Cancer chez l’homme et retour à la sexualité DOSSIER THÉMATIQUE

publicité
DOSSIER THÉMATIQUE
La vie après le cancer
Cancer chez l’homme
et retour à la sexualité
Sexual health at the man after cancer
D. Habold 1, P. Bondil 2
Le droit à la santé sexuelle
1 Sexologue, centre hospitalier de
Chambéry.
Urologue, andrologue, cancéro­
logue, centre hospitalier de
­Chambéry.
2
Au décours d’un cancer chez l’homme, la question
d’un retour à la sexualité peut se poser. Loin d’être
systématique, ce questionnement, lorsque le patient
ou le couple est en souffrance, doit être entendu
des professionnels. La réponse et le comportement
sexuels de l’homme peuvent en effet tous deux être
affectés par la maladie et nécessiter un accompagnement.
Aidés des savoirs issus de l’expérience clinique oncosexologique et de nombreuses publications scientifiques spécialisées en psycho-oncologie, oncologie
médicale et chirurgie, certains soignants formés
sauront prendre en charge les plaintes exprimées
par les patients ; les autres, simplement sensibilisés
et informés, sauront se montrer empathiques, poser
la bonne question, et orienter.
La guérison va ramener l’individu vers un nouvel état
de santé. En préambule à la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1946, la santé
est définie comme “un état de complet bien-être
physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. Cette
définition est précisée depuis 1974 par la notion de
santé sexuelle fondée sur trois points fondamentaux :
➤➤ “Une capacité de jouir et de contrôler le comportement sexuel et reproductif en accord avec l’éthique
personnelle et sociale.
➤➤ Une délivrance de la peur, de la honte, de la culpabilisation, des fausses croyances et des autres facteurs
psychologiques pouvant inhiber la réponse sexuelle
et interférer sur les relations sexuelles.
➤➤ La santé reproductive, nécessitant une absence
de troubles, de dysfonctions organiques, de maladies
ou d’insuffisances susceptibles d’interférer avec la
fonction sexuelle et reproductive.”
170 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010
Ces trois points fondamentaux doivent être compris,
selon l’OMS, comme étant des droits de l’individu
et des devoirs de la société à leur égard.
Notre époque, notre société, la vie en couple
moderne fait de l’union de deux êtres autonomes et
désirants, reconnaissent et autorisent une sexualité
active au-delà de la procréation. La sexualité occupe
une place importante dans la vie des hommes, et le
retour à une vie normale inclut donc, pour un grand
nombre d’individus, la santé sexuelle.
Par ailleurs, les enquêtes sur la sexualité (1) montrent
que – sujet désormais un peu moins tabou – l’avancement en âge n’est pas synonyme d’arrêt de l’activité
sexuelle, puisque, dans la population générale, 75 %
des sexagénaires et plus de la moitié des septuagénaires ont une vie sexuelle active et plus satisfaisante
que pour les générations passées, bien que faussée par
les stéréotypes sociétaux de performance et naturellement modifiée par l’apparition de pathologies et de
leur cortège d’effets indésirables médicamenteux (2).
La génération de “l’amour libre” a désormais atteint
l’âge où les cancers sont fréquents, et notre société
reconnaît certainement aux personnes vieillissantes
un rôle d’amants sexuellement actifs (3).
Oui, le cancer est un accident
de la vie qui impacte
la sexualité
Le premier point à soulever est que l’atteinte sexuelle
est, dans le cancer, brutale. Contrairement au vieillissement ou aux pathologies chroniques neurologiques, vasculaires ou endocriniennes, le cancer et
la iatrogénie vont porter rapidement atteinte au
potentiel sexuel.
Résumé
La sexualité est l’une des composantes de la santé et de la qualité de vie. La survenue brutale de la maladie
et les séquelles des thérapies vont pénaliser l’homme et ses partenaires pendant et après le cancer. Tantôt
d’ordre relationnel et psychologique, tantôt purement fonctionnelle, la plainte du patient doit être prise
en charge dans un objectif de réadaptation et de réinsertion sexuelle par des professionnels informés et
formés. La connaissance des pronostics et des dysfonctions sexuelles attendus dans le traitement d’un
cancer en fonction du terrain et de la localisation permet d’éclairer l’homme et son aidant, et de conforter
un projet de vie naissant. Ce dispositif sexologique d’aide à l’individu et aux couples en soins de support
en oncologie permet alors aux patients, proches, associations et professionnels d’autoriser et d’organiser
la prise en charge de la santé sexuelle à partir de connaissances partagées entre spécialistes du cancer et
l’ensemble des acteurs de santé coordonnés par le médecin de famille. Le retour à la sexualité, lorsqu’il
n’est pas spontanément le fruit d’une adaptation vécue sans détresse, doit pouvoir bénéficier d’un soin
de support identifié tout au long du parcours de soins.
Les résultats de la première grande enquête représentative (4) de l’ensemble des malades du cancer
réalisée en 2004 sur les conditions de vie deux ans
après le diagnostic de cancer nous éclairent en faisant
le constat suivant :
➤➤ 2 ans après le diagnostic de cancer, 43 % des
personnes se déclarent guéries (ce qui est cohérent avec les taux de survie relative constatés : chez
l’homme 68 % à 1 an et 44 % à 5 ans) ;
➤➤ la survenue d’un cancer chez l’un des conjoints
préserve et renforce le couple (et encore plus quand
c’est l’homme qui est malade et quand une activité
sexuelle régulière préexistait) ;
➤➤ si la qualité de vie physique est plus ou moins
altérée selon la localisation des cancers, la qualité
de vie mentale n’est influencée par aucune variable
clinique ;
➤➤ 65 % des patients déclarent que le cancer (non
pelvien dans l’étude) a eu des conséquences pénalisant leur vie sexuelle actuelle ;
➤➤ les cancers de la cavité pelvienne arrivent en
tête en termes de conséquences négatives sur la
vie sexuelle des personnes (89 % des hommes), 44 %
des hommes potentiellement actifs se déclarent
encore très gênés 2 ans après hors ces localisations.
Aux facteurs communs aux hommes et aux femmes
associés à une vie sexuelle dégradée, liés à la gravité
de la maladie et aux traitements (pronostic défavorable, chimiothérapie, séquelles gênantes, consommation de psychotropes [5], désinsertion sociale et
professionnelle, inactivité sexuelle), s’ajoutent des
facteurs spécifiques aux hommes : niveau d’études
bas et insatisfaction vis-à-vis des informations
apportées par l’équipe médicale, importance de la
sexualité comme composante essentielle du rôle
masculin.
