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Grandir et se construire : l'enjeu des traces à l'école maternelle
Remarque introductive
Les programmes de l’école maternelle mettent l’accent sur les apprentissages (connaissances
et compétences pour réussir les apprentissages fondamentaux en CP) ; ils font de la grande
section (GS) la 1ère année des apprentissages fondamentaux, tout en rappelant que « le
développement doit être pris en compte », (BO hors-série 3 du 19 juin 2008). En
recentrant sur Grandir et se Construire, l'intitulé du 86éme colloque AGEEM met le
développement au cœur des objectifs de l’école maternelle. Les deux termes ont leur
importance. Beaucoup d’adultes s’arrêtent sur le chemin de la maturité: on peut grandir sans
se construire. Se construire est donc fondamental et la forme pronominale impose une
démarche, une posture que l'école souvent oublie, moins l'école maternelle que celles qui
suivent sans doute.
Les traces répondent-elles à des besoins fondamentaux ?
Qu’est ce que grandir ?
Grandir est souvent lié à la question des besoins, mais la notion de besoin est relativement
ambiguë, indéterminée ; on peut avoir besoin de nourriture, de d’apprendre, d’amour etc. Les
traces seraient elles un de ces besoins fondamentaux pour grandir ? Commençons par définir
ce que grandir veut dire. Grandir est la combinaison de la maturation de tous les dispositifs
dont on est doté à la naissance, des expériences vécues dans les milieux de vie et des
apprentissages.
La maturation donne une temporalité, des limites et une direction (ce n'est pas un
déterminisme, les effets peuvent s'infléchir, l'environnement agit sur la maturation. Si, par la
procréation, chacun d’entre nous est le résultat d'un tirage au sort, un n'importe quoi
cependant absolument unique, tel que l’a exposé le professeur Jacquard à Lille, il n'en reste
pas moins qu'on reconnaît certains traits de la mère, du père, du grand père ou de la grand
mère, (si ça ne vous suffit pas on peut remonter jusqu'à Lucie). Cela définit ce que Danchin a
appelé « l’enveloppe génétique » (Danchin1974). On est le produit de l'évolution de notre
espèce et cela impose des limites et livre des potentialités.
L’expérience est bien sur liée à l'expérimentation, (empirisme, Dewey), c'est le sens le plus
connu. Ce sens accorde faire, manipuler, regarder, observer, et dans les formes plus
standardisées émettre des hypothèses, vérifier et analyser. A la maternelle on connaît. Mais
parler d’expérience c'est aussi évoquer des états mentaux : c'est éprouver, vivre au sens
phénoménologique. Enfin l'expérience c'est ce qu'on est capable de faire et connaître à partir
d'inférences sur les données sensorielles, une connaissance sensible, incarnée, sorte d’auto-
adaptation qui n'a pas besoin de la conscience ; tout ce que les maîtresses savent faire et
qu’elles ont du mal à expliciter. Quelque fois ça échoue : « croyez en ma grande
expérience ». L’expérience en ce sens nécessite toujours une élaboration, une explicitation
pour devenir une connaissance.
Par apprentissages il faut comprendre ce que les programmes ont déterminé comme
acquisitions pour l'école. Ils renvoient à des situations, procédures, stratégies élaborées,
construites pour transformer les conduites.
Des dépassements nécessaires
Des oppositions ont marqué les rapports apprentissage et développement : apprendre est-ce
« rendre actuel ce qui est potentiel dans le génome » (innéistes, préformistes) ou apprendre
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est-ce transformer les conduites sous les effets de l’environnement (empiristes)?
Piaget a proposé un premier dépassement en introduisant la notion d'interactionnisme et en
faisant de l'action le moteur du développement. Cependant il a méconnu les capacités
précoces de l'enfant et assujetti l'apprentissage au développement. L'école devrait avant tout
accompagner le développement.
Vygotski s'oppose à cette conception. L'activité humaine étant une activité de transformation
du milieu, est toujours médiée par des instruments, des outils, outils matériels (techniques) ou
outils mentaux. Ces outils (qui sont des formes de la mémoire sociale) permettent de dépasser
les contraintes biologiques de l'organisme pour agir sur l'environnement et le transformer. Le
langage est un de ces outils et il ouvre à l’enfant un vaste univers. Vygotski considère alors
que l'éducation est une forme de développement (développement artificiel) par les
apprentissages des outils en interaction avec l'adulte, ou les pairs. L'environnement de l'enfant
n'est pas le nôtre. L'initier à la construction et l'utilisation des outils matériels et mentaux ne
peut donc passer par une copie du modèle, une reproduction des formes de l'adulte, mais doit
être une réelle appropriation, une construction. L’enfant aborde l’environnement avec les
outils dont il dispose. Il agit, expérimente et construit de nouveaux outils qui lui permettent de
couvrir d’autres dimensions du monde. Grandir prend une dimension éminemment sociale.
