INTERPRETATION DES RESULTATS DES CULTURES BACTERIENNES ET DES TESTS
DE SENSIBILITE
Anette Loeffler
Royal Veterinary College, North Mymms, Hertfordshire, UK
Introduction
Les infections bactériennes affectant la peau font partie de la vie quotidienne des praticiens qui
soignent les animaux de compagnie. Ce sont les prélèvements effectués au niveau de la peau et des
oreilles qui sont le plus souvent envoyés à des laboratoires de microbiologie afin d’identifier le (ou
les) bactéries pathogènes impliquées dans les infections et de déterminer leur profil de susceptibilité
aux agents antimicrobiens qui guidera les choix thérapeutiques. Occasionnellement, des écouvillons
réalisés dans des endroits spécifiques comme les muqueuses nasales et orales ou la région péri anale,
seront soumis pour identifier le portage éventuel de staphylocoques multi-résistants comme les
SARM ou les SPRM par des animaux en apparence non-infectés par exemple, avant une intervention
chirurgicale orthopédique ou pour évaluer le risque de transmission de SARM/SPRM à des personnes
ou dans l’environnement. Lorsque les échantillons sont soumis en laboratoire pour une culture
bactérienne et des tests de sensibilité, il est important de se souvenir que le laboratoire recevra
uniquement les organismes que nous, cliniciens, lui avons adressés et que les résultats doivent être
interprétés dans le contexte de l’anamnèse du patient et des découvertes cliniques. Cette interprétation
devra être combinée avec les résultats de la cytologie afin de de garantir le meilleur résultat possible
pour le patient. Un écouvillon d’une peau de chien, même saine, contiendra probablement des
staphylocoques et chez une majorité de chien, il s’agira de Staphylococcus pseudintermedius. Le
clinicien doit alors décider si ces résultats sont le reflet de l’infection ou bien du microbiote cutané du
chien. En outre, il est de la responsabilité du clinicien de choisir un laboratoire expérimenté, habitué à
travailler avec des bactéries pathogènes isolées sur des animaux. Les méthodes semi-automatiques et
automatiques comme API® et Vitek® ont été spécialement conçues pour un usage dans des
laboratoires de microbiologie humaine. Elles peuvent être utilisées pour des diagnostics vétérinaires
pour autant que les résultats soient soigneusement interprétés par des microbiologistes vétérinaires. Il
faudra également que les laboratoires diagnostiques vétérinaires de plus petite taille se tiennent au
courant des progrès constants et rapides des méthodes et particulièrement en ce qui concerne les tests
de résistance. Il est désormais recommandé de ne plus pratiquer d’examens microbiologiques à la
clinique en raison de l’émergence de pathogènes potentiellement zoonotiques multirésistants qui
nécessitent une identification précise mais aussi la plus grande prudence dans leur manipulation.
Identification des staphylocoques
Les staphylocoques sont des bactéries qui ont réussi avec succès à coloniser les mammifères et les
oiseaux dans le monde entier. Elles sont résistantes dans l’environnement et parviennent à survivre
malgré des conditions difficiles pendant de longues périodes. Cette faculté facilite leur survie dans la
plupart des conditions de transport entre la clinique et le laboratoire (il est toutefois recommandé
d’utiliser un milieu de transport adapté pour les échantillons cliniques). Les staphylocoques poussent
facilement en laboratoire sur différents gels nutritifs. Leur différentiation d’avec les autres coques
Gram-positives comme les microcoques (généralement par la couleur des colonies), les streptocoques
et les entérocoques (tests de catalase) ne pose en général aucune difficulté. Ce qui est difficile en
revanche, c’est de différencier précisément les différentes espèces de staphylocoques en utilisant des
tests phénotypiques. Avant l’émergence des SARM et des SPRM comme pathogène canin,
l’identification des staphylocoques coagulase-positifs isolés sur un animal étaient peu importante.
Désormais, une différentiation correcte entre S. aureus et S. pseudintermedius est devenue critique
dans le contexte des isolats résistants à la méthicilline puisque l’épidémiologie et les risques
zoonotiques diffèrent significativement entre SARM et SPRM. Les SARM, en tout cas ceux qui sont
isolés à partir d’animaux, ont en général pour origine un milieu hospitalier humain et sont mieux
adaptés à l’homme qu’au chien ou au chat. En cas d’isolation d’un SARM, il faudra donc envisager
sans délai l’aspect zoonotique et les éventuelles conséquences en santé humaine. Par contraste, SPRM
est reconnu comme pathogène vétérinaire nosocomial, bien adapté à l’hôte canin. Sa découverte doit
par conséquent motiver une revue des procédures d’hygiène de la clinique, en insistant sur les moyens
d’éviter sa dissémination et la contamination d’autres patients chiens. Des erreurs d’identification
entre S. aureus et S. pseudintermedius basées sur des tests phénotypiques existent (Börjesson et al.