Quels que soient l’âge et la biographie sexuelle de
l’homme, il est extrêmement fréquent que l’intérêt
sexuel s’effondre à l’annonce du cancer. Quand bien
même l’angoisse engendrée trouverait compensation dans une hypersexualité de réassurance, il n’est
pas certain que la ou le partenaire se trouve dans
des dispositions favorables à Eros (6). La peur du
pronostic et les bouleversements engendrés par la
maladie dans la vie professionnelle, sociale, économique et familiale sont de nature à perturber les
pouvoirs du couple et dans le couple, reléguant
souvent la sexualité à un hypothétique futur et
grevant d’autant les chances d’une reprise facile
de l’activité sexuelle.
Au-delà de l’annonce et de la réelle compréhension
des enjeux thérapeutiques (7), le parcours de soins du
patient va très certainement être jalonné d’incertitudes, de questionnements non exprimés, mais aussi
de douleurs, de fatigue, d’épisodes anxio-dépressifs.
Ces états peu propices au lâcher-prise et au maintien
d’une activité sexuelle vont être aggravés par des
atteintes fonctionnelles (spécifiques et d’ampleur
imprévisible pour une personne donnée) engendrant des plaintes qui, bien qu’attendues, ne sont
pas toujours entendues. Anticiper et aborder très
tôt, et tout au long de la prise en charge en soins
de support, avec les patients et leurs proches, les
conséquences pénalisant la sexualité est aussi
indispensable que d’informer sur les possibilités de
réadaptation et de réinsertion sexuelle.
Adaptation et réadaptation
Chez un individu dont l’avenir de la santé sexuelle
dépendra des vulnérabilités préexistantes et des
représentations qu’il a de la sexualité, une approche
diachronique des symptômes rapportés est indispensable pour repérer les besoins adaptatifs (8). Ces ajustements vont également souvent devoir s’inscrire dans
le système du couple, qui va subir des changements
dans la relation affective à l’occasion du cancer (9).
Certains patients vont profiter de cet accident de vie
pour trouver un arrangement acceptable dans l’arrêt
d’une sexualité partagée dans le renforcement du
lien affectif. Cette résignation singulière est parfois la
conséquence logique d’une histoire de vie, d’une cinétique de couple et de famille avec moins de sexualité
et plus de tendresse, plus de tolérance. A contrario,
le renoncement peut être consécutif à un manque
d’information, d’espoir ou à la non-verbalisation de
la permission de poursuite d’activité sexuelle. L’extinction progressive de la relation sexuelle s’impose
alors à l’autre, laissant la place à d’autres formes
d’expression entraînant décalages et violences.
D’autres vont franchir cette épreuve sans se poser de
questions, acceptant le verdict des conséquences au
regard d’une guérison tant espérée. Le système de
Mots-clés
Santé sexuelle
Cancer
Dysfonctions sexuelles
Soins de support
Onco-sexologie
Adaptation
Réinsertion
Formation
Highlights
Sexuality is one of the constituents of health and quality of
life. The sudden occurrence
of the disease and the aftereffects of the therapies are
going to penalize the patient
and his partners during
and after the cancer. Either
subordinate to relational
and psychological disorders,
or functional, informed and
trained professionals have to
listen the complaint of the
patient in order to take care
in an objective of rehabilitation and sexual reintegration
by. The knowledge of the forecasts and sexual dysfunctions
which are known in the treatment of cancer according to
the ground and to the location
agree informing the man and
his close friend, and is able to
consolidate a rising life project.
This individual and couples help
is used to be organised like an
oncology support care which
allows patients, close relations,
associations and professionals
to organize the sexual health
coverage. Knowledge shared
between specialists and all
the actors of health will help
the man who can’t find a no
suffering adjustment.
Keywords
Sexual health
Cancer
Sexual dysfunction
Support care
Onco-sexology
Adjustment
Reintegration
Education
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 171
DOSSIER THÉMATIQUE
La vie après le cancer
Cancer chez l’homme et retour à la sexualité
fonctionnement dans lequel l’homme évolue avant,
pendant et après le cancer permet au patient et à
ses partenaires d’accepter des pertes et un handicap
auxquels ils s’adaptent sans souffrance perçue.
Cependant, lorsque les séquelles organiques modifient les réactions sexuelles jusqu’alors familières
du patient, perturbant de fait la relation à soi et à
l’autre, le recours à une aide spécialisée est indiqué.
Tantôt reproductif, tantôt récréatif, ce besoin de
sexualité peut également dévoiler un besoin profond
de partage, ou encore une vérification identitaire ou
culturelle de sa masculinité. La réadaptation pour
une réinsertion sexuelle nécessite alors une prise en
charge éclairée. Ce nécessaire élan vital peut révéler
un réel besoin de se sentir exister, y compris, pour
certains, dans les derniers instants souhaités d’un
stade terminal pour lequel on ne peut exclure un
retour à une certaine forme de sexualité.
D’autres fois encore, le cancer et ses traitements,
vécus avec violence par le patient et son entourage
direct, peuvent entraîner un traumatisme assorti
d’un sentiment de culpabilité ou de faute. Le sens
donné à la vie et la représentation identitaire s’en
trouvent altérés, grevant d’autant les possibilités
de retour à une sexualité sans l’aide d’une psychothérapie.
Une offre soignante qui n’est pas encore
à la hauteur de la demande
Sans surprise, devant l’impact important du cancer
sur la santé sexuelle, même lorsqu’il n’y a pas “d’atteinte fonctionnelle”, la demande de retour à une vie
“normale” est portée par de nombreuses associations
de malades (La Ligue nationale contre le cancer,
Vivre comme avant, Jeunes Solidarité Cancer, etc.)
et légitimée par l’extraordinaire amélioration des
traitements du cancer depuis 20 ans.
Le rapport 2009 de l’Institut national du cancer
concernant la situation du cancer en France (10)
apporte encore les données suivantes :
➤➤ Trois millions de Français ont ou ont eu un
cancer, soit potentiellement 1 adulte homme ou
femme concerné sur 10. L’âge moyen au moment
du diagnostic chez l’homme est de 67 ans.
➤➤ La charge symbolique associée au cancer reste
puissante ; 6,7 % des Français (extrêmes d’âge et
fragilité économique prédominants) croient en outre
à la contagion de certains cancers.
➤➤ La représentation sociale a évolué en 10 ans : le
sentiment de relégation sociale n’a plus cours, de
même que le cancer n’est plus incurable.
