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Valeur prédictive du scanner abdomino-pelvien pour la
chirurgie optimale des carcinomes de l’ovaire
● S. Taïeb*, F. Bonodeau*, P. Besson*, E. Leblanc**, Ph. Vennin***, C. Fournier****
P
rès de deux-tiers des tumeurs ovariennes sont diagnostiquées à un stade évolué de la maladie quand il
existe déjà une extension intrapéritonéale (1). Même
si les progrès des techniques chirurgicales et l’utilisation des sels
de platine et des taxanes ont permis d’augmenter le taux de mise
en rémission clinique et histologique, la majorité des patientes
récidivent et le taux de survie à cinq ans, tous stades confondus,
ne dépasse pas 35 % (8 à 23 % pour les stades III et IV) (2).
La stratégie thérapeutique actuelle comporte en premier lieu une
intervention chirurgicale permettant le diagnostic histologique,
la stadification précise, et une réduction la plus complète possible des lésions. La survie des patientes est en effet liée au
volume du reliquat unitaire tumoral après la première laparotomie (3).
Après cette intervention, une chimiothérapie adjuvante est habituellement proposée aux patientes d’un stade supérieur au
stade Ia grade 1 (4).
Les patientes présentant des lésions non résécables d’emblée
bénéficient classiquement d’une chirurgie de réduction agressive, suivie d’une chimiothérapie et d’une reprise chirurgicale.
Or, cette chirurgie maximale d’emblée présente un certain
nombre d’inconvénients :
● L’exérèse des lésions est très opérateur-dépendante (5), et
n’est pas toujours possible (6).
● Elle peut être à l’origine d’une morbidité non négligeable, qui
retarde d’autant la chimiothérapie (7).
● Son rôle n’est curatif que s’il n’existe pas de résidus macroscopiques en fin d’intervention. Son efficacité est moindre en
cas de résidus visibles, et quasiment nulle si les résidus ont une
taille supérieure ou égale à 2 cm (8).
Plusieurs études (9, 10) ont montré qu’aux stades avancés de la
maladie une chirurgie extensive avait une morbidité importante
sans bénéfice démontré en termes de survie. Une tendance
actuelle est donc de proposer à ces patientes une chimiothérapie
première, comportant généralement une association taxane et
sels de platine, à visée de réduction tumorale, suivie éventuellement d’une nouvelle tentative d’exérèse maximale en cas de
réponse tumorale. Cette attitude, qui est une proposition thérapeutique nouvelle, est en cours d’évaluation.
* Département de radiologie, Centre Oscar-Lambret, 1, rue Frédéric
male, 59020 Lille Cedex.
** Département de chirurgie, Centre Oscar-Lambret, 1, rue Frédéric
male, 59020 Lille Cedex.
*** Département d’oncologie, Centre Oscar-Lambret 1, rue Frédéric
male, 59020 Lille Cedex.
**** Département d’analyse statistique, Centre Oscar-Lambret, 1, rue
Combemale, 59020 Lille Cedex.
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CombeCombeCombeFrédéric
Le but de ce travail est d’évaluer la valeur prédictive du scanner
abdomino-pelvien préopératoire quant à la possibilité de réaliser
une exérèse optimale des lésions afin d’épargner à ces patientes
porteuses d’une tumeur évoluée une intervention incomplète. La
nature histologique des lésions est dans ce cas obtenue par biopsie transcutanée sous contrôle scanner ou échographique.
PATIENTES ET MÉTHODES
De janvier 1992 à décembre 1997, 96 patientes ont bénéficié
dans notre institution d’une exploration chirurgicale pour cancer
de l’ovaire. Nous avons retenu un groupe homogène de
39 patientes qui réunissaient les critères suivants : délai entre
TDM et chirurgie inférieur à quatre semaines ; exploration chirurgicale de toute la cavité abdomino-pelvienne ; technique
d’examen TDM standardisée.
Pour les 39 patientes, 42 interventions chirurgicales ont été
effectuées : 36 avant tout traitement, 6 après chimiothérapie.
Trois patientes ont été opérées avant et après chimiothérapie.
La stadification chirurgicale a été faite 21 fois par laparotomie,
19 fois par cœlioscopie, 2 fois par cœlioscopie complétée par
laparotomie.
La moyenne d’âge des 39 patientes est de 59 ans (32-74). Il y a
2 patientes de stade Ic, une de stade IIc, 22 de stade III (4 IIIa,
3 IIIb, 15 IIIc) et 14 de stade IV. Les types histologiques sont :
carcinome séreux papillaire (33 cas), carcinome mucineux
(1 cas), carcinome indifférencié (5 cas), carcinome à cellules
claires (1 cas), carcinome endométrioïde (1 cas), cystadénofibrome séreux invasif (1 cas).
