Biodiversité et exploitation des forêts du Morvan (PDF

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Biodiversité et gestion des forêts du Morvan
Préambule
Les entreprises de travaux forestiers ont un rôle déterminant à jouer pour la préservation de certains
milieux et espèces forestières. Cette préservation n’est pas forcément antagoniste de la rentabilité de
l’entreprise, elle passe avant tout par une connaissance plus complète de la forêt morvandelle en
intégrant des aspects qui relèvent plutôt des sciences de la nature et en analysant rapidement l’impact
de ses propres interventions sur la forêt. Il s’agit donc de modifier son regard en élargissant les champs
de vision traditionnels de l’exploitation et des travaux forestiers à ceux des disciplines qui ont
contribué à bâtir l’écologie forestière.
A chacun ensuite, en fonction des éléments qu’il aura retenus et synthétisés, à faire ses choix
personnels en connaissance de cause.
Cette façon plus large de voir la forêt devrait bénéficier à l’entreprise de travaux forestiers de deux
façons :
- elle lui permettra de mieux s’adapter à un contexte social qui change plus rapidement que ne
poussent les forêts et, peut-être également, de proposer ses services dans le domaine assez neuf
des travaux de « génie écologique » ;
- elle lui permettra de jouer un rôle de conseil auprès des propriétaires et, en apportant gratuitement
cette nouvelle prestation, de fidéliser mieux sa clientèle.
Enfin, la journée de formation correspondant au présent texte s’inscrit dans le troisième engagement
du référentiel PEFC contenu dans le cahier des charges de l’Association Bourguignonne de
Certification Forestière.
Les forêts du Morvan sont-elles menacées ?
La transformation des essences, les enrésinements.
Aujourd’hui, le Morvan est la première région française pour la production de douglas. Cette place,
relativement récente, n’a pas été sans conséquence pour l’environnement. Le douglas n’est d’ailleurs
pas le seul résineux à avoir remplacé l’ancienne forêt feuillue, même s’il a tendance à dominer le
paysage d’aujourd’hui. L’épicéa et les sapins l’avaient précédé et conservent une place encore
importante.
Ces quelques chiffres permettent d’avoir une vision plus objective :
Le taux de boisement du Morvan est de 48,5 % (Bourgogne 30,5 %).
Le douglas représente 30 % de la surface boisée, l’épicéa 23 %, le sapin pectiné 5 %, le sapin de
Vancouver 3 %, les mélèzes 2 %, le pin sylvestre 1 %.
Plus de la moitié de la forêt morvandelle est donc couverte par des résineux.
Pour les feuillus, l’introduction d’essences exotiques, telles le chêne rouge et le robinier, reste très
marginale.
Les résineux n’ont pas tous le même impact sur l’environnement, en particulier, au niveau de la
décomposition de leurs aiguilles. Sur un sol acide, le peuplement dominant a une influence importante
pour le cycle de la matière organique. Les litières du douglas et du sapin se décomposent assez
rapidement, alors que celles des pins et de l’épicéa sont beaucoup plus longues à se transformer en
humus, puis, à se minéraliser. Par conséquent, dès que l’on se situe en contexte mésoacidiphile à très
acidiphile, on aura tout intérêt à éviter la dominance des essences à litière acidifiante et surtout, à
maintenir des essences améliorantes telles que le bouleau ou les saules. Une proportion de 10 % de
bouleau au sein d’un peuplement résineux sur sol acide n’a rien d’excessif et devrait même être la
règle.
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L’arrivée de la lumière au sol est également importante et facilite la décomposition de la litière en
relançant l’activité biologique, c’est pourquoi les éclaircies fortes sont d’autant plus nécessaires que le
sol est acide.
Les choix sylvicoles et la gestion forestière peuvent entraîner la dégradation de certains sols qui, dans
certains cas, est irréversible. En milieu acide, la destructuration des sols consécutive à l’accélération
de l’acidification conduit au lessivage des éléments les plus fins (argiles) qui ne sont plus là pour
retenir l’eau ; parallèlement les éléments minéraux sont également entraînés ou sont stockés dans la
litière qui n’est plus apte à les restituer. De plus, l’accumulation d’aiguilles et de feuilles en surface est
nocive à la régénération des forêts, elle ne facilite pas la germination d’éventuelles graines. Dans le
pire des cas, une mauvaise gestion de la couverture pédologique peut conduire à une forêt claire et
malvenante, envahie progressivement par la callune.
La couverture pédologique est un patrimoine qui ne nous appartient pas et que nous devons léguer en
bon état à nos successeurs.
Les résineux ont amenés avec eux une faune, des champignons et même quelques plantes (pyroles) qui
leur sont liés. Au niveau de la faune, il y a quelques oiseaux comme le bec croisé des sapins et le
casse-noix moucheté, mais c’est essentiellement au niveau des insectes que les apports ont été
importants. Pour choisir un groupe bien connu des forestiers, les scolytes de Bourgogne comportent 79
espèces différentes dont 45 % sont liées à des résineux introduits par l’homme.
Le rajeunissement des forêts.
Un certain nombre d’espèces animales, végétales et fongiques sont liées aux vieilles forêts, elles
témoignent de l’antique forêt naturelle qui recouvrait notre pays au néolithique. Les besoins de
l’économie des sociétés qui se sont succédées jusqu’à aujourd’hui ont mis à mal ces espèces plus ou
moins sensibles à la disparition des vieux arbres.
Encadré n° 1 : des espèces qui bénéficient du vieillissement et de la sénescence de l’arbre.
Les oiseaux
Il y a une relation étroite entre l’âge d’un arbre et la fréquence à laquelle on peut y observer des cavités. A cet
égard, les oiseaux peuvent être séparés en deux groupes : ceux qui forent ces cavités, essentiellement les pics
et les mésanges, et ceux qui ne font que les occuper, tels l’étourneau ou la sittelle.
Parmi les foreurs, le pic noir tient une place spéciale en raison du diamètre des ouvertures qu’il effectue. En
effet, c’est le seul pic dont les loges puissent être utilisées par des oiseaux aussi gros que le pigeon colombin
ou la chouette de Tengmalm.
Les grimpereaux tiennent une place à part puisqu’ils n’utilisent pas les cavités pour nicher mais l’espace créé
par le décollement des écorces d’arbres morts, blessés, ou dépérissants.
33 % des oiseaux forestiers se reproduisent dans des cavités. Bien souvent l’absence ou la rareté de celles-ci
est un facteur limitant à leur installation.
Les chauve-souris
Grande consommatrice de petits papillons, la Barbastelle d’Europe (Barbastella barbastellus) est une des
chauve-souris les plus liées aux forêts. En Bourgogne, on la rencontre principalement dans les linteaux de
granges où elle vient mettre bas, mais on peut supposer qu’elle occupe également les arbres creux et fissurés.
