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Les foyers glandulaires cryptiques aberrants du côlon
sont-ils les précurseurs de l'adénome et du cancer ?
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Aberrant crypt foci of the colon as precursors of adenoma and cancer (Takayama T. et coll.).
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En dépit d’importants progrès concernant la compréhension des mécanismes de la cancérogenèse
des cancers colorectaux, les étapes les plus précoces
du développement de ces cancers chez l’homme
sont encore peu connues. Chez les rongeurs, les carcinogènes administrés par voie orale produisent une
série de modifications systématisées de la muqueuse. Les premières étapes sont une inhibition de
la synthèse de l’ADN, l’apparition de micronoyaux
et d’anomalies nucléaires variées témoignant d’une
toxicité génétique. Ces étapes sont suivies de modifications de la cinétique des cellules épithéliales et
de la production de mucus ainsi que de l’émergence
d’une morphologie glandulaire anormale. Ces
modifications sont focales, semblant se développer
à partir de cellules transformées qui prolifèrent et
repeuplent des cryptes antérieurement normales.
Bird et coll. ont montré que ces foyers glandulaires
anormaux de la muqueuse colique du rat peuvent
être identifiés lors de l’examen de la muqueuse à
faible grossissement, après coloration par une solution de bleu de méthylène.
Des foyers glandulaires aberrants similaires à ceux
des rongeurs ont été décrits au niveau de la
muqueuse colique humaine chez les patients
atteints d’un cancer du côlon s’intégrant ou non
dans le cadre d’une polypose familiale, mais aussi
chez des malades opérés pour des lésions non cancéreuses. Sur le plan histologique, ces foyers sont
constitués de glandes simplement hyperplasiques
ou présentant des remaniements architecturaux
proches de ceux observés dans les polypes hyperplasiques. Certains, enfin, sont constitués de
glandes dysplasiques et correspondent donc à des
microadénomes. Des mutations de K-ras sont
mises en évidence dans 58 à 73 % de ces foyers qui
constituent donc des lésions morphologiquement et
génétiquement distinctes.
Les informations manquaient sur la prévalence de
ces foyers anormaux chez le sujet sain ou porteur
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d’adénomes. Takayama et coll. ont donc étudié la
prévalence, le nombre, la taille, le caractère
hyperplasique et/ou dysplasique ainsi que la
répartition en fonction de l’âge des foyers glandulaires coliques anormaux dans une population
constituée de 171 sujets normaux, de 131 malades
porteurs d’un ou de plusieurs adénomes et enfin
de 48 patients souffrant d’un cancer colorectal.
La recherche a été réalisée au cours d’une coloscopie réalisée à l’aide d’un fibroscope à optique
grossissante, après coloration de la muqueuse
prétraitée à la glycérine à 0,5 %, par une solution
de bleu de méthylène à 0,25 %. Comme, dans les
trois premiers cas étudiés, où le côlon avait été
coloré dans sa totalité (!), la plupart des foyers
aberrants se sont révélés être localisés au niveau
du rectum et du côlon gauche, les auteurs ont, par
la suite, limité leur étude à la partie du rectum
s’étendant de la valvule de Houston moyenne à la
ligne pectinée. Les critères coloscopiques retenus
pour la reconnaissance des foyers aberrants
furent : 1. la présence de cryptes intensément
colorées, à la lumière ovalaire, étoilée ou prenant
la forme d’une fente ; 2. un diamètre des lumières
glandulaires supérieur à la normale ; 3. un épithélium glandulaire anormalement épais. Ont été
définies comme dysplasiques les cryptes à épithélium épais et dont les lumières étaient comprimées ou indistinctes. Les foyers non dysplasiques
ont été classés en hyperplasiques et non hyperplasiques, en fonction de la forme des lumières
glandulaires : étoilées ou linéaires dans les
formes hyperplasiques, ovalaires ou semi-circulaires dans le cas contraire. Ces critères endoscopiques ont été validés par une étude histologique
de 105 foyers. Les auteurs ont ainsi identifié 3 155
foyers glandulaires aberrants dont 161 foyers dysplasiques. Chez les sujets “normaux”, tant la prévalence des lésions que leur nombre par sujet
étaient très bas avant 40 ans. Prévalence et
nombre de foyers par sujet augmentaient de façon
brutale entre 40 et 50 ans. Il ne fut jamais obser-
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vé plus de 5 lésions par patient. La prévalence des
lésions était plus élevée chez les sujets porteurs
d’un adénome que chez les sujets “sains”, et plus
encore chez ceux souffrant d’un cancer. Chez les
sujets porteurs d’un adénome, une corrélation statistiquement significative (p < 0,001) fut observée
entre le nombre de foyers aberrants, la présence de
foyers dysplasiques, les dimensions de ces foyers et
le nombre des adénomes. Compte tenu de ces données, les foyers glandulaires aberrants, notamment
dans leur forme dysplasique, apparaissent comme
des précurseurs de l’adénome et du cancer colorectal.
Par ailleurs, la fréquence des mutations ponctuelles de
K-ras dans les foyers non dysplasiques était élevée tant
chez les sujets “sains” que chez ceux porteurs d’un
adénome ou d’un cancer, alors que la prévalence de
ces mutations dans les foyers dysplasiques était
moindre. Cette différence suggère que des altérations
génétiques affectant d’autres gènes que K-ras peuvent
intervenir dans le développement des foyers dysplasiques.
Depuis le rapport de Waddel et coll., démontrant la
régression de polypes colorectaux chez les sujets souffrant d’une polypose adénomateuse familiale soumis à
un traitement par sulindac, de nombreux travaux ont
apporté des arguments en faveur d’un effet chémoprotecteur des anti-inflammatoires non stéroïdiens sur le
développement des cancers colorectaux. Takayama et
coll. décrivent une réduction du nombre des foyers aberrants chez 7 des 11 patients traités au sulindac à la dose
de 100 mg, trois fois par jour, pendant 8 à 12 mois. Chez
9 patients contrôlés, le nombre de foyers s’est avéré
stable dans 8 cas et en légère augmentation dans le 9e cas.
Une étude portant sur un plus grand nombre de patients
mérite d’être réalisée pour confirmer ces données.
Puisque la prévalence et le nombre des foyers glandulaires aberrants augmentent avec l’âge, notamment
après 40 ans, une surveillance endoscopique périodique des patients est recommandée par les auteurs.
F. Plénat
Laboratoire d’anatomie pathologique,
CHU de Nancy-Brabois.
Document réalisé grâce au soutien du Laboratoire Schering-Plough
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