172 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010
➤➤ Malgré une opinion générale positive sur l’amélioration des soins, une perception critique de la relation aux médecins est exprimée : 61,7 % des patients
estiment qu’ils subissent les traitements prescrits
par les médecins, sans pouvoir donner leur avis, les
médecins étant perçus comme se concentrant sur
le cancer en oubliant le malade.
En matière de prise en charge des troubles sexuels,
la lisibilité de l’offre est insuffisante. Ni le malade,
ni le proche, ni l’oncologue ne savent s’orienter. Cela
renvoie à la question de la mise en place structurée
de l’offre de soins de support en sexologie. Offrir
un espace-temps reconnu dans lequel le patient
est autorisé à aborder ses problématiques propres,
auprès de soignants qui ont dépassé leurs propres
résistances en ayant bénéficié de formations dans
les savoirs, savoir-faire et savoir être, est désormais
indispensable.
Les besoins des soignants en matière de formation
à une prise en charge de la plainte sexuelle sont
criants, aggravés par la forte implication personnelle
et pédagogique à laquelle renvoie l’évocation des
troubles sexuels (11).
Au-delà d’une attitude empathique et de la sensibilisation aux difficultés sexuelles rencontrées au
décours d’un cancer, la prise en charge du patient
bénéficierait de l’existence d’un véritable RESO
(Répertoire des experts dans le support onco-sexologique disponible dans chaque territoire de santé).
L’affichage de ce RESO permettrait aux soignants,
associations et malades d’être accompagnés dans
la réparation et le retour à une santé sexuelle. Il
pourrait également bousculer la réserve médicale
constatée dans l’abord de cette dimension, faite
de résistances et de méconnaissances, en facilitant
l’organisation d’enseignements professionnels
spécialisés.
La bonne connaissance (12) de la physiologie des
réactions sexuelles chez l’homme (phases du désir,
de l’excitation, du plateau, de l’orgasme et de la
résolution) ainsi que celle des séquelles sexuelles
en fonction de la localisation (13) font partie des
savoirs à acquérir pour appréhender le retour à la
sexualité de l’homme.
Cancers des organes sexuels
et de la relation
Chacune des localisations figurant dans le tableau
constitue très directement une atteinte de la sphère
de l’intime et est susceptible d’entraîner des difficultés dans le retour à la sexualité.
DOSSIER THÉMATIQUE
Tableau. Cancers de la sphère sexuelle chez l’homme (La situation du cancer en France en 2009, INCA).
Localisation
Nombre de nouveaux cas
annuels
Âge moyen
au diagnostic
Taux d’incidence standardisé
monde (homme-femme)
Survie relative
à 1 et 5 ans
Prostate
62 000
71 ans
121,2
94 %-80 %
Testicule
2 000
36 ans
6,4
98 %-95 %
Verge
< 500
65 ans
1,3
95 %-85 %
Sein
500
66 ans
1-101,5
97 %-95 %
Vessie
8 000
71 ans
14,6-2,1
82 %-60 %
Colo-rectal
20 000
70 ans
37,7-24,5
79 %-55 %
Lèvre, bouche, pharynx
9 500
60 ans
21,5-5,2
Lèvre : 99 %-95 %
Langue : 69 %-35 %
Pharynx : 76 %-41 %
Larynx
3 200
63 ans
7,1-1,0
84 %-54 %
Peau
3 300
60 ans
7,6-8,8
95 %-83 %
Cancer de la prostate
Tristement leader des taux d’incidence et provoquant plus de 60 000 nouveaux cas par an, le cancer
de la prostate est, en dépit de tous les efforts des
thérapeutes, pourvoyeur de dysfonctions sexuelles
majeures, chez des patients dépistés de plus en plus
jeunes. Quel “repas de chasse”, véritable groupe
de parole, ne voit pas arriver dans la discussion les
échanges complices et désemparés des participants
sur le sujet des petits ennuis de fuites ou d’impuissance ? Il y a seulement 10 ans, combien de patients
n’avaient encore pour seule réponse que d’oublier
la sexualité ? L’annonce d’un cancer de prostate,
redoutée par tant d’hommes lors du dépistage systématique, va être suivie dans un temps très court des
premiers constats de séquelles des traitements. La
iatrogénie est ici bien présente et brutale, avec son
cortège de risques d’incontinence, de dysfonctions
érectiles et de modifications éjaculatoires, mais aussi
de troubles du désir sexuel, de modifications anatomiques et de douleurs. Certains patients, opérés il y
a plus de dix ans, viennent désormais consulter pour
envisager une reprise de leur sexualité. Les urologues et l’entourage soignant savent actuellement
proposer une stratégie de réhabilitation précoce pour
informer et préserver le potentiel sexuel.
Certains facteurs pronostiques positifs se dégagent
(absence de comorbidités, bonne fonction érectile
préopératoire, jeune âge du patient, présence d’une
partenaire et de libido), et il est primordial d’en faire
l’évaluation pour appréhender les chances et les
modalités de retour à la sexualité.
Selon les options thérapeutiques, souvent
­combinées, plusieurs cas de figure se présentent.
◆◆ Prostatectomie radicale (14)
Le geste chirurgical visant une compatibilité anatomopathologique avec la conservation des bandelettes
latérales, les conséquences attendues du geste sont :
➤➤ Une incontinence urinaire présente une fois sur
deux, diurne, nocturne, et coïtale, généralement
régressive, mais facteur de dépréciation de la
confiance et associé à des perceptions et interprétations négatives sur la relation. Le suivi et l’amélioration de la continence, les conseils de vidange
de vessie ou d’utilisation de préservatifs sont de
nature à ramener le patient vers des conditions plus
favorables à la reprise d’une sexualité satisfaisante.
➤➤ Une dysfonction érectile (20 à 90 % des cas
selon la technique) secondaire aux lésions neurologiques périphériques, à la neuropraxie et aux lésions
vasculaires artérielles et tissulaires locales. Cette
“impuissance” provoquée, qu’il est important de
mesurer, va se résorber naturellement pour partie
en deux ans, mais la récupération érectile va particulièrement profiter d’une stratégie de rééducation
active précoce soutenue par des injections intracaverneuses de prostaglandines E1 (remboursées par la
Sécurité sociale dans cette indication) ou la prescription d’inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5
(IPDE5). Ils pourront être associés ou complétés par
d’autres techniques de type vacuum ou prothèse
pénienne en seconde intention.
➤➤ Un raccourcissement du pénis et une sensation
de pénis froid, consécutifs à la fibrose caverneuse
entraînée par les lésions neuro-vasculaires et favorisée par le défaut d’érection.