En accord avec notre chirurgien, nous avons déterminé rétrospectivement, à la fin de la première période (1995), les critères
TDM qui contre-indiquent une chirurgie d’exérèse optimale.
Neuf avaient déjà été validés par la littérature (11, 12) : présence
de lésions de plus de 2 cm en regard du diaphragme, du mésentère, du lit vésiculaire ou du hile portal, du parenchyme hépatique, de la rate, de l’estomac ou de l’arrière-cavité des épiploons ; présence d’un épanchement pleural ou de nodules
pleuraux, d’adénopathies lombo-aortiques ou supra-rénales,
d’une extension de la lésion aux parois du pelvis. Nous en avons
testé deux autres : présence de lésions de plus de 4 cm au niveau
du grêle et de l’epiploon infra-colique. Nous avons par ailleurs
dissocié l’atteinte sus-diaphragmatique en deux items : présence
de nodules pleuraux de plus de 1 cm et présence d’un épanchement pleural. Durant la deuxième période (1995-1997), ces critères ont été étudiés de manière prospective. La présence d’un
La Lettre du Gynécologue - n° 254 - septembre 2000
seul de ces critères en TDM a été définie comme suffisante pour
déclarer l’inopérabilité de la patiente. Les critères d’inopérabilité ainsi définis ont été comparés a posteriori au résultat de la
chirurgie pratiquée dans tous les cas : chirurgie optimale ou non.
Un seul chirurgien a pratiqué l’ensemble des actes opératoires,
sans connaissance des résultats du scanner quant à la prévision
d’opérabilité donnée par celui-ci. Le chimiothérapeute, présent
au bloc opératoire lors de la décision d’inopérabilité, connaissait, lui, les résultats du scanner.
Trois lectures des examens TDM ont été réalisées par deux
radiologues : une lecture en temps réel (L1a), une deuxième lecture rétrospective (L1b) avec un délai de 3 mois à 6 ans par le
lecteur n°1, une troisième rétrospective par le lecteur n° 2 (L2).
Les trois interprétations ont été comparées aux comptes-rendus
opératoires. Pour chacune des trois lectures, les 42 comparaisons ont été classées en quatre groupes : patientes dont la chirurgie optimale n’a pas pu être réalisée (patientes inopérables
d’emblée ou résidu tumoral laissé en place de plus de 1 cm) et
classées comme telles (vrais positifs) ou non (faux positifs) en
TDM, patientes dont la chirurgie optimale a pu être réalisée et
classées comme telles (vrai négatifs) ou non (faux négatifs) en
TDM.
Le taux d’agrément de l’imagerie a été mesuré pour les trois lectures (VP + VN/42). La valeur de l’imagerie médicale a été
mesurée en termes de sensibilité, spécificité, valeur prédictive
positive et valeur prédictive négative.
La reproductibilité intra- et inter-observateur a été évaluée par la
mesure du Kappa test pour chacun des critères et pour la valeur
prédictive globale de l’imagerie (13).
RÉSULTATS
Vingt-trois patientes n’ont pas eu de chirurgie optimale : soit
après chimiothérapie pour l’une d’elles, soit de novo. La stadification avait été réalisée 13 fois par cœlioscopie (complétée
2 fois par une laparotomie) et 10 fois par laparotomie d’emblée.
Vingt et une patientes n’ont eu aucune tentative d’exérèse car
elles étaient d’emblée inopérables. Deux ont eu une résection
laissant en place un résidu tumoral de plus de 1 cm. Dix-neuf
patientes de ce groupe sont décédées dans un délai de six mois à
quatre ans après le diagnostic, dont les deux résections incomplètes. Une patiente est actuellement évolutive, et 3 ont été réintégrées dans le groupe des patientes qui ont eu une chirurgie
optimale après six cycles de chimiothérapie.
Dix-neuf patientes, dont les 3 de stades I et II, ont eu une chirurgie optimale (pas de résidu tumoral macroscopiquement visible
13 fois, résidu inférieur à 1 cm 6 fois). Pour cinq patientes, cette
chirurgie a été rendue possible par trois à six cures de chimiothérapie (deux d’entre elles sont en rémission clinique avec un
recul de deux et trois ans ; deux sont actuellement évolutives et
une est décédée). La stadification a été faite 7 fois par cœlioscopie, 12 fois par laparotomie d’emblée. Actuellement, dans le
groupe des patientes opérées de manière optimale, 9 sont en
rémission, 6 sont évolutives, 4 sont décédées.
