en parler. On y
insiste particulièrement sur les débuts de la période (de 888 à Otton Ier) et résume davantage
pour la fin, surtout pour la réforme et la lutte sacerdoce-empire, à partir d’un manuel
commode : Ludger Körntgen, Ottonen und Salier, Darmstadt, 2002 (coll. « Geschichte
Kompakt ») [n° 145 de la biblio], en l’enrichissant pour les années 888-920 par Hagen Keller
et Gerd Althoff, Die Zeit der späten Karolinger und der Ottonen 888-1024, Stuttgart, 2008.
En français, on dispose de Francis Rapp, Le Saint-Empire romain germanique et/ou du Carré
Histoire de Michel Parisse (p. 34 et 44-102), c’est largement suffisant quoique parfois difficile
parce que très comprimé + la New Cambridge Medieval History, en attendant le manuel
annoncé de P. Depreux.
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En Francie orientale/Germanie, la période correspond à la succession de peu de
familles, ce qui fait peu de noms à retenir, tout au moins pour les rois et empereurs : a) les
derniers Carolingiens, Arnulf (888-899) et Louis l’Enfant (900-911) ; b) Conrad (911-918) ;
c) les Liudolfingiens/Ottoniens, Henri Ier (919-936), Otton Ier (936-973), Otton II (973-983),
Otton III (983-1002), Henri II (1002-1024) ; c) les Saliens, Conrad II (1024-1039), Henri III
(1039-1056), Henri IV (1056-1106), Henri V (1106-1125). Quant à l’espace considéré, il est
en expansion tantôt par l’annexion territoriale tantôt par le tutorat politique : à l’ouest vers la
Lotharingie dont on tâchera de suivre les démêlés dans le détail, et la Bourgogne ; au sud vers
l’Italie ; à l’est vers la Hongrie, la Pologne et la Bohême ; au nord, entre autres, vers le
Danemark. On signale d’entrée de jeu les principales entités régionales : outre la Lotharingie
comme pièce rapportée, la Saxe, la Franconie, la Bavière, la Souabe (les 4 duchés, même s’ils
n’existent pas institutionnellement de toute éternité), la Thuringe, la Carinthie, la Marche de
l’Est.
I.
La Francie orientale, grande puissance des derniers temps de l’Europe
carolingienne, 888-918
Rappel de l’évolution territoriale antérieure : 843, partage de Verdun ; 855, à la mort
de Lothaire Ier, la Francie médiane est à son tour partagée en trois entre ses fils, Louis II qui
obtient l’Italie et le titre impérial, Lothaire II qui obtient la partie nord, dite depuis lors
« royaume de Lothaire » puis « Lotharingie » (cette dernière expression à partir des années
970), Charles qui obtient la Provence ; 863, Charles meurt, la Provence est partagée entre ses
deux frères ; 869, Lothaire II meurt, son royaume ne revient pas à Louis mais est envahi par
Charles le Chauve puis fait l’objet d’un partage entre ce dernier et Louis le Germanique (traité
de Meersen 870 : Aix-la-Chapelle et Metz passent alors du côté oriental). La Lotharingie
passe ensuite complètement à l’est selon le processus suivant : à la mort de Louis le
Germanique en 876, la partie orientale détenue depuis Meersen échoit au deuxième fils de L.
le G., Louis le Jeune ; au traité de Ribemont en 880, le même Louis le Jeune reçoit des
héritiers de Charles le Chauve la partie occidentale, ce qui réunifie l’ancien royaume de
Lothaire sous la houlette germanique ; 882, mort de Louis le Jeune et récupération de ses
possessions par son frère Charles le Gros.
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Charles III le Gros, l’un des fils de Louis le Germanique, roi depuis 876, empereur
depuis 881, avait été le dernier souverain à régner sur un Empire réunifié (à partir de 884),
plus par le hasard des disparitions dynastiques que par réelle volonté politique. Malade, il est
destitué en novembre 887 puis meurt le 13 janvier 888. Le coup d’État est mené par un fils
illégitime de son frère aîné Carloman, Arnulf de Carinthie (Charles III avait lui-même un
fils illégitime, Bernard, pour lequel il voulut un temps assurer sa succession, mais il est écarté,
mineur). Celui-ci lui succède donc pour ce qui est de l’espace germanique, tandis que les
autres régions de l’Empire se choisissent des rois non-carolingiens, faute de candidats dans la
famille, ou tout au moins de candidats susceptibles d’être pris en considération (en Francie
occidentale, le dernier fils de Louis le Bègue, futur Charles le Simple, né en 879 et seul vrai
légitime sur le marché, est jugé trop jeune) : pour les contemporains, il s’agit d’un événement
d’importance, cf. le récit de Réginon (« les royaumes qui lui avaient été soumis se trouvent
pour ainsi dire sans héritier légitime ; ils se séparent de l’assemblage et ne trouvent plus de
seigneur naturel, chacun se donne un roi tiré de son sein ») ; importance confirmée pour nous
par le fait que les royaumes qui se choisissent alors un roi ont formé les unités politiques du
Moyen Âge central. Ceux qui sont alors élus ou qui tentent de se faire élire avaient déjà des
positions reconnues sous Charles III : Bérenger de Frioul en Italie (Carolingien par sa mère),
Rodolphe (apparenté aux Carolingiens par sa mère) en Bourgogne, Eudes en Francie
occidentale, Gui de Spolète candidat malheureux face à Eudes mais qui prit sa revanche en
Italie contre Bérenger. Cependant, tout en ne manifestant apparemment pas d’autre ambition
que sur la partie orientale de l’Empire, Arnulf s’impose très vite « naturellement » comme
l’homme fort (dominus naturalis, écrit Réginon). D’abord, il considère comme allant de soi
que la Lotharingie et la Francie orientale ne font qu’une, sans rencontrer d’opposition malgré
les velléités des uns et des autres (Rodolphe s’était fait couronner à Toul, Gui de Spolète tente
de se faire couronner à Metz). Surtout, le fait d’être le seul Carolingien en ligne masculine,
succédant à l’empereur qui plus est, semble lui avoir donné d’entrée de jeu une prééminence
reconnue. Les reguli viennent les uns après les autres reconnaître son autorité : en juin 888,
Eudes va chercher à Worms la reconnaissance de son titre royal et c’est avec une couronne
envoyée par Arnulf qu’il est couronné une deuxième fois à Reims au mois d’octobre ;
Rodolphe, qu’Arnulf aurait bien voulu éliminer, est à son tour reconnu par lui à Ratisbonne en
octobre 888 ; en décembre, c’est le tour de Bérenger, à Trente. En quelques mois, Arnulf a
ainsi stabilisé à son profit une situation qui avait pu paraître explosive au début de l’année
888, en « sacrifiant » d’éventuelles ambitions territoriales à la reconnaissance de son autorité
personnelle, obtenue sans difficulté majeure. On trouve une manifestation supplémentaire de
l’acceptation de sa domination par les contemporains dans le fait que, en juin 890, c’est
encore avec des insignes envoyés par lui qu’est couronné roi Louis III en Provence ; de
même, à partir de 893, l’archevêque de Reims Foulque sollicite son soutien pour promouvoir
Charles le Simple face à Eudes. Le corollaire de cette supériorité était l’accession à l’Empire :
après avoir laissé sans suite une première invitation du pape à se rendre à Rome en 890 et,
partant, laissé une possibilité de s’emparer de l’Empire qu’a saisie Gui de Spolète (empereur
en 891 ; lui succède son fils Lambert en 894), Arnulf obtient la dignité suprême de la part du
pape Formose à Rome en février 896. Même s’il n’en tire personnellement aucun bénéfice car
il tombe gravement malade peu après et ne se rétablit pas jusqu’à sa mort (8 déc. 899),
l’événement n’est pas sans importance, puisqu’il marque la dernière tentative de
recomposition en un ensemble intégré et hiérarchisé des éléments de l’ancien empire
carolingien.
Sur le plan intérieur, Arnulf n’a pas rencontré grande difficulté pour s’imposer. En
889, l’assemblée de Forchheim (entre Bamberg et Nuremberg, à la limite entre Franconie et
Bavière) reconnaît la succession au trône pour ses deux fils illégitimes Zwentibold et Ratold
(si toutefois ne naissent pas d’ici son propre décès des enfants d’une union légitime ; Ratold
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meurt peu après 896) ; en 891, la mort du fils de Charles III, Bernard, fait disparaître un
opposant. A. mène aussi une politique d’alliance avec les grandes familles, spécialement avec
les Conradins (< Konrad), maîtres du Rhin moyen : la femme d’A., Oda, épousée en 888, est
peut-être une « Conradine », tandis que Conrad l’Ancien reçut en 892 une responsabilité quasi
ducale en Thuringe qui assura une position de force à la famille dans la région pour
longtemps.
La Lotharingie posait cependant quelque difficulté, car son intégration territoriale
officielle depuis 880 ne doit pas masquer qu’elle garde son identité de « royaume » qui la met
à part des simples duchés, tandis que les clivages au sein de l’aristocratie régionale, qui ont
duré jusqu’au milieu du Xe siècle, la tirent tantôt vers l’est tantôt vers l’ouest. Si en octobre
891, une importante victoire remportée contre les Normands près de Louvain assure à Arnulf
un complément de légitimité locale, cela n’empêche pas l’année suivante qu’un de ses plus
importants partisans sur place, le comte Mégingaud (qui « gouvernait » les territoires du cours
moyen de la Meuse), soit assassiné. Pour mieux arrimer alors la Lotharingie à la Fr. orientale,
les biens de Mégingaud furent alors assignés en bénéfice à Zwentibold, lequel fut dans un
deuxième temps élu et sacré roi « en Lotharingie », ce qui redonnait une existence visible au
regnum Lotharii qui n’avait plus eu de titulaire depuis la mort de Lothaire II en 869
(assemblée de Worms, mai 895, couplée avec un important concile présidé par A. qui marqua
l’intégration de l’épiscopat de tout le royaume au gouvernement [de manière générale, le
règne d’A. se signale par l’importance des conciles : 6 entre 888 et 895 dont 2 « du
royaume », alors que les décennies précédentes étaient très pauvres en réunions de ce genre] ;
à la même assemblée fut reçu Eudes, dont fut confirmée la dignité royale). Cela ne ramena
pas vraiment le calme pour autant, car Zwentibold n’eut rien de plus pressé que d’intervenir
sur la scène occidentale en prenant le parti de Charles le Simple contre Eudes.
La maladie d’Arnulf fut suffisamment longue pour que, à son décès en décembre 899,
la succession se fît de manière très préparée. Le bénéficiaire en fut Louis IV l’Enfant, né en
893 du mariage avec Oda, qui fut élu et couronné en février 900. Zwentibold, lui, fut
totalement écarté, non seulement de la « Germanie » mais aussi de la Lotharingie qui lui avait
été attribuée en 895 (comme compensation pour l’éviction future) et dont les grands firent
hommage à Louis. Débute alors une régence, aux mains des principaux conseillers du
royaume : pour les ecclésiastiques l’archevêque de Mayence Atton (parrain de Louis, c’est lui
qui l’a couronné), l’évêque d’Augsbourg Adalbéron, celui de Constance Salomon ; pour les
laïcs, le comte Conrad, chef des Conradins. Mais très vite le royaume est en proie aux rivalités
des grands (spécialement entre les Conradins et les Babenberg ; cette dernière famille avait
été écartée par Arnulf au profit des Conradins). L’intégration régionale s’effrite, tandis que se
renforcent les positions locales des aristocraties, rangées autour de quelques familles-clés :
Conradins en Franconie, Liudolfingiens en Saxe, Liutpoldingiens en Bavière, Hunfridingiens
en Souabe/alémanie. À cela s’ajoutent les incursions hongroises, attestées à partir de 900 en
Bavière : on les signale en Saxe et en Thuringe en 906 et 908 ; en 907, l’armée bavaroise subit
une lourde défaite face à eux (mort du marquis Luitpold et de plusieurs comtes, de
l’archevêque de Salzbourg et archichapelain Theotmar, de l’évêque de Freising) ; autre
défaite en 910, soldée cette fois par la mort du comte du Palais Gozbert et, plus importa,te
peut-être pour ses conséquences politiques, par celle de Gebhard, chef des Conradins et dux
regni en Lotharingie. La majorité politique de Louis IV, en 908, ne change rien à cette
évolution délétère. Louis, dernier Carolingien oriental, meurt en 911 ; dès avant, ou juste
après, le parti le plus influent en Lotharingie file faire hommage auprès de Charles le Simple.