Plutôt solitaire l’hiver, elle colonise des gîtes variés et peu protégés du froid en forêt et ne rejoint les sites
souterrains que lors des périodes de grands froids.
Parmi la quinzaine d’espèces de chauve-souris présentes en Morvan, certaines ne fréquentent guère les forêts
que pour y chasser ; c’est le cas du Murin de Daubenton et du Murin de Natterer dans des forêts plutôt denses,
tandis que le Grand murin recherche des peuplements au sous-bois dégagé.
D’autres, comme le Murin de Bechstein et les Noctules utilisent le milieu forestier tantôt pour se loger dans
des arbres fissurés, d’anciennes cavités de pics, sous des décollements d’écorces, tantôt pour se nourrir.
Il ne faut pas oublier que la protection des chauves-souris passe non seulement par une protection physique
des gîtes d’estivage et d’hivernage mais aussi par celle de leurs terrains de chasse. Une forêt riche en insectes
et en arbres favorables aux gîtes assure pleinement cette fonction.
Les insectes
On estime  pour le seul ordre des Coléoptères  qu’il existe plus de 1 900 espèces qui dépendent
directement ou indirectement du bois mort en France. Ce sont donc plusieurs milliers d’insectes, tous ordres
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confondus, dont la survie est fonction des différents états de dégradation de l’arbre. Parmi eux, certains
s’adaptent bien aux modes de sylviculture orientés vers la production, mais d’autres commencent à régresser,
sont fragmentés en populations isolées ou ont déjà disparu des forêts morvandelles.
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Une espèce probablement disparue du Morvan : Carabus (Hygrocarabus) nodulosus Creutzer, 1799. Ce
carabe montagnard est typiquement une espèce des milieux ombragés, froids et humides que les coupes à
blanc éliminent définitivement. Signalé par Fauconnet & Viturat aux alentours d’Autun, il n’a pas été
revu depuis un siècle.
La larve du longicorne Mesosa curculionoides se développe pendant 2 ou 3 ans dans le bois de divers
feuillus ; cité comme « assez rare » il y a un siècle, il n’a pas été revu en Morvan depuis. On peut
supposer que les bouleversements sylvicoles des dernières décennies ont été à l’origine de sa raréfaction
ou de sa disparition.
Une espèce en forte régression et en populations aujourd’hui isolées : Sinodendron cylindricum (Linné,
1758). Ce Coléoptère de la famille des lucanes vit dans les troncs creux et sous les écorces pourries,
principalement de hêtre ; l’absence de vieux arbres et de gros bois morts sur de grandes surfaces
forestières a contribué au fractionnement des populations.
Les mousses et lichens
La relation entre le vieillissement des arbres et les végétaux tels mousses, hépatiques et lichens a encore été
peu étudiée. Cependant, on sait que certaines espèces ont un pouvoir de dispersion très faible et peuvent
mettre plusieurs centaines d’années pour reconquérir des territoires perdus. Parmi elles, le lichen Lobaria
pulmonaria est présent de façon disséminée sur l’ensemble des forêts du Morvan, son existence est liée à une
certaine stabilité des supports que sont les troncs d’arbres feuillus, mais aussi, à la pureté de l’air, car il est
très sensible aux pollutions atmosphériques.
Les hépatiques qui forment un groupe proche des mousses sont particulièrement abondantes dans les lieux
humides ; Calypogeia integristipula, espèce montagnarde et rare en Morvan, a été découverte dans la vallée
du Cousin colonisant des souches pourries d’aulne.
Les champignons
Une bonne partie des champignons supérieurs participant à la décomposition du bois est regroupée dans
l’ordre des Aphyllophorales qui est désigné improprement par le terme générique de « polypores ». Ces
champignons peuvent être plus ou moins exigeants quant à leurs supports : certains, comme Fomitopsis
pinicola s’adaptent aussi bien aux résineux qu’aux feuillus, d’autres sont dépendants de la présence d’une
essence particulière, tel Piptoporus betulinus pour le bouleau. Enfin, certains « polypores » exigent une
qualité du bois particulière, voire des conditions stationnelles très précises, ce sont généralement les espèces
les plus rares et les plus sensibles à la sylviculture ; elles réclament bien souvent des bois mort de gros
diamètre, possédant une hygrométrie précise et par conséquent, une stabilité de l’environnement proche.
Parmi eux on peut citer Ischnoderma benzoinum, assez rare en Morvan et sur des résineux, Fomes
fomentarius, assez courant sur les hêtres âgés, Inonotus dryadeus, très rare sur les vieux chênes.
Références bibliographiques :
FAUCONNET L., VITURAT C., 1905 - Catalogue analytique et raisonné des Coléoptères de Saône et Loire.
Société d’Histoire Naturelle d’Autun, Imprimerie et Librairie Dejussieu, Autun : 788 p.
FAUCONNET L., VITURAT C. continué par PIC M., 1928 - Catalogue analytique et raisonné des Coléoptères de
Saône et Loire. Société d’Histoire Naturelle d’Autun, Imprimerie L. Taverne et Ch. Chandioux, Autun : 607
p.
GOUDEAU P., LACLOS E. (de), MAGERAND J.C., VADAM J.C., BUGNON F., 1995 – Contribution à l’étude de la
flore bourguignonne. Note 7, Bull. scie. de Bourgogne, T. 47 : 3-12.
HORELLOU A., 2001 – Inventaires entomologiques dans quelques localités du parc naturel régional du
Morvan. Bull. Soc. Hist. nat. d’Autun n° 178 : 9-32.
ODDE J.F., 1979 – Contribution à la faune des Coléoptères du Morvan. L’entomologiste, T.35, n° 4-5 : 190196
Le rajeunissement des forêts ne date pas d’aujourd’hui, probablement entamé dès l’âge du fer, il a
connu son paroxysme dans le Morvan avec l’exploitation intensive des taillis destinés à alimenter les
villes en bois de feu. Cependant, à cette époque, les espèces les plus sensibles au rajeunissement des
forêts ont pu trouver refuge dans les vieux arbres contenus dans l’espace agricole traditionnel 
particulièrement au niveau des haies : vieux châtaigniers, saules taillés en têtard et hêtres plessés
abandonnés à eux-mêmes. Aujourd’hui, la déprise agricole et la transformation des pratiques agropastorales permettent de moins en moins à ces espèces d’y trouver refuge. Les forêts doivent donc,
plus que jamais, jouer le rôle qu’elles avaient à l’origine en maintenant une certaine quantité de bois
mort ou dépérissant. Ce bois peut être sous diverses formes :
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souches hautes,
troncs abandonnés à terre,
arbres troués et encore vivants, sur pied,
chandelles,
petits bois secs sur pied,
arbres avec grosses gélivures très suintantes,
bois dépérissants partiellement inondés.
