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Risques organiques
Partie II
dossier
thématique
Toxicités tardives et séquelles stomatologiques des traitements anticancéreux
Late side-effects and stomatological sequelae after cancers treatments
S. Haddad-Roche*, S. Agbo-Godeau*
» Les différents traitements des cancers – chirurgie, chimiothérapie,
Summary
RÉSUMÉ
radiothérapie – et les traitements associés engendrent des
effets secondaires tardifs et/ou durables sur la cavité buccale
et la face, qui altèrent considérablement la qualité de vie des
patients. Connaître ces séquelles (xérostomie, troubles de la
déglutition, troubles de la phonation, caries dentaires profuses,
ostéoradionécrose, ostéonécrose due aux bisphosphonates,
troubles de la croissance, malformations faciales) permet de les
distinguer d’une rechute de la maladie cancéreuse, puis d’assurer
leur prise en charge. Dans tous les cas, un examen buccal régulier
des patients est indispensable.
Mots-clés : Effets secondaires tardifs – Séquelles – Cancer – Cavité
buccale.
Keywords : Long-lasting side effects – Sequelae – Cance
Oral cavity.
Q
uels que soient la localisation et le type histologique, un malade atteint d’un cancer
va subir divers traitements anticancéreux :
chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie, thérapies
nouvelles dites “ciblées” et traitements associés divers.
Tous confrontent le praticien à la gestion des toxicités
aiguës, puis à des manifestations plus tardives, chroniques ou séquellaires. Ce sont ces toxicités tardives
et les séquelles stomatologiques des traitements qui
sont envisagées ici ; on considérera indépendamment
les problèmes spécifiques aux cancers stomatologiques.
Séquelles stomatologiques
dans les cancers non stomatologiques
* Service de stomatologie
et chirurgie maxillo-faciale,
hôpital de la PitiéSalpêtrière, Paris.
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The various treatments of cancer – surgery, chemothera
radiotherapy – and related treatments generate latelong-lasting side effects on the oral cavity and face, wh
often alter significantly the quality-of-life for patients. T
knowledge of these sequelae (xerostomia, disorders
swallowing, disorders of phonation, profuse dental car
osteoradionecrosis, osteonecrosis due to bisphosphona
disorders of the growth and facial malformations) allo
at first to distinguish them from recurrences, then to ins
their care. In every case, the regular oral examination of
patients is mandatory.
Problèmes liés à la chimiothérapie
Les toxicités buccales aiguës sont propres à chacun
des médicaments utilisés. Certaines sont particulièrement constantes mais passagères (comme la mucite
buccale due au méthotrexate), d’autres sont plus
chroniques, voire définitives (comme la pigmentation
buccale due au busulfan) [1]. D’autres problèmes sont
liés aux toxicités cumulatives induites par les traitements et qui sont fonction de leur intensité et de leur
durée : troubles neurologiques, insuffisance rénale,
insuffisance cardiaque, insuffisance pulmonaire et,
surtout, insuffisance médullaire chronique (2), chacune
comportant un volet stomatologique particulier dont
l’impact dépend aussi des comorbidités associées.
Complications muqueuses tardives
Les mucites de la phase aiguë guérissent, laissant des
muqueuses buccales atrophiques et fragiles qui compliquent la pose et le port des prothèses dentaires
amovibles. Certaines molécules comme l’ellipticine
ont un tropisme particulier pour les glandes salivaires
et la xérostomie qui en résulte peut être définitive. Il
faut savoir la distinguer de l’hyposialie liée aux psychotropes (lire plus loin le paragraphe concernant la
xérostomie post-radique).
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2011
Toxicités tardives et séquelles stomatologiques des traitements anticancéreux
Complications dentaires
On les rencontre à distance du traitement initial du fait
de l’évolution de caries engendrées ou favorisées lors
des vomissements (chimiothérapies émétisantes), puis
aggravées par les changements alimentaires : supplémentations sucrées pour contrer la dénutrition, boissons
et aliments acides pour favoriser la sécrétion salivaire
ou masquer les perversions du goût. Ce risque de caries
dentaires impose des règles d’hygiène quotidiennes
scrupuleuses avec brossage matin et soir, usage d’un
dentifrice fluoré et rinçage avec un hydropulseur.