La transition : Conrad, 911-918
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La disparition brutale de Louis l’Enfant, sans héritier, posait un problème de
succession analogue à celui de 888. À cette différence près que si, en 888, on avait pu écarter
Charles le Simple à cause de son jeune âge, cette fois il pouvait faire un candidat tout à fait
acceptable, d’autant qu’il était auréolé de son succès dans le règlement du problème normand.
Mais en novembre 911, c’est Conrad de Franconie, non carolingien, qui est élu. Le choix de
Conrad ne fait que couronner une progression personnelle et familiale. Au-delà de l’individu,
on y voit surtout une rupture dynastique sur laquelle l’historiographie insiste à loisir, mais
dont il ne faut pas surévaluer la portée. L’élection se fait d’abord dans le respect de la
tradition : à Forchheim, l’un des vieux centres du pouvoir oriental, et par une assemblée
représentant tout le royaume à l’exception de la Lotharingie : Francs, Saxons, Alamans,
Bavarois. D’autre part, imaginer qu’on ait pu faire appel à Charles le Simple n’est guère
réaliste, car celui-ci avait peu de contacts en Francie orientale… et n’était sans doute pas
candidat. Il avait en revanche beaucoup de liens en Lotharingie, et il se produit comme un
équilibrage : l’ascension des Conradins, largement possessionnés en Lotharingie, pousse les
autres familles locales à chercher un contre-pouvoir, tandis que le succès personnel de Charles
dans cette région provoque une réaction inverse plus à l’est. Il n’y a en tout cas pas de rejet
dynastique pour lui-même, mais simplement une absence depuis longtemps ancrée de
tropisme occidental (à la différence des Occidentaux pour l’est).
Le bref règne de Conrad n’est pas particulièrement brillant. Il se signale par :
- La perte de la Lotharingie et les tentatives manquées d’y reprendre pied. En 911, on l’a
vu, peut-être dès avant la mort de Louis l’Enfant, les grands de Lotharingie, encouragés par la
disparition du « duc du royaume » en Lotharingie Gebhard, font défection pour Charles le
Simple. Dans les années qui suivent se succèdent plusieurs épisodes militaires peu
concluants : on voit Charles à Metz en 912, Conrad à Strasbourg la même année ; Rodolphe
de Bourgogne en profite pour mettre la main sur Bâle. Le plus clair de l’histoire est que, un an
après son élection, Conrad a durablement perdu la région : d’où un prestige amoindri pour luimême comme roi, et un affaiblissement de la position des Conradins à l’ouest.
- L’impossibilité à assoir réellement son autorité face aux autres ducs, qui se révoltent
contre lui (Bavière, Souabe, Saxe tour à tour), après un an de relative tranquillité. De manière
significative, presque la moitié des diplômes conservés sont antérieurs à 913, après quoi la
production devient aléatoire, signe d’un non exercice du pouvoir (i.e. absence de requêtes
présentées à la cour en vue d’obtention de la faveur royale) ou tout au moins d’une activité
uniquement dédiée aux expéditions militaires à droite et à gauche. Même l’alliance
matrimoniale, moyen habituel de se concilier une famille adverse, ne fonctionne pas : Conrad
épouse en 913 Cunégonde, la veuve du marquis de Bavière Luitpold tué par les Hongrois en
906, pour sanctionner une paix avec la famille de celle-ci (en Souabe), mais cela n’empêche
pas ses frères, et son fils, de se rebeller contre lui (le fils est exilé, les frères pendus). Conrad
est toujours capable de mater l’un ou l’autre, mais sans jamais réussir à établir de manière
stable l’autorité royale. C’est dans ce contexte que se négocie une relation particulière avec
les Liudolfingiens en Saxe : à la mort du duc Otton l’Illustre, en 912, Conrad cherche à
pousser ses pions dans la région, pour contrebalancer la toute-puissance ducale ; d’où réaction
violente du fils d’Otton, Henri ; en 915, une bataille entre les deux, à Grone près de Kassel,
semble déboucher d’une part sur la reconnaissance du pouvoir du roi par Henri, formellement
manifestée par un rituel de soumission (deditio), tandis que Conrad maintient Henri dans
l’intégralité du pouvoir ducal tel que l’exerçait Otton. De manière générale, les difficultés
politiques de Conrad sont celles rencontrées par tous les rois non-carolingiens du moment : ils
ont en commun de devoir concilier des prétentions de souveraineté puisées au modèle
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carolingien avec celle de grands dont le pouvoir personnel n’a cessé de croître tout au long du
IXe siècle, c’est-à-dire d’un milieu dont ils sont eux-mêmes issus.
- La permanence des incursions hongroises. Il n’y a pas une année du règne de Conrad
qui n’en subisse. Une seule défaite à signaler du côté hongrois, en 913 ; le vainqueur est le
duc de Bavière Arnulf, qui met ce succès à profit pour se révolter dans la foulée contre
Conrad.
Bilan : si en 888, la Francie orientale tenait le haut du pavé, en 918 ce n’est plus le
cas ; territorialement, elle est diminuée de la Lotharingie et la Bourgogne lui taille des
croupières ; la position du roi n’y est guère plus forte que celle que peut avoir Charles le
Simple en Francie occidentale. À l’échelle européenne, le sentiment commun est encore celui
d’une appartenance à un même regnum Francorum où s’agitent plusieurs rois, au sein d’un
processus de désintégration accéléré, avec fluidité des appartenances politiques comme en
Lotharingie.
II.
Avènement et mise en place de la dynastie ottonienne
Henri Ier, 919-936 : stabilisation et consolidation de la royauté
La mort de Conrad (23 décembre 918) amène un réel changement, bien plus notable
que celui qui avait marqué son arrivée sur le trône en 911. L’élection de Conrad n’avait fait
que consacrer un pouvoir déjà existant. Cette fois arrive le « duc des Saxons » Henri (les
guillemets s’imposent, car Henri n’avait peut-être que rang comtal), d’une autre famille, alors
que Conrad avait un frère, Éberhard/Évrard, qui aurait pu prétendre à la succession. D’où
l’importance de l’événement, retenu comme fondateur pour l’histoire allemande.
Pour le comprendre, nous sommes tributaires des récits des historiens de la cour
ottonienne, à commencer par celui de Widukind de Corvey : Conrad, avant sa mort, aurait
demandé que fussent portés à Henri les insignes royaux et c’est Eberhard lui-même qui se
serait acquitté de cette mission. Récits partisans forcément, mais qui ont le mérite d’être
unanimes ; on peut en garder au minimum comme « bon » le fait que l’accession au trône de
Henri s’est faite avec le soutien actif du frère de son prédécesseur. Dans l’historiographie
contemporaine, on préfère au reste parler de peuples/ethnies, là où nous voyons des
concentrations régionales de pouvoir aux mains de quelques familles dominantes : les Saxons
remplacent les Francs comme gens dominante, mais le passage de témoin par Conrad et
Eberhard permet de présenter la nouvelle royauté comme celle « des Francs et des Saxons ».
Pourquoi Henri ? Parce que c’est l’un des rares grands du royaume avec lequel Conrad
avait pu établir des relations normales, après l’épisode de 915. Il a aussi un bon pedigree, car
même si la famille est récente puisqu’on ne remonte pas au-delà de son grand-père Liudolf
(comte mi IXe, fondateur du monastère féminin de Gandersheim), elle a des relations suivies
avec les Carolingiens orientaux : Louis le Jeune († 882), fils de Louis le Germanique, a
épousé une fille de Liudolf, Liudgard, tandis qu’à la génération suivante une sœur de Henri,
Oda, a été mariée à Zwentibold ; quant au père de Henri, le duc Otton l’Illustre, il était crédité
d’un pouvoir quasi royal en Saxe. La famille fait donc jeu égal avec les Conradins, elle a aussi
en commun avec eux d’avoir des horizons politiques plus larges que leur région de souche
(Franconie pour les uns, saxe pour les autres), là où les familles ducales de Bavière et de
Souabe ont des horizons plus limités ; son arrivée au pouvoir ne fait que consacrer l’état des
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rapports de forces au sein de l’aristocratie orientale en 918, et pas plus qu’en 911 on n’a songé
par ailleurs à l’éventualité de Charles le Simple.
Deuxième entorse à la normalité, toujours d’après Widukind, Henri renonce au sacre
et au diadème. L’auteur met ce geste au compte de la modestie, mais il s’agit évidemment
d’une mise en scène réglée à l’avance avec les participants. Se posait en effet la question de la
relation avec les grands et de l’acceptation par eux du nouveau souverain. Cette acceptation
n’allait pas de soi, car il s’est passé cinq mois entre le décès de Conrad et l’élection, laquelle a
lieu à Fritzlar, localité insignifiante qui n’avait pas le prestige de Forchheim ; elle ne fait pas
l’unanilité, puisque ni les Bavarois ni les Alamans n’y participent, refusant de reconnaître ce
régime « franco-saxon » ; enfin, il y eut peut-être même une contre-élection royale au profit
du duc de Bavière Arnulf. Avec la renonciation au sacre, Henri, en réalité, inaugure sa royauté
par un compromis programmatique, celui du primus inter pares ; ce en quoi, et c’est là la
vraie rupture, il renonce à l’exercice d’un pouvoir de type carolingien. Le règne de Henri, du
coup, est à l’enseigne de la réconciliation et du consensus, de l’amicitia et des pacta (Althoff).
Ces amitiés et pactes, utilisées aussi bien dans les relations internationales, ont une forte
valeur religieuse ; elles laissent des traces dans les libri memoriales, où sont enregistrés
ensemble le nom du roi et de sa famille avec ceux des puissants, marquant leur association
dans les prières monastiques (ex. à Reichenau en 929/930).
Le règne proprement dit :
a)
Relations avec les ducs de Souabe et de Bavière. Henri a comme première
tâche de s’imposer comme roi. Avec Burchard de Souabe, l’affaire est vite réglée, par un
hommage-amitié, dès 919, sans doute en échange de la mainmise ducale sur l’Église
régionale. Avec Arnulf de Bavière, les choses sont plus difficiles : Henri mène deux
campagnes militaires sans succès ; mais là aussi, on débouche sur une amicitia/traité, laissant
à Arnulf une autonomie de fait (il nomme ses évêques, mène librement sa politique extérieure,
les actes privés bavarois ne mentionnent pas Henri dans leur datation et le roi ne met pas les
pieds en Bavière).
b)
Relations avec la Francie occidentale. Tout continue à se jouer autour de la
Lotharingie, où Henri vise à rétablir la domination orientale telle qu’elle prévalait du temps
d’Arnulf ; il y tient d’autant plus que sa sœur Oda, on l’a vu, a été reine « de » Lotharingie, et
bénéficie d’un allié (changeant) en la personne du duc (depuis 915) Giselbert, en conflit
ouvert avec Charles le Simple. Les étapes sont les suivantes : 1, conflit ouvert et tentative
armée de Charles, qui pousse jusqu’à Worms, puis fait retraite ; 2, en 921 conclusion d’un
traité/amicitia, par lequel Henri renonce implicitement à la L., tandis que Charles reconnaît la
royauté de Henri à parité de la sienne (on temporise) ; 3, en 922, l’élection de Robert en
Francie occidentale, lequel s’empresse de contracter une amicitia avec Henri, libère celui-ci
du traité de Bonn ; 4, la situation politique à l’ouest (mort de Robert 923, élection de Raoul,
emprisonnement de Charles) laisse la voie libre à Henri pour la reconquête, menée lentement
à l’appel de Giselbert à partir de 925, scellée par la reconnaissance de G. comme duc et par
son mariage avec Gerberge, la fille de Henri (928). Il y a désormais 5 duchés.
c)
Relations avec la Bourgogne. Henri stabilise la frontière, pour éviter de
continuer à se faire grignoter comme par le passé. La mort du duc de Souabe Burchard, en
926, pouvait allumer les ambitions de Rodolphe II, qui avait épousé sa fille Berthe ; Henri
conclut alors une amicitia avec lui, la même année (assemblée de Worms) : Rodolphe renonce
au duché moyennant quelques concessions territoriales (les alleux de Burchard) ; c’est aussi à
cette occasion que la Sainte Lance passe de Bourogne en Germanie.
