F A C E À F A C E . . . face à face Face à face... avec Michèle Montreuil* sur la prise en charge psychologique des patients atteints de sclérose en plaques Quel est l’intérêt d’une prise en charge psychologique pour des patients atteints de sclérose en plaques ? face La maladie bouleverse l’adaptation établie antérieurement. Elle nécessite d’importants remaniements du comportement qui s’appuient sur les ressources intellectuelles et émotionnelles du sujet. La personne atteinte d’une sclérose en plaques doit composer avec l’émergence imprévisible des symptômes et avec les changements probables de degré du handicap et des conditions de l’environnement. La présence de troubles cognitifs, thymiques et physiques tels que la fatigue, les difficultés sexuelles, sont responsables de difficultés d’adaptation à la vie familiale et sociale sur un plan affectif et donc relationnel. Dans ces conditions, le patient peut se trouver en difficulté pour ajuster un contrôle effectif sur les événements extérieurs et sur ses émotions, que ce soit à la période d’annonce du diagnostic ou au cours de la maladie. À moyen terme, cela conduit à un sentiment d’impuissance et devient une source de souffrance psychique. Une prise en charge psychologique doit être envisagée afin de réduire cette souffrance. Dans ce contexte, il est essentiel de connaître la qualité du soutien affectif dans l’entourage du patient et la capacité de ce dernier à l’accepter de manière effective. Il arrive fréquemment que les patients se mettent en retrait vis-à-vis de la famille, des amis et des relations sociales. Les ruptures relationnelles entraînent un appauvrissement des capacités d’investissement. Le repli sur soi et l’isolement, lorsqu’ils durent, ne constituent pas un aménagement efficace face à la souffrance morale. La psychothérapie nécessite une démarche active auprès d’un tiers extérieur. Elle stimule alors le sujet, en l’aidant à sortir de son isolement, avec pour objectif de lui permettre de comprendre les raisons pour lesquelles il désinvestit les relations avec autrui, mais aussi le sens qu’il donne à sa souffrance psychique. face à face à face face La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 Existe-t-il des “moments clés” où la prise en charge psychologique est conseillée ? L’annonce diagnostique nécessite un soutien psychologique, mais tout événement ou toute situation de vie au cours de la maladie peut être à l’origine d’une demande d’aide psychologique. à * Psychologue clinicienne à la Fédération de neurologie, hôpital de la Salpêtrière, Paris. Maître de conférence en psychologie à l’université de Paris-VIII. Considérez-vous qu’il y a des caractéristiques spécifiques à prendre en compte chez ces patients ? Toute approche psychothérapique d’un malade atteint de sclérose en plaques doit prendre en compte les caractéristiques propres à la maladie : l’âge de survenue, à une période de vie stratégique sur le plan des investissements affectifs et socioprofessionnels ; le potentiel évolutif caractérisé par des poussées imprévisibles, véritable “épée de Damoclès” ; l’incidence neuropsychologique des lésions qui modifient les capacités d’autocritique et les réactions émotionnelles. De manière plus générale, l’approche psychologique prend en compte la personnalité antérieure du patient, l’histoire individuelle et familiale, la dynamique familiale actuelle (vie de couple, relations parentales), la structure familiale réduite et élargie à la parentèle, les particularités conjoncturales au moment de la consultation, le contexte culturel et socioéconomique (moment de crise ou période de stabilité), et les caractéristiques actuelles de la maladie (évolution, séquelles) (1). face à face face Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les patients à l’annonce du diagnostic ? Dans les semaines ou les mois qui suivent l’annonce du diagnostic, différentes réactions peuvent coexister ou se succéder : déni, sidération psychique, effondrement, soulagement, révolte, peur et angoisse. Ces réactions expliquent l’apparente 175 A C E À incompréhension et “l’oubli” partiel ou total de l’information médicale. L’angoisse due à l’attente des signes cliniques avec polarisation sur le corps est particulièrement marquée au moment de l’annonce de la maladie. À cette période, le patient envisage l’avenir en s’identifiant systématiquement aux aspects les plus péjoratifs de la maladie, mais aussi en rejetant cette éventualité : “Je sais bien qu’on finit en fauteuil avec cette maladie, jamais je n’accepterai d’en arriver là”. On observe une forte culpabilité et une perte de confiance en soi vis-à-vis de l’entourage affectif. Ces sentiments sont renforcés par la honte d’appartenir à la “catégorie des malades” et la peur de devenir un “fardeau” moral et physique (1). L’incertitude quant à l’avenir, la remise en question des projets de vie aboutissent parfois à une inhibition de l’action qui peut prendre la forme d’une dépression, dépression réactionnelle, certes, mais dont les causes sont multifactorielles, puisque les lésions y jouent un rôle (2). Très souvent, la confrontation avec la maladie met en lumière et cristallise des souffrances antérieures non élaborées. Le vécu de la maladie qui induit une surcharge de souffrance devient alors le révélateur de blessures, voire même de traumatismes psychiques antérieurs. Ainsi, des situations particulièrement dramatiques, parfois jamais exprimées au cours de la vie de certains patients, sont dévoilées dans les entretiens psychologiques. Dans tous les cas, la confrontation avec la maladie réactive le souvenir des situations d’échec, elle actualise un sentiment de dévalorisation et une perte de confiance en soi. En psychothérapie, une réflexion sur le passé et le présent doit aider le patient à comprendre ses réactions négatives actuelles, conditionnées par son histoire, et qui renforcent sa souffrance morale face à la maladie. F A C E . . . à la maladie peuvent compliquer le tableau clinique. Toutes ces situations sont source de déstabilisation interne, car