➤➤ Des dysorgasmies (15) pour 80 % des patients,
dominées par le constat de l’anéjaculation secondaire à la suppression tissulaire prostatique, des
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 173
DOSSIER THÉMATIQUE
La vie après le cancer
Cancer chez l’homme et retour à la sexualité
modifications de l’intensité du plaisir malgré le
maintien des phénomènes orgastiques réflexes, des
douleurs d’origine multifactorielle souvent perçues
au niveau du pénis ou du rectum. Leur prise en charge
peut relever de traitements pharmacologiques et
d’une sexothérapie.
➤➤ Des troubles du désir sexuel, en grande partie d’origine psychologique, dus à l’impact de la maladie et à
la perception brutale d’une diminution de puissance,
avec diminution de l’estime et de la confiance en soi.
◆◆ Radiothérapie externe et radiothérapie ◆
interstitielle
La radiothérapie externe conformationnelle va
entraîner des effets aigus de type asthénie, diarrhées,
rectite ou cystite radique altérant la relation, et des
effets tardifs d’installation progressive de plusieurs
mois portant sur la fonction érectile et en rapport
avec les atteintes micro-vasculaires. La récupération spontanée se révèle meilleure lorsqu’il existe
des érections nocturnes avant la radiothérapie ; la
surveillance de l’évolution de cette dysfonction
érectile doit être doublée d’une attention portée
aux troubles de l’éjaculation.
Concernant les curiethérapies, 75 % des hommes
sexuellement actifs conservent une éjaculation, avec
parfois une diminution du volume de l’éjaculat ou
du plaisir ressenti. Un patient sur trois décrit des
éjaculations douloureuses, celles-ci s’améliorant
en général en quelques mois et n’altèrant pas la vie
sexuelle ultérieure.
◆◆ Ultrasons focalisés
Le traitement par Ablatherm® HIFU est également
susceptible d’entraîner une dysfonction érectile du
fait du traitement global de la glande.
◆◆ Hormonothérapie
L’administration temporaire d’antiandrogènes ou
d’agonistes de la LH-RH entraîne, indépendamment
des autres traitements du cancer, un déclin significatif
de la libido, avec baisse du désir, de la qualité et de la
fréquence des érections, de la fréquence de l’initiative
des relations, de la masturbation et des fantasmes.
Associées aux modifications corporelles inhérentes à
la castration, ces perturbations, régressives à l’arrêt
du traitement, sont source de détresse psychologique, d’interprétations dans le couple et d’anxiété
concernant les futures performances sexuelles.
On le voit, le choix éclairé du type de prise en
charge, afin de préserver la qualité de vie sexuelle
sans compromettre le résultat oncologique, est un
réel enjeu.
174 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010
Cancer du testicule
La maladie, qui touche 2 000 hommes – souvent
jeunes – chaque année, impose, du fait du caractère embryonnaire du tissu, une prise en charge
oncologique urgente, particulièrement difficile
à vivre lors de l’annonce, car survenant dans une
dynamique de vie et de couple faite de projets et
d’insouciance physique. Nonobstant le très bon
pronostic de ce cancer, la maladie, son traitement
chirurgical, la radiothérapie externe dans les séminomes, les chimiothérapies dans les tumeurs non
séminomateuses, entraînent, chez plus d’un patient
sur quatre bénéficiant d’un traitement combiné,
une altération de la sexualité portant sur le désir,
l’érection et l’éjaculation.
Certes, la castration chirurgicale unilatérale – bien
qu’à l’origine de modifications de l’image pour 50 %
des patients – est habituellement bien mieux vécue
que la perte de la fonction érectile en termes de
charge émotionnelle. La symbolique de puissance
et la représentation de la masculinité auprès des
deux sexes passent en effet par le phallus érigé plus
que par le contenu des bourses. L’accompagnement
médico-psychologique doit pouvoir se faire encore
longtemps après la guérison, car il s’agit d’entendre
et de devancer les questionnements de nature à
perturber la sexualité des patients et des partenaires.
Au-delà d’une reconstruction esthétique facilitée
par l’excellente tolérance des implants testiculaires,
la confiance en soi doit être restaurée, à partir de
2 éléments de support.
◆◆ Envisager la vie sexuelle future
➤➤ Autoriser la reprise d’activité sexuelle et le
dialogue entre partenaires : le sentiment de culpabilité de l’homme et les fausses croyances doivent
être repérés. Favorisées par une cryptorchidie, une
atrophie post-traumatique ou infectieuse, les questions de l’apparition du cancer, du risque de récidive
et de la non-contagion à la partenaire doivent être
abordées au cours de l’entretien.
➤➤ Évaluer médicalement les plaintes sexuelles en
intégrant que la présence du second testicule et
l’adaptation de l’axe hypothalamo-hypohyso-gonadique garantissent l’imprégnation androgénique
nécessaire au bon déroulement de l’ensemble des
réactions sexuelles de l’homme. Si la capacité de
production de fantasmes reste fonctionnelle, l’imaginaire érotique peut néanmoins être affecté par
des pensées parasites en rapport avec des peurs
engendrées par le cancer. L’érection est normalement inchangée, l’ascension testiculaire unilatérale
DOSSIER THÉMATIQUE
persiste et, sauf complication nerveuse secondaire à
une nécessaire lymphadénectomie lomboaortique,
les sensations orgastiques et de plaisir sont inchangées, et le volume de l’éjaculat n’est pas altéré. Les
séquelles douloureuses sont rarissimes, mais elles
doivent faire l’objet d’une analyse au vu d’une IRM
des rapports anatomiques et pouvoir bénéficier des
soins de support douleur.
◆◆ Informer◆sur◆la◆capacité◆de◆procréation
Dès avant l’opération à but diagnostique, la fertilité
est abordée par le biais de la recommandation a
priori de procéder à une conservation de sperme.
Si la persistance d’un seul testicule suffit à garantir
la fertilité, il est en effet toutefois possible que la
production et la qualité des spermatozoïdes soient
affectées par une chimiothérapie ou une radiothérapie. La reprise de rapports sexuels doit s’accompagner de précautions adaptées en matière
de contraception. Par ailleurs, la cryoconservation
elle-même pouvant laisser un certain nombre de
doutes au patient, il s’agira de s’assurer que les résultats sont correctement compris, la confusion entre
virilité et fertilité restant grande dans la population.
Parfois, les conditions du prélèvement du sperme
elles-mêmes n’ont pu permettre la conservation
(pression culturelle interdisant la masturbation) ou
vont engendrer un trouble psychologique chronique.