Grandir c’est construire son histoire
Se construire suggère l’idée d'éveil : quelque chose qui sous-tend l’accès à sa vérité, à son
équilibre en même temps que la compréhension de la nature des choses. Grandir et se
construire c'est aller vers plus de moyens d'agir, de penser, de comprendre, d'être soi, avec et
parmi les autres. L'enfant a ses manières propres d’agir et de faire mais il est beaucoup plus
dépendant du milieu et des autres. Disons donc que grandir c'est aller vers plus de libertés,
c'est se libérer des dépendances. Grandir n’est pas accumuler des connaissances et savoirs
faire. Les problèmes que rencontrent certains enfants surdoués nous le montrent.
Grandir c'est donc une histoire, un parcours, un chemin que l'on trace dans un monde que l'on
construit en même temps que les outils d'appropriation de ce monde, un monde qui se
transforme (que l'on transforme en fonction de notre cheminement). Cheminer c'est suivre
et/ou tracer sa piste, cheminer laisse des traces qui sont autant de marques de ce qu'on a fait
ou été à telle ou telle période.
Construire son histoire : un chemin fait de différentes sortes de traces
Si on prend chacun d'entre nous à n'importe quel moment de notre histoire nous avons à faire
avec toutes ces traces imprimées, parfois oubliées, méconnues, niées, refusées, combattues,
fantasmées, puis reconstruites. Ces traces ont pu être autant d'empreintes de notre
environnement physique et social, mais aussi des productions délibérées dans le but de nous
instruire, de nous élever avec les meilleures ou les pires intentions du monde.
Les traces sont donc les preuves, les attestations, les témoignages de la vie elle-même, elles
prennent la forme de récits, dessins , photos, films, cahiers, albums qui servent à
communiquer, rendre compte, ce sont les vestiges, les mémoires de notre histoire. J'ai fait
ceci ou cela, je suis allé ici ou là, j'ai vu telle fleur ou tel arbre, les animaux de la ferme et je
peux vous en parler.
Elles sont aussi autant d'indices, d’empreintes, marques, repères laissés par notre passage, par
nos activités et expériences et nous permettent de suivre notre cheminement, notre évolution,
notre développement, d'en repérer les obstacles, les réussites.
Les traces ce sont les chemins eux-mêmes actuels ou futurs, les nouvelles pistes à explorer ;
les essais successifs pour faire un carré, lacer ses chaussures, dessiner un escargot, s'accaparer
la trottinette. Il y a ceux qui suivent la trace, ceux qui ouvrent la trace, ceux qui bifurquent ou
modifient la trace...
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Les traces sont inhérentes au processus de développement
Mais nous existons vraiment comme personne à partir du moment nous ne sommes plus le
produit de ces traces mais les avons intégrées à ce qui ce que nous sommes à ce moment là de
notre histoire, c’est-à-dire notre personnalité, notre personne.
Je ne cherche donc pas à répondre à la question à quelles besoins fondamentaux répondent
les productions de traces puisque je considère qu'elles sont inhérentes au processus même
de développement et de croissance, à l'édification de la personne.
Je me poserais plutôt la question de savoir quelles traces ont participé à me faire ce que je suis
aujourd'hui ? De la même façon, je me demanderais quelles traces ont fait de cet enfant-là ce
qu'il est ? Quelles traces est-il occupé à suivre ou projeter ? De quels outils dispose-t-il ? Un
de mes problèmes c'est que dans ma classe ça fait beaucoup de traces ; il ne faut pas en
privilégier. Il y a celles que je vais exploiter, celles dans lesquelles je vais laisser cheminer les
enfants pour les reprendre ensuite, celles qui me semblent en l'état actuel des impasses, celle
que je vais construire pour les besoins des apprentissages, pour ouvrir la trace, pour témoigner
des acquisitions, les certifier, en rendre compte, les communiquer, celles que je vais recueillir
pour analyser les activités, les conduites, les cheminements, etc.
Pour autant il ne faut pas tomber dans le piège de suivre l'enfant à la trace : évaluer pour
mieux débusquer, attraper dans ses filets, comme le souligne Yves Soulé dans le guide de
réflexion. Ce qui importe c'est de saisir parmi ces traces celles qui permettent de
l'accompagner, de l'aider dans son cheminement, l’aider à franchir les obstacles, celle qui
auront une réelle pertinence pour élaborer les situations d’apprentissages.