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d)
Relations avec les deux. En 935, sur la Meuse donc sur les terres de Henri,
homme fort de l’Europe, se rencontrent les trois rois du programme : Henri « de Germanie »,
Raoul « de France », Rodolphe « de Bourgogne ». Une nouvelle fois est scellée une amicitia,
qui engage aussi les fidèles respectifs.
e)
Les Hongrois. Après plusieurs années difficiles, Henri réussit à faire prisonnier
un chef hongrois (924 ? 926 ?), ce qui lui permet de négocier une trêve de neuf ans,
moyennant tribut. Il profite de cette période pour mettre en défense le royaume, par
l’organisation d’un service de cavalerie (système des agrarii milites : 8 paysans se cotisent
pour équiper un 9e et maintiennent son exploitation durant la campagne) et par la construction
de fortifications (« Burgenordnung », 926), encourageant en particulier l’initiative privée sans
chercher à en garder le monopole royal comme l’avait au contraire voulu Charles le Chauve
contre les Normands en 864. Une fois prêt, il refuse de payer le tribut, en 932. Les Hongrois
mènent alors un nouveau raid mais sont cette fois battus, à Riade (le lieu précis de la bataille,
sur l’Unstrut, un affluent de la Saale, n’est pas connu), le 15 mars 933. La victoire, la
première depuis vingt ans, a un gros impact psychologique : Widukind en fait le sommet du
règne de Henri, la confirmation divine de son pouvoir (via la Sainte Lance, relique
victorieuse) etc. ; la bataille est peinte au palais de Mersebourg.
f)
Règlement de la succession. En dehors de son action politique et militaire, c’est
par lui que, assez vite, Henri se détache du lot et ne peut plus être considéré seulement comme
le primus inter pares. À la différence de ses deux prédécesseurs, Henri avait plusieurs
héritiers : d’un premier lit était né Thankmar ; du mariage avec Mathilde trois fils, Otton
(912), Henri (922), Bruno (925). D’où la possibilité de renouer avec les partages, à la
carolingienne. Mais ce n’est pas cette solution qui est choisie : d’abord parce que Henri,
n’étant pas Carolingien, n’était pas concerné par cette tradition, que n’avait déjà pas suivie
Rodolphe Ier († 912) en Bourgogne ; ensuite et surtout parce que la pratique du partage s’était
perdue, à mesure aussi que se réduisaient les espaces. On considère désormais que les regna
sont des unités non divisibles ; au reste, même si Henri l’avait voulu, il est peu probable que
les ducs eussent laissé faire. Il faut donc choisir et le choix se porte naturellement sur l’aîné
(Thankmar est exclu d’office car né du premier lit). Reste à le faire savoir. C’est chose faite
dès 929/930 (Otton a 18 ans le 23 novembre 929), à l’occasion d’une grande tournée dans tout
le pays avec visite des grands monastères et mesures connexes : fiançailles et mariage d’Otton
avec Édith, demi-sœur du roi d’Angleterre Ethelstan et descendante d’un saint roi martyr,
Oswald ; confirmation du douaire de Mathilde, par un diplôme émis sur requête des grands et
où est mentionné l’accord d’Otton lui-même (cela vaut sécurité pour son avenir) ; placement
du plus jeune frère, Bruno, auprès de l’évêque d’Utrecht en vue de son éducation pour une
carrière ecclésiastique ; enfin, vraisemblablement couronnement et sacre à Mayence.
Couronné ou non, Otton est rex à partir de 929/930, sans pour autant être formellement
associé au pouvoir de son père. Une nouvelle dynastie est fondée… au moment où s’éteint, en
prison, Charles le Simple (7 octobre 929) : comme si les Carolingiens, alias les Francs,
passaient définitivement la main aux Saxons ; et la Pentecôte 930 fut fêtée à Aix-la-Chapelle.
g)
L’Empire ? Il devrait être le couronnement logique du processus. Widukind,
après le récit de la bataille de Riade et la description des acclamations à Henri comme « père
de la patrie » et imperator, fait mention d’un projet de voyage à Rome, qui n’eut pas lieu
parce que Henri tomba malade. Dans les mêmes années, le roi d’Italie Hugues de Provence
tentait en vain de prendre la dignité impériale. On n’en sait pas plus, mais garder l’idée qu’un
projet d’Empire est plausible.
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Otton Ier : des conflits intérieurs à l’Empire
Otton succéda à Henri en 936, avec sacre et couronnement dans la chapelle palatine
d’Aix (7 août 936), et encore une fois un beau récit de Widukind. Sauf que l’unanimité n’est
pas au rendez-vous. Au banquet de clôture, au cours duquel les plus grands du royaume firent
le service de la table (cf. W. : « Les ducs le servirent : celui de Lotharingie Giselbert, dont le
ressort territorial comprenait cette localité avait la surintendance de toutes choses ; Eberhard
de Franconie était chargé de la table ; Hermann de Souabe commandait aux échansons ;
Arnulf de Bavière à la cavalerie et remplissait le service de maréchal ».) manquait le marquis
de Saxe Sigfried, n° 2 du royaume, beau-frère de Henri Ier, resté chez lui avec le jeune frère
d’Otton, Henri, dont il avait en charge l’éducation. Ce qui n’annonçait rien de bon.
Rien n’avait été précisé dans le règlement de succession, en effet, quant à la situation
des frères : si le sort de Bruno pouvait paraître réglé, restait pendant celui de Henri, et celui du
demi-frère aîné, Thankmar ; de son côté, la reine-mère, Mathilde, aurait semble-t-il préféré
voir Henri sur le trône… D’où toute une série de tensions jusqu’en 941, tensions qu’Otton ne
règle pas par le consensus comme son père, mais par la force (Henri n’a pas le handicap
d’origine du primus inter pares, il est d’entrée de jeu au-dessus du lot), et qui se terminent par
la soumission complète de Henri après une grosse révolte en 939 et un complot avorté en
941 ; les relations s’apaisèrent une fois que Henri fut pourvu du duché de Bavière (948), ce
qui lui donnait l’occasion de participer à l’exercice de la souveraineté tout en étant dans une
région périphérique par rapport au cœur saxon de la royauté (il meurt en 955 ; la même
politique de promotion-éloignement est employée plus tard pour caser le fils d’Otton Liudolf,
en Souabe, 949). Dans le lot des vexés, mécontents et comploteurs battus : Wichmann, de la
famille des Billung, beau-frère de Mathilde, auquel Otton préfère son jeune frère Hermann
pour commander sur la frontière slave avec titre de princeps militiae (936) ; Eberhard de
Franconie, celui qui avait fait roi Henri Ier, à la suite d’un litige avec des vassaux saxons qui
refusaient de le servir maintenant qu’un Saxon avait accédé à la royauté (937 ; † 939) ;
Giselbert de Lotharingie († 939) ; le demi-frère, Thankmar, qui avait espéré succéder à
Sigfried en Saxe (937-8 ; † 938). En gros, ce sont ceux dont les hautes positions au temps de
Henri Ier sont remises en cause qui se rebiffent.
Sur le plan international, Otton garde l’influence qu’avait eue Henri Ier, sans avoir à
bouger beaucoup de son royaume dans un premier temps. Il marie sa deuxième sœur,
Hadwige, au Robertien Hugues le Grand (937), puis remarie sa sœur Gerberge, veuve de
Giselbert de Lotharingie, au Carolingien Louis IV d’Outre-mer, et se trouve à même de jouer
les médiateurs dans les conflits propres à la Francie occidentale. En 946, il prête main forte à
Louis IV contre les Normands.
S’ouvre alors, de manière plus fortuite que préméditée, la perspective italienne. En
951, la veuve du roi d’Italie Lothaire († 950, fils de Hugues de Provence), Adélaïde, fait appel
à lui contre Bérenger II, qui l’a reléguée en prison pour éviter toute opposition politique de sa
part. Ni Bérenger ni Adélaïde n’étaient inconnus d’Otton : Bérenger, ancien marquis d’Ivrée,
avait été accueilli à sa cour au temps où il été en rivalité avec Hugues de Provence ; Adélaïde
était la sœur du roi de Bourgogne Conrad, qu’Otton avait pris sous sa protection en 937 pour
le protéger des visées du même Hugues sur la Bourgogne. Toujours est-il qu’Otton passa les
Alpes et délivra Adélaïde ; dans la foulée, à Pavie, il prit le titre de rex Francorum et
Langobardorum/Italicorum et épousa Adélaïde (lui-même était veuf depuis 946). L’adoption
du titre, si brève fut-elle (Otton ne le porta plus dès son retour en Saxe), renouait avec le
scénario de Charlemagne, mais Otton ne poussa pas son avantage : l’année suivante, à
9
l’occasion d’une assemblée réunie à Magdebourg, il donnait à titre vassalique le royaume
d’Italie à Bérenger et son fils Adalbert, tout en confiant ses propres intérêts en Italie à son
frère Henri de Bavière.
En Germanie, l’aventure italienne ne faisait pas que des heureux. Premier d’entre eux,
le fils d’Otton, Liudolf de Souabe, jusque-là seul héritier présumé mais qui risquait d’être
écarté de la succession dès que naîtrait un fils de l’union avec Adélaïde. Avec lui, le duc de
Lotharingie Conrad le Rouge, gendre d’Otton (Otton lui avait donné sa fille Liutgard), que le
roi avait chargé de négocier la soumission de Bérenger mais qu’il désavoua ensuite.
Ensemble, Liudolf et Conrad entreprirent une campagne de dénigrement, non d’Otton luimême, mais de Henri de Bavière, puis isolèrent le roi au sein de son propre royaume, le
privant peu à peu de ses soutiens. L’année 954 fut marquée par une incursion hongroise plus
ou moins suscitée par Conrad le Rouge et qui poussa jusqu’à Metz. La paix entre Liudolf et
Otton ne fut rétablie qu’à la fin 954. Entre-temps, Conrad avait été évincé de Lotharingie et
remplacé par le plus jeune frère d’Otton, Bruno, pourvu de l’archevêché de Cologne puis du
duché de Lotharingie lui-même. Mais ce qui mit vraiment fin au conflit fut la campagne
menée contre les Hongrois en 955 : la victoire du Lechfeld, le 10 août, remportée avec des
contingents recrutés dans tout le royaume, d’une part mit fin définitivement à la présence
hongroise en Occident, d’autre part consacra l’hégémonie d’Otton, à l’extérieur aussi bien
qu’à l’intérieur, comme souverain chrétien vainqueur du paganisme grâce au soutien de Dieu
(la Sainte Lance encore une fois).