Cancer de la verge
Le carcinome épidermoïde de la verge, souvent
indifférencié, est très rare dans les pays occidentaux,
contrairement aux pays moins développés. Les léiomyosarcomes, mélanomes et sarcomes de Kaposi
sont exceptionnels. L’incidence des tumeurs du pénis
est variable selon les pays ; elle est estimée à 1,3 % de
l’ensemble des cancers en France et survient généralement après 60 ans. Ce cancer est inconnu chez le sujet
circoncis à la naissance. Le phimosis, les condylomes
ainsi que les infections à HPV et autres affections plus
rares (maladie de Bowen) sont considérés comme les
facteurs favorisants. Le diagnostic est, en règle générale, aisément affirmé par la biopsie de la lésion, et le
bilan d’extension recherche une infiltration locale et
des adénopathies. L’atteinte du fourreau pénien est
rare, et c’est essentiellement l’amputation sensitive du
gland qui perturbera le retour à une sexualité génitale.
Dès lors, deux situations apparaissent :
➤ Le traitement des formes peu infiltrées associe
généralement la circoncision et l’exérèse au laser CO2
et/ou une radiothérapie locale (curiethérapie ou
irradiation externe à haute énergie), généralement
bien tolérée. Les patients déclarent une reprise et
une amélioration de leur vie sexuelle.
➤ Le recours à une amputation partielle de verge
avec conservation d’une partie des corps caverneux,
voire une amputation totale avec urétrostomie périnéale peuvent malheureusement être nécessaires.
La reprise des rapports sexuels est évidemment
compromise et soumise à la qualité des gestes
chirurgicaux d’exérèse et de reconstruction, qui
doivent être réalisés par des équipes entraînées.
Une prise en charge psychologique avec travail sur
l’estime de soi est indispensable.
Cancer du scrotum, du cordon
spermatique et de la vésicule séminale
Les exceptionnels épithéliomas du scrotum, tumeurs
malignes du cordon et cancers de la vésicule séminale
ont pour point commun un très mauvais pronostic et
une survie rare à 3 ans. Il ne peut être question d’une
sexualité active ici. Les outils d’accompagnement
tenant compte de la spiritualité et du rapprochement
familial doivent être favorisés par l’équipe soignante.
Cancer du sein
Le cancer du sein chez l’homme représente 1 % des
cas sur les 2 sexes, et il survient plus tardivement
que celui de la femme, avec une moyenne de 66 ans.
Communément diagnostiqué après constatation
tardive d’un nodule rétro-mamillaire, l’adénocarcinome mammaire bénéficie des mêmes progrès
thérapeutiques que chez la femme.
Ce cancer étant parfois associé à un déficit androgénique chronique, un hypogonadisme doit être
recherché, et cet élément pris en compte dans la
fonction sexuelle de l’individu.
Cancer de la vessie, cancer colorectal
et du canal anal
Avec 6 000 nouveaux cas de cancer de la vessie chez
l’homme, cette maladie grave ne laisse une sexualité
active qu’à 25 % des patients. Les très fréquents
cancers colorectaux et du canal anal entraînent chez
l’homme un cortège de dysfonctions.
Les traitements d’amputation privilégiant autant que
possible la préservation de l’innervation à visée urogénitale, la création d’une stomie, la radiothérapie et
la chimiothérapie vont tous avoir des conséquences
néfastes sur la sexualité, par lésion organique (16) ou
par répercussion sur l’image corporelle. La présence
d’une stomie bouleverse l’existence de celui qui la
Abonnezvous
en ligne !
Bulletin
d’abonnement
disponible
page 220
www.edimark.fr
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 |
175
DOSSIER THÉMATIQUE
La vie après le cancer
Cancer chez l’homme et retour à la sexualité
porte et celle de ses proches (17). Les vraies difficultés
commencent souvent lors du retour à domicile et de
la reprise d’une vie normale. Les craintes à propos
de la gestion de la poche collectrice, associées à la
perturbation des perceptions visuelles, auditives, du
toucher et de l’odorat, nécessitent l’aide de soignants
avertis, ayant l’expérience des stomies, et force de
proposition. Douleurs de tension ou orgastiques,
anéjaculations et éjaculations rétrogrades, troubles
érectiles viennent aggraver le tableau des séquelles
chez l’homme, dont l’âge avancé sera un facteur
péjoratif quant à la reprise d’une sexualité génitale.
à construire l’image de soi et fait que chacun se
retrouve dans le regard de l’autre.
Les lésions disgracieuses, brûlures, cicatrices, sécheresse de la peau, épaississements du tissu conjonctif
vont tour à tour pouvoir pénaliser la relation pendant
la maladie. L’homme n’est pas à l’abri de la perte de
repères provoquée par ces modifications de l’enveloppe, parfois aggravées par une alopécie pubienne
infantilisante. Les soins de support, avec leur cortège
de conseils en cosmétologie, diététique et esthétique, doivent permettre au patient de retrouver
une confiance dans son pouvoir de séduction, socle
d’une sexualité partagée.
Cancer des lèvres, de la bouche,
du pharynx, cancer du larynx
Autres cancers
Au-delà de l’atteinte esthétique et symbolique de
la face, les céphalées et douleurs cervico-faciales
des cancers ORL sont un réel handicap relationnel
à surmonter.
C’est au niveau du larynx que naît l’“organe sexuel
secondaire” de la voix. La modification par le cancer
de cet outil de communication essentiel pénalise
rapidement le patient dans le retour à la sexualité.
Plus fréquent chez l’homme et particulièrement
destructeur, ce cancer doit bénéficier d’un accompagnement composé de soins d’orthophonie, mais
le patient tirera également un grand bénéfice de la
fréquentation du milieu associatif des laryngectomisés dans le bon usage relationnel de sa trachéo­
stomie. Le conseil sexologique pourra également
lui permettre d’envisager avec sa ou son partenaire
de modifier ses habitudes, les positions sexuelles
et accessoires vestimentaires exposant moins à la
vue de l’autre une prothèse respiratoire à laquelle
ils s’habitueront progressivement. Il conviendra
également, dans ces cancers dont le rapport avec
une exposition éthylo-tabagique ou une infection
à papillomavirus est fréquent, d’intégrer le profil de
personnalité et d’habitudes des patients.
Cancer de la peau
La peau est un organe biologique, relationnel et
social. Véritable premier organe sexuel, son atteinte
par un cancer ne peut que perturber la relation à
l’autre et à l’intime. Fréquemment remarquée par
la ou le partenaire intime, l’atteinte cutanée se
double d’un sentiment de discrédit. Qu’il s’agisse
directement d’un carcinome ou d’un mélanome, ou
indirectement d’une maladie cancéreuse entraînant
une atteinte de la peau, l’enjeu psychologique va être
de réapprivoiser l’enveloppe corporelle, qui contribue
176 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010
Les cancers des organes “non sexuels”
Les cancers du poumon, de la thyroïde, des os,
du rein, du système nerveux et les hémopathies
malignes sont des localisations dont on pourrait
dire de prime abord qu’elles sont peu à même de
perturber le retour à la sexualité. Pourtant, 65 % des
patients présentent des difficultés sexuelles réelles
au décours de ces cancers.