Quelles traces pour grandir et se construire à l’école maternelle ?
Des traces pour rendre compte, communiquer ce qu’ils savent faire
Que dit-on à l'enfant quand on veut lui signifier qu'il grandit ? La société marchande est déjà
sur la piste et lance de grands défis à l’école maternelle: Bébé grandit et le magasin Jacadi,
pour ne prendre que deux exemples, l'accompagnent dans ses premiers pas : mobilier adapté
chaussures à son pied, etc. On peut aussi grandir avec les fiches Nathan...). On vérifiera qu'il
est à l'heure, que son développement est normal avec les multiples tests en vente partout.
Plus sérieusement :
On n'est pas obligé de lui dire : entre deux et trois ans vous entendez : « c'est moi tout
seul.... ». Ce qui n'est pas pour autant évident ; on ne le laisse pas toujours faire : « il va en
mettre partout », « ça va prendre trop de temps », « c'est trop risqué »... Dommage
L'enfant prend conscience de sa plus grande autonomie et souvent l’adulte, le freine dans cet
accès à l’autonomie, parfois fait basculer la situation dans les filets de l’injonction
paradoxale : « sois autonome ».
Si grandir c’est construire des savoirs faire pour accéder à plus d’autonomie, est-il pour autant
indispensable de tenir au jour le jour ces catalogues de savoir-faire qui ont valeur
d'évaluation du travail de la classe, du maître et de l'élève. Je sais mettre la tête dans l'eau, je
sais souffler dans l'eau, je peux sauter dans l'eau, je sais compter jusqu'à dix, je sais écrire
mon nom etc. et si je ne sais pas, c'est important ? Tenez-vous la comptabilité de ce que vous
savez faire ou ne pas faire ?
Je ne nie pas la nécessité d'évaluer les acquisitions, mais est-ce en tenant des registres à la
manière comptable, en faisant remplir des fiches qu'on mène le travail le plus efficient.
Les fiches d’évaluation élaborées par les équipes de l’Académie De Strasbourg sont d’une
toute autre nature.
Les acquisitions peuvent être déduites d’observations et celles-ci me permettent de disposer
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de traces utiles pour tracer de nouvelles pistes, découvrir d'autres chemins. Je ne mets pas ma
tête dans l'eau parce que l'eau va rentrer, je ne vois plus rien, je ne peux pas respirer, je vais
couler etc. Dans ma classe j'ai tous ces cas de figure. En fonction des problèmes rencontrés les
démarches ne seront pas les mêmes.
Les carnets de bord de l'enseignant, ainsi que les récits de l'expérience des enfants impliquent
d’autres regards, mobilisent d’autres ressources et permettent d’autres retours: on est allé au
zoo, à la piscine, à la ferme, et voilà ce qu'on a vu, fait, senti, goûté, touché etc.
Les albums de photo, les vidéos, les sites, qui aussi ne s’attacheront pas nécessairement à
montrer qu'ils sont contents, que c'était bien, qu’ils ont passé une bonne journée, pour que les
mamans et les papas soient content aussi, mais qui me renseignent sur ce qui étaient en jeu au
cours de ces activités et ce qui a été mobilisé, par les uns et les autres. Là c'est un vrai défi
parce qu'il y a plusieurs traces à relever qui s'adresse à des personnes différentes : l'enfant qui
mobilisera des conduites de récits mais pas seulement, la maîtresse pour programmer ses
situations d'apprentissage, affiner ses accompagnements, les parents pour qu'ils se rendent
compte que ce n'est pas tout à fait pareil que les fiches Nathan ou le cahier de vacances de la
grande section, pour qu’ils en parlent avec leur enfant les enrichissent si l'enfant veut bien en
parler spontanément ; tout en acceptant la contestation, la réfutation: oui mais la maîtresse a
dit...).
Des traces pour structurer les apprentissages :
Recueillir les indices pour construire des situations
L’enseignant a besoin de connaître les outils dont dispose l'enfant et les modes opératoires
qu'il mobilise, il lui faut observer et analyser les conduites de l’enfant au cours de ses
activités. Un certain nombre d’indicateurs, d’indices de l’organisation cognitive, perceptive,
sensori-motrice sont nécessaires.