Bien que tous les soins dentaires conventionnels
puissent être délivrés sans précaution particulière,
des extractions dentaires peuvent être nécessaires.
Elles feront l’objet d’un bilan hématologique préalable
pour évaluer les risques hémorragiques et infectieux
potentiels. En cas d’anomalie cardiaque ou rénale, le
bilan préopératoire et les précautions usuelles sont les
mêmes que pour les comorbidités indépendantes de la
chimiothérapie. La surveillance buccale doit être assurée
régulièrement pendant plusieurs années ; elle portera
sur toute la denture, les gencives et les prothèses, avec
réalisation d’une radiographie panoramique dentaire
annuelle.
Chez l’enfant, la chimiothérapie induit des troubles du
développement maxillaire et dentaire (lire plus loin le
paragraphe concernant les séquelles chez l’enfant).
Problèmes liés à la radiothérapie non cervicofaciale
En principe, il n’y a pas de complication buccale des
radiothérapies pratiquées à distance de la région
cervico-faciale. Toutefois, il faut considérer le cas particulier de la radiothérapie dans la maladie de Hodgkin, dont
l’irradiation médiastinale comporte une extension dite
“en mantelet” englobant la région cervicale inférieure.
Bien que les doses délivrées soient très inférieures aux
doses utilisées pour les tumeurs cervico-faciales (45 Gy
contre 70 Gy), on observe des séquelles salivaires (hyposialie ou modifications de la composition salivaire) pouvant passer inaperçues mais responsables de polycaries
dentaires diffuses (lire plus loin le paragraphe concernant
les complications de la radiothérapie cervico-faciale).
Problèmes liés à la chirurgie non cervico-faciale
En principe, la chirurgie des tumeurs et des aires
ganglionnaires non cervico-faciales n’entraîne pas
de séquelles directes sur la cavité buccale. On notera
toutefois que la nécessité pour les malades opérés de
tumeurs digestives (gastrectomie, par exemple) de
multiplier les petits repas sucrés ou hypercaloriques
peut favoriser le développement des caries dentaires.
Problèmes liés aux thérapies dites “ciblées”
Ces nouvelles options thérapeutiques médicales engendrent des toxicités variables selon la molécule utilisée,
qui sont quelquefois considérées comme facteurs prédictifs de la réponse au traitement. Ce sont des lésions
cutanées (éruption acnéiforme du visage), des ulcérations buccales ou des chéilites, mais, considérant le peu
de recul, aucune séquelle buccale tardive n’a encore
été rapportée (3).
À la phase initiale des leucémies, mais aussi en cas de rechute, on retrouve des odontalgies, qu’il faut distinguer des douleurs dentaires liées à la carie. On observe encore
plus souvent des hypertrophies gingivales par infiltrat leucémique, qu’il faut distinguer
des hypertrophies gingivales inflammatoires ou médicamenteuses. Pour le reste, les
lésions buccales sont dues à la chimiothérapie et aux traitements utilisés.
Encadré. Lésions stomatologiques et leucémies.