Certes, divers facteurs psycho-sociaux, socio-démographiques et médicaux paraissent clairement liés
au fait de déclarer que la maladie a eu un impact
négatif. On peut néanmoins affirmer que le retour
à la sexualité est d’autant plus difficile que :
➤➤ le patient était déjà peu actif sur le plan de la
sexualité avant l’annonce,
➤➤ depuis le diagnostic, le patient a augmenté sa
consommation de psychotropes,
➤➤ l’indice de pronostic relatif est faible,
➤➤ le patient a été traité par chimiothérapie (asthénie
prolongée, toxicité neurologique de la vincristine
entraînant des dysfonctions éjaculatoires, etc.),
➤➤ les séquelles sont gênantes (amputation de
membre, d’une partie de la capacité respiratoire, etc.),
➤➤ des comorbidités sont présentes,
➤➤ l’âge du patient est avancé.
Dans ces cas où les organes sexuels et de la relation
ne sont pas directement atteints, mais où l’échelle
de temps est souvent plus longue, il est particulièrement marquant de noter cette importante prévalence des difficultés, qu’il faut prendre en compte
dans le retour à la sexualité.
Les troubles se portent surtout sur un désir hypoactif,
une fatigabilité, une difficile reprise de toute activité
sociale et relationnelle, dont la relation sexuelle.
Devant la persistance d’une atteinte de la santé
organique et psychique longtemps après l’arrêt
des traitements, il est essentiel d’assurer un soutien
DOSSIER THÉMATIQUE
psychologique, de renforcer l’estime de soi, d’informer par tous les moyens de ces conséquences
attendues mais pour lesquelles les patients souffrent de ne pouvoir faire mieux, d’oser reparler de
la sexualité avec le ou la partenaire, et de proposer
des aménagements (informations d’économie énergétique dans les positions, modification des scripts
amoureux du couple, sexualité des corps malades,
sexualité non coïtale, etc.) [18].
Cas particulier des adolescents
et jeunes adultes
Chapitre à part entière, la question du retour à la
sexualité, alors que celle-ci va être perturbée dans
sa construction même, doit être soulevée. Chaque
année, 2 000 jeunes hommes de moins de 18 ans
vont voir leur développement psychologique
perturbé par le cancer, dont 60 % de tumeurs solides
majoritairement embryonnaires et survenant avant
5 ans et 40 % de leucémies aiguës et cancers des
organes lymphatiques. Le développement psychosexuel et la construction de la personnalité vont
être impactés par le système dans lequel l’enfant
va évoluer. La nécessité de rompre l’isolement en
préservant physiquement les rythmes de développement au sein de la famille, avec réintégration de
la classe d’âge dans le milieu scolaire, est actuellement reconnue chez les adolescents, ces êtres en
devenir avec leurs vulnérabilités, questionnements
et problèmes d’image. Avec le nombre croissant
de guérisons dépassant 80 %, comment ne pas
être délétère sur la construction et viser la santé
sexuelle aussi ? Autoriser le flirt et les relations n’est
pas antinomique avec l’intérêt à long terme du jeune
patient. Le prix de la guérison, parfois marquée par
des séquelles physiques locales, des troubles psychologiques et de la confiance en soi, va souvent trouver
un écho supplémentaire dans la problématique de
l’avenir incertain de la fertilité. Quand bien même il
est organisé une trop souvent traumatisante conservation de sperme, la question de la confusion virilitéfertilité va se présenter dans la sexualité du jeune
homme. La conservation de sperme en cas de traitement potentiellement gonadotoxique, proposée
à tous les adolescents pubères atteints de cancer,
est précipitée par la nécessité de commencer les
traitements. Parfois longtemps éludée, la question
de la sexualité chez le jeune adulte sorti de l’environnement soignant pédiatrique, souvent très à
l’écoute, et du milieu parental, dont la place et le
rôle sont délicats en la matière, doit trouver une offre
de conseil fiable et professionnelle (19).
Quand le retour à la sexualité
de l’homme dépend de l’autre
La solitude et l’absence de partenaire peuvent
évidemment être à l’origine de difficultés rencontrées par certains. Pour autant, la préservation d’une
sexualité future et d’une intimité doit être évoquée,
car la reprise peut être différée et suspendue à une
rencontre.
La peur, les interprétations et résistances des partenaires à oser réaborder physiquement ou verbalement un compagnon que la maladie a blessé sont
à opposer à l’envie d’oser montrer son intérêt pour
l’autre, révélant une séduction endormie, pourtant
renfort narcissique de l’estime de soi.
Enfin et dans le contexte du cancer, nous ne
saurions oublier la situation où, dans le couple,
c’est la femme qui est atteinte. Ce cas de figure,
au travers du cancer du sein, mais également des
autres localisations, pose à l’homme d’autres questions quant à sa réinsertion sexuelle. Là encore,
l’information et la communication dans le couple
doivent être encouragées. L’expression des attentes
mutuelles, des craintes et des troubles temporaires
ou définitifs doit pouvoir être prise en compte par
les interlocuteurs soignants en abordant auprès
des malades et de leurs proches la question de la
santé sexuelle.
Accompagner la réinsertion
sexuelle
Se préparer à un retour à la sexualité
est nécessaire
Extrait du document d’information de La Ligue
contre le cancer intitulé “Information destinée
aux hommes traités pour un cancer” : “Les effets
des traitements et du cancer sur la sexualité. Ils
varient d’une personne à l’autre. Certains troubles
sont temporaires, d’autres définitifs (séquelles). Si
certains aspects de la sexualité sont modifiés, vivre
sa sexualité reste possible. Une communication entre
vous, votre partenaire, vos interlocuteurs médicaux,
doit vous permettre d’exprimer vos questions afin d’obtenir des réponses face aux difficultés rencontrées”.
Le patient doit bénéficier, comme pour les volets
socio-professionnels ciblés par le Plan cancer n° 2
français, d’une anticipation dans le domaine de la
préparation à une réinsertion sexuelle.
Nous l’avons vu, le cancer entraîne des modifications importantes et brutales de l’appareil sexuel,
d’une part, et de la programmation relationnelle
et comportementale de l’individu, d’autre part.