L’analyse des conduites de l’enfant et compréhension de ses modes de fonctionnement par
rapport aux logiques des activités font partie du savoir enseignant. La pertinence des indices,
indicateurs sont fonction des connaissances de l’enseignant et des savoirs implicites qu’il
construit au cours de sa carrière. Il est intéressant d’expliciter ce savoir. L’interprétation de
ces indices, indicateurs, doit-être menée dans les rapports entre les propres modes de pensées
de l’enfant, les outils dont il dispose à ce moment ET les contraintes auxquelles l'activité
qu'il aborde le soumet et non pas par rapport à nos modèles adultes. Qu'est-il en train de
faire ? Quelles opérations mobilise-t-il ? De quels outils a-t-il besoin ? Quels sont ceux qui
sont à sa portée pour progresser dans l'activité ?
Pour recueillir ces indices l’observation, les notes, carnet de bord, photos, vidéos sont des
outils adéquats.
Des traces pour mémoriser
Apprendre c'est mémoriser : Il faudra conserver ces apprentissages et les retrouver pour agir.
Il faut rappeler que :
- la mémoire n'est pas un magasin de souvenirs mais un processus d'encodage, de
stockage et de restitution ou rappel.
- La mémoire présente plusieurs niveaux et une organisation en système : perceptives,
sémantique, épisodique.
- La mémoire est une construction qui mobilise les différents systèmes
- La mémorisation est toujours liée à la signification
- La mémoire suppose la mobilisation de processus d’attention
- A l’école maternelle
o L’enfant se constitue des souvenirs à partir de 2 ans.
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o les mémoires perceptives sont déterminantes
o La mémoire épisodique étant liée aux constructions des espaces et du temps, il
est important de situer les événements dans les espaces et les temps de l’enfant,
tout en contribuant au développement de ces notions d’espace et de temps.
o l’importance de la variabilité, des reconnaissances et des rappels impose
d’utiliser des contextes différents.
o la mémoire sémantique est liée au développement des processus symboliques,
dont le langage et des processus d’abstraction.
Les médias utilisés sont bien sur des photos, des affichages dans la classe. Ces affichages ne
peuvent seulement servir à décorer. Il faudra penser à leur densité (la mémoire a un empan
limité), leur lisibilité, leur utilisation. Les récits prennent, ici, une importance primordiale.
Des traces pour ouvrir de nouvelles pistes
Il faut d’abord envisager les traces à usage de l’enseignant, le cahier du maître, les fiches de
préparation, qui peuvent déjà être révélatrices des démarches et ainsi servir autant de guide,
de mémoire que d’outils d’explicitation.
Mais on peut s’intéresser au cheminement lui-même: qui fait la trace? Pour permettre à
l’enfant de cheminer lui-même ou pour lui montrer ce qu’il doit faire ? Il faut encore insister
sur les précautions à prendre envers les modèles adultes. L’enfant ne fait-il que suivre des
traces ? Quelles occasions lui sont données de tracer son cheminement? Quels enfants sont le
plus souvent sollicités pour faire la trace? Quelles coopérations sont à favoriser? La voie
ouverte par Vygotski à propos de l’apprentissage en présence de l’adulte ou des pairs mérite
des développements.
L’enfant apprend en imitant. L’imitation n’est pas copie du modèle mais construction à partir
d’éléments prélevés par observation. Les données sur l’apprentissage par observation du
modèle, mais aussi les apprentissages sociaux sont intéressants (Doise, Mugny), sont à
exploiter et relancent les débats sur le multi-âge.
Des traces induites par l’espace social de l’école maternelle que fréquente l’enfant.
Des traces induites par l’espace social de l’école.
Parallèlement à ces traces provoquées, élaborées, produites et explicitées par les situations
d’apprentissage, il faut envisager celles qui s’inscrivent dans l’école comme espace social.
Vous avez des images, des odeurs, des sensorialités mais aussi des traces émotionnelles,
affectives, relationnelles liées à l’école maternelle. Elles se rapportent au vécu dans la classe,
les recréations, la cantine, les fêtes, tous les lieux de l’école. L’école est aussi un lieu de
garçons et de filles, de maîtres et maîtresses dont les rapports laissent leurs premières
empreintes.
Ces traces le plus souvent sont induites, non explicitées et se juxtaposent à celles de l’espace
familial.
Il apparaît cependant nécessaire de s’interroger sur le milieu de vie le plus favorable à la
création d’un climat positif les relations sociales contribuent au développement et la
structuration des espaces et du temps est à la mesure des enfants….
Traces de l’espace social familial
L'enfant qui arrive à l'école a déjà une histoire ; il en porte les nombreuses traces.
Grandir prend du temps et il y a de nombreux obstacles. Parmi eux les traces laissées par les
adultes: la mère, le père, etc.) Les traces laissées par des expériences (des expériences
pénibles peuvent faire grandir, des expériences agréables maintenir dans l'enfance), des
expériences sensorielles de toute sorte, perceptives, affectives, sociales.
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