La taxonomie et les collections d’Histoire Naturelle à l’heure de la 6ième extinction Sarah SAMADI (MNHN, ISyEB, UMR7205) & Anouk BARBEROUSSE (Univ Lille 1) “Whereas physicists deal with a cosmos assembled from 12 fundamental particles, biologists confront a planet populated by millions of species.” Hebert 2003 PROC L’espèce « pré-évolutionniste » « L'espèce est la réunion des individus descendus l'un de l'autre et de parents communs, et de ceux qui leur ressemblent autant qu'ils se ressemblent entre eux. » « ensemble d’individus qui engendrent, par la reproduction, d’autres individus semblables à euxmêmes … … nous comptons aujourd'hui autant d'espèces qu'il en fut créé à l'origine » Cuvier (1769-1832) Linné (1707 - 1778) Candolle 1778-1841, «Le barbet et le lévrier ne font qu’une espèce puisqu’ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d’autres, au lieu que le cheval et l’âne sont certainement de différentes espèces puisqu’ils ne produisent entre eux que des individus viciés et inféconds. » « L'espèce est la collection de tous les individus qui se ressemblent plus entre eux qu'ils ne ressemblent à d'autres; qui peuvent, par une fécondation réciproque, produire des individus, fertiles et qui se reproduisent par la génération, de telle sorte qu'on peut, par analogie, les supposer tous sortis originairement d'un seul individu. » Buffon (1707-1788) Dans un monde « pré-Darwinien » • La question de l’origine des espèces n’est pas du ressort de la science (renvoie à une «création»): l’existence de la catégorie espèce est dans ce cadre «originelle» • Dans ce paradigme, les espèces sont définies de façon généalogique (descendants issus d’un couple originel) • La ressemblance ou l’interfécondité sont des critères qui permettent de déterminer si un ensemble d’individus appartient ou pas à la même espèce Barberousse A, Samadi S. 2010. Species from Darwin onward. Integrative zoology. 5: 187-197 La révolution Darwinienne Charles Darwin (1809-1882) Cette vision discontinue du monde vivant est perturbée par Darwin (1859) : changement continu au cours du temps et apparentement généalogique entre les espèces. La révolution Darwinienne L’objet de la théorie de Darwin est de fournir des explications à l’existence de ces ensembles disjoints que l’on nomme « espèces ». Décrire vs. Expliquer • Décrire : description des espèces actuelles et fossiles, les agencer dans le temps (dérouler le film de l’évolution). • Expliquer : comprendre les causes de cette histoire (proposer des modèles explicatifs). La Sélection Naturelle : un modèle explicatif • Les faits : diversité actuelle et fossile et sa structuration (pattern discret à un instant et pattern continu dans le temps) • Le modèle existant : chaque espèce résulte d’un événement unique de génération (création) • Les données expérimentales qui permettent de proposer un modèle : la sélection artificielle (expérimentation peu contrôlée) • Les données accumulées ont permis de conforter et d’affiner le modèle (par exemple en introduisant des raisonnements probabilistes) Chaque organisme a une existence délimitée dans l’espace et le temps Les organismes peuvent se reproduire Les descendants issus de ces événements de reproduction peuvent présenter des différences héritables avec leurs parents. Les organismes forment un réseau généalogique qui a une structure arborescente Chaque organisme a une existence délimitée dans l’espace et le temps Les organismes peuvent se reproduire Les descendants issus de ces événements de reproduction peuvent présenter des différences héritables avec leurs parents. Les organismes forment un réseau généalogique qui a une structure arborescente Théorie de l’évolution : la structure arborescente résulte des processus de tri aléatoire (dérive) et sélectif (sélection naturelle) L’action de ces deux processus est déterminée : par les caractéristiques intrinsèques des organismes par le contexte spatio-temporel dans lequel ils se trouvent Biodiversité = degré d’arborescence du réseau Espèce = unité de décompte de cette diversité Spéciation = division définitive du réseau généalogique Extinction Spéciation Une autre espèce Une espèce Spéciation Spéciation Samadi & Barberousse, Biol J Linn Soc 89 Samadi & Barberousse Biosystema 24 Pour quantifier la biodiversité, l’espèce doit donc être définie comme un entrenœud Dans la pratique … délimiter les espèces = établir des hypothèses sur la structure du réseau généalogique Samadi S, Barberousse A. 2009. Species: Towards new, well-grounded practices. Biological Journal of the Linnaean Society. 