Rev. sci. tech. Off. int. Epiz.,
1986,
5 (4),
919-937.
Le coryza gangréneux
W. PLOWRIGHT*
Résumé : Alors que le coryza gangréneux (CG) est généralement une maladie
sporadique, son incidence est probablement en augmentation chez les cervidés
d'élevage ; chez les bovins, l'infection associée au mouton (CG-AM) a sans doute
régressé récemment. La maladie dérivée du gnou (CG-DG) constitue un pro-
blème en Afrique les bovins fréquentent les mêmes pâturages que les gnous ;
elle est aussi plus souvent signalée à l'heure actuelle dans les jardins zoologi-
ques et les ranchs se trouvent des ruminants exotiques.
L'auteur étudie d'abord les signes cliniques et la pathogénie du coryza gan-
gréneux, puis il présente l'épidémiologie de ses deux formes. Un nombre crois-
sant d'espèces de la famille des Bovidae, notamment parmi les sous-familles
des Caprinae, Alcelaphinae et Hippotraginae, présentent une infection inap-
parente très répandue provoquée par des herpèsvirus apparentés aux prototy-
pes AHV-1 et AHV-2. Les circonstances dans lesquelles ces virus se transmettent
des hôtes «réservoirs» aux hôtes «révélateurs» sont étudiées. Le nombre de ces
derniers va en grandissant.
Les virus des alcélaphinés sont des gammaherpèsvirus présentant des ressem-
blances avec H. saimiri et H. ateles. Des lignées de cellules lymphoblastoïdes
ayant les caractéristiques des cellules NK (cellules tueuses spontanées), parfois
capables de reproduire le coryza gangréneux, ont été mises en évidence dans
les tissus d'animaux infectés par le CG-AM ; on n'y a pas encore identifié sans
équivoque des virions ou des antigènes viraux.
Les méthodes de diagnostic expérimental du coryza gangréneux sont briè-
vement présentées. Sa prophylaxie reste fondée sur la séparation entre hôtes
réservoirs et révélateurs.
MOTS-CLÉS : Antilope - Diagnostic - Epidémiologie - Herpèsvirus bovin -
Lésions - Maladies des animaux sauvages - Maladies des bovins - Pathogénie -
Prophylaxie - Symptômes - Virus du coryza gangréneux.
INTRODUCTION
Parmi les herpèsviroses animales étudiées dans ce numéro, le coryza gangréneux
(CG) est sans doute la moins importante du point de vue économique. Il est assez
rare que des chercheurs publient des articles signalant un ensemble de cas s'apparen-
tant à une «épizootie». L'incidence du CG a probablement diminué dans plusieurs
pays européens en raison de l'abandon de la pratique traditionnelle qui consistait
à loger ensemble bovins et moutons pendant la période hivernale, mais elle a vrai-
semblablement augmenté dans les parcs zoologiques et les élevages qui comportent
* Whitehill Lodge, Goring-on-Thames, Reading, RG8 OLL, Grande-Bretagne.
- 920 -
des ruminants exotiques ou des cerfs domestiqués. En particulier, la Nouvelle-Zélande
a connu un accroissement spectaculaire de sa population de cerfs rouges d'élevage,
qui comptait déjà 250.000 têtes environ en 1983, et qui devrait atteindre 750.000 têtes
d'ici 1990 (86) ; on estime par ailleurs à environ 300.000 le nombre de ruminants exo-
tiques présents dans les ranchs du seul Etat du Texas (27). En Afrique, la menace
que font peser les réservoirs sauvages du CG sur le bétail des pasteurs nomades ou
des ranchs peut désorganiser les systèmes de pâturage et accroître la pression exercée
sur les animaux «d'agrément» utilisés essentiellement comme attractions touristiques
ou sportives.
Par ailleurs, d'un point de vue scientifique, le CG constitue un sérieux défi aux
nouvelles technologies - particulièrement lorsqu'il
s'agit
d'identifier l'agent de la
maladie «associée au mouton» et d'expliquer son épidémiologie, sa pathogénie et ses
caractéristiques immunologiques. En outre, l'évolution d'un groupe distinct d'her-
pèsvirus chez les antilopes et les caprins domestiques ou sauvages en Afrique peut
donner matière à des recherches fort intéressantes dans les années à venir.