2015). Malgré la croyance assez répandue que la différentiation entre S. aureus et S. pseudintermedius
est réalisée facilement dans un laboratoire de microbiologie, c’est loin d’être le cas car des souches de
S. aureus non productrices de pigments peuvent être erronément identifiées comme des S.
pseudintermedius tandis que la combinaison de multiples tests biochimiques risque de favoriser un
diagnostic de S. aureus. Il est par conséquent important de communiquer avec le laboratoire quand il
s’agit d’isolats résistants à la méthicilline de façon à pouvoir confirmer les tests. L’identification des
espèces par des techniques de MALDI-TOF (de l’anglais “matrix-assisted laser desorption/ionization-
time-of flight analysis ») est de plus en plus largement pratiquée et acceptée. Cette méthode a
substantiellement amélioré la précision de l’identification des espèces et elle permet notamment de
différencier S. aureus de S. pseudintermedius. Quand il s’agit de discriminer davantage les trois
espèces actuellement inclues dans le groupe des S. intermedius (S. intermedius, S. pseudintermedius,
S. delphini), bien que ce soit rarement nécessaire à des fins cliniques, MALDI-TOF peut s’avérer
moins utile car il n’existe aucun test phénotypique précis. Tout isolat obtenu d’un chien avec les
caractéristiques phénotypiques traditionnelles de S. intermedius sera considéré comme étant S.
pseudintermedius, tandis que les isolats obtenus sur d’autres espèces doivent être identifiés comme
des bactéries du groupe des S. intermedius group’ (SIG), à moins que les résultats de tests
moléculaires ne soient disponibles.
Autres pathogènes bactériens
L’implication de Pseudomonas aeruginosa et d’autres pathogènes bactériens multirésistants dans les
infections de la peau et plus particulièrement des oreilles va motiver la soumission sans délai d’un
prélèvement pour la réalisation d’une culture et d’un test de sensibilité. En ce qui concerne
Pseudomonas spp., la sensibilité aux fluoroquinolones, ou au moins à certains antibiotiques de cette
catégorie, est toujours rapportée. La résistance aux fluoroquinolones est associée avec des mutations
ponctuelles des gènes ADN gyrases et topo-isomérases et l’existence d’une sensibilité in vitro à l’un
mais pas à tous les membres de la catégorie demeure mal comprise. Lorsqu’on instaure une thérapie
aux fluoroquinolone pour un isolat qui a montré une résistance à une ou plusieurs molécules de cette
classe thérapeutique, il est indispensable de surveiller l’évolution du traitement de près.
Pour les autres bactéries multirésistantes qui constituent un problème émergent majeur dans les
hôpitaux humains comme par exemple les infections aux Klebsiella spp., Escherichia coli produisant
des Béta-Lactamase à Spectre Etendu, entérocoques résistants à la vancomycine (ERV), Salmonella
typhimurium et Acinetobacter baumanii , le challenge principal pour le praticien sera de déterminer si
ils sont de simples contaminants ou des agents pathogènes. S’il apparaît qu’ils sont d’une pertinence
clinique, le traitement devra alors être guidé par les concentrations minimales inhibitrices (CMI) mais
l’utilisation des molécules aux dosages les plus élevés se révèlera extrêmement limitée. De la même
manière, l’identification du pathogène le plus important parmi tous ceux qui sont décrits comme
présents dans une infection mixte pourra s’avérer être un véritable challenge et la situation devra être
envisagée au cas par cas.
Résistance à la méthicilline
Les SPRM (et dans une moindre mesure les SARM) sont déjà suspects sur le plan sensibilité compte
tenu de leur grande résistance. Cependant, il est recommandé de les tester spécifiquement pour la
résistance à la méthicilline, ce test étant un marqueur de leur large éventail de résistance aux β-
lactamines, afin de pouvoir les classer dans le groupe important des staphylocoques RM.
Actuellement en Europe, SPRM est résistant à tous les agents antibiotiques cliniquement pertinents
comme les fluoroquinolones, les macrolides et souvent également les sulphonamides potentialisés (en
plus des tous les β-lactamines). Pour de tels isolats, il peut être indiqué de demander la réalisation de
tests de sensibilité plus étendus. Les SARM isolés sur des animaux de compagnie se montrent souvent
toujours sensibles aux sulphonamides potentialisés, aux tétracyclines et parfois à la clindamycine. Il
faut toutefois interpréter avec prudence la sensibilité in vitro à la clindamycine parce que cette
molécule est bien reconnue comme capable d’induire des résistances chez les staphylocoques. On
peut demander au laboratoire de tester spécifiquement pour cette « résistance inductible » par la
méthode dite du D-testing (appelée ainsi en raison de la forme prise par la colonie sur le gel de
culture) afin d’éviter de choisir des traitements inappropriés.
Les tests phénotypiques pour la résistance à la méthicilline peuvent être réalisés soit par screening sur
agar soit par disques et on utilise désormais l’oxacilline quasi identique chimiquement à la
méthicilline (mais bien plus stable). Pour S. aureus, les laboratoires de médecine humaine ont
remplacé les disques d’oxacilline par la céfoxitine qui est un meilleur prédicteur pour la présence de
mecA, le gène qui encode la résistance aux β-lactamines. Par contre, pour S. pseudintermedius, les
disques de céfoxitine ne sont actuellement pas recommandés par le CLSI (Clinical and Laboratory
Standards Institute). La confirmation de la présence du gène mecA par PCR (polymerase-chain
reaction) ou d’un de ses produits (une protéine liant la pénicilline mutante présente dans la membrane
cellulaire) par test d’agglutination au latex se pratique couramment dans les laboratoires médicaux et
dans les centres de recherche mais pas dans les laboratoires de diagnostic vétérinaire. Il existe un
domaine où les praticiens doivent interpréter soigneusement les résultats de laboratoire : c’est la
résistance aux β-lactamines associée à des isolats mecA-positifs. Si une résistance à la méthicilline
est rapportée, il faudra assumer qu’elle s’étend à tous les antibiotiques de la famille des β-lactamines,
y compris les céphalosporines vétérinaires de première et troisième générations, peu importe ce qui
est mentionné sur le compte rendu de sensibilité. En effet, il peut y avoir confusion par exemple dans
le cas d’un isolat de S. pseudintermedius décrit comme sensible au clavulanate- amoxicilline. Cette
sensibilité in vitro ne se traduira pas par une efficacité in vivo et il faudra éviter d’utiliser tous les
bêta-lactamines. Les raisons de telles irrégularités restent peu claires mais les valeurs critiques sont
actuellement en cours d’investigations.
Tests de sensibilité
Les tests de sensibilité antimicrobienne sont couramment réalisés en utilisant la méthode (modifiée)
des disques de diffusion de Kirby-Baur. En remplacement ou en conjonction, certains laboratoires
déterminent la concentration minimale inhibitrice (test CMI) via des dilutions assez fastidieuses
d’agar ou de bouillons de culture ou encore en utilisant des E-strips (des bandes de papier imprégnée
avec des concentrations croissantes d’antimicrobien). On utilise les concentrations critiques pour
classer les microorganismes en différentes catégories: ils seront soit cliniquement sensibles (S),
intermédiaires (I) ou résistants selon la susceptibilité quantitative indiquée par la valeur de la CMI qui
est un système de tests standardisés bien définis et dont l’exécution est codifiée. Les catégories S,I et
R aident à faire la différence entre les patients suivant leur probabilité (ou non) de répondre au
traitement antimicrobien. Les concentrations critiques sont déterminées par un comité composé de
spécialistes en essais cliniques scientifiques, en pharmacocinétique, en pharmacodynamique, en outils
de simulation de populations, en mécanismes de résistance, en méthodologie des tests de sensibilité
microbienne et en dynamique des populations bactériennes. Il existe un de ces comités aux Etats Unis,
le Clinical and Laboratory Standards Institute of the United States of America (CLSI) et un en
Europe, l’European Committee on Antimicrobial Susceptibility Testing (EUCAST). Ces deux
organismes fournissent des documents sur les concentrations critiques des pathogènes vétérinaires.
L’utilisation de concentrations critiques validées et harmonisées garantit l’accès aux meilleures
données pour prévoir le succès d’un traitement et ces valeurs standardisées serviront de références
pour obtenir des données permettant une surveillance utile. La connaissance des CMI réelles est
rarement nécessaire pour les infections cutanées mais par contre, ces valeurs sont importantes pour
les infections sérieuses comme les bactériémies impliquant des germes multirésistants où une
augmentation des doses d’antimicrobien pour un isolat moyennement résistant sera préférable à
l’utilisation d’une molécule plus toxique.
Il faut attirer l’attention sur un point particulier des tests de sensibilité pour les pathogènes trouvés sur
la peau ou dans les oreilles: les résultats concernent la sensibilité lors d’administration systémique des
antibiotiques mais pas nécessairement lors d’applications topiques. Par exemple, un Pseudomonas
spp. isolé dans une oreille de chien et rapporté comme résistant à l’enrofloxacine ou à la
marbofloxacine sur base de test de sensibilité in vitro a de fortes chances d’être en fait sensible à
l’application topique de ces agents aux concentrations atteintes à l’endroit d’infection via des gouttes
auriculaires, puisque ces concentrations seront très probablement bien supérieures aux CMI. Les
concentrations critiques sont destinées à aider à prévoir l’efficacité d’un médicament administré de
manière systémique et non sous forme topique.
Résumé
Le choix empirique des traitements antibactériens systémiques est de plus en plus restreint en raison
de la présence grandissante de multi résistance parmi les bactéries pathogènes. Si les tests
microbiologiques phénotypiques seront toujours limités par des variations de souches, des tests de
laboratoires minutieux et une interprétation correcte des résultats resteront critiques pour le traitement
du patient. Une interprétation prudente de l’identification des espèces impliquées et des résultats de
sensibilité ainsi qu’un dialogue avec des laboratoires de diagnostic vétérinaires sont essentiels pour
réaliser des tests supplémentaires dans certains cas afin améliorer la certitude du diagnostic et bien
entendu l’issue du traitement.
Références choisies
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