Informés dès l’annonce des conséquences et du
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 177
DOSSIER THÉMATIQUE
La vie après le cancer
Références
bibliographiques
1. ANRS-Inserm-INE. Enquête
“Contexte de la sexualité en
France”, Paris 13 mars 2007.
2. Brenot P. Dictionnaire de la
sexualité humaine. 2004, L’esprit
du temps, Le Bouscat.
3. Kaiser FE. Sexual function and
the older cancer patient. Oncology
1992;6(Suppl. 2):112-8.
4. Le Corroler-Soriano AG, Malavolti L, Mermilliod C. La vie 2 ans
après le diagnostic de cancer.
La Documentation Française,
mai 2008.
5. Zajecka J. Strategies for the treatment of anti-depressant-related
sexual dysfunction. J Clin Psychiatry
2001;62(Suppl. 3):35-43.
6. Ménoret M. Les temps du cancer.
1999, CNRS Éditions, Paris.
7. Schraub S, Marx E. Sexualité et
cancer : information destine aux
hommes traités pour un cancer,
2007, Guide d’information SOR
SAVOIR PATIENT Ligue contre le
cancer.
8. Marx E. Sexualité et cancer : d’un
deuil à l’autre, les maux de l’intime.
Rev Francoph Psycho-Oncologie
2005;4(3):139-40.
9. Hirch E. Quelle vie pour le couple
après le cancer ? Le couple et la
sexualité. Rev Francoph PsychoOncologie 2005;4(3):145-50.
10. INCA, La situation du cancer en
France en 2009. Coll Rapports et
synthèses, 2009.
11. Habold D, Bondil P. Enquête
“A p t i t u d e s e t a t t e n t e d e s
soignants dans la prise en charge
de la demande sexologique de leurs
patients”. Rev Francoph PsychoOncologie 2007;1(4):296-7.
12. Krebs L, What should I say?
Talking with patients about
sexuality issues. Clin J Oncol Nurs
2006;10(3):313-5.
13. Huc F, Habold D, ChevretMeasson M. Thésaurus des dysfonctions sexuelles en rapport avec le
cancer ou ses traitements. Mémoire
de diplôme Interuniversitaire de
sexologie médicale 2009, Univ.
CB Lyon 1.
14. Étude REPAIR-AFU. Prostatectomie totale en France en 2005:
l’état des lieux des conséquences
fonctionnelles et de leur prise
en charge. Annales d’urologie
2007;41:1-26.
▸▸▸ / ▸▸▸
Cancer chez l’homme et retour à la sexualité
pronostic fonctionnel sexuel, le patient mais aussi
le ou la partenaire doivent savoir qu’il existe des solutions de réhabilitation qu’il faut parfois mettre en
œuvre rapidement, même sans “obligation d’usage”,
pour conserver le potentiel futur. La rééducation
précoce des dysfonctions érectiles post-prostatectomie radicale doit par exemple s’apparenter au
lever précoce postopératoire et faire partie de la
reprise d’activité.
Évoquer très tôt ce sujet et y revenir tout au long
de la prise en charge ont un second avantage : celui
de projeter le patient et le couple dans un avenir
synonyme de guérison. Parler de comment faire
l’amour, c’est souvent le faire déjà un peu et revivre.
Les soignants doivent également se préparer à
aborder régulièrement la question de la santé
sexuelle avec le patient. Nombreuses sont les occasions qui permettent d’oser aborder le sujet, en toute
légitimité professionnelle. Le paradoxe et l’hypocrisie
résident plutôt en ce que tous les documents d’information proposés au malades concernant les cancers
parlent des difficultés sexuelles que le patient va bien
vite rencontrer, mais que les tutelles et soignants
ne sont pas proactifs et ne se préoccupent pas de
cette dimension.
En ce début de siècle, dans les démocraties pour
qui la qualité de vie individuelle importe, autoriser
l’homme, ses proches et partenaires, ainsi que le
milieu médical à prendre en charge l’intimité sans
promouvoir la performance obligée est un enjeu
sociétal semblable à la prise en compte de la douleur
il y a 20 ans.
Organiser la prise en charge individuelle
et des couples en soins de support
en onco-sexologie
Une organisation professionnelle de la prise en
charge en onco-sexologie est indispensable. Le
premier Plan cancer et l’existence des soins de
support jettent la base d’une architecture lisible
pour le patient, mais ne prévoient pas pour l’instant le financement d’un temps soignant dédié,
souvent incompatible avec celui de la consultation
spécialisée oncologique, chirurgicale, ou de radiothérapie Ces temps de suivi médical doivent être
l’occasion de tendre une perche, de poser la question
“Et sur le plan sexuel, comment ça se passe ?”, “Pas
trop diminué ?” Et à la compagne ou au compagnon, dont on sait que les attentes en matière de
relations sexuelles sont souvent négligées, penset-on assez à lui demander son opinion sur la question ? Dès lors que le patient apparaîtra souffrant
178 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010
et en demande, il s’agira, selon les capacités de
chacun, de commencer une évaluation du trouble
ou d’orienter vers les spécialistes d’onco-sexologie
correspondants réguliers des oncologues médicaux
et spécialistes organisés en dispositif d’experts du
type SAICSSO (Sexologie d’aide individuelle et des
couples en soins de support) [qui s’appuie ensuite sur
le médecin généraliste et les professionnels repères
dans le répertoire opérationnel local]. Intégré aux
réseaux territoriaux tels que la loi HPST (adoptée
le 19 mars 2009) les entend, le patient pourrait
bénéficier du dispositif des prestations dérogatoires
indispensables à un moment où la réinsertion sociale
est souvent grevée par les difficultés économiques.
Informer les hommes, réexpliquer, au moment où
ils sont psychologiquement disponibles à aborder
cette problématique, évaluer la plainte sexologique,
sortir des mythes et fausses croyances, retrouver
une fonctionnalité pour rétablir la relation à soi et
à l’autre ne se font pas en 10 minutes. La stratégie
de prise en charge est le réel aboutissement d’une
analyse médicale en un contrat thérapeutique.
L’information, la formation, et l’autorisation même
des soignants, encadrées par une sémantique
commune et des connaissances scientifiquement
validées, doivent pouvoir être dispensées par ceux-là
mêmes qui auront cliniquement la charge d’accompagner et de soigner les malades se plaignant de
dysfonction sexuelle. Il n’est pas exclu, d’ailleurs,
que l’état de connaissances partagées interfère,
sans risque carcinologique, avec des modifications
de pratiques professionnelles telles que le choix
d’une technique ou d’un traitement à la lumière
des séquelles acceptables chez l’homme sur le plan
de la qualité de vie et de la santé sexuelle future.
La boucle est bouclée, et le patient peut alors être
remis au centre des préoccupations des soignants.
C’est l’approche stratégique que nous avons mise en
place dans le territoire de santé des Alpes-Dauphiné
et qui répond à la demande des patients et des
soignants (figure).
Trois situations singulières
dans le retour à la sexualité de l’homme
Dès lors que l’information systématique et l’offre
de soins existent, trois cas de figures apparaissent :
◆◆ L’homme n’est pas en demande
Il aura bénéficié de l’information, d’une rééducation précoce lorsqu’elle est indiquée, et pourra
revenir vers un dispositif repérable s’il en éprouve
et exprime le besoin un jour.
DOSSIER THÉMATIQUE
◆◆ L’homme est en demande et la situation ◆
est simple
Le spécialiste ou le généraliste, informé et formé
pour la prise en charge des situations courantes,
mettra en œuvre les solutions thérapeutiques rapides
et simples permettant au patient et au couple de se
réapproprier un mode de sexualité qui leur appartient. Il s’agit souvent :
➤➤ d’une simple réparation de l’appareil fonctionnel
sexuel par action médicamenteuse (injections intracaverneuses, IPDE5, vacuum, antalgiques, etc.) ;
➤➤ de conseils fonctionnels (adaptation de la stomie
au partage du corps, vidange vésicale précoïtale,
positions facilitantes, relaxation, etc.) ;
➤➤ de pédagogie (rester actif, avec une bonne
hygiène de vie, remettre de la communication,
connaître son anatomie, répondre aux fausses
croyances, aménager le cadre des relations, etc.).
Le praticien intéressé et impliqué dans un RESO
saura répondre à la demande directement ou en
orientant le patient.
◆◆ L’homme est en demande, mais la situation est
complexe comme par exemple :
➤➤ lorsque le praticien n’est pas à l’aise avec cette
dimension qui lui semble inaccessible ;
➤➤ lors de la mise en évidence chez l’homme de vulnérabilités prédisposant à l’apparition de dysfonctions
sexuelles ou de troubles sexuels antérieurs au cancer ;
➤➤ en cas de besoin exprimé par la partenaire mais
occulté par le patient, du fait d’un décalage dans
le couple, en particulier dans les troubles du désir ;
➤➤ du fait de modifications corporelles et du script
sexuel nécessitant une “reprogrammation” et une
réassurance dans son pouvoir de séduction ;
➤➤ en cas de syndromes anxio-dépressifs persistants ;
➤➤ en cas d’amputations nécessitant des reconstructions physiques importantes, et donc également
des reconstructions mentales.
Le parcours de soin doit être respecté et doit aboutir
à la prise en charge spécialisée reconnue, qui est
alors intégrative et touche des domaines diversifiés :
➤➤ physique et psychique : intégrité, habiletés ;
➤➤ psychologique : structure et psychopathologies ;
➤➤ relationnel : fonctionnement personnel, cinétique
et pouvoirs dans le couple, repérage des blocages ;
➤➤ socio-culturel : retrouver une place et un sens,
représentations et apprentissages.
Conclusion
Vivre pendant et après le cancer doit prendre en
compte le fait que la santé sexuelle est l’un des
Démarche nationale de mise en place de l’onco-sexologie
Exemple de la stratégie dans les Alpes françaises
Prise de conscience collective
et professionnelle, droit des malades
Autoriser les patients
et leur(s) partenaire(s)
Autoriser les soignants,
les informer
Recenser
et diffuser les savoirs
en interdisciplinaire
Informer
les malades et couples
Partager un même
langage sémiologique
Définir des outils de mesure
en qualité de vie
individuelle et du couple
Orienter les patients
lorsqu’ils le souhaitent
Apprendre aux soignants
Savoir être, communiquer
Savoir-faire, outils diagnostiques
et thérapeutiques
Utiliser des stratégies
intégratives
de réhabilitation
Proposer et évaluer l’accompagnement des professionnels sensibilisés et identifiés (RESO de ROSA)
et celui des patients dans l’espace de prise en charge des dispositifs d’annonce et soins de support
(Sexologie d’aide individuelle et des couples en soins de support oncologie [SAICSSO])
Figure. Mise en place de l’offre en onco-sexologie.
objectifs à atteindre pour que l’individu réinvestisse
un projet de vie.
La réinsertion sexuelle nécessite que les dysfonctions sexuelles entraînées par le cancer et ses traitements soient répertoriées, connues des soignants
et expliquées au patient. Autorisés à aborder cette
dimension par la reconnaissance des difficultés à
envisager un retour à la sexualité, soignants formés
et patients éclairés pourront alors bénéficier des
avancées thérapeutiques de la réparation et des
soins de support.
Ce temps d’échange, d’abord informatif puis d’accompagnement, doit être accessible aux patients et
aux proches en souffrance, sans disparités géographiques et sociales. Prendre en compte l’évaluation de la sexualité avant le cancer, s’assurer que
l’alliance thérapeutique des soignants est validée
par le cancérologue, et que les recommandations
d’un référentiel de bonnes pratiques sont suivies, est
impératif. Cela nécessite une volonté politique de
mise en place de dispositifs d’aide des individus et
des couples en soins de support onco-sexologique.
Recenser par territoire de santé les compétences
disponibles dans des registres d’experts en support
onco-sexologique et former les acteurs de santé
sensibilisés à cette prise en charge permettront alors
aux patients de vivre sereinement le retour à leur
sexualité, spontanément ou accompagnés.
■
▸▸▸ / ▸▸▸
15. Barnas JL, Pierpaoli S, Ladd P
et al. The prevalence and nature
of orgasmic dysfunction after
radical prostatectomy. BJU Int
2004;94(4):603-5.
16. Chatterjee R, Kottaridis PD,
Lees WR, Ralph DJ, Goldstone AH.
Cavernosal arterial insufficiency
and erectile dysfunction in recipients of high-dose chemotherapy and total body irradiation
for multiple myeloma. Lancet
2000;335(9212):1335-6.
17. Meeus P. Les séquelles de la
colostomie. 37e séminaire de sexologie, 2007.
18. Schover LR. Counseling cancer
patients about changes in sexual
function. Oncology (Williston
Park)1999;13(11):1585-91.
19. Sevaux MA. Les bénévoles de
Jeunes Solidarité Cancer, Cancer et
sexualité, point de vue des grands
adolescents et jeunes adultes.
Rev Francoph Psycho-Oncologie
2007;1(4):292-3.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 179
Téléchargement