97:217–222 Les individus au sein d’une espèce forme un réseau généalogique La séparation des sous-réseaux (= différentes espèces) est définitive (i) Similarité des caractères héritables (i) alpha-taxonomie (morphologie ou molecules) (ii) interfécondité, flux de génes (ii) Génétique et biologie des populations (iii) Partage d’une histoire commune (iii) Reconstruction phylogénétique Pourquoi les « espèces » sont des hypothèses … Comment inférer la structure passée du réseau ? => établir des divergences Comment statuer sur l’avenir de cette structure ? => établir que la divergence est définitive La « gray zone » De Quieroz, 1998 Inventorier et décrire les espèces c’est proposer des hypothèses sur la structure du réseau généalogique Ces hypothèses permettent de conforter et d’affiner les explications apportées par la théorie de l’évolution Daphnia lumholtzi & Daphnia monacha A A Agrawal Science 2001;294:321-326 Two individuals of a single clone of the Asian and African water flea, Daphnia lumholtzi. The individual on the left was exposed to chemical cues from predaceous fish (induced); the individual on the right was not (control). The sharp helmet and extended tail spine of the induced morph protect D. lumholtzi from fish predators. The uninduced form was formerly described as a different species (D. monacha Brehm 1912). Green (83), in an accurate and prophetic study, related the occurrence of both morphs to differences in fish predation. The induction of this morphological defense has now been implicated as a key factor in the success of D. lumholtzi invading North America (84). Based on morphology and mitogenomic sequence data, we show that fishes currently assigned to three families with greatly differing morphologies, Mirapinnidae (tapetails), Megalomycteridae (bignose fishes) and Cetomimidae (whalefishes), are larvae, males and females, respectively, of a single family Cetomimidae. Taxonomie Critère phénétique X. sp 1 X. sp 2 X. sp 3 X. sp 4 Critère phylogénétique Taxonomie Integrative Cf. Samadi S, Barberousse A. 2009. Species: Towards new, well-grounded practices. Biological Journal of the Linnaean Society. 97:217–222 X. sp 1 X. sp 2 X. sp 3 X. sp 4 … De nouvelles méthodes allient les différents critères > Multi-marqueurs > Méthodes issues de la reconstruction Phylogénétique et de la théorie de la coalescence Taylor et al. (Fungal Genetics and Biology, 2000) La définition de la catégorie « espèce » offre un outil pour caractériser la structure du réseau généalogique du vivant Les espèces décrites sont des hypothèses (des inférences) sur la structure de ce réseau Ces hypothèses sont amenées à être révisées avec l’acquisition de nouvelles données Les critères utilisés pour formuler ces hypothèses peuvent être hiérarchisés selon leur performance à capter la structure La facilité à mettre en œuvre un critère dépend des compartiments de la biodiversité et de l’état de sa connaissance La révision taxonomique (R0) b a a b d c c d f e e f Noms valides après la plus récente révision taxonomique (R0) Collection de spécimens sur laquelle est basée R0 (incluant les porte-noms) Matériel nouveau (collection de recherche) La révision taxonomique (R1) a b a b d c c d g h h g e e f f Noms valides après la Collection de specimens après R1 (incluant des porte-noms nouveaux) nouvelle révision taxonomique (R1) La révision taxonomique (R2) a b a b d c d g h c h g f e e f i i Noms valides après la nouvelle révision taxonomique (R2) Révision R2 fondée sur l’examen de nouveaux caractères (i.e. moléculaire) et impliquant la désignation de nouveaux porte-noms À quelques exceptions près, les articles qui citent cette révision taxonomique sont des papiers de systématique ou de biodiversité Depuis la publication de cette révision de très nombreuses études concernent Lumbricus terrestris … mais sans attache à des spécimens, il n’y a aucun moyen de savoir à laquelle des deux lignées évolutives mises en évidence ses données se rapportent. Aspergillus fumigatus Gadus morhua Bythinella rubiginosa Anacamptis coriophora Ailurus fulgens Durvillaea antarctica La description de la diversité des espèces au 21 siècle Nécessité de bases de données standardisées permettant de cataloguer les spécimens et les données qui leurs sont associées Ces bases de données peuvent être la source d’idées nouvelles inattendues (cf. séquençage des génomes complet) Les collections de « recherche » permettent de garder trace de l’état de la biodiversité à une date donnée … en attendant que les moyens techniques ou humains permettent de les étudier