Les très vieux arbres permettent souvent de réunir une bonne partie de ces micro-habitats et donc, la
faune, la flore et les champignons qui leur sont liés.
L’impact des activités forestières sur les sols et sur l’eau.
Avec le développement de la mécanisation, les activités forestières ont un impact grandissant sur le
milieu naturel ; cet impact est particulièrement sensible sur les sols et l’eau.
Au niveau des sols, le poids des engins peut entraîner le compactage de certains horizons. Ce
compactage ralentit plus ou moins l’infiltration de l’eau et induit parfois des problèmes
d’hydromorphie temporaire qui nuisent à la production forestière et qui transforment petit à petit le
fonctionnement écologique de la forêt. Il faut souligner que les compactages sont irréversibles sur les
sols limoneux. Sur ces sols, il convient donc de limiter le poids des engins et surtout, de bien choisir la
période d’intervention. Une bonne solution consiste à passer le tracteur (pas trop lourd) sur un lit de
rémanents à une période où le sol est relativement sec. Il ne faut pas trop compter sur le gel qui, en
dehors des zones coupées à blanc, n’affecte pas les horizons de surface sous couvert forestier.
Le débardage à cheval est encore très peu employé et reste cantonné à des prestations qui relèvent plus
de la communication que de l’économie forestière. Il peut cependant être relativement rentable si les
produits à sortir sont de faible diamètre et si les distances sont courtes ; dans ce dernier cas un relais
peut être prévu avec un tracteur porteur classique, sur piste forestière par exemple. Pour que le
débardage à cheval ait sa place dans le cadre d’une activité économique rentable et que son emploi ne
soit pas limité aux seules zones humides ou inaccessibles aux tracteurs, il faudrait intégrer dans les
coûts la protection des sols comme un élément indispensable de gestion durable. Ce n’est pas le cas
actuellement.
Sur sol argileux et/ou humides, les ornières provoquées par les débardages peuvent faire office de
drains et modifier ainsi les caractéristiques stationnelles. Par conséquent, si la traversée d’un milieu
humide est indispensable lors d’une exploitation, il vaut mieux la faire perpendiculairement à l’axe
d’écoulement des eaux plutôt que parallèlement à cet axe.
Le drainage programmé des forêts marécageuses est encore pratiqué, particulièrement lors
d’enrésinements. Compte tenu que les forêts humides sont les plus menacées aux échelles régionale,
nationale et européenne, cette façon de faire devrait être totalement abandonnée ; elle a d’autant moins
de justification que les surfaces concernées sont assez réduites, qu’elles abritent une grande richesse
biologique et que la production forestière y est généralement assez faible.
Dans le cas où la création d’une piste ou d’une route forestière est nécessaire. Il faut être attentif aux
périmètres de captage en eau potable.
Si la piste se trouve sur une pente dominant un cours d’eau, il est utile de prévoir un fossé en amont
avec un bassin de décantation à son débouché. Le ruissellement des eaux boueuses est l’une des
principales causes de dégradation des eaux superficielles et les forestiers sont montrés du doigt. Dans
le même ordre d’idées, il faut éviter que les engins de débardage franchissent les lits de ruisseau
directement. Il est toujours possible de placer des buses temporaires sur les passages du tracteur. Les
tubes en polyéthylène haute densité ont été testés dans diverses forêts ; ils sont faciles d’emploi et
relativement peu onéreux.
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Bien évidemment, l’emploi de pesticides est particulièrement nocif dans les forêts humides et les
ripisylves ; il est d’ailleurs en contradiction avec le neuvième engagement du référentiel PEFC
contenu dans le cahier des charges de l’Association Bourguignonne de Certification Forestière. De
même, les engrais, dont l’emploi en forêt est très discutable, ne devraient jamais être utilisés en milieu
humide, ni dans les habitats remarquables ou sensibles.
Ceci correspond au dixième engagement du référentiel PEFC contenu dans le cahier des charges de
l’Association Bourguignonne de Certification Forestière.
Pour les exploitations situées en bordure de rivière, il est préférable d’utiliser des huiles de
tronçonneuse biodégradables, surtout si les arbres à exploiter sont de faible diamètre.
Les forêts du Morvan ont-elles des particularités ?
Les différents habitats forestiers.
Un catalogue des types de stations forestières propres au Morvan nous permet d’avoir une liste
exhaustive des habitats forestiers que contient cette région.
On peut réunir ces stations en plusieurs groupes à partir de l’essence naturellement dominante :
Le hêtre est l’essence majoritaire de la plupart des forêts du Morvan. Il a été malmené dans le passé
par le traitement en taillis, par les choix sylvicoles en faveur du chêne et aujourd’hui, par les
enrésinements. Cette essence dominerait sans doute sur les trois quarts du Morvan en l’absence de
perturbations. Mais les accidents climatiques  et les attaques de « ravageurs » qui les succèdent
souvent  font partie du fonctionnement normal des forêts à caractère naturel ; lors de ces accidents,
le hêtre céderait la place à des phases forestières plus juvéniles à base de saules, bouleaux, frênes,
érables et chênes. Les hêtraies constituent donc la phase la plus mûre des forêts morvandelles, ce n’est
pas pour autant qu’elles doivent recouvrir 100 % de leurs stations.
Au sein même des hêtraies, on peut distinguer plusieurs types qui correspondent à une nomenclature
phytosociologique et à des séries de végétation distincte. On appelle « série » tous les stades et phases
par lesquels passe une communauté végétale pour atteindre cet état d’équilibre (précaire) qu’on
nomme le climax et qui représente le degré optimal d’évolution de la végétation. Dans le Morvan, le
climax est le plus souvent une forêt.
Exemple d’une série dynamique forestière :
Coupe à blanc ou chablis sur une surface importante.
Groupement à épilobe, séneçon de fuchs, épervières ⇒ groupement à sureau à grappe, genêt à balais et ronce ⇒ ↓
saule marsault et bouleau ⇒ érable, chêne, charme ⇒ hêtre, chêne et charme ⇒ hêtre et houx.
Forêt mature.
Les hêtraies à houx sont bien représentées sur la façade atlantique française et le Morvan constitue un
bastion isolé et atypique de ce type forestier. Installées dans les secteurs bien arrosés, elles possèdent
une flore très banale, généralement mésoacidiphile à acidiphile, la strate arborescente est dominée par
le hêtre. En situation peu perturbée, un sous-étage de houx assez dense donne un aspect très particulier
à ces hêtraies, mais l’homme, par ses coupes répétées, a souvent fait régresser le houx.
Les hêtraies montagnardes du Haut-Morvan sont situées au-dessus de 700 m, mais elles peuvent
descendre plus bas en altitude en situation confinée ou froide. Là encore, la flore est assez banale et
c’est plutôt dans les clairières et les coupes qu’il faut rechercher les plantes les plus remarquables
telles la laitue de Plumier et la prénanthe pourpre. Les hêtraies se distinguent des précédentes par la
faible place occupée par les chênes et le charme et, à l’inverse, par le dynamisme des résineux favorisé
par l’humidité atmosphérique entretenue par des précipitations abondantes.
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Les hêtraies-chênaies acidiphiles garnissent les secteurs moins élevés et, par conséquent, moins
arrosés, sur des sols assez drainants. La flore comporte le cortège habituel des espèces acidiphiles
comme la fougère aigle, la canche flexueuse, la germandrée scorodoine, et différentes épervières. Les
arbres sont peu variés, quelques alisiers blancs et bouleaux viennent se mélanger au chêne sessile et au
hêtre.
Les chênaies sessiliflores sur sol sec ou superficiel occupent les adrets, les éboulis et certains hauts de
versant. Elles peuvent être acides et dans ce cas, la canche flexueuse et très recouvrante et le charme
disparaît. Lorsque les éléments grossiers affleurent, le polypode est généralement présent. Leurs
lisières sont parfois fleuries de séneçon à feuilles d’adonis dont l’aire de distribution principale
recouvre le Massif central.
Les chênaies pédonculées de vallon sont généralement peu acides et bien alimentées en eau. On y
trouve également le frêne et l’érable sycomore ; la flore est variée, la jacinthe des bois s’y développe
parfois en vastes tapis. Ces chênaies forment souvent un peuplement intermédiaire entre les hêtraies et
les aulnaies-frênaies. L’hydromorphie est, la plupart du temps, peu contraignante.
Les aulnaies-frênaies de bord de ruisseau et rivière forment un linéaire plus ou moins inondable
appelé ripisylve. Le sol est en général assez riche et constamment alimenté par une nappe circulante et
bien oxygénée. L’aulne et le frêne dominent, ils sont parfois accompagnés d’orme de montagne et
d’érable sycomore. La flore est très riche qualitativement et quantitativement ; la reine des prés, la
fougère femelle, l’épiaire des bois, la laîche espacée sont parmi les plantes les plus courantes.
Les aulnaies-frênaies de « verniers » se situent au débouché des sources et sur les replats où l’eau à
tendance à stagner. Le sol est en général peu acide et plus ou moins engorgé, un peu tourbeux. La flore
est également très riche avec, souvent, un grand développement des fougères.
Les aulnaies-boulaies marécageuses traduisent un engorgement encore plus important ; elles forment
les ceintures des tourbières. Le bouleau pubescent à tendance à dominer, le frêne a disparu. Au niveau
herbacé, on y rencontre de temps à autres la jonquille et certaines espèces propres aux marécages
tourbeux (laîches).
Ces différents habitats ne reflètent pas vraiment la réalité, c’est une façon commode d’organiser la
nature d’une manière intelligible à l’homme. En forêt, on a plus souvent affaire à des habitats
intermédiaires ou à des mosaïques d’habitats dont l’imbrication rend la lecture difficile, mais les
classifications, toutes arbitraires qu’elles soient, restent le moyen le moins mauvais pour comprendre
et gérer les milieux naturels.
Pour conclure et répondre à la question de départ, les forêt du Morvan sont, la plupart du temps, assez
pauvres au niveau de la flore, à l’exception des forêts humides non tourbeuses qui bénéficient d’une
plus grande richesse chimique.
Les forêts du Morvan se distinguent par des influences atlantiques qui marquent le paysage forestier
avec le houx et la jacinthe. Les influences montagnardes sont plus discrètes et d’autant plus difficiles à
percevoir que les secteurs les plus élevés du Morvan sont aussi les plus enrésinés et c’est bien souvent
dans les clairières, les coupes et les lisières que la flore montagnarde se révèle : la myrtille, le sureau à
grappe, le séneçon de Fuchs apportent cette touche particulière qui rattachent les forêts morvandelles à
celles du Massif central.
Les habitats ouverts associés à la forêt
L’ouverture d’un espace peut avoir deux origines : naturelle ou due à l’homme. Dans le premier cas,
ce sont les caractéristiques stationnelles qui ne permettent pas aux arbres de recouvrir l’espace
considéré. Il peut s’agir d’un sol trop superficiel comme celui d’une dalle rocheuse, d’éboulis, d’une
falaise, ou d’un sol trop engorgé pour que les arbres puissent s’y développer  à l’instar de certaines
tourbières. Ces milieux naturels sont particulièrement riches et menacés :
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riches parce que, la plupart du temps, ils abritent des espèces particulièrement adaptées à des
conditions de vie difficile et que l’on ne retrouve pas ailleurs,
menacés parce qu’ils couvrent de faibles surfaces et sont bien souvent malmenés par les forestiers,
les agriculteurs ou les activités de loisir.
Il est donc essentiel de savoir reconnaître de tels milieux et d’adapter son travail en fonction de leur
sensibilité aux interventions.
Les milieux qui sont ouverts par les hommes en forêt reproduisent plus ou moins les ouvertures
accidentelles qui prévalaient dans un système de fonctionnement naturel. Ces ouverture ont leur flore
et leur faune propre, elles sont nécessaires au bon fonctionnement de l’écosystème ; c’est surtout une
question d’échelle d’espace et de temps. S’il on voulait véritablement imiter la nature, sans trop hâter
son œuvre, on ne devrait pas programmer de coupe à blanc  qui reproduisent ces ouvertures
accidentelles  à moins de 150 années d’intervalle, âge à partir duquel les hêtres vieillissants
deviennent plus sensibles aux chablis et aux attaques de champignons et d’insectes. Aujourd’hui le
douglas est exploité entre 40 et 60 ans ; en situation naturelle, en Amérique du Nord, certains sujets
dépassent 1500 ans. On mesure l’étendue des efforts qui restent à accomplir pour trouver un
compromis.
Quelques habitats naturellement ouverts et typiques du Morvan :
- les tourbières acides ont plusieurs aspects : tantôt dominées par la molinie, tantôt par des joncs
particuliers à ces milieux, la callune, le trèfle d’eau ou encore des linaigrettes. Des mousses, de la
famille des sphaignes, sont habituellement communes à toutes ces tourbières. Les tourbières du
Morvan n’ont pas la richesse de celles de la façade atlantique (Bretagne par exemple) ou des
montagnes orientales (Jura) mais justement, développées dans des conditions écologiques moins
favorables qu’ailleurs, elles sont très sensibles à toute modification de l’environnement.
- Les mégaphorbiaies sont des formations végétales de hautes herbes se développant sur des sols
humides et riches. Particulièrement abondantes en montagne, le Morvan en offre quelques
exemples appauvris au niveau floristique mais intéressants au niveau de la variété des milieux
qu’elles amènent. Elles sont rarement stables et occupent généralement les lisières forestières ou
des faciès de dégradation de la forêt  suite à un chablis par exemple. L’eupatoire à feuilles de
chanvre, la renoncule à feuilles d’aconit, le doronic d’Autriche, la laitue de plumier, comptent
parmi les espèces qui composent ces mégaphorbiaies.
- Les landes acidiphiles succèdent parfois aux prairies abandonnées ou, à l’inverse, sont le résultat
d’une gestion sylvicole trop intensive et inadaptée à la station. Ce ne sont donc pas vraiment des
milieux naturellement ouverts, de plus, ils ne sont pas stables à long terme. Ils n’en recèlent pas
moins une flore originale et très menacée aujourd’hui.
- Les pelouses rases à plantes annuelles couvrent les hauts de falaise et les dalles rocheuses. Les
plantes qui garnissent ces milieux hostiles à la vie ont généralement un cycle assez court profitant
du compromis chaleur/humidité de la fin du printemps. Les réserves en eau quasi inexistantes du
sol ne leur permettent pas de passer l’été. On observe parfois une seconde floraison à l’automne.
- Les falaises ensoleillées sont peu fréquentes dans le Morvan, on peut cependant y trouver des
fougères rares et quelques autres plantes spécifiques. Par ailleurs, ces falaises profitent à des
oiseaux comme le faucon crécerelle et, peut-être prochainement… au grand-duc ?
La faune
On ne peut pas dire que le Morvan se différencie suffisamment du reste de la Bourgogne pour
héberger des espèces propres, en dehors de celles qui sont attachées aux résineux, cependant, une
relative préservation des grandes transformations agricoles a permis à cette région de maintenir un peu
plus qu’ailleurs certaines espèces disparues ailleurs. Parmi elles :
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la loutre qui fréquente encore quelques rivières et qui est au seuil de l’extinction ;
L’écrevisse à pattes rouges, plus répandue autrefois en Bourgogne et ne possédant sa dernière
population que dans le Morvan aujourd’hui.
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Les résineux et les conditions un peu montagnardes du Haut-Morvan ont attiré deux oiseaux : le
cassenoix moucheté et le bec-croisé des sapins qui se nourrissent principalement des graines de cônes
de résineux.
Au niveau des insectes, quelques études récentes nous permettent d’avoir un aperçu de la faune des
forêts du Morvan, particulièrement en ce qui concerne les papillons, les sauterelles et grillons, et les
Coléoptères. Il s’agit des études citées ci-après :.
BARDET O., 2002 – Orthoptères en Bourgogne-Morvan. Supplément au Bull. Soc. Hist. nat d’Autun, n°
182 : 51 p.
DARGE P., 1996 – Inventaires de l’entomofaune dans les milieux écologiques remarquables de la forêt
domaniale de Glenne (Saône-et-Loire) et propositions de gestion de ces milieux. ONF – UEF, Dijon,
polycopié : 83 p.
DARGE P., 2000 – Etudes entomologiques en forêts communales du site proposé au réseau Natura 2000 n°
28 « forêts riveraines et de ravin, corniches, prairies humides de la vallée de la Cure et du Cousin dans le
nord du Morvan. DIREN – ONF – UEF, Dijon, polycopié : 53 p.
DARGE P., 2001 – Etudes entomologiques en milieux écologiques remarquables de Saône-et-Loire – (forêt
domaniale de Saint-Prix, parcelles forestières 95 à 97, en site Natura 2000). ONF – UEF, Dijon,
polycopié : 44 p.
HORELLOU A., 2001 – Inventaires entomologiques dans quelques localités du parc naturel régional du
Morvan. Bull. Soc. Hist. nat. d’Autun n° 178 : 9-32.
ODDE J.F., 1979 – Contribution à la faune des Coléoptères du Morvan. L’entomologiste, T.35, n° 4-5 : 190196
En forêt domaniale de Glenne (71), un papillon (Discoloxia blomeri) dont la chenille se nourrirait sur
l’orme de montagne a été découvert ; les localités les plus proches seraient en Franche-Comté,
l’insecte vivant plutôt dans les montagnes.
Dans la forêt la plus élevée de Bourgogne, la forêt de Saint-Prix, un autre papillon (Pungelaria
capreolaria), dont la chenille se nourrit de sapin, confirme l’existence d’une faune « montagnarde »
dans le Morvan. Il a été également découvert à Dun-les-Places (58). Dans cette même localité, ou a
Saint-Brisson (58), le caractère montagnard est confirmé avec le carabique Pterostichus pumillo, le
cantharide Podabrus alpinus, ou le pyrochroide Schizotus pectinicornis.
Quelques insectes sont plus particulièrement attachés aux tourbières, comme la chrysomèle
Plateumaris discolor ou le charançon Plinthus findeli. Ceux-ci vivent le plus souvent en altitude. Le
papillon Hydromena furcata se nourrit également dans ou à la périphérie des tourbières. Le criquet
palustre Chorthippus montanus et le conocéphale des roseaux Conocephalus dorsalis fréquentent les
mégaphorbiaies.
La forêt de Planoise abrite l’unique station non montagnarde de France de Chrysomela laponica qui se
nourrit sur les saules marsault.
Certains Coléoptères, tels Glabroplatycis cosnardi, Carabus intricatus et Platycerus caprea, sont plus
particulièrement liés aux secteurs riches en bois mort et surtout, aux forêts anciennes. Une coupe à
blanc de grande étendue les ferait très probablement disparaître pour de nombreuses décennies 
peut-être même de façon irréversible.
En 1978, J.-F. Odde écrit : « La forêt de Planoise nous apparaît pour l’instant comme la plus menacée
par les coupes gigantesques de feuillus que l’on y pratique. Des secteurs entiers comme celui de la
Bondelue, près de Fragny, qui correspondaient aux parties les plus anciennes de la futaie et où
abondaient les vieux arbres creux, ont été entièrement rasés pour être plantés en résineux. Il se pourrait
bien que dans un avenir pas très lointain, et pour peu que l’on persiste dans cette voie, quelques unes
des espèces signalées ici, ne fassent plus partie de la faune du Morvan que dans la littérature. »
Dans la vallée de la Cure, aux environs de Pierre-Perthuis (89), l’existence de pelouses, falaises et
landes à proximité de la forêt et de la rivière favorise la diversité des espèces.
On y trouve des papillons thermophiles dont l’aire de répartition est plutôt méditerranéenne (Satyrium
acaciae, Brintesia circe, Idaea moniliata).
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Un longicorne, Necydalis major, se développe dans les chênaies sèches bien exposées, il est rare en
France.
Un scolyte de l’aulne a été découvert récemment à Dun-les-Places (LACLOS et al. 2004). C’est la seule
localité continentale française connue. L’animal est présent en Corse, et dans la plupart des pays
mitoyens de la France. Il vit dans les rameaux fins de l’aulne glutineux.
S’informer et prendre en compte habitats et espèces remarquables des forêts du Morvan correspond au
huitième engagement du référentiel PEFC contenu dans le cahier des charges de l’Association
Bourguignonne de Certification Forestière.
Deux notions contradictoires et complémentaires : biodiversité et naturalité.
Qu’est-ce-que la biodiversité ?
E. O. Wilson, entomologiste anglais et spécialiste des fourmis, a le premier parlé de « diversité
biologique » en 1984. En 1988, les journalistes reprennent à leur compte cette locution et créent le
néologisme biodiversité ; le mot prend alors une ampleur internationale, en 1992, lors de la convention
de Rio (sommet de la Terre).
Cet essor se traduit dans la communauté scientifique par la création de revues spécialisées en
biodiversité, par des campagnes de prospections sur des groupes mal connus (araignées, algues
marines, poissons ...) et par quelques postes de scientifiques en France axés sur la systématique des
espèces (ex : hydrophytes d’eau douce, annélides).
La « mode » de la biodiversité n’arrive pas au hasard, elle correspond au début d’une grande vague
d’extinction d’espèces qui frappe notre planète. Pour la première fois, les activités d’un être vivant 
l’homme  causent la disparition d’un nombre élevé d’autres êtres vivants. Cette vague d’extinction
d’espèces peut être comparée en ampleur à celle qui a accompagné la disparition des dinosaures.
Le terme de biodiversité a fait l’objet de multiples définitions dont voici un échantillon :
« La biodiversité est la variété des organismes du monde entier, incluant la diversité génétique et les
assemblages formés par les gènes. Le cœur du concept reflète les interrelations entre gènes, espèces et
écosystème ». (REID & MILLER, 1989).
« La diversité biologique regroupe l’ensemble des espèces de plantes, animaux et micro-organismes et
les écosystèmes et les processus écologiques dont ils font partie. C’est un terme parapluie illustrant la
variété des degrés de la nature, incluant aussi bien fréquence et nombre d’écosystèmes, espèces et
gènes dans un assemblage donné » (MC NEELY, 1990).
« La biodiversité est la variété totale de la vie sur terre. Elle inclut tous les gènes, espèces, et
écosystèmes et les processus écologiques dont ils font partie » (ICBP, 1992).
« La biodiversité : variété structurelle et fonctionnelle des variétés de formes dans la vie, aux niveaux
génétiques, populations, espèces et communautés » (SANDLUND et al., 1993).
Trois niveaux ressortent de l’ensemble de ces définitions :
-
la diversité écologique qui traduit la variété des habitats ou des l’écosystèmes ;
la diversité spécifique qui traduit la variété des espèces ;
la diversité génétique qui traduit la variété des gènes au sein de chaque espèce.
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La biodiversité est-elle une fin en soi ?
Depuis que l’homme intervient de façon significative sur la nature, on peut considérer qu’il a
largement enrichi la diversité du monde vivant, tout au moins dans le Morvan et, de façon plus large,
dans nos contrées bourguignonnes. C’est sans doute au début du Moyen âge (500 après J-C) que la
biodiversité a atteint son point culminant : il restait encore bon nombre des espèces de la grande sylve
primitive et l’ouverture du manteau forestier à des fins agro-pastorales avait permis l’apparition d’une
faune et d’une flore d’origine méridionale (ou cantonnée aux milieux alluviaux jusqu’alors), qui garnit
aujourd’hui les milieux ouverts agricoles.
Dans la période qui suit, ce sont surtout les espèces forestières qui pâtissent des grandes défrichements
et surtout, dans le Morvan, des exploitations intensives de bois qui culminent au début du XIXème
siècle. Mais, si quelques plantes, champignons ou animaux vivant à l’abri des grandes forêts naturelles
disparaissent, ils sont en petit nombre et largement compensés par le fort contingent des espèces de
milieux ouverts (prairies, champs…). Certaines espèces forestières trouvent malgré tout refuge dans
des forêts royales ou cléricales mieux protégées ou dans des zones reculées, difficiles d’accès.
Pour la première fois, au XXème siècle, et plus particulièrement à partir des années 1950, un décalage
manifeste se produit entre les activités économiques et la biodiversité.
Ce décalage s’exprime à plusieurs niveaux :
Biodiversité génétique :
- disparition de la plupart des races et variétés de plantes cultivées et d’animaux sélectionnés
non productifs ;
- introduction de génotypes d’arbres étrangers à la région (chênes de Hollande par exemple).
Biodiversité écologique :
- disparition, par abandon, de milieux agricoles improductifs (prairies naturelles tourbeuses,
petites cultures sur sols pauvres) ;
- altération générale des milieux humides par drainage et enrésinement ;
- destruction de milieux naturels par urbanisation, extension des voies de communication et
activités de loisirs.
Biodiversité spécifique :
- disparition des espèces liées étroitement aux milieux altérés, détruits ou abandonnés (prairie
de fauche, pelouses acidiphiles sèches et tourbières par exemple mais aussi forêts)
- disparition des espèces à grand domaine vital (grands rapaces) ou à faible capacité de
dispersion (lichens, insectes…) en raison du fractionnement de leur territoire.
A l’inverse, le développement des voies de communication apporte un contingent important d’espèces
d’origine étrangère qui viennent s’ajouter aux espèces locales. C’est particulièrement vrai le long des
cours d'eau mais aussi le long de certaines routes forestières. Les friches industrielles encouragent
également l’apparition de nouvelles espèces. Il s’agit dans la plupart des cas d’introductions
involontaires.
Les introductions volontaires apportent également une biodiversité supplémentaire, que ce soit dans
les forêts (résineux), dans les cours d’eau (poissons et crustacés divers) ou dans les agglomérations
(plantes ornementales).
En Bourgogne, c’est sans doute le jardin botanique de l’Arquebuse à Dijon qui tient le haut du pavé en
matière de biodiversité. Faut-il pour autant le prendre pour modèle ?
La biodiversité n’est ni une fin ni un objectif, c’est un indicateur parmi d’autres. Quelle est alors la
fin ?
Pour simplifier la question, plaçons-nous  de façon un peu provocatrice  à l’échelle de l’entreprise
de travaux forestiers : que pourrait souhaiter aujourd’hui cette entreprise ?
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1.
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3.
Gagner le plus d’argent possible.
Que ça dure le plus longtemps possible.
Ne pas essuyer de critiques.
Le premier point dépend largement du contexte socio-économique que nous ne maîtrisons pas.