Problèmes liés aux traitements associés
Bisphosphonates
Prescrits contre l’ostéoporose postménopausique
ou cortisonique (acide alendronique : Fosamax®) ou
administrés à forte dose et de manière répétée dans le
traitement des tumeurs ostéolytiques, des myélomes
multiples ou des métastases osseuses (acide pamidronique : Aredia®, acide zolédronique : Zometa®), les
bisphosphomates sont à l’origine de complications
buccales récemment décrites et variant selon les modalités de prescription (4). Ce sont d’abord des ulcérations muqueuses sans particularité, mais surtout des
foyers d’ostéite chronique maxillaire séquestrante qu’il
convient de savoir distinguer de la localisation métastatique. Une surinfection est couramment associée. Les
lésions peuvent survenir après une avulsion dentaire,
mais elles sont parfois spontanées. Le délai d’apparition est de quelques mois à quelques années après le
début du traitement. Les douleurs sont spontanées et
intenses. Il n’existe, à ce jour, aucun traitement définitif
de ces ostéonécroses ; l’attitude thérapeutique doit
être préventive. L’Afssaps recommande de pratiquer
des soins dentaires avant la mise en route du traitement par bisphosphonates, et de surveiller l’hygiène
bucco-dentaire ; les soins non indispensables doivent
être évités, de même que toute intervention invasive
(5). Il faudra limiter les avulsions aux dents porteuses
de foyers infectieux actifs, et placer le patient sous antibiothérapie jusqu’à cicatrisation complète, évaluée cliniquement et radiologiquement. En cas d’ostéonécrose
avérée, le traitement consiste en une antibiothérapie
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au long cours par amoxicilline 2 g/j par jour, éventuellement modifiée après prélèvements bactériologiques
avec antibiogramme ; un geste chirurgical pourra être
discuté.
Corticothérapie au long cours
Certains protocoles de chimiothérapie comportent de
la cortisone, surtout dans le traitement des leucémies
et des lymphomes. La cortisone est aussi utilisée pour
la prévention des complications du cancer, facilitant
la tolérance aux traitements. La corticothérapie est
responsable d’une adiposité cushingoïde de la face
avec œdème jugal et lingual (6), d’une fragilité capillaire
avec télangiectasies et atrophie cutanée du visage,
et quelquefois de l’apparition de mycoses buccales
chroniques. Le dépistage des foyers infectieux dentaires
est indispensable.
Antibiothérapie au long cours
Un traitement antibiotique au long cours, parfois nécessaire, peut favoriser l’apparition de germes résistants et
le développement de mycoses itératives ou chroniques.
Psychotropes
Les psychotropes sont responsables d’une xérostomie
plus ou moins sévère qui favorise l’apparition de caries,
parodontopathies ou mycoses. Ces traitements devront
être utilisés avec parcimonie et leur indication devra
quelquefois être reconsidérée. Dans tous les cas, un
examen buccal régulier des patients est indispensable.
Figure 1. Xérostomie et mycose post-radiques.
Problèmes stomatologiques des malades
atteints d’un cancer des VADS
Problèmes liés à la radiothérapie cervicofaciale
Dans les tumeurs des voies aéro-digestives supérieures
(VADS) [cavité buccale, larynx, œsophage] et des autres
tumeurs du cou, y compris lymphomes et maladie de
Hodgkin, les séquelles ou toxicités tardives peuvent se
révéler dans les mois ou les années qui suivent l’irradiation. Les séquelles post-radiques sont liées à l’altération des tissus irradiés dont la tolérance dépend de
la dose reçue, donc de la localisation tumorale (peau,
muqueuses, muscles, os, vaisseaux, glandes salivaires
et dents) et de leur susceptibilité particulière (7).
La surveillance d’un malade irradié doit toujours distinguer séquelles post-radiques et éventuelles lésions
tumorales évolutives au niveau de la cavité buccale,
auxquelles elles sont souvent associées. Radiomucite
et radiodermite au début, puis télangiectasie, œdème,
sclérose et atrophie affectent tous les tissus, compliqués d’ulcération chronique, de nécrose gingivale puis
osseuse avec suppuration, de fistule cutanée et, enfin,
d’orostomes, souvent associés à une constriction serrée
des mâchoires.
Xérostomie
La xérostomie (ou bouche sèche) est une des séquelles
les plus invalidantes de la radiothérapie cervico-faciale.
Elle est intense en phase aiguë du traitement radiothérapique ; surtout, elle est souvent durable (plus de 2 ans),
voire définitive. La bouche sèche est très diversement
appréciée, n’entraînant parfois que peu de plainte pour
une sècheresse extrême, ou, au contraire, un inconfort
intolérable alors que l’examen révèle une hyposialie
modérée. Cliniquement, dans la bouche sèche, le miroir
ou l’abaisse-langue colle aux muqueuses ; on n’obtient
pas de salive à l’expression des glandes salivaires principales et le test au sucre (observation du temps nécessaire pour faire fondre un morceau de sucre dans la
bouche) dépasse largement les 3 à 6 minutes du sujet
normal. La xérostomie rend l’élocution difficile et l’alimentation n’est souvent possible qu’entrecoupée de
prise de liquides. Elle favorise le développement des
mycoses buccales (figure 1) et des caries dentaires.