Otton acquiert alors une stature internationale inégalée. Il échange des ambassades
avec Byzance, est sollicité par la princesse de Kiev Olga, nouvellement convertie, pour
l’envoi de missionnaires (le chapelain Adalbert, qui se fit griller la politesse par les
Byzantins). Il étend l’influence ecclésiastique germanique vers le nord : trois évêques danois
sont présents au synode réuni à Ingelheim en 948, tandis que le pape concède l’autorité
métropolitaine sur le nord à l’archevêché de Brême-Hambourg. Surtout, il tente de mener à
bien le projet auquel il s’était engagé en cas de victoire contre les Hongrois, d’expansion de la
chrétienté en pays slave par le biais de la création d’une nouvelle province ecclésiastique
centrée sur Magdebourg (dès le début de son règne, Otton y avait fondé un monastère, où
avait été enterrée sa première épouse Édith) et sous le patronage du saint martyr Laurent. Le
projet, battu en brèche par les évêques installés à cause de la diminution territoriale qu’il
entraînerait (spécialement par l’archevêque de Mayence Guillaume, fils d’une première union
d’Otton avec une princesse slave), le plaçait à nouveau dans les pas de Charlemagne,
associant conquête et christianisation administrative. La dernière étape du scénario
carolingien fut franchie grâce aux appels du pape contre les mauvais traitements de
Bérenger II. L’affaire fut préparée par le couronnement d’Otton II en mai 961 à Aix. Le
2 février 962, Otton était couronné à Saint-Pierre par Jean XII, et en même temps que lui
Adélaïde, manière de souligner l’importance de cette dernière au sein de l’Empire
(importance, dans une première analyse, surtout économique vu les nombreuses possessions
qu’elle avait par sa famille bourguignonne et son premier mariage italien). L’Empire, vacant
depuis la mort de Bérenger Ier en 924, était recréé. Quelques jours plus tard (12 février), le
pape autorisait la création de la nouvelle province ecclésiastique orientale, centrée sur
l’archevêché de Magdebourg, avec Mersebourg comme évêché suffragant, tandis que de son
côté, Otton renouvelait le pacte avec la papauté tel qu’il avait cours depuis le VIIIe siècle
(Ottonianum, 13 février). Quand il revint en Germanie en 965 — les événements italiens
l’avaient empêché de rentrer plus tôt —, une réunion « familiale » à Cologne fut l’occasion de
manifester son ascendant : étaient présents, outre couple impérial, la reine-mère Mathilde, le
petit frère Bruno archevêque de Cologne, la sœur Gerberge veuve de Louis IV d’Outre-mer
avec ses enfants Lothaire, roi depuis 954 et dont fut planifié le mariage avec la première fille
10
d’Adélaïde, Emma, et Charles. Dernier étage de la fusée, le mariage d’Otton II, associé à
l’Empire à Rome en 967, avec une princesse byzantine : à défaut d’une porphyrogénète, on se
contenta d’une nièce de Jean Tzimiskès, Théophano, épousée avec grand tralala en 972 (cf. le
contrat en lettres d’or sur pourpre, en couverture de Dots et douaires).
III.
D’une dynastie à l’autre (Otton II-Conrad II), dans une même tradition
Otton II, 973-983
Quand il succéda à son père à l’âge de 18 ans, Otton II avait tout pour lui : roi et coempereur depuis un moment, marié à une Byzantine, sa prééminence ne pouvait être discutée
ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Ce qui n’empêche pas quelques difficultés, liées surtout à des
attributions de charges qui froissaient les susceptibilités. Au-delà des détails propres à chaque
conflit, l’intéressant est de voir qu’ils portent tous deux sur des questions de rang/hiérarchie
dans la famille et dans le royaume, et aussi que dans les deux cas cités ci-dessous, la reinemère Adélaïde fut partie prenante, contre son fils… et probablement contre sa bru :
a)
avec Henri de Bavière (H. le Querelleur). Henri de Bavière, cousin d’Otton,
avait succédé à son père homonyme en 955. À la mort du duc de Souabe Burchard, il pensait
pouvoir faire valoir des droits sur le duché au motif que la veuve de Burchard, Edwige, était
sa sœur. Mais Otton confia la Souabe à l’un de ses neveux, également nommé Otton, dont il
était très proche (ils avaient grandi ensemble). Face à ce désaveu, les Liudolfingiens de
Bavière allèrent chercher du soutien auprès des princes slaves de Pologne et de Bohême.
Henri fut une première fois emprisoné à Ingelheim, puis finalement exilé à Utrecht (977) ;
b)
la Lotharingie fut, elle, occasion de conflit avec les Carolingiens français. En
977, Otton confiait la Basse-« Lorraine » (scindant ainsi le duché en deux), avec titre ducal, à
son cousin Charles dépourvu de tout honneur, le frère cadet de Lothaire. Celui-ci n’apprécia
pas, car cela impliquait une dépendance d’ordre vassalique ; ce qui pouvait se faire du temps
d’Otton Ier ne passait plus avec un cousin moins âgé. D’où des escarmouches militaires de
part et d’autre, jusqu’à ce que, en 980, Lothaire et Otton concluent une amicitia qui
rétablissait leur égalité. Du coup, Adélaïde et Otton se réconcilièrent aussi.
Ayant acquis une certaine tranquillité sur le plan intérieur, Otton pouvait se consacrer
à l’Italie pour y achever l’œuvre de son père, et spécialement mener à bien le vieux rêve
carolingien d’unification de la péninsule par la conquête du midi byzantin et musulman.
L’échec fut retentissant (bataille de Cotrone, 982) et à peine la nouvelle fut-elle connue au
Nord que les Slaves de l’Elbe en profitèrent pour se rebeller, réagissant à la fois contre la
christianisation et la domination de leurs voisins Abodrites, mieux traités qu’eux par les
Ottons.
Il fallait alors reprendre la main. Ce fut l’objet de l’assemblée réunie dans l’urgence à
Vérone en mai 983. Outre des mesures ponctuelles (succession aux duchés de Bavière et de
Souabe), on procéda surtout à l’élection du jeune Otton III, trois ans. Après quoi les
archevêques de Mayence et de Ravenne (manifestation de l’union des deux royaumes dans un
même cadre impérial) l’emmenèrent en direction d’Aix pour le couronnement. Le sens de la
manœuvre est clair : il s’agit moins de blinder une succession dynastique que de conforter le
11
présent de la royauté en libérant les esprits d’éventuelles incertitudes. La nouvelle du décès
soudain d’Otton II en Italie (7 décembre) ne parvint qu’après le couronnement.
Otton III, 983-1002
Ni l’élection ni le couronnement ne solutionnaient les problèmes posés par la mort
brutale d’Otton II. D’une part il fallait mettre en place une régence, d’autre part le fait que le
couronnement ait eu lieu après le décès de l’empereur pouvait prêter à discussion. Henri le
Querelleur, aussitôt libéré, s’assura le contrôle de l’enfant en tant que plus proche parent en
ligne masculine, avec une option à la fois sur la régence et sur la royauté. Mais malgré des
appuis locaux en Bavière et en Saxe et des soutiens extérieurs en Francie occidentale
(Lothaire, qui voit là une occasion de faire valoir les vieilles revendications sur la Lotharingie
et mène une attaque conte Verdun) ainsi qu’en Bohême et Pologne, l’affaire fait long feu face
au contre-feu très vite allumé au sommet : Adélaïde et Théophano, l’archevêque de Mayence
Willigis, le roi de Bourgogne Conrad (frère d’Adélaïde). Henri finit par faire sa deditio
formelle devant l’enfant (assemblée de Francfort, Pâques 984), moyennant quoi il rentra en
possession de son duché (il meurt en 995).
Peut alors commencer le temps de la, ou plutôt des régences. Elles furent confiées
successivement à la mère d’Otton, Théophano († 991) puis à sa grand-mère Adélaïde († 999)
jusqu’à la majorité politique du souverain (994, à 15 ans). Durant cette période de formation
se signalent : son précepteur grec, Jean Philagathe ; pour les lettres Bernward, par la suite
chancelier et évêque de Hildesheim (993-1022).
Le passage au gouvernement personnel d’Otton, à l’automne 994, se fit sans
difficultés. L’ancien opposant Henri le Querelleur eut le bon goût de mourir l’année suivante,
laissant à la tête du duché son fils homonyme (futur Henri II), qui fut l’un des plus soutiens
d’Otton. L’entourage du souverain prend alors une influence bien plus grande que sous la
régence. Il s’agit non plus tant des anciens conseillers, au nombre desquels on peut compter
aussi l’archevêque de Mayence Willigis, l’évêque de Worms Hildebald, ou des parents
proches, comme les diverses femmes pieuses de la famille (sa tante Mathilde, abbesse de
Quedlinbourg, auto-proclamée matricia par féminisation du titre romain patricius, † 999 ; ses
sœur Sophie, moniale puis abbesse à Gandersheim,1001-1039, et Adélaïde, qui succéda à
Mathilde à la tête de Gandersheim), que de personnalités nouvelles, pour la plupart
rencontrées au cours de ses voyages et dont certaines ont fait beaucoup pour le tropisme
ascétique et mystique d’Otton, qui aurait exprimé l’intention de se faire moine : Gerbert
d’Aurillac (choisi comme mentor intellectuel), Léon de Verceil (spécialiste de droit romain),
Adalbert de Prague, Romuald, Nil de Rossano.
L’étape obligée pour accéder à la plénitude du pouvoir était, comme pour Otton II et
Otton Ier, l’obtention de la dignité impériale, donc un voyage à Rome : Otton III passa en
Italie à la fin de l’année 995 et se fit couronner à Saint-Pierre de Rome le jour de l’Ascension
996, 21 mai. Dès l’été, il repartait vers le nord, mais la visite si brève fût-elle est importante à
plus d’un titre :
a) parce qu’elle marque l’option prise par l’Empire sur la papauté. Alors qu’il se
trouvait à Pavie à Pâques 996, Otton apprend la mort du pape Jean XV, très lié aux Crescenzi
de Rome mais en difficulté constante avec eux ; il place alors sur le trône de Saint-Pierre un
clerc de sa chapelle, son cousin Bruno de Carinthie, âgé de 23 ans, qui prit le nom de Grégoire
V et dont le premier acte fut de procéder au couronnement impérial. C’est sous son pontificat
12
que se place l’épisode du coup d’État de Crescentius (élection de l’antipape Jean Philagathe,
Jean XVI) qui motiva la deuxième expédition romaine d’Otton en février 998 ;
b) c’est à Rome qu’Otton rencontre Gerbert, venu plaider sa cause à propos de
l’archevêché de Reims. L’amitié née entre les deux assure à ce dernier la fin de sa carrière :
archevêque de Ravenne pour compenser la perte de Ravenne, puis pape (avril 999) ; un pape
refondateur, Silvestre II, ce qui impliquait qu’Otton fût un nouveau Constantin. Pour la
première fois depuis l’époque carolingienne, l’empereur avait ainsi « fait », coup sur coup,
deux papes. Qui plus est, ces papes n’émanaient pas de la noblesse romaine ;
c) c’est aussi à Rome qu’Otton rencontre Adalbert, haute figure ascétique et
missionnaire, évêque de Prague (évêché créé vers 973, rattaché à Mayence) depuis 983 mais
qui s’était exilé en 994 en Italie à cause de mauvais rapports avec le duc de Bohême. Otton III
le ramena avec lui en Germanie en 996, d’où il repartit pour aller évangéliser les Hongrois.
Le séjour romain de 996, avec ses rencontres, fut déterminant pour l’activité des
années suivantes, guidées par les mêmes hommes et les mêmes thèmes :
- Otton fit donc un deuxième voyage en Italie en 998, puis un troisième en 1000, à
chaque fois pour régler les difficultés entre le pape et la population romaine. C’est l’occasion
de développer le thème de la Renovatio imperii Romanorum et d’exalter la dignité impériale,
en collaboration étroite avec Gerbert. [Je ne développe pas.]
- Au nord, Otton suivit de près l’entreprise d’évangélisation d’Adalbert. D’abord en
Hongrie, où le « duc » Géza, sous Otton Ier, avait déjà été baptisé et dit son peuple dit prêt à
passer au christianisme. Le 26 décembre 996, à Cologne, le fils de Géza, Vaïk, est baptisé par
Adalbert en présence d’Otton III [ainsi veut la vulgate mais on n’en est pas tout à fait sûr], le
parrain — depuis 995, Vaïk était par ailleurs lié à la famille ottonienne par son mariage avec
Gisèle, fille de Henri le Querelleur —, et prend le nom du saint chrétien du jour, Étienne (déjà
Géza avait pris ce nom, mais il ne lui est pas resté attaché, signe d’un christianisme encore
pâlichon de son temps) ; une fois arrivé au pouvoir en 997, il poursuit la conversion de son
peuple. Adalbert partit alors évangéliser les Prussiens (Pologne). Le schéma y avait été le
même que pour les Hongrois, avec un temps d’avance. Le duc de Pologne Miesko (vers 960992), dont le pouvoir était centré sur Gniezno/Gnesen, avait agrandi peu à peu sa domination
tout en soutenant l’évangélisation et en veillant à garder les mains libres : baptisé en 966, il
avait obtenu du pape la création de l’évêché de Poznan, indépendant de celui de
Magdebourg ; puis, tout en prêtant allégeance à Otton Ier, il avait garanti l’intégrité de ses
terres en les donnant à Saint-Pierre (vers 990), avec restitution immédiate en précaire. À
Mieszko succède son fils Boleslas Chrobry (« le Vaillant »), c’est lui qui fit appel à Adalbert
pour les Prussiens… et qui recueillit sa dépouille à Gniezno après que celui-ci eut été
martyrisé au printemps 997.