Plusieurs synthèses sur les différents aspects du CG ont été publiées ces dernières
années et il n'est pas question de reprendre ici nombre de détails contenus dans ces
articles (24, 43, 60, 61, 66, 69, 75).
REMARQUES GÉNÉRALES
Le coryza gangréneux est une entité clinique et pathologique qui a été signalée
dans pratiquement tous les pays du monde où un diagnostic fiable peut être effec-
tué ; il faut souligner qu'il n'est pas encore prouvé qu'il soit dû à un seul agent étio-
logique, bien que certains articles récents le laissent encore entendre (30, 39). Hors
d'Afrique, des contacts plus ou moins étroits entre des moutons présumés porteurs
et des animaux des espèces sensibles peuvent généralement être associés à la manifes-
tation de cette maladie. Cette maladie «associée au mouton» (AM) a aussi été signa-
e par de nombreux chercheurs en Afrique (12, 53, 54, 56), où cependant la majorité
des cas sont connus pour résulter de contacts avec deux espèces d'antilopes alcéla-
phinées, le gnou bleu dit à «barbe blanche» et le gnou noir appelé aussi à «queue
blanche» (respectivement Connochaetes taurinus et C. gnu). L'emploi du terme
«coryza gangréneux africain», malgré l'avantage de sa brièveté, serait donc trom-
peur ; depuis l'isolement de l'herpèsvirus causal chez le gnou (62), la désignation
«dérivé du gnou» (DG) est exacte et plus informative ; l'expression «associé au gnou»
semble inutilement prudente.
SIGNES CLINIQUES DU CORYZA GANGRÉNEUX
Les signes cliniques classiques du CG ont été décrits en Europe Centrale il y a
plus d'un siècle, souvent sous le nom de «Kopfkrankheit», maladie sporadique, non
contagieuse, à différencier de la peste bovine ou du «typhus bovin» (10, 87). L'appel-
lation «forme céphalique et oculaire» pour la majorité des cas chez les bovins semble
dater d'un article de Götze (15), qui a aussi décrit des formes suraiguë, intestinale
et atténuée ; ces formes ont souvent été décrites, notamment à l'occasion de récentes
observations de la maladie faites aussi bien sur des cerfs que sur des bovins ou des
ruminants exotiques.
- 921 -
La forme «atténuée» est celle pour laquelle la plus grande incertitude subsiste quant
à son expression naturelle ; l'apparition de quelques cas après infection expérimen-
tale avec un virus africain (gnou) a pu être démontrée (voir 58, 63, par exemple).
Soit dit en passant, dans les épreuves de transmission en série décrites par Mettam
(40),
le premier bœuf inoculé avec du sang de gnou présenta de la fièvre durant une
seule journée, mais son propre sang
s'est
alors avéré virulent pour un autre bœuf
et, curieusement, il succomba moins de quatre mois après l'inoculation. Une enquête
sérologique restreinte n'a mis en évidence aucun signe d'infection subclinique ou atté-
nuée chez les bovins du pays Masai au Kenya alors que ceux-ci sont très exposés aux
gnous dans cette région (76).
Il est difficile d'obtenir des statistiques significatives de mortalité dans les foyers
naturels de la maladie, car les animaux malades sont souvent abattus. Cependant,
Pierson et coll. (50) ont décrit un cas remarquable au Colorado (Etats-Unis), dans
lequel sur 231 bovins, 87 ont été atteints et sont morts ; Maré (37), quant à lui, a
constaté en Californie une mortalité de 16,6% dans un troupeau de 1000 vaches sur
une période de trois mois. James et coll. (31) ont signalé qu'en Nouvelle-Zélande,
tous les bovins cliniquement atteints, au nombre de 28, appartenant à une même
exploitation, étaient morts. On peut supposer, lorsque le taux de guérison est relati-
vement élevé, qu'il
s'agit
d'une infection concomitante ou d'un diagnostic erroné.