Le second point nous oblige à réfléchir sur la notion de gestion durable qui intègre les aspects
écologiques et plus particulièrement les aspects fonctionnels de l’écosystème forestier (relations
sol/végétation, renouvellement des forêts etc…). La biodiversité intervient ici dans la mesure où une
règle reconnue de l’écologie est que plus un écosystème est complexe et diversifié, plus grandes sont
ses chances de résister aux agressions. Cette règle, les forestiers en ont fait cruellement l’expérience
par ignorance dans les peuplements monospécifiques et équiens d’épicéas de la forêt de Saint-Prix
soumis aux attaques des scolytes (CHARARAS, 1961). Une forêt mélangée résiste mieux, un
écosystème riche est plus solide, c’est à dire qu’il est moins soumis à des fluctuations importantes de
la biodiversité.
Le troisième point nous relie à notre société, à ses contradictions, à ses aspirations.
Encadré n° 2 : évolution du regard de la société occidentale sur la forêt
Avant 1800, la société française est essentiellement rurale et seuls les pouvoirs en place ou quelques rares
intellectuels contestataires comme Montaigne se plaignent de la gestion ou plutôt de la surexploitation des
forêts. A partir de 1800, une fracture importante s’opère :
- la société perd progressivement sa ruralité avec le début de l’ère industrielle ;
- le mouvement romantique et ses différentes composantes attire l’attention sur l’importance de la forêt pour
l’homme : la nature (et plus spécialement sa forme la plus sauvage qu’est la forêt) est le miroir de l’âme. Il y
a donc un lien réflexif entre l’homme et la forêt  qui évoluera par la suite  et que l’on peut résumer ainsi :
« un esprit sain dans une forêt saine » ou plutôt « la nature de l’esprit s’épanouit au contact de la forêt
naturelle ».
Même si plus tard, les aspects psychologiques de la forêt sur l’homme sont un peu oubliés, les romantiques
ouvrent la voie à une forme d’hygiénisme que reprend le code forestier de 1827 : « Ce n’est pas seulement par
les richesses qu’offre l’exploitation des forêts sagement combinée qu’il faut juger de leur utilité : leur
existence même est un bienfait inappréciable pour les pays qui les possèdent, soit qu’elles protègent et
alimentent les sources et les rivières, soit qu’elles soutiennent et raffermissent le sol des montagnes, soit
qu’elles exercent sur l’atmosphère une heureuse et salutaire influence. » Cette fois, l’idée générale est : « un
corps sain dans une forêt saine ».
Cet hygiénisme encourage à considérer que les forêts sont utiles à la santé publique, il sera largement repris à
partir des années 1960 dans les thèses de l’écologie. L’échelle spatiale se déplace cependant : les forêt sont
nécessaires au bon équilibre de la planète. Les excès dans la destruction des forêts tropicales sont à l’origine
de ce changement d’échelle. Une association nouvelle s’opère à ce sujet : forêt = biodiversité. L’homme est
donc rendu responsable de la réduction de la biodiversité, mais surtout au travers de l’expression la plus
aboutie de la nature : la forêt. Pourtant l’appauvrissement concerne d’autres domaines.
Le regard de la société occidentale change : nature = forêt = biodiversité, d’où l’idée un peu réductrice qui
émerge : ce qui est naturel est riche et bon pour l’homme.
Au concept de biodiversité, s’ajoute celui de naturalité qui prend depuis peu une place grandissante.
Le concept de naturalité n’est pas rigoureusement borné et les interprétations varient suivant les
auteurs ; à défaut d’un consensus, on définira la naturalité par opposition aux perturbations dues à
l’homme. Il s’agit donc d’un gradient dont le niveau le plus bas serait un milieu (théorique) totalement
artificiel et le niveau le plus haut, un milieu (théorique) totalement naturel.
Le milieu théorique totalement naturel est dans la plupart des cas la forêt, ce qui permet de superposer
à nouveau nature et forêt. Or, nous avons vu qu’une bonne partie de la biodiversité était le produit des
activités agro-pastorales, mais aussi sylvicoles. Y aurait-il donc un hiatus ? Faut-il opposer
biodiversité et naturalité ? Quoi de moins naturel que le jardin botanique de l’Arquebuse et pourtant
quoi de plus riche ?
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On peut opposer la naturalité à la biodiversité dans la mesure où une forêt naturelle sans gros
bouleversements  ce qui serait le cas de l’ensemble des forêts du Morvan en l’absence
d’interventions humaines  posséderait un nombre d’espèces sensiblement réduit par rapport à celui
d’une forêt travaillée dans les conditions actuelles. Souvent, ce que l’on perd en naturalité, on le gagne
en biodiversité.
Bien sûr, il faut intégrer à ce raisonnement une échelle de temps qui peut amener à tempérer cette
dernière affirmation. Si nous nous plaçons à l’échelle du siècle  qui a connu une stabilité climatique
remarquable  le raisonnement est juste ; à l’échelle de mille ans, on peut supposer que de petits
accidents climatiques tels qu’inondation, sécheresse, froid, sont venus apporter des perturbations
susceptibles d’enrichir en espèces (et en milieux ?) le Morvan. A l’échelle de 20 000 ans, le
raisonnement est faux, puisque nous sommes passés de la toundra à la forêt tempérée, ce qui montre
une belle palette de biodiversité naturelle. Pour nous, l’échelle de temps la plus adaptée est celle de la
durée de vie que nous donnons à un peuplement forestier  soit une cinquantaine d’années pour les
résineux et une centaine pour les feuillus.
Biodiversité et naturalité représentent les deux faces d’un pôle ambivalent. Ce sont effectivement des
principes opposables puisque la naturalité réduit la biodiversité, et inversement, mais ce sont
également deux principes complémentaires. On peut dire que la nature est partagée entre deux grandes
énergies : l’une est progressive  elle permet la colonisation des milieux et l’édification des forêts,
pour parvenir à cet état de maturité précaire appelé climax  l’autre est régressive, elle tente de nous
ramener constamment à la case départ. Par conséquent, il ne s’agit plus de choisir entre l’un ou l’autre
de ces principes, mais de déplacer la question sur une échelle spatio-temporelle plus vaste.
Et l’homme dans tout cela ?
L’homme paradoxalement relève de ces deux grandes énergies. Il participe aux forces progressives
lorsqu’il tente de prévenir les « risques naturels » en exploitant les arbres dépérissants et en prévoyant
leur renouvellement, en pratiquant la futaie irrégulière sur des fortes pentes soumises à l’érosion, en
prévenant les attaques de scolytes par élimination précoce des arbres attaqués, mais il s’allie aux
forces régressives s’il participe à la dégradation des sols par des débardages mal conduits, s’il déboise
de larges surfaces sans se préoccuper d’en évaluer les conséquences, s’il pratique des coupes trop
rapprochées qui épuisent les sols...
Pour rester pragmatiques, comment pouvons-nous gérer ces concepts ambivalents à notre échelle de
travailleur forestier ? Comment ménager la chèvre et le chou, ou plutôt, le chevreuil et le gland ?