La Pologne disposait ainsi de son saint patron… qu’aurait bien voulu récupérer aussi
Otton III. Une intense activité se déploya autour d’Adalbert, dans un contexte tendu par
l’imminence du millénaire. En 999, l’un des premiers gestes de Gerbert devenu pape fut de le
canoniser (juin) ; puis, alors qu’il se trouvait à Rome, Otton fut guéri d’une maladie grâce à
une invocation à A. D’où vœu de pèlerinage, concrétisé pendant le carême de l’an 1000. Trois
événements eurent lieu en même temps : érection de Gniezno en métropole (donc une
province ecclésiastique polonaise autonome) ; constitution de la Pologne en quasi-royaume
(Otton pose son diadème sur la tête de Boleslas, cooperator imperii, et se lie à lui par un pacte
d’amitié ; mais un couronnement formel n’eut lieu qu’en 1025) ; pèlerinage aux reliques
13
d’Adalbert, dont Boleslas prélève un bras pour Otton. Étienne de Hongrie accéda lui aussi (et
sûrement) à la royauté la même année, recevant sa couronne de la part de Silvestre II.
- À la Pentecôte de l’an mil, last but not least, invention des reliques de Charlemagne à
Aix. Otton III assure le premier apogée de la tradition carolingienne en Germanie, jouant au
reste sur du velours puisque les Carolingiens français étaient évincés depuis 987. La boucle
est bouclée pour le programme de Renovatio Imperii Romanorum : au revers de la bulle qui
porte cette légende, utilisée à partir de 998, figurait un empereur d’âge mûr, barbu et
couronné, en qui l’on reconnaissait Charlemagne et non le jeune Otton.
Les projets d’Otton III tournent cependant court assez vite : retourné à Rome en 1000,
il est en butte à l’hostilité de la population au point de devoir se réfugier au château SaintAnge ; il meurt soudainement le 24 février 1002 à une centaine de km au nord de Rome. La
brièveté du règne et la personnalité un peu allumée d’Otton laissaient la place à la fabrication
du mythe.
Henri II, 1002-1024
La mort d’Otton III cueillit tout le monde dans l’impréparation, puisque rien n’avait
été prévu pour la succession, pour la première fois depuis 919. Le seul critère reconnu par
tous comme pourvoyeur de légitimité naturelle était celui de la parenté proche, ce qui laissait
le champ ouvert à plusieurs candidats. Le plus proche était sans conteste le duc de Bavière
Henri, descendant direct de Henri Ier au même titre qu’Otton III. Il prit l’initiative, avec le
soutien de la famille, en accueillant la dépouille à Augsbourg, en mettant la main sur les
insignes impériaux et en prenant une option sur la Sainte Lance en prenant en otage l’évêque
de Wurzbourg, frère de l’archevêque d Cologne Héribert qui avait la garde la relique. Deux
autres candidats tentèrent de s’opposer sans succès (deux motifs possibles : la débilité
physique qui ne fit que s’accentuer, l’absence de progéniture) : le marquis Ekkehard de
Meissen, très proche du défunt et le duc de Souabe Hermann, un Conradin. Ekkehard fut
trucidé en mai 2002 et Hermann se trouva très vite en position de faiblesse après le
couronnement et le sacre de Henri à Mayence par l’archevêque Willigis (7 juin) ; sa femme
Cunégonde fut ensuite sacrée à Paderborn, puis eut lieu une cérémonie d’hommage des
Lotharingiens à Aix-la-Chapelle en septembre.
On s’est interrogé sur les raisons du succès rapide de Henri : probablement y avait-il
de sa part une conception bien arrêtée de son rang et de ses capacités à régner, héritée de la
position particulière de la Bavière dans le royaume depuis le début du Xe siècle. Mais on
retrouvait aussi le cas de figure de Henri Ier, c’est-à-dire d’un souverain sorti du rang, dont on
pouvait attendre qu’il laissât davantage la bride sur le cou à ses anciens pairs que ne l’avaient
fait les Ottons. Ce ne fut pas le cas : Henri, de manière affichée, revendiqua l’héritage intégral
des pouvoirs de ses prédécesseurs (hereditaria in regno sine aliqua divisione). Les conflits
qu’il dut affronter se déroulèrent sur trois fronts :
a) avec son beau-frère, le comte de Luxembourg, qui mit la main sur l’archevêché de
Trèves ;
b) du côté slave avec Boleslas Chrobry, malgré l’amitié conclue du temps d’Otton III,
pour des motifs variés (extension de l’influence de Boleslas dans l’est de la Saxe, où il a des
soutiens ; faveur de Henri II envers les Przemyslides de Bohême). Après plusieurs opérations
14
militaires, une paix est conclue en 1018, qui confirme le statu quo sans véritable succès ni
d’un côté ni de l’autre ;
c) en Italie, où il lui faut faire face à l’élection concurrente à la royauté du marquis
d’Ivrée Arduin. Dans un premier temps, Henri vient se faire couronner roi d’Italie à Pavie en
1004, sans pour autant réduire son adversaire (Arduin † 1015). Il lui faut ensuite attendre dix
ans pour ceindre la couronne impériale à Rome, en même temps que Cunégonde (14 février
1014). Une troisième expédition eut lieu en 1021-1022, à l’appel du pape, pour tenter après
les autres de s’imposer au sud de la péninsule.
Pour nous, le règne de Henri II est surtout important pour la relation particulière du
souverain avec l’Église. Dans celle-ci entre pour une bonne part une dimension personnelle.
Henri avait reçu une formation de clerc plus que d’homme de guerre, à l’école cathédrale de
Hildesheim et grâce aux soins des évêques Wolfgang de Ratisbonne (un réformateur, † 994)
et Abraham de Freising. Homme de réelle piété, il prend à cœur sa responsabilité de souverain
chrétien, au risque de susciter des affrontements, comme lorsque, lors de l’assemblée de
Thionville en 1003, il exigea des évêques d’aller contre les unions illégitimes — pour nonrespect des interdits de parenté — de la noblesse. L’action la plus spectaculaire fut celle,
politiquement risquée vu les mécontentements qu’elle ne manqua pas de susciter chez les
titulaires des diocèses amputés pour l’occasion (spéc. Wurzbourg) de la fondation de l’évêché
Saint-Pierre de Bamberg, en 1007, doté de biens dans tout le royaume. Il ne faut pas y voir la
volonté centralisatrice de créer un centre religieux pour le pays, voire une « capitale », mais
plus simplement le souci personnel d’une fondation pour l’âme de la part de quelqu’un qui
n’avait pas de descendants. Outre des biens royaux, Bamberg reçut des possessions
personnelles de Henri et de Cunégonde, puis l’ensemble de l’héritage du souverain (dont la
bibliothèque), manière de faire de Dieu son héritier : cf., texto, le protocole du synode de
Francfort de 1007.
Henri II reste aussi auréolé de la réputation de « père des moines et collègue des
évêques » (cf. Thietmar : les évêques comme ses coepiscopi, et Henri comme simpnista, « cocélébrant »). Il s’intéresse au mouvement de réforme monastique, spécialement en Lorraine
(Gorze) ; nomme ou favorise les abbés réformateurs (ex. Poppo à Stavelot-Malmédy et SaintMaximin de Trèves) ; a des contacts avec Cluny (Odilon est présent au couronnement romain
de 1014 et Henri fait une visite à Cluny en 1022) ; distribue largement les donations et les
diplômes d’immunité et de protection royale. Vis-à-vis des évêques, il se montre un partenaire
engagé… et envahissant, imposant volontiers ses candidats aux chapitres cathédraux : un tiers
au moins des nouveaux évêques est issu de la chapelle royale, c’est-à-dire autant de
parachutages qui venaient troubler le jeu de la cooptation locale et parentale (ex. lors de la
nomination de Tagino comme archevêque de Magdebourg, contre la volonté du chapitre). Le
souci réformateur est sincère, il ne s’agit pas seulement de caser ses propres fidèles : témoin
l’envoi de son ami Meinwerk à Paderborn (1009-1036), évêché crotté, avec mission de le
rétablir dans sa splendeur. Il fournit par ailleurs les moyens : c’est sous lui que se développent
les concessions de comtés aux évêques, ce qui ne va pas sans faire grincer quelques dents.
Enfin, la participation personnelle de Henri à plusieurs consécrations épiscopales relève de la
vraie piété — naturellement non gratuite : de l’exercice de la piété on attend la prospérité du
royaume et des entreprises personnelles du souverain. En retour, Henri est largement associé
aux commémorations liturgiques ou aux honneurs ecclésiastiques, de son vivant ; il est ainsi
« confrère » des chanoines de Hildesheim et de Mersebourg. Rien d’étonnant, donc, que lui et
Cunégonde aient eu rapidement une réputation de sainteté.
15
Conrad II, 1024-1039
En termes de succession, le décès de Henri II était bien plus problématique que celui
d’Otton III, car la situation était ouverte, faute de parents proches du défunt et faute
d’exemple (tout au moins récent) à suivre en pareil cas. En juillet, à Kamba (sur le Rhin
moyen) on se mit d’accord sur deux noms : deux Conrad, de la même famille des « Saliens »
(salici), selon l’appellation collective qu’on leur a donnée à partir du XIIe siècle et qui insiste
sur leur origine franque. Comme on peut s’y attendre, l’un et l’autre avaient un lien de parenté
avec les Ottons, en ce qu’ils descendaient de Conrad le Rouge (gendre d’Otton Ier, cf. p. 8).
Mais bien des grands pouvaient aussi faire état d’une alliance ottonienne ; la différence venait
de la position acquise au fil des ans sur le Rhin moyen, sur l’extension du réseau d’alliances
avec d’autres familles (en Lotharingie et en Saxe) ; sur l’existence d’aînés prestigieux (Otton,
fils de Conrad le Rouge, duc de Carinthie et marquis de la marche de Vérone ; Bruno, fils
d’Otton, pape Grégoire V). Les deux cousins Conrad, l’un et l’autre petits-fils d’Otton de
Carinthie, représentaient autant de groupes aristocratiques différents : le plus jeune appuyé par
les Lotharingiens à commencer par l’archevêque de Cologne Pilgrim, le plus âgé par
l’archevêque de Mayence Aribo et un groupe consistant d’évêques. Conrad « le Jeune »
s’inclina finalement devant le choix de la « majorité », en faveur de l’autre, donc Conrad II.
Raisons du vote : pour une part son beau mariage, avec Gisèle, fille du duc de Souabe
Hermann, apparentée par sa mère aux rois de Bourgogne et aux Carolingiens français ; pour
une autre part, et surtout, le fait que Conrad « l’Ancien » était déjà pourvu d’enfant mâle, ce
qui permettait d’inscrire très vite la nouvelle famille dans la durée — de fait, Henri III fut
désigné comme successeur quelques mois plus tard et couronné roi dès 1028 à Aix (à 10 ans),
puis on l’envoya diriger le duché de Bavière. Quelle que soit la personnalité du vainqueur,
l’élection et la manière dont elle s’est déroulée (recherche d’une solution rapide set si possible
non conflictuelle par un groupe de grands, spéc. évêques et abbés) sont importantes pour la
perception même de la royauté. Pour la deuxième fois depuis Conrad était élu un souverain
« neuf » : pas le fils du régnant, pas quelqu’un de désigné par lui, pas quelqu’un associé de
son vivant. Cela contribuait à détacher la fonction royale et le royaume de la personne et de la
famille du roi et à donner plus d’abstraction à la notion (ou de caractère « transpersonnel »,
pour le dire à l’allemande). Si l’on ne peut préjuger de la conscience qu’en avaient les
souverains eux-mêmes, les intellectuels l’ont noté, cf. le passage célèbre de Wipon, à propos
de la destruction du palais de Pavie par la population locale en 1024, à l’annonce du décès de
Henri II : le roi a beau être mort, le royaume demeure, comme demeure le bateau si le pilote
tombe à l’eau (si rex periit, regnum remansit, sicut navis remanet, cujus gubernator cadit :
Gesta Chuonradi imperatoris, 7).
Comme d’habitude, l’affaire ne fut toutefois pas immédiatement gagnée. Le morceau
de bravoure du même Wipon sur la tournée de l’élu dans le royaume (« Umritt ») le démontre
a contrario. Si en Saxe, dont les représentants ne s’étaient pas manifestés jusque-là, Conrad
alla recueillir l’hommage des grands sans difficulté, une première opposition s’éleva de la part
de l’archevêque de Mayence, pourtant initialement favorable à Conrad, non contre lui
directement d’ailleurs mais contre Gisèle, qu’il refusa de couronner du lien de parenté entre
les époux (Conrad est arrière-petit-fils d’Otton Ier, Gisèle arrière-petite-fille de Gerberge, la
sœur d’Otton ; cela leur avait déjà causé des ennuis de la part de Henri II, grand pourfendeur
de l’illégalité canonique) ; il fallut du coup couronner Gisèle à Cologne. Plus dangereuse, la
révolte menée par le duc de Haute-« Lorraine » Frédéric, le duc de Souabe Ernst, beau-fils de
Conrad II (né d’un premier lit de Gisèle), et Conrad le Jeune, le candidat malheureux : révolte
de parents — parents entre eux et parents de Conrad —, qui montre combien la parenté est
source de conflits autant que de solidarités. Seule la mort d’Ernst, en 1030, mit réellement fin
à la rébellion.
16
De même, comme pour Henri II, le passage de la dignité royale à l’Empire n’allait pas
de soi : les grands laïcs d’Italie suscitèrent la candidature du fils de Guillaume V d’Aquitaine,
candidature appuyée par le roi Robert II, qui prit des contacts avec des opposants lorrains de
Conrad. L’affaire en resta là, mais est révélatrice des tensions à l’intérieur de l’aristocratie
italienne et de la fragilité du vieux modèle carolingien et ottonien de binôme automatique
entre Francie orientale/Germanie et Italie au sein de l’Empire. Le voyage de couronnement fut
une campagne militaire dure en Italie du Nord ; quoi qu’il en soit, Conrad fut couronné
empereur à Rome le 26 mars 1027 (Pâques), devant des invités de marque dont la présence
rehaussait le prestige de la nouvelle dynastie en cours de formation : Rodolphe III de
Bourgogne, Cnut le Grand roi d’Angleterre, de Danemark et de Norvège, Odilon de Cluny,
ainsi que quelque 70 grands laïcs et ecclésiastiques d’Italie et de Germanie. Conrad II s’était
ainsi coulé sans trop de difficulté dans la tradition ottonienne. Pour faire bonne mesure, une
ambassade fut aussi envoyée à Constantinople pour demander la main d’une princesse
byzantine pour son fils Henri (l’affaire ne se fit pas, Henri épousa finalement une fille de Cnut
le Grand). Enfin, la légende qui figure au revers d’une bulle utilisée une fois par Conrad en
1028 témoigne de la volonté de refonder dans la durée l’héritage ottonien : « Henri, spes
imperii ».
Au plan « international » (mais le mot est mal choisi comme d’habitude, il s’agit
surtout d’affaires de famille), l’épisode principal du règne de Conrad II est l’intégration de la
Bourgogne dans la construction germanique. En l’absence d’héritiers mâles pour Rodolphe III
de Bourgogne, celui-ci, dès 1016, avait projeté de transmettre son royaume à l’empereur. Il
confirma son engagement en 1027 puis, sur son lit de mort, en 1032, il envoya les insignes
royaux à Conrad II, qui fut élu et couronné à Payerne le 2 février 1033. Mais la succession
n’avait rien de consensuel : outre les droits que pouvaient revendiquer plusieurs membres de
la famille royale (Gisèle elle-même, sa sœur Béatrice femme du duc de Carinthie Adalbéron,
Mathilde la mère de Conrad le Jeune) s’élevaient des prétentions à l’ouest, celles du duc
« français » de Bourgogne Otte-Guillaume, puis celle du comte de Blois Eudes. Comme à
l’ordinaire, la Lotharingie fut terrain de manœuvre militaire. Eudes attaqua Toul en 1033,
revint à la charge en 1037 mais mourut au combat en octobre de la même année. La voie était
désormais libre. Le royaume, troisième de l’ensemble impérial, fut confié au futur Henri III en
1038.
Quid des « aspirations » religieuses ou des relations avec l’Église ? Sur ce plan,
Conrad II a mauvaise presse, coincé qu’il est entre le bilan très nourri de son père et de son
fils. D’où l’image du rex idiota, laïc borné, largement construite par les siècles postérieurs. En
réalité, Conrad II n’était pas plus stupide qu’un autre. Il avait été partiellement éduqué par le
réformateur Burchard de Worms mais n’avait pas l’instruction uniquement cléricale de son
père. Sa conception de la royauté chrétienne ne diffère pas, en tout cas, de celle des autres et
c’est son modèle qui fut proposé à Henri III par Wipon dans ses Gesta Chuonradi imperatoris
pour l’exercice de la souveraineté en tant que vicarius Christi. Pour autant, il reste vrai qu’il y
a peu à signaler quant à ses initiatives, sinon, dans unregistre classique : a) les donations à
Limbourg, domaine transformé en monastère en 1035, en ex-voto pour les succès rencontrés ;
b) donations aussi à la cathédrale de Spire (dont il n’a pas fondé l’évêché pour faire comme
papa, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là) et embellissement architectural de l’édifice,
choisi comme mausolée funéraire pour lui (il y fut inhumé en 1039), sa femme et son fils —
sans véritable volonté de création d’une nécropole « dynastique » cependant.
IV.
Le règne de Henri III, 1039-1056, de l’« apogée » à la crise de l’Empire »
17
Si les décennies centrales du XIe siècle, avec le règne de Henri III, sont considérées
comme un moment clé dans l’histoire de la Germanie et de l’Empire, c’est d’abord par le fait
que son arrivée au pouvoir, à 21 ans, se fit de manière préparée de longue date, de sorte que,
pour la première fois depuis longtemps, il s’inscrivait dans une vraie continuité politique.
Henri III était roi depuis 1028 et présenté, on l’a vu, comme « espoir de l’Empire », en charge
du duché de Bavière puis, en 1038, du duché de Souabe (dans les deux cas pour pallier
l’absence d’héritier mâle des titulaires, moins pour renforcer la position de la famille royale
que pour se placer en arbitre entre les différentes familles de l’aristocratie susceptibles de
rivaliser pour la charge et ne pas privilégier l’une plus qu’une autre ; c’est la même logique
qui conduit à laisser vacant le duché de Carinthie en 1039) ainsi que du royaume de
Bourgogne. De sorte que la transition se fit, pour une fois, sans difficulté ni contestation. Cela
ne signifie pas pour autant que Henri III n’eut pas à faire face à des oppositions, révoltes ou
complots de la part de divers groupes aristocratiques, mais cela n’était pas dirigé contre sa
légitimité de souverain. À retenir :
- En Saxe, le projet d’attentat fomenté par un membre de la famille ducale des Billung
(le duc est à l’époque Bernard II Billung, 1011-1059), Thietmar ; dénoncé en 1047, il fut tué
dans le duel judiciaire livré pour se purger de cette accusation. Pour autant, hormis cet
épisode, les relations avec la Saxe, duché sensible car dépositaire de la tradition ottonienne,
sont restées bonnes, comme au temps de Conrad II.
- Plus épineux, le conflit avec la Lotharingie, motivé comme souvent par des questions
d’honneur blessé. On a vu (p. 10) que la Lotharingie avait été scindée en deux duchés à
l’époque ottonienne. Or Conrad II, à l’occasion de la succession de Frédéric de Haute« Lorraine » (cf. p. 15), mort sans héritier mâle en 1033, avait réuni à nouveau les deux
parties, confiées à Gozelon, jusque-là en charge de la Basse-L. Cependant, Henri III ne confia
à nouveau au fils de ce dernier, Geoffroi/Godefroid le Barbu, que la moitié de la Lotharingie
(la Haute), sans qu’on sache au reste bien pourquoi sinon pour limiter sa puissance
territoriale. D’où un conflit dur, soldé par la soumission de Godefroid en 1045, moyennant
réintégration dans sa (demi-)charge quelques mois plus tard mais sans véritable réconciliation.
Godefroid fut à nouveau déposé en 1047.
Cependant, Cunégonde, la première femme de Henri III, avait eu le bon goût de
disparaître en 1038. Ce premier mariage, conséquence de la rencontre entre Conrad II et Cnut
en 1027 (cf. p. 16) était signe d’un rapprochement avec le Danemark, important pour
l’alliance qu’il impliquait sur les arrières des Slaves de l’Elbe. À la fin des années 1030, les
relations s’étaient pourtant distendues. Henri rechercha alors une alliance à l’ouest : en 1043,
il épousa Agnès de Poitou, la fille de Guillaume V d’Aquitaine (l’apparentement déjà existant
entre les deux familles suscita les critiques des réformateurs). On a voulu y voir une
manœuvre pour « contenir » le roi capétien (avec lequel les relations n’étaient par ailleurs pas
mauvaises, il y avait eu projet de mariage entre Henri Ier « de France » et la fille de Conrad II
Mathilde, mais celle-ci mourut avant l’heure), mais il s’agissait plutôt, à travers les liens
familiaux d’Agnès en Bourgogne, de renforcer la position salienne dans cette région. De
manière générale, ces jeux d’alliances matrimoniales ne doivent au reste pas être
surinterprétés : au-delà du nécessaire maintien du rang et de l’entretien de réseaux personnels,
les enjeux « géo-stratégiques » sont à courte vue et volontiers changeants.
Henri III, empereur engagé dans la réforme de l’Église
18
Mais le règne de Henri III est surtout important pour nous pour ses relations avec
l’Église, « germanique » et romaine. Remarquablement instruit, Henri III était homme de
piété et bien encadré pour ce qui est de l’éthique et de la « théologie du pouvoir » par des
mentors comme Wipon ou l’abbé de Reichenau Bern, auteurs qui ont largement contribué à
façonner son image pour les siècles postérieurs. Nombreuses sont avec lui les démonstrations
de piété publiques et ritualisées, de théâtre de la pénitence seul ou avec les grands, qui
scandent les grands moments de la vie politique et les relations avec l’aristocratie tout en
plaçant l’ensemble de la vie du royaume dans une relation permanente avec Dieu, via son
« vicaire » (ex. la pénitence personnelle après la mort de sa mère Gisèle en 1043, ou collective
avec les grands avant et après les batailles importantes, comme après la victoire contre les
Hongrois à Menfö en 1044). Pour autant, il n’y a rien là-dedans de très nouveau : tout au plus
peut-on penser que Henri III a usé de manière systématique de pratiques en vigueur dès le
début de la période (la pénitence de l’armée avant la bataille est chose courante), et dans tous
les cas qu’on a beaucoup écrit et décrit sur ce thème à son époque. Plus originale, même si
cela relève de la même logique, l’engagement pour la promotion de la paix dans le royaume,
prêchée par Henri une première fois au synode de Constance en 1043, puis en d’autres
occasions : la paix de Dieu à l’allemande est d’abord celle du roi, conscient de sa
responsabilité.
De même, la conception et l’exercice du pouvoir royal sur l’Église se situent dans la
ligne de ce qui s’était mis en place à l’époque ottonienne et développé au début de la dynastie
salienne. Simplement, Henri III applique les recettes avec un esprit de système certain : rôle
de la chapelle royale comme passage de plus en plus obligé pour les dignités épiscopales,
canoniales ou abbatiales ; participation de plus en plus marquée du souverain à l’investiture
(l’anneau et la crosse) ; lien des églises avec le pouvoir central par le biais du servitium regis
en contrepartie de la mise à l’abri de toute autre dépendance, etc. Autant d’aspects qui seront
développés dans les chapitres ad hoc.