Les résultats TDM, qui varient peu en intra-observateur, sont
plus disparates en inter-observateur. Néanmoins, les indicateurs
de concordances, mesurés par le Kappa test, sont jugés comme
bons à très bons, notamment en inter-observateur, où les
La Lettre du Gynécologue - n° 254 - septembre 2000
patientes mal classées le sont pour les deux observateurs 8 fois
sur 13.
Deux patientes ont été déclarées opérables à tort par les trois
lectures : elles avaient une miliaire péritonéale qui a fait récuser
l’exérèse. Pour la troisième patiente, déclarée opérable à tort,
l’extension pelvienne de la lésion ovarienne a été sous-estimée
par la première lecture du lecteur 1 ; les deux autres lectures
n’ont pas fait cette sous-estimation.
Dans le groupe des patientes déclarées non opérables à tort, 5
l’ont été par les 3 lectures, 1 par 2 lectures, enfin 4 par une lecture. Actuellement, 2 sont décédées, 6 sont évolutives et 2 sont
en rémission complète avec un recul de 3 ans (1 cas), de 7 ans
(1 cas).
En ce qui concerne l’extension sus-diaphragmatique, une
patiente non opérable avait des nodules pleuraux associés à
l’épanchement et 9 patientes avaient un épanchement pleural
isolé (5 dans le groupe non opérable, 4 dans le groupe opérable).
Le critère “épanchement pleural” sans nodules pleuraux mesurables a donc été considéré comme un mauvais critère et éliminé. De même pour les critères “présence de tumeurs de plus
de 4 cm sur l’épiploon infracolique et sur le grêle” : la valeur du
Kappa test inter-observateur était proche de zéro. Ces critères
ont donc été considérés comme non reproductibles et éliminés.
Leur élimination réduit le nombre de patientes jugées inopérables à tort de 10 à 2. La première était considérée inopérable
pour les trois lectures, avec l’unique critère d’extension aux
parois pelviennes. Il s’agissait d’une forme histologique particulière : cystadénofibrome séreux invasif ; cette patiente (stade
IIIc) est actuellement en rémission, avec un recul de deux ans.
La deuxième patiente était jugée inopérable par le lecteur 2 avec
surestimation des lésions diaphragmatiques. Elle est actuellement en poursuite évolutive. Au total, les performances du scanner sont les suivantes : sensibilité 91 % (21/23), spécificité
95 % (18/19), VPP 95 % (21/22), VPN 90 % (18/20).
CONCLUSION
Le scanner abdomino-pelvien est largement utilisé lors de la
phase diagnostique des cancers ovariens évolués. Il permet la
mesure des volumes tumoraux lors du bilan initial de la maladie,
la recherche de métastases hépatiques, et peut aider au diagnostic de l’origine d’une carcinose péritonéale.
L’objet de ce travail était d’évaluer le rôle prédictif de l’examen
tomodensitométrique chez les patientes atteintes d’un cancer de
l’ovaire évolué pour définir la prise en charge initiale : chirurgie
première ou chimiothérapie néoadjuvante.
La limite de l’utilisation de tels critères est le risque d’une perte
de chance pour les patientes déclarées inopérables à tort si l’on
ne prend en compte que les critères d’imagerie. Ce risque est
néanmoins théorique : la survie des patientes de stades III et IV
en fonction du choix thérapeutique initial n’est pas modifiée
(9, 10), et la plupart des patientes mises en rémission récidivent.
Il n’existe pas à l’heure actuelle de facteurs prédictifs de l’agressivité intrinsèque des tumeurs ovariennes qui permettraient de
doser l’agressivité thérapeutique.
S’il ne nous paraît pas possible de substituer de manière systématique l’examen tomodensitométrique à la chirurgie initiale
des cancers de l’ovaire, il permet d’évaluer l’opérabilité lors de
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lésions manifestement très évoluées ou en cas de morbidité opératoire prévisible. De plus, du fait de sa bonne valeur prédictive
négative, il nous paraît fondamental d’insister sur le fait que les
patientes qui ne présentent pas de facteurs d’inopérabilité en
TDM doivent être traitées impérativement par chirurgie première, qui reste la meilleure option thérapeutique quand elle est
complète. L’analyse stricte et multidisciplinaire des critères
retenus comme critères définitifs sera alors une aide appréciable
lors du choix thérapeutique : chirurgie première ou chimiothérapie néoadjuvante. La nature histologique des lésions est alors
déterminée par une biopsie sous contrôle échographique ou
tomodensitométrique.
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XIe Congrès de la SFOG
Bordeaux, 17 et 18 novembre 2000
Renseignements et inscriptions :
3, place C. Saint-Saëns,
33600 Pessac.
Tél. : 05 56 96 73 10.
E-mail : [email protected]
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