Deux attitudes sont possibles :
-
-
l’action. En forêt, ce choix est caractérisé essentiellement par la coupe des végétaux ligneux ; ce
faisant, la place que les arbres libèrent amène de la lumière, donc de l’énergie qui permet
l’installation de nouvelles espèces. L’action  quant elle se situe à des niveaux raisonnables 
favorise globalement la biodiversité. La création de piste, l’aménagement de places de dépôt se
situent également à ce niveau.
L’inaction. Se contenter d’observer et de laisser évoluer les êtres vivants qui composent la forêt
permet l’installation de relations élaborées entre les êtres vivants qui favorisent un état d’équilibre
naturel en perpétuelle et lente évolution. L’inaction favorise la naturalité.
Faire est donc aussi important que ne rien faire. Pourtant le « faire » est la justification de l’existence
d’une entreprise et les compromis s’annoncent difficiles.
Pour sortir de cette voie apparemment sans issue, il faut situer la position de chacun des acteurs de
l’amont de la filière bois par rapport à une échelle différente d’interventions qui forme un système
d’emboîtement :
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-
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Le propriétaire : l’abandon de certaines portions de forêts à leur libre évolution est affaire de prise
de conscience « écologique », mais c’est aussi faire le choix de gagner moins d’argent. Pour
limiter les pertes de revenus, le propriétaire doit être conseillé par son gestionnaire.
Le gestionnaire : ce peut être un expert forestier ou l’entreprise de travaux forestier elle-même,
voire l’ONF dans le cas des forêts publiques. Le gestionnaire doit être à même de conseiller le
propriétaire sur les meilleurs compromis possibles entre la perte de revenus qu’implique le « nonfaire » et la richesse naturelle de la forêt qu’il souhaite préserver. Dans certains cas, comme les
portions de forêt marécageuses ou inaccessibles en raison de leur relief, la perte de revenus est
quasi nulle, les coûts d’exploitation étant trop élevés. Par ailleurs, lors de grandes coupes, des
fragments du peuplement d’origine peuvent être laissé en place pour des raisons paysagères ; aux
considérations esthétiques qui participent à la « paix sociale » s’ajoute une plus-value écologique.
Le prestataire de services : il s’agit de l’entreprise de travaux forestiers, du bûcheron, du débardeur
et de tous ceux qui façonnent la forêt au plus près. Dans ce cas, le « non-faire » consiste à éviter la
répétition systématique des gestes de travail qui aboutissent une prestation normalisée
indépendante du contexte forestier dans lequel le travail s’effectue. En pratique, les résultats
peuvent aboutir aussi bien à la sauvegarde d’une fourmilière, d’un arbre mort, d’une grosse souche
que d’un jeune bouleau… Bien souvent la volonté de faire propre et net, de laisser avec fierté un
chantier « impeccable » correspond à un appauvrissement écologique qui aurait pu être facilement
évité. La « négligence » des uns peut être la « richesse » des autres !
Qu’est-ce que seraient les forêts sans l’intervention de l’homme ?
Cette question ne relève pas de la rêverie nostalgique déplacée d’un promeneur en mal de nature. En
essayant d’avoir en tête une image des forêts avant que l’homme ne les façonne, il est possible, d’une
part, de mesurer l’écart entre la forêt dans laquelle on travaille et ce qu’elle a pu être et, d’autre part,
d’essayer de réduire tant que faire ce peut, cet écart afin de se rapprocher d’un modèle de
fonctionnement compatible avec la biologie de toutes les espèces qui composent la forêt.
Ce qui nous manque le plus pour imaginer les forêts d’origine du Morvan, ce sont les échelles
d’espace et de temps. Les raisonnements que nous tenons à l’échelle de la parcelle ou de la forêt n’ont
pas de sens à l’époque néolithique ; c’est à l’échelle du paysage qu’il faut regarder la structure
forestière.
Il est tentant de rechercher, dans cette forêt d’origine, nos propres modèles sylvicoles et il est probable
qu’on les y retrouverait tous mêlés en un désordre défiant nos typologies et nos normes.
De grandes trouées témoignent des accidents climatiques, elles régularisent les peuplements ;
De petites trouées révèlent un arbre ou un petit groupe d’arbres cassés, arrachés ou morts parce que
trop âgés.
Futaie régulière et futaie irrégulière se côtoient sans sylviculteur pour les nommer.
On pourrait alors penser que les forêts actuelles ne sont pas si différentes de celles qu’ont parcourues
nos premiers ancêtres, mais deux éléments fondamentaux creusent l’écart :
-
les grands ongulés qui façonnent la structure des forêts et particulièrement les clairières ;
le volume de bois mort.
Les grands ongulés du Morvan ont diminué aussi bien en variété d’espèces qu’en nombre d’individus.
Les quelques sangliers et chevreuils d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les grands troupeaux
d’aurochs, d’élans, de cerfs et autre bétail des origines. Ces animaux étaient attirés par les trouées de
chablis où ils trouvaient à la fois de la nourriture (herbes plus abondantes), le soleil et les buissons
nécessaires, dans certains cas, à leur reproduction. Ces clairières subissaient donc une pression de
pâturage plus forte que dans le reste de la forêt et pouvaient même acquérir une certaine stabilité à
moyen terme. Elles accueillaient, à l’époque, certaines plantes aujourd’hui reléguées aux milieux
agricoles abandonnés, aux forêts surexploitées, ou aux lisières forestières.
On sait par ailleurs que la proximité de gros bois morts et des fleurs liées à ces clairières est nécessaire
à la biologie de certains insectes. En effet, les stades larvaires de certains Coléoptères, Diptères ou
Hyménoptères requièrent des bois morts de plus ou moins grandes dimensions alors que les insectes
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parfaits de ces mêmes larves fréquentent et se nourrissent sur des fleurs dont bon nombre ne peuvent
s’épanouir qu’en dehors du couvert forestier. Nous avons là une bonne illustration de la
complémentarité soleil/ombre qui correspond dans la gestion forestière au faire et au non-faire.
Ce qui nous manque le plus, finalement, dans le paysage forestier d’aujourd’hui, c’est bien le volume
de bois mort. Un tronc de hêtre d’un mètre de diamètre qui tombe à terre peut mettre un siècle à se
décomposer complètement ; on imagine mal le volume que pouvaient représenter ces forêts entières
qui retournaient à l’humus nourrir les suivantes. La disparition progressive des grands volumes de bois
morts consécutive à la part grandissante des prélèvement dus à l’homme a été corrélée avec la
disparition d’un nombre significatif d’insectes et champignons liés à ce support, cet abri ou cette
nourriture. Aujourd’hui, ces espèces, quand elles n’ont pas complètement disparu, présentent une aire
de distribution morcelée en Europe et bien souvent localisée à quelques massifs montagneux où les
conditions d’exploitation rendent difficiles le « nettoyage » régulier des forêts.
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