Si donc Henri III innove, c’est avant tout par son profond engagement personnel dans
la réforme de l’Église. Cela l’amène en premier lieu, de manière plus marquée que ses
prédécesseurs, à soutenir les tenants de la réforme déjà installés (ex. Poppo,abbé de StavelotMalmédy et de Saint-Maximin de Trèves, déjà cité p. 14) et à pourvoir d’autres en évêchés,
abbayes et honneurs divers (Bruno à l’évêché de Toul, Wazo de Liège à la tête de la chapelle
royale). Surtout, c’est au nom de la réforme qu’il intervient dans les affaires de la papauté,
donnant une vraie logique à des initiatives un peu similaires à celles qu’avaient prises
Otton III de manière peut-être plus erratique en son temps. Comme d’habitude, la relation
avec Rome se conjugue avec les exigences du couronnement impérial. Tout se joue en 1046,
selon une chronologie qui peut se résumer comme suit :
a)
mai 1046, un synode réuni à Aix-la-Chapelle prononce la déposition de
l’archevêque de Ravenne Widger, ancien prévôt de la cathédrale de Cologne (installé par
Henri III à Ravenne deux ans plus tôt), après la charge menée contre ce prélat hostile à la
réforme par Pierre Damien.
b)
été 1046, descente « de couronnement » en Italie : à Pavie, Henri III préside un
synode « réformateur » ; il affiche son soutien à Grégoire VI, l’un des trois papes concurrents,
tous représentants de factions de la noblesse romaine, qui se disputent alors le trône de saint
Pierre (Benoît IX, de la famille des Tuscolani ; Silvestre III, poussé par les Crescenzi ;
Grégoire VI, des Pierleoni).
c)
décembre 1046, pour couper court aux critiques sur son alliance avec
Grégoire VI, dont l’élection avait été simoniaque, et malgré les réelles options réformatrices
19
de celui-ci, H. III convoque un synode à Sutri (env. 50 km au nord de Rome), synode qui
dépose les trois rivaux (24 décembre ; peut-être Grégoire VI a-t-il renoncé sous d’amicales
pressions).
d)
dans la foulée est « élu » un candidat voulu par Henri : à défaut de
l’archevêque Adalbert de Brême, qui décline l’offre, est promu Swidger, évêque de Bamberg.
e)
25 décembre 1046, Suidger, nouveau pape Clément III (1046-1047), couronne
Henri III empereur. Il est le premier d’une série de papes issus de l’épiscopat impérial, qui
soustraient le Saint-Siège aux rivalités romaines locales : Damase II (Poppo, évêque de
Brixen, 1047) ; Léon IX (Bruno, 1048-1054, l’ancien chapelain de Conrad II devenu évêque
de Toul, apparenté à Henri III) ; Victor II (Gebhard, évêque d’Eichstätt, 1055-1057). Tous
quatre ont gardé leur siège épiscopal d’origine, en une union inédite qui renforce le lien avec
l’Église d’Empire, moins cependant pour manifester le fait que la papauté était devenue la
chose de l’empereur que pour ne pas enfreindre le droit canonique, qui interdit le transfert
d’un siège épiscopal à un autre. La logique réformatrice l’emporte sur les éventuelles arrièrepensées politiques. Commence alors, spécialement sous Léon IX, une collaboration étroite
entre papauté et Empire, au service de la réforme.
Une fin de règne difficile
La fin des années 1040 est un tournant, à partir duquel se multiplient les conflits, qui
gagnent aussi en intensité. Autant, jusqu’au couronnement impérial de Henri III, on est en
phase de construction — de la puissance souveraine, de la légitimité sacrée, de la
représentation-perception de la royauté —, autant la deuxième moitié du siècle, et jusqu’à la
mort du dernier Salien Henri V, le mouvement est à la désacralisation du roi, à la perte du
consensus intérieur et à la monté en puissance des princes.
De manière significative, dans les années 1050 s’élèvent des critiques répétées qui
témoignent d’une crise de confiance, à défaut de viser précisément tel ou tel problème. En
1053, Henri III fit ainsi élire comme roi, pour préparer sa succession, son fils homonyme. Les
princes y mirent une condition : qu’il se montre un souverain juste. Comme le successeur
désigné n’avait alors que deux ans, l’avertissement s’adressait à Henri III lui-même. On voit
alors revenir sur le devant de la scène Godefroid le Barbu, grâce à son mariage (en 1054) avec
Béatrice, la veuve du marquis de Canossa et de Toscane, qui lui donnait une position de force
en Italie. Le lien privilégié avec Rome en pâtit : Henri, trop absorbé par la situation en plaine
du Pô, ne soutient pas Léon IX contre les Normands en Italie du Sud, le pape est emprisonné
lors de la bataille de Civitate (en Pouille) dans l’été 1053, ce qui marque de fait la fin de son
pontificat. Enfin, les relations se tendent avec les Capétiens à la suite de l’entrevue d’Ivois
entre Henri III et Henri Ier de France en mai 1056.
La mort soudaine de Henri III en 1056 lui aura sans doute épargné que cette situation
critique tourne à la vraie crise. Son successeur, en revanche, n’y coupe pas.
V.
L’empire en salien en crise : Henri IV et Henri V
La régence
La minorité de Henri IV se déroula en deux temps, séparés par un coup de théâtre.
20
Elle fut d’abord assurée par sa mère, Agnès de Poitou, dans un climat apparemment
serein et selon les principes de gouvernement désormais bien rodés, qu’elle-même avait pu
déjà commencer à appliquer quand elle prit en mains la Bavière à la mort de son fils cadet
Conrad († 1055), qui en avait eu la charge. La légitimité même de l’enfant ne prêtait pas à
discussion, puisqu’il avait été non seulement élu et couronné en 1053, mais que Henri III, sur
son lit de mort, l’avait une nouvelle fois fit élire par les grands, tout en le confiant à la
protection du pape-évêque d’Eichstätt Victor II. Atout supplémentaire, la réconciliation, sur le
tard, entre Henri III et Godefroid de Lorraine. On voit donc se mettre en place une politique
de nominations aux duchés et d’alliances familiales dans la plus pure tradition : le duché de
Souabe est confié à Rodolphe de Rheinfelden (1057), qui épouse par ailleurs Mathilde, la fille
d’Agnès et Henri III ; le duché de Bavière est confié à Otton de Northeim, un comte saxon
(1061), celui de Carinthie à Berthold de Zähringen (1061). Sous les apparences, cependant, on
perçoit une distension des liens entre le pouvoir central et les grands. Mais l’initiative
politique revint au cercle des conseillers ecclésiastiques de la régence, dont Agnès s’était, de
manière normale, entourée (Annon archevêque de Cologne, Siegfried archevêque de
Mayence, Henri évêque d’Augsbourg, Adalbert archevêque de Brême etc.).
Le coup de théâtre fut, en avril 1062, l’enlèvement de Henri IV par Annon de
Cologne, ce qui signifiait la prise de contrôle de la régence. Au-delà des luttes d’influence au
sommet (Annon était soutenu entre autres par Godefroid le Barbu et Otton de Bavière ; pour
contrecarrer l’influence de l’évêque d’Augsbourg on avait fait courir le bruit de coucheries
avec l’impératrice), ce qui avait motivé le coup d’État était la situation de l’Église romaine,
qui avait mené Agnès à la faute politique. Après Victor II († 1057) s’étaient succédé deux
autres papes réformateurs, toutefois sans intervention impériale dans le processus électoral et
même une volonté de plus en plus nette de s’en affranchir : Frédéric, le frère de Godefroid le
Barbu (1057-1058), puis Nicolas II, originaire de Bourgogne, évêque de Florence, qui prit un
décret réservant désormais l’élection pontificale au collège des cardinaux (1059). En 1061 fut
élu selon cette règle l’évêque de Lucques Anselme, lui aussi réformateur (Alexandre II, 10611073). Quelques semaines plus tard, sous la pression des opposants, Agnès et ses conseillers
réunissaient un concile à Bâle, qui élut au contraire l’évêque de Parme Cadaloh (Honorius II).
Agnès eut beau s’apercevoir de la bourde, il y avait schisme. L’intervention d’Annon de
Cologne permit de reprendre en main la situation, tandis que l’impératrice passa sous le statut
de veuve voilée. Honorius II fut déposé en 1064. La fin de la régence, jusque fin mars 1065,
et même toute la fin de la décennie 1060, sont occupées par la promotion aux évêchés des
parents d’Annon de Cologne et Adalbert de Brême et par les rivalités entre les grands.
La mise au pas de la Saxe
Les premières années de pouvoir personnel de Henri IV furent occupées par la
question saxonne. Celle-ci démarra de manière fortuite et un peu obscure, comme souvent, et
selon un schéma récurrent (cf. Thietmar Billung en 1047, p. 17) par une accusation de
complot contre le roi portée contre Otton de Northeim, le Saxon qu’Agnès avait installé à la
tête du duché de Bavière. Il fut privé non seulement du duché, mais on lui confisqua ses biens
propres, en 1070. De là une faide réunissant les Saxons, spécialement la vieille famille ducale
des Billung. Otton finit par se soumettre, mais ne fut pas réintégré dans sa charge après le
temps d’emprisonnement qu’il dut subir, d’où rebondissement du conflit. Dans cette
deuxième phase, cependant, celui-ci s’élargit bien au-delà du cas d’Otton de Northeim : en
1073, c’est toute la Saxe qui paraît se révolter, avec outre Otton et les Billung, des
personnalités de poids comme l’évêque de Magdebourg et celui de Halberstadt. C’est que la
nature même du litige avait changé, il s’agissait désormais de lutter contre les prétentions à
l’élargissement du pouvoir royal en Saxe : sujet sensible, car depuis le IXe siècle, eu égard à
21
leur résistance face à Charlemagne, on reconnaissait aux Saxons, sinon une autonomie, du
moins le privilège de vivre selon leurs lois personnelles. En dehors même des principes de
souveraineté, il s’agissait de droits et de possessions, c’est-à-dire de revenus : tout ce que,
dans les années précédentes, les grands avaient augmenté pour eux-mêmes ou l’institution
dont ils avaient la charge, en tête les Billung et l’archevêque Adalbert de Brême ; d’où la
rogne contre les prétentions de Henri à faire de la Saxe la « cuisine » du royaume. Le conflit
prit pour point de mire les châteaux que le roi faisait construire ici et là en les confiant non à
des locaux mais à des « ministériaux » venus d’autres régions, spécialement de Souabe.
L’affaire faillit mal tourner pour Henri, contraint de s’enfuir du château de Harzbourg
assiégé et ne réussissant pas à trouver des soutiens. Une paix fut conclue à Gerstungen, où le
roi s’engageait à démanteler ses châteaux. Puis il reprit l’initiative à la faveur des excès
adverses : en pillant le château de Harzbourg, les paysans violèrent les tombes de membres de
la famille royale. Cela retourna les sympathies en faveur de Henri, jusqu’à ce qu’une armée de
paysans de Saxe et de Thuringe conduite par Otton de Northeim fût décimée sur l’Unstrut, le
9 juin 1075. À la Noël 1075, les grands réunis à Goslar s’engageaient à ne pas élire d’autre roi
que Conrad, le fils de Henri né quelques mois auparavant. La réconciliation avec Otton de
Northeim pouvait alors avoir lieu.
Grégoire VII
En 1073 est élu l’archidiacre Hildebrand, un chanoine (et non un moine) déjà très actif
dans les cercles réformateurs : Grégoire VII. Le début du pontificat voit les relations entre
Rome et la Germanie s’améliorer. Alexandre II avait excommunié cinq conseillers royaux,
qui avaient imposé à l’archevêché de Milan un candidat impérial contre un représentant de la
réforme radicale soutenu par Rome. Henri envoie alors un courrier au nouveau pape en
s’engageant à en terminer avec les pratiques simoniaques. Puis, libéré du problème saxon, le
roi revient sur sa promesse et installe à nouveau des évêques de son propre chef, notamment
sur les terres pontificales italiennes. Devant ce qui pouvait passer comme une provocation,
Grégoire VII, le 8 décembre 1075, envoie une lettre violente, dans laquelle il exige
soumission et reproche entre autres au roi d’avoir « communiqué » avec les conseillers
excommuniés ; entre les lignes, voici le roi passible lui aussi d’excommunication. En
réplique, fort du soutien de ses évêques, Henri réunit un synode à Worms (24 janvier 1076 :
24 évêques présents sur 37, et deux archevêques), qui pria Grégoire VII de quitter un siège
auquel il n’avait pas droit (Hildebrand, de fait, n’avait pas été élu selon le décret de 1059,
mais dans le tumulte, lors des funérailles de son prédécesseur). Mais le pape réagit de manière
inattendue, en réunissant de son côté un synode à Rome pour faire savoir que le roi était
déposé et excommunié et que ses sujets se trouvaient déliés de leur serment de fidélité à son
égard (application du Dictatus papae). Du coup, le front allemand se brisa. Des évêques fient
défection et assurèrent le pape de leur soutien, tandis que les grands se mirent à chercher une
solution de remplacement : réunis à Tribur en octobre 1076, ils annoncèrent que si Henri
n’tait pas relevé de l’excommunication d’ici au 2 février prochain, ils éliraient un autre roi.
D’où la pénitence de Canossa (25-27 juin 1077), après un franchissement des Alpes difficile.
L’épisode eut un retentissement formidable, non pas tant pour la pénitence, puisqu’il y avait
déjà le précédent de Théodose devant Ambroise de Milan, mais pour la manière dont le pape
avait contraint le roi à s’y soumettre par l’excommunication.
La pénitence de Canossa ne suffit cependant pas à arrêter la machine politique mise en
route. Le 15 mars 1077, à Forchheim, un petit groupe de princes, avec la participation du légat
pontifical, élisait roi le duc de Souabe et beau-frère de Henri, Rodolphe de Rheinfelden, qui
22
s’engagea à pourvoir les sièges épiscopaux dans le respect du droit canonique et non de
manière simoniaque. Grégoire VII ne lui accorda toutefois pas son soutien et aurait voulu
trancher lui-même après examen sur place, mais Henri lui nia l’accès à la Germanie. En 1080,
devant les ultimatums de Henri, il l’excommunia à nouveau, et de nouveau délivra ses sujets
de leur fidélité, se prononçant cette fois clairement pour Rodolphe… qui mourut peu de temps
après au combat. De son côté, Henri fit désigner en 1080 (synode de Brixen) comme candidat
concurrent son ancien chapelain, Wibert, archevêque de Ravenne, que Grégoire venait
d’excommunier après l’avoir déposé deux ans auparavant. En mars 1084, Henri put enfin aller
à Rome. Tandis que Grégoire VII était réfugié au Château-Saint-Ange, on réunit un synode
qui procéda à sa déposition (comme lèse-majesté) et à son excommunication ; suivit l’élection
formelle de Wibert (Clément III) puis, le dimanche de Pâques, le couronnement impérial de
Henri à Saint-Pierre, ainsi que de sa femme Berthe. Grégoire dut quitter Rome, où il mourut
l’année suivante.
Au-delà de l’épisode, il faut distinguer plusieurs niveaux de conséquences et
d’interprétation : celui du conflit entre « Sacerdoce » (le terme même des contemporains) et
Empire, soldé par la victoire sur le fond de la papauté et par une modification en profondeur
des relations ; celui de la position même de la royauté, dont la sacralité s’est retrouvée
amoindrie, avec ce que cela implique en matière de consensus ; celui de la manière dont fut
géré le conflit, selon les règles et les étapes habituelles du code de l’honneur.
Répercussions dans le royaume
Le conflit avec Grégoire VII a naturellement son pendant dans le regnum
Teutonicorum, selon l’expression utilisée par les Teutonici eux-mêmes pour désigner leur
espace politique à partir des années 1070 (jusque-là, on la lit sous la plume d’auteurs
extérieurs). On a vu l’élection d’un roi concurrent, Rodolphe de Rhenfelden. Après lui, en
1081, et toujours sous la pression du légat pontifical, fut choisis un comte de la famille de
Luxembourg, Hermann de Salm († 1088). L’un et l’autre eurent leur périmètre d’action en
Saxe, où était encore actif Otton de Northeim († 1083) et qui n’attendait que cela pour
réveiller son opposition. Pour la première fois en tout cas, on avait essayé de déposer le
souverain. Après la Saxe, ce fut au tour des duchés méridionaux, la Souabe (Berthold de
Rheinfelden, qui succède à Rodolphe en 1080 et † en 1092 ; puis Berthold de Zähringen,
† 1111) et la Bavière (Welf IV, † 1101). Le plus dangereux fut Welf IV, lorsqu’il maria son
fils homonyme à Mathilde de Canossa, la fille de Béatrice, en 1089 (lui 17 ans, elle 43),
réussissant à déstabiliser pendant plusieurs années le pouvoir impérial en Italie du Nord…
jusqu’au jour où le jeune Welf quitta sa jeune épouse (1095), ce qui permit semble-t-il à son
père de se réconcilier avec le roi… à moins que ce ne soit l’inverse. C’est à ce moment, alors
que Henri était parti combattre en Italie contre Mathilde, que Conrad, le fils aîné du roi, déjà
associé au pouvoir, fit défection pour aller prendre la couronne du royaume d’Italie à Milan
(1093). Henri ne put remettre les pieds en Germanie qu’en 1097. La trahison vint ensuite du
deuxième fils, Henri (V), que Henri IV avait fait élire et couronner en 1099 moyennant
l’engagement de ne pas attenetr à la sécurité de son père et de ne pas se m^ler des affaires du
royaume sauf invitation expresse. Rebelle quand même en 1104, il fut rejoint par les chefs des
troupes qui avaient pour mission de l’attaquer ; Henri IV fut privé des insignes du royaume en
1105 et dut déclarer renoncer au trône (il meurt le 7 août 1106).
La plupart de ces grands opposants (en tout cas tous les électeurs de Forchheim en
1077) furent naturellement déposés par Henri, ce qui crée des ducs concurrents au même
moment et contribue à brouiller les cartes ; s’il faut n’en retenir qu’un, c’est Frédéric Ier
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Staufen, comte du Palais, duc de Souabe de 1079 à 1105 et auquel Henri donna sa fille
Agnès : avec lui commence l’ascension de la famille qui succéda aux Saliens. Quoi qu’il en
soit, le règne de Henri se place sous le signe de la méfiance et de la difficulté à cristalliser la
fidélité des grands : à la différence de Henri III, il n’avait pas eu le temps de se construire sa
propre position et de faire son apprentissage de gouvernant avant d’accéder à la royauté. Rien
d’étonnant, donc, que l’on trouve parmi ses conseillers et les personnes les plus proches de lui
des gens de la petite noblesse et des ministériaux. Dans ces conditions, l’avertissement donné
par les grands à Tribur, puis l’élection de Forchheim, sont à voir comme une réaction face à
l’absence de consensus dans la pratique de gouvernement, non comme l’effet d’une terreur
sacrée devant la sanction canonique. La teneur de l’élection de 1077 est au reste plus
intéressante que l’identité de l’élu : Rodolphe de Rheinfelden dut renoncer explicitement à
désigner son fils comme successeur et reconnaître le principe de la libre élection (d’un
souverain idoine, par les princes), principe qui se trouvait ainsi défini pour la première fois…
au moment où les mêmes questions étaient agitées dans l’Église par les réformateurs.
De l’interdiction des investitures à la « Querelle des investitures »
L’éviction puis la mort de Henri IV ne pouvait régler d’elle-même les problèmes avec
la papauté. D’une part Rome répétait depuis la fin des années 1070 que l’investiture d’un
ecclésiastique par un laïc était simonie, alors que la pratique de la remise de la crosse et de
l’anneau par le souverain n’avait pas changé ; d’autre part se posait la question des évêques
installés par Henri IV après sa deuxième excommunication de 1080, dont il n’avait pas été
relevé : pouvaient-ils rester en fonctions ou fallait-il les considérer comme schismatiques ?
Les successeurs de Grégoire VII (Victor III, 1086-1087, ancien abbé du Mont-Cassin ;
Urbain II, 1088-1099, ancien prieur de Cluny ; Pascal II, 1099-1118) n’étaient pas plus
conciliants que lui.
Des contacts entre Pascal II et des envoyés de Henri, au concile réuni à Châlons-surMarne en 1107, ne donnèrent rien. En 1109, Henri envoya en ambassade à Rome les
archevêques de Cologne et de Trèves, puis Henri se rendit lui-même à Rome dans l’hiver
1110-1111. La solution proposée par Pascal II fut radicale : renonciation de tous droits et
biens provenant du royaume de la part des églises, qui se subviendraient à elles-mêmes par les
revenus canoniques ou les offrandes des fidèles, renonciation à l’investiture de la part du roi.
Un protocole d’accord fut établi à Sutri le 9 février 1111. Accord qui aurait bouleversé les
équilibres existants, non seulement pour les évêques et abbés directement concernés, mais
aussi pour les grands laïcs, qui seraient désormais totalement dépendants du roi pour
l’attribution de biens et de droits d’ordinaire obtenus par le biais des églises. Lorsque le texte
fut connu, durant le couronnement impérial (12 février 1111), la séance finit en pugilat.
Henri V mit à profit l’occasion pour arracher au pape, à Ponte Mammolo, un privilège (lé
« pravilegium », aux yeux de Rome) autorisant l’investiture par l’empereur avant la
consécration et interdisant la consécration d’un évêque non préalablement investi. Pascal II
promit aussi de ne jamais excommunier l’empereur, releva Henri IV de la sienne à titre
posthume — cela permit de rapatrier sa dépouille solennellement dans la cathédrale de
Spire — puis on refit le couronnement impérial (13 avril 1111).
Naturellement, l’accord fut dénoncé à peine Henri V fut-il parti, et lui-même
excommunié à plusieurs reprises (pas par le pape directement). Tout semblait recommencer
comme avec Henri IV, avec les mêmes conséquences, le même brouillage des enjeux aussi,
entre ce qui relevait de la querelle d’Église et les réactions devant les tentatives du souverain
de s’imposer dans le royaume : défection parmi les fidèles de la première heure qui avaient
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participé à la rébellion de 1104, soulèvement de la Saxe, aigreurs devant la construction de
fortifications et le recours aux ministériaux pour renforcer le pouvoir royal. L’archevêque de
Mayence Adalbert (installé par Henri lui-même en 1109), le comte de Thuringe Louis se
rebellent aussi. En 1114, l’année même du mariage de Henri ave la fille du roi d’Angleterre,
Mathilde, c’est le tour de l’archevêque de Cologne Frédéric ; puis, de nouveau, des Saxons,
qui infligent deux défaites consécutives à l’empereur (été 1114, février 1115).
Le retournement de la situation fut en grande partie permis par les ressources
apportées par l’héritage de Mathilde de Canossa († 1115), qui avait fait de Henri (son cousin)
son héritier, après avoir pensé transmettre ses biens à Rome. Cela justifia un deuxième voyage
en Italie (1116-1118), durant lequel le royaume fut confié au comte du Palais Godefroid et au
neveu de Henri, Frédéric II Staufen (qui en profita pour augmenter encore la position
familiale).
… et l’on arrive finalement au « concordat de Worms » avec Calixte II (selon
l’appellation anachronique mais en vigueur depuis 1716), 23 septembre 1122. Soit deux
textes : l’Henricianum, par lequel l’empereur renonçait à l’investiture spirituelle et
garantissait la libre élection canonique des évêques et des abbés ; le Calixtinum, par lequel
prévoyait la présence de l’empereur lors de l’élection, une possibilité d’intervention en cas de
litige, enfin la transmission des régales par le sceptre en Allemagne, Bourgogne et Italie dans
un délai de six mois après l’élection.
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