Lorsqu’une sécrétion salivaire partielle persiste, le traitement des xérostomies fait appel à la stimulation par des
médicaments dits “sialagogues parasympathicomimétiques”: pilocarpine chlorhydrate (Salagen® 5 mg 3 fois
par jour, ou teinture de Jaborandi 30 gouttes dans un
peu d’eau 3 fois par jour, ou Génésérine® 4,5 mg par
jour). Tous peuvent être associés à de petits moyens de
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Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2011
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stimulation salivaire par des aliments acidulés (bonbons
sans sucre, jus de citron) ou par stimulation mécanique
(chewing-gum).
À défaut de sécrétion salivaire résiduelle, le traitement
est substitutif par la salive artificielle Aequasyal®, gel
humectant Bioxtra® ou Biotène® en spray, à utiliser 6
à 10 fois par jour.
Une hygiène bucco-dentaire rigoureuse, une fluorothérapie dentaire prophylactique et des bains de bouche
bicarbonatés permettent de limiter le risque de caries
et la fréquence des mycoses.
Figure 2. Caries post-radiques.
A
Caries post-radiques
Les polycaries post-radiques sont secondaires à l’action
des rayons sur les glandes salivaires – et non sur les
dents. Ces caries dues à la xérostomie sont diffuses,
n’épargnent aucune dent, même hors des champs
d’irradiation, et surviennent dans les 4 à 6 mois après
la radiothérapie. Elles débutent au niveau des collets
dentaires (figure 2) et entraînent la fracture corono-radiculaire. Une coloration brunâtre ou noire est accentuée
par le tabagisme (8).
Depuis l’utilisation systématique des applications
de gel fluoré sur les dents saines (Fluocaril Bi-Fluore
2000 ® ) ou de pâte (Fluodontyl 1350® ) à l’aide de
gouttières thermoformées ou par brossage quotidien pendant au moins 5 minutes, une meilleure
conservation s’est avérée possible et les extractions
ne sont indiquées que pour les dents délabrées ou
infectées (9).
En cas d’échec, souvent dû à la négligence, il faut
tenter les soins conservateurs des dents. Même après
avoir éradiqué les foyers infectieux avant ou pendant
la phase initiale du traitement, on peut voir survenir
des accidents infectieux par évolution de caries ou de
problèmes parodontaux. Les traitements endodontiques doivent alors être réalisés sous antibiothérapie
(amoxicilline 2 g/j). Les avulsions avec mise en place
d’un pansement hémostatique (Surgicel®, Pangen®,
Coalgan®) doivent impérativement être pratiquées sous
antibiothérapie à large spectre au long cours jusqu’à
complète cicatrisation muqueuse et osseuse. La surveillance dentaire du malade doit être annuelle avec
réalisation d’une radiographie panoramique.
B
Figure 3. Ostéoradionécrose.
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Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2011
Toxicités tardives et séquelles stomatologiques des traitements anticancéreux
Ostéoradionécrose
Les extractions en territoire irradié par une dose de
50 Gy ou plus ou toute autre plaie muqueuse exposent au risque d’ostéite chronique. Complication
majeure de l’irradiation avec une incidence plus élevée à la mandibule qu’au maxillaire, l’ostéoradionécrose (ORN) survient quelques semaines à plusieurs
années après l’irradiation. Une ulcération muqueuse
chronique, parfois isolée, peut être observée, mais le
diagnostic d’ORN sera porté sur une exposition de
l’os sous-jacent et, surtout, sur l’examen radiologique
(panoramique dentaire) montrant une ostéolyse mal
limitée (figure 3). Un bref traitement antibiotique
(de 10 à 15 jours) peut suffire à calmer les douleurs
et peut éventuellement tarir une suppuration ; mais
il ne suffit en aucun cas au traitement d’une ORN.