Lors de transmission en série de l'herpèsvirus de gnous à des bovins, le taux de mor-
talité a varié de 94 à 100%, le taux le plus faible (292 sur 311) étant associé à une
anaplasmose concomitante chez quelques sujets qui a pu diminuer le taux de morta-
lité (56, 58). Des données similaires pour l'essentiel, bien qu'incomplètes, concernant
les bovins ont été publiées en Amérique du Nord (32).
Les manifestations cliniques les plus importantes du CG sont résumées dans le
Tableau I et les commentaires qui suivent. De bonnes planches en couleurs montrant
les lésions dues à cette maladie peuvent être consultées dans plusieurs publications
(29,
80, 81).
TABLEAU I
Symptômes cliniques du coryza gangréneux
a) Fièvre soudaine et persistante
b) Congestion sévère, nécrose et érosion des muqueuses nasale et buccale
c) Jetage séreux, puis mucopurulent
d) Congestion de la conjonctive et de la sclérotique ; opacité cornéenne centripète ;
hypopyon
e) Hypertrophie généralisée des ganglions lymphatiques, etc.
f) Tremblements musculaires (méningo-encéphalomyélite)
g) Diarrhée ou dysenterie (spécialement chez les cerfs)
h) Dermatite et fourbure
(a) (e) La fièvre et la lymphadénopathie dans le CG
Dans les cas typiques de «forme céphalique et oculaire» provoqués par le virus
DG, la fièvre commence de façon soudaine, atteignant un pic d'environ 40,5°C à
41°C (moyenne 40,75°C) au 3e ou 4e jour de la maladie (56). On utilise souvent l'appa-
rition de la fièvre comme indicateur de la fin de la période d'incubation, mais quel-
ques observateurs utilisent également l'hypertrophie locale ou générale des ganglions
lymphatiques ou hémolymphatiques, qui peuvent parfois être palpés
1
à 4 jours avant
la fièvre dans la forme DG (11, 53, 56). Cependant, d'autres chercheurs ont noté
- 922 -
une hypertrophie constante des ganglions lymphatiques (52) 5 à 10 jours avant la
fièvre ; les signes cliniques précédant la fièvre, y compris la lymphadénopathie, peu-
vent durer de 2 à 7 jours chez les bovins d'Amérique du Nord (32).
Une minorité de bovins infectés expérimentalement avec le virus DG ont présenté
une réponse en deux phases, ne pouvant apparemment pas être attribuée à une infec-
tion intercurrente ; la première réaction apparaissait habituellement en 4 à 7 jours
et durait 2 à 3 jours, le pic de température était plus bas, ne dépassant pas 40°C
(Plowright, données non publiées). De telles réactions étaient sans doute en rapport
avec une phase non encore décrite à ce jour de généralisation dans la pathogénie de
la maladie, qui rappelle la distribution bimodale des réactions (pics respectivement
à 3 et 11 jours) notée chez les lapins utilisés dans les épreuves de transmission en
série du virus AM (71).
Lors de l'infection expérimentale avec le virus AM, un délai fréquent de 2 à 3
jours avant le début de la lymphadénopathie a été constaté (51), alors que Selman
et coll. (81) ont, pour leur part, noté une hypertrophie des ganglions 7 jours après
l'infection sur 6 des 10 veaux utilisés, bien que la «période d'incubation» ait été de
20 jours au moins.
(b) (c) Congestion, nécrose et érosion des muqueuses superficielles et du mufle
Ces lésions ont été observées sur les muqueuses buccale et nasale de la majorité
des animaux atteints par le virus DG (32, 52, 56), le moment de la première détection
de la nécrose buccale sur les animaux étant indiqué dans le Tableau II, qui montre
une manifestation maximale (100%) après 6 jours de fièvre. Dans la forme AM natu-
relle,
la nécrose des muqueuses est notée moins fréquemment ou est moins grave dans
certains foyers apparus chez des bovins (31) ou des cerfs (13, 67), mais elle est cons-
tante dans d'autres (80). Dans la forme AM expérimentale, les lésions de la bouche
se développent avec une rapidité très variable chez les bovins, sauf en ce qui con-
cerne la congestion diffuse qui, elle, est précoce (81). D'une façon générale, le déve-
loppement de lésions prononcées du mufle ou des cavités buccale et nasale dépend
de la plus ou moins longue survie des animaux ; ces lésions sont plus marquées dans
les cas de DG, et sont moins évidentes dans les formes suraiguë ou aiguë de la mala-
die.
