Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Rs 6.4
l'U.R.S.S. qu'en 19341. Les relations avec les pays frontaliers européens européens étaient
évidemment plus que froides; en revanche, les trois voisins du Proche-Orient, la Turquie, la
Perse (l'actuel Iran) et l'Afghanistan, inquiets de la subversion bolchevique et d'une éventuelle
résurgence de la vieille attirance russe pour les mers chaudes, mais en même temps engagés
dans des tentatives plus ou moins radicales de se moderniser pour éviter de se faire coloniser,
jouèrent à l'occasion la Russie nouvelle contre les Britanniques, maîtres de la Méditerranée et de
l'océan Indien, et s'intéressèrent de très près à la manière dont les bolcheviks tenaient leur pays
d'une main de fer et lui imposaient des réformes radicales, notamment dans le sens d'une
laïcisation de la société. La Turquie notamment choisit le parti unique, institution qu'elle
emprunta à la fois à Lénine et à Mussolini. Tout cela n'alla quand même pas très loin (la Turquie
interdisait toute activité communiste sur son sol), mais les relations étaient relativement
cordiales; en Afghanistan notamment il y avait des coopérants techniques soviétiques.
Pour le reste la Russie bolchevique, puis l'U.R.S.S. à partir de 1923, était un véritable
paria. Au début des années 1920 les Puissances occidentales ne prétendaient plus faire tomber
le régime communiste, mais elles refusaient de reconnaître le nouveau régime (elles ne
reconnaissaient que l'État russe)2. Surtout, inaugurant une politique qui dura tant que dura la
communisme, elles firent tout pour limiter son extension. Elles concevaient le chapelet de petits
pays apparus à sa frontière occidentale sur les ruines de la Russie tsariste et de l'Autriche-
Hongrie comme un "cordon sanitaire", selon une expression d'époque qui en dit long sur la
perception du communisme dans les chancelleries; elles encouragèrent et soutinrent, aussi bien
par le biais de l'aide économique que de la coopération militaire, tous les régimes qui s'y
succédèrent, et dont le point commun essentiel était un anticommunisme obsessionnel. Ce qui
précède vaut surtout pour les Puissances européennes; les États-Unis, à cette époque, n'étaient
pas spécialement antisoviétiques — en tout cas ils ne faisaient pas de l'U.R.S.S. un ennemi
privilégié comme après 1947. Même l'hystérie anti-"rouges" des années 1919-1921 n'était pas
spécialement dirigée contre les communistes, contrairement au maccarthysme des débuts de la
guerre froide, ni contre les Russes: Sacco et Vanzetti étaient des anarchistes italiens… J'ai
raconté, dans le cours sur les États-Unis (au chapitre 2), comment le gouvernement américain
alla jusqu'à renvoyer en Russie bolchevique des anarchistes juifs, sujets du tsar avant 1917. En
fait, pour l'Amérique de ce temps, la Russie bolchevique n'était qu'une figure parmi d'autres de
la lamentable et inquiétante anarchie européenne; il suffisait de lui tourner le dos, de s'isoler.
Inversement, il n'y avait pas spécialement d'histérie antiaméricaine dans l'U.R.S.S. de cette
époque: les États-Unis n'étaient pas intervenus dans la guerre civile, ils avaient aidé le nouveau
1 Toutes ces frontières n'étaient que des lignes d'armistice, tracées au hasard des guerres et qui ne
correspondaient pas aux anciennes provinces de l'Empire russe. En 1940-1945, l'U.R.S.S. redessina ces limites à son
avantage, rétablissant, avec l'Estonie et la Lettonie, les anciennes limites, et rognant la Finlande historique au sud-est.
2 En 1922, à la conférence de Cannes, les Européens fixèrent des règles pour une éventuelle reconnaissance: la
nouvelle Russie devait au moins reprendre les dettes du régime tsariste et restituer ou indemniser les biens étrangers
nationalisés. On voit qu'on n'était pas encore à l'âge des interventions humanitairement motivées! Seules les
questions de gros sous étaient prises en compte, ce dont la propagande communiste faisait son miel.