Celle-ci évolue par poussées itératives avec dénudation progressive de l’os, suppuration parfois associée
à une fistule cutanée, et formation d’un orostome
(figure 4) ou d’une lyse osseuse, jusqu’à la fracture
mandibulaire. Dans le cas d’une ORN débutante, il
est impératif d’assurer une antibiothérapie au long
cours par amoxicilline 3 g/j en traitement d’attaque
pendant 10 jours, puis 2 g/j tant que la dénudation
osseuse persiste, le traitement pouvant être poursuivi
durant plusieurs années, avec contrôle clinique et
radiologique tous les 3 mois (10).
L’efficacité de l’oxygénothérapie hyperbare quelquefois proposée n’a pas été prouvée. La persistance des
douleurs, voire de la suppuration, fera poser l’indication
d’une hémi-résection mandibulaire.
Mycose buccale chronique
Les mycoses chroniques, représentées surtout par
une perlèche bilatérale et une glossite érythémateuse (figure 1), sont favorisées par la sécheresse
buccale. Le prélèvement mycologique met en évidence du Candida (C. albicans, le plus souvent) sur
la face dorsale de la langue. Les traitements itératifs
des mycoses chroniques sont de moins en moins
efficaces, soit par résistance directe du C. albicans,
soit par sélection de souches différentes (C. krusei) ;
on est conduit le plus souvent à s’accommoder de
la permanence de ces mycoses en essayant de
compenser le déficit salivaire par des substituts
salivaires et en privilégiant les traitements antifongiques topiques.
Dans les formes sévères ou après échec du traitement local, le traitement est systémique : miconazole comprimé gingival muco-adhésif en prise
quotidienne unique (Loramyc ® ) ou fluconazole
(Triflucan®).
• Bains de bouche composés (sérum bicarbonaté à 14 pour 1 000, 400 ml, Eludril®
90 ml, Fungizone® solution 40 ml)
• Amphotéricine B (Fungizone® suspension buvable)
• Myconazole (Daktarin® gel)
Encadré. Traitement antifongique local
Dysgueusie
La dysgueusie (ou trouble du goût) est associée à
l’hyposialie. Le plus souvent transitoire mais parfois durable, elle s’exprime de deux façons : soit
avec disparition de la perception du goût, soit par
altération du goût principalement salé ou amer.
Quelquefois, elle peut être imputée à des prises
médicamenteuses.
Atteinte tissulaire post-radique
La phase aiguë est marquée par une dermite de la face
et une mucite réversibles, puis on note une atrophie
et une fibrose muqueuses gênant la déglutition. On
observe une dépilation des poils de la barbe et de la
moustache dessinant parfaitement les champs d’irradiation.
La fibrose et la sclérose des muscles masticateurs entraînent une limitation de l’ouverture buccale pouvant
s’aggraver progressivement 6 mois après la fin de la
radiothérapie. L’ouverture buccale est quelquefois
inférieure à 1 cm, empêchant le passage d’une cuillère
Figure 4. Orostome.
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2011
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Risques organiques
Partie II
dossier
thématique
(figure 5). Des séances préventives ou curatives de
kinésithérapie et des exercices d’ouverture forcée à
l’aide d’une pince à linge sont utiles. Quelquefois, on
tente l’ouverture forcée sous anesthésie générale. La
fibrose cervicale est majorée lorsque l’irradiation est
réalisée après un curage ganglionnaire. Un œdème
sous-mental peut constituer un jabot disgracieux mais
non douloureux (figure 6) pouvant être traité par drainage lymphatique (11).
Figure 5. Ouverture buccale limitée.
Figure 6. Jabot post-radique.
Compte tenu des frais importants de ce type de réhabilitation et comme le préconise
la mesure 25.5 du Plan cancer 2009-2013, une prise en charge des implants supports
de prothèses dentaires et maxillo-faciales devrait pouvoir être envisagée. Si la place
des implants n’est plus contestable aujourd’hui, il reste à débattre des problèmes
concernant la chronologie des traitements, leurs modalités (chimio-radiothérapie,
chirurgie) et leurs rapports aux sites à implanter. La réponse à cette question devra
être précisée dans les prochaines années. L’irradiation est un facteur de risque d’échec
implantaire et la prudence doit rester de mise dans son indication, qui ne peut se
faire sans appréhension en raison du risque d’ORN. Dans la mesure du possible, il faut
implanter hors du terrain irradié.
Encadré. Réhabilitation dentaire et implants chez un malade traité pour cancer.
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Problèmes liés à la chirurgie des tumeurs
stomatologiques
La chirurgie des tumeurs de la tête et du cou et la fréquente nécessité d’un curage ganglionnaire entraînent des séquelles morphologiques et fonctionnelles
importantes, majorées par la radiothérapie. Elles ont un
retentissement durable sur la qualité de vie et le statut
psychologique du patient. Les cancers de la langue et
du plancher buccal comptent pour plus de 50 % des
tumeurs stomatologiques.
La chirurgie d’exérèse, parfois pratiquée avec section (bucco-pharyngectomie transmandibulaire) ou
avec résection mandibulaire, entraîne des troubles
de l’élocution et de la déglutition. Les procédés de
reconstruction par lambeaux locaux ou ostéo-musculo-cutanés limitent imparfaitement ces séquelles.
La mandibulectomie interruptrice antérieure peut être
responsable de fausses routes et de troubles respiratoires par rétropulsion de la langue. L’hémi-résection
mandibulaire a des conséquences plus modérées : la
latéro-déviation peut être compensée par une prothèse guide.
La reconstruction des pertes de substance osseuse
peut faire appel à des attelles métalliques ou à des
lambeaux libres composites comprenant de l’os, du
muscle et de la peau. Ces lambeaux revascularisés
permettent éventuellement la mise en place d’implants qui facilitent la réhabilitation dentaire (12). Les
sites donneurs les plus utilisés pour la reconstruction
de la mandibule sont le péroné, la crête iliaque et la
crête scapulaire. Les conséquences des résections du
maxillaire sont une communication bucco-nasale,
bucco-sinusienne ou bucco-naso-sinusienne provoquant le reflux des aliments par le nez, des troubles de
la mastication par absence d’arcade dentaire et des
troubles de la phonation donnant une voix nasonnée.
La fermeture de la communication bucco-sinusienne
est assurée par la mise en place d’un lambeau local
ou d’un lambeau musculo-cutané. Le traitement de la
perte de substance osseuse requiert la confection d’une
plaque palatine obturatrice ou la pose d’un greffon
osseux vascularisé.
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Toxicités tardives et séquelles stomatologiques des traitements anticancéreux
Cancer chez l’enfant : troubles du développement dentaire et de la croissance
osseuse de la face
Chez l’enfant, les séquelles sont identiques à celles
retrouvées chez l’adulte : fibrose musculaire et cutanéo-muqueuse, télangiectasie, atrophie et sclérose
cutanées, limitation serrée de l’ouverture buccale
(13). Des perturbations de l’évolution dentaire après
chimiothérapie ou radiothérapie sont caractérisées
par une réduction de la taille (microdontie), de la
forme et de la structure des dents. On note une disparition des germes (agénésie dentaire), l’arrêt ou
l’absence de développement des racines avec mobilité
dentaire (14). Les malpositions dentaires associées aux
interventions chirurgicales éventuelles et aux scléroses musculaires compromettent l’hygiène buccodentaire et favorisent l’apparition de gingivites et
de caries. Un traitement orthodontique peut être
nécessaire. Les séquelles osseuses sont représentées
par un retard de croissance avec hypoplasie de la
région irradiée, des anomalies cranio-faciales caractérisées par une micrognathie, une rétrognathie ou
une endognathie laissant des séquelles esthétiques
importantes (figure 7) [15]. Le risque d’ORN est faible,
mais les extractions en territoire irradié (pour des
indications orthodontiques, par exemple) doivent
être réalisées avec les mêmes précautions que chez
l’adulte. Dans certains cas, la pose d’implants peut
également être envisagée.
■
A
B
Figure 7. Hypoplasie maxillaire.
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