De même, le jetage mucopurulent nasal et oculaire, associé à une salivation abon-
dante, est presque constant dans les cas de «forme céphalique et oculaire», alors qu'il
tend à être moins fréquent dans les cas d'évolution plus brève.
TABLEAU II
Fréquence et moment d'apparition des symptômes cliniques du CG-DG
sur des bovins dans des conditions expérimentales*
Symptômes
cliniques Nombre
d'animaux 1
Animaux présentant la lésion en %
cumulés, selon le nombre de jours de maladie
2 3 4 5 67
Opacité
cornéenne 234 4 25 55 80 90 94 97
Nécrose et
érosion buccale 116 58 76 91 97 99 100
* D'après Plowright, 1964.
- 923 -
(d) Lésions oculaires dans le CG
Une congestion de la conjonctive et de la sclérotique est signalée dans la grande
majorité des cas des formes AM et DG ; il s'y ajoute une opacité progressive et cen-
tripète de la cornée, la kératite étant accompagnée d'exsudats cellulaires et fibrineux
dans la chambre antérieure - et une iridocyclite avec hypopyon. Le Tableau II indi-
que le moment où l'opacité cornéenne est apparue dans plus de 200 cas de la forme
DG, observés quotidiennement ; sa fréquence n'excède pas 50% jusqu'au 3e jour de
la fièvre.
(f)
Les symptômes nerveux du CG
Les symptômes indiquant l'atteinte du système nerveux central, tels que tremble-
ments musculaires, incoordination, pousser de la tête, nystagmus, contractions des
oreilles, torticolis et même agressivité, ont été signalés à différents moments chez la
plupart des espèces infectées par les agents des formes DG ou AM. La méningo-
encéphalomyélite qui en est la cause est une des transformations histopathologiques
les plus régulières. Apparemment, lors des épreuves de transmission en série des virus
DG, les symptômes nerveux deviennent moins fréquents (56).
(g) Diarrhée ou dysenterie
Ces symptômes sont d'observation plus récente chez les bovins, les cerfs et les
lapins infectés par l'agent de la forme AM et dont la mort intervient rapidement (13,
37,
38, 46, 67). Ainsi, par exemple, dans une expérience réalisée au Colorado (Etats-
Unis),
8 animaux sur 16 ont été classés comme manifestant des symptômes à prédo-
minance «intestinale», parmi lesquels 3 présentèrent ultérieurement une diarrhée (52).
Cependant, sur des cerfs rouges infectés expérimentalement, la diarrhée n'est pas appa-
rue avant le deuxième ou le troisième jour de fièvre, et la dysenterie environ 24 heu-
res plus tard (46). Dans la forme DG expérimentale, la fréquence de ce type de
symptômes est très faible : moins de 1% des cas sans complications (56).
(h) Dermatite et fourbure dans le CG
La relative fréquence en Europe des lésions de la peau, des sabots et des cornes
lors du CG a été une des premières raisons qui ont conduit à considérer que cette
maladie était différente du «snotsiekte» sud-africain (40). Une congestion sévère de
la peau au niveau de la mamelle, accompagnée d'une exsudation et de la formation
d'escarres, a été observée aux Etats-Unis lors d'un foyer de AM (37). La dermatite
n'est certainement pas fréquente dans la forme DG, puisque seulement deux obser-
vations en ont été faites parmi plusieurs centaines de cas expérimentaux en Afrique
de l'Est ; il s'agissait de deux jeunes veaux, et la fourbure n'a été observée que sur
un seul d'entre eux (56). L'exsudation dans la partie centrale des cornes, avec chute
de celles-ci, ainsi que la fourbure, ont été fréquemment signalées dans les publica-
tions européennes anciennes. L'arthrite et la synovite ont été reconnues grâce à l'his-
topathologie dans une majorité de cas expérimentaux et naturels du CG-AM (36) mais
les signes cliniques qui leur sont associés ne sont généralement pas signalés.
1 / 19 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !