6
éditorial
la pierre de folie. En l’absence de textes médicaux, il nous est impossible de
dire si cette pratique a ou non réellement existé. P. Morel et C. Quetel y
voient, à juste titre, la “volonté d’extraire littéralement du crâne la folie qui
l’habite, comme un mauvais objet qu’il faut expulser” (1).
À l’époque des localisations, le Suisse Gottlieb Burckhardt imagina de trai-
ter certains aliénés par l’excision de zones plus ou moins étendues du cortex
cérébral et, en 1888, il enleva une partie du lobe temporal droit à une déli-
rante hallucinée. Cela conduisit Semelaigne à demander : “Parce qu’un
malade donne des coups de pieds, va-t-on lui enlever le centre moteur des
membres inférieurs ?” (2). Il n’eut, à ma connaissance, aucune réponse à
cette question pertinente et l’affaire fut enterrée jusqu’à ce qu’en 1936 Égas
Moniz, professeur de neurologie à Lisbonne, s’appuyant sur les travaux de
Ferrier, Bianchi et Goltz sur les lobes frontaux, fasse réaliser la première
lobotomie par le neurochirurgien Almeida Lima. La suite de ses travaux lui
valut donc de recevoir, en 1949, le prix Nobel de médecine.
On sait, depuis, qu’aucune théorie scientifique valide et définitive sur le
fonctionnement cérébral ne permet de justifier la mise en œuvre d’une telle
mesure, que je me garderai bien de qualifier de thérapeutique.
Pourtant, on continue de pratiquer la lobotomie de par le monde. Certains
(aux États-Unis en particulier) continuent d’en faire une indication dans le
traitement de la névrose obsessionnelle rebelle aux autres thérapeutiques,
tandis que d’autres (en Russie) proposent sa mise en œuvre chez les toxico-
manes, sans se soucier le moins du monde de ce précepte fondamental en
médecine : primum non nocere (“premièrement ne pas nuire”). Nous
sommes loin, dans cette volonté d’aboutir à un résultat à tout prix, de la
modestie d’Ambroise Paré qui, évoquant la difficile condition du médecin, se
résignait à guérir quelquefois, mais soulager souvent et consoler toujours.
En France, on ne trouve plus un praticien pour dire qu’il fait encore réaliser
des lobotomies. La méthode serait tombée en désuétude et abandonnée. En
fait, on ne parle plus de cette pratique qui reste pourtant licite puisqu’elle
n’a pas été interdite. Elle est curieusement absente des débats scientifiques,
ou n’est évoquée que du bout des lèvres, car le sujet est loin d’être politi-
quement correct.
Quelles que soient les justifications que l’on puisse trouver à la lobotomie,
nos impératifs éthiques nous imposent un devoir de mémoire. Quelles sont
les raisons du silence qui l’entoure ? Effet du refoulement ? Manque d’in-
formation ? Mauvaise conscience ? On ne peut qu’être frappé par le fait que
nos grands chercheurs, toujours prêts à se dévouer pour faire la preuve de
l’efficacité de la dernière molécule à la mode, n’aient jamais eu la curiosité
de chercher à connaître le devenir de ces milliers de patients (adultes et
enfants) ainsi (mal) traités (3). Le sujet ne manque pourtant pas d’intérêt
Éditorial
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 1-2, janvier-février 2002