le patient a conscience avec culpabilité, honte et angoisse, d’une perte des repères et du contrôle. Le travail d’acceptation de la maladie doit respecter un rythme propre à chaque individu. Il est fonction de la personnalité antérieure et de la souplesse des mécanismes de défense en œuvre. Il est aussi en relation avec la rapidité d’évolution de la maladie. Ainsi, les périodes de rémission représentent un répit. Elles permettent un temps d’élaboration psychique sur ce qui est perdu et ce qui peut et doit être réinvesti. face à face F Quelles sont les techniques de prise en charge psychothérapeutiques proposées ? Je prends le parti de présenter brièvement deux techniques essentielles de prise en charge psychothérapeutique des patients SEP, techniques qui sont complémentaires. Il s’agit, d’une part de la relaxation, car une prise de conscience des émotions peut se faire en partant des perceptions corporelles chez des patients qui ont des difficultés à exprimer ce qu’ils ressentent affectivement, d’autre part des psychothérapies verbales qui nécessitent un minimum d’élaboration conceptuelle pour être efficaces. face Quels sont les objectifs de la relaxation ? à à Au cours de la maladie, qu’est-ce qui motive une demande d’aide psychologique ? face De nombreux patients observent que les événements de vie à forte charge émotionnelle (familiaux, professionnels, etc.) aggravent très souvent les symptômes de la maladie. Dès les années 1950, cette question était déjà soulevée par les cliniciens (3). Depuis, ces observations cliniques ont fait l’objet de quelques recherches traitant de l’influence du stress sur les poussées (4). Bien que nous connaissions mal la nature exacte du lien entre stress et poussées, une prise en charge psychologique aide le patient à mieux contrôler les émotions et à anticiper leur répercussion sur le plan psychique et somatique. La maladie elle-même, par son imprévisibilité, peut produire des stress émotionnels qui favorisent le développement de somatisation. C’est-à-dire que l’incertitude qui entoure la nature, l’intensité et le devenir des symptômes peut concourir à ce que certains malades préoccupés par leur corps et leurs symptômes aient des réactions émotionnelles massives, difficiles à contrôler et à contenir. Par ailleurs, les troubles cognitifs et affectifs propres 176 face face Aucune recherche sur les spécificités techniques et les effets de la relaxation dans la sclérose en plaques n’est actuellement publiée. Cependant, il existe différentes techniques et approches théoriques en relaxation qui ont toutes un intérêt pratique lorsque le praticien sait s’adapter au patient. Pour bien conduire le travail de relaxation, un entretien préliminaire à la prise en charge est indispensable. Il permet au thérapeute d’individualiser la technique et de répondre aux besoins spécifiques du patient. Schématiquement, on distingue plusieurs étapes qui se succèdent dans le temps : la prise de conscience du corps, la visualisation, le relâchement musculaire, la verbalisation. Par exemple, dans le cas d’une relaxation centrée sur le contrôle des émotions, et en particulier de l’anxiété, le thérapeute hiérarchise avec le patient une liste de situations source d’anxiété. Ces troubles sont généralement analysés en termes de conditionnement. L’objectif thérapeutique est de mettre en place une relaxation musculaire, puis le patient est invité à visualiser le plus intensément possible les situations anxiogènes, de manière La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 face à face face Quel est le principal intérêt de la relaxation ? à face D’une part, la relaxation peut s’associer ou préparer à une psychothérapie verbale ; d’autre part, l’intérêt de la relaxation est de permettre au patient de découvrir ou de redécouvrir l’intimité avec un corps dont les repères ont changé, de continuer à l’investir positivement, et de conserver un sentiment de contrôle physique. Il est en effet nécessaire de réhabiliter le corps qui est devenu objet de peur, de honte et de rejet. Quand l’indication est bien posée, la relaxation a pour effet d’atténuer l’angoisse et la polarisation négative sur les symptômes physiques. Le parcours “balisé” par les différentes étapes que nous avons décrites entretient chez le patient un effort d’attention et de concentration, car il doit être acteur de sa propre relaxation. face à En pratique, que sont les psychothérapies verbales ? face Les psychothérapies verbales représentent une des réponses à la souffrance psychique. Elles sont variées et doivent être adaptées à chaque patient. Elles peuvent être d’inspiration psychanalytique, cognitive et comportementale ou systémique. Il est conseillé de privilégier des psychothérapies structurées et en face à face. Ces approches prennent en compte l’histoire singulière du sujet, élément essentiel dans la compréhension des difficultés et des souffrances actuelles et de ses ressources psychiques pour y faire face. • La psychothérapie d’inspiration psychanalytique repose en particulier sur le concept freudien de vie psychique inconsciente. Dans ce cadre, le patient fait l’expérience de l’association libre en découvrant progressivement à travers la parole, des pensées et des idées qu’il ne soupçonnait pas, qui lui permettent de faire des liens entre passé et présent. L’écoute attentive et active du clinicien et les interprétations ponctuelles sur le contenu La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 psychique permettent au patient de trouver du sens à ce qu’il vit intérieurement, en rapport avec son histoire singulière. • Dans l’approche comportementale, un des objectifs est d’aider le patient à acquérir un meilleur contrôle de ses réponses physiologiques et émotionnelles aux stress, en développant les stratégies d’adaptation les plus économiques sur le plan psychique (6). Un autre objectif, s’inspirant de la phénoménologie, est de lui permettre d’anticiper en se projetant dans l’avenir grâce à des réajustements dans son mode de vie et dans ses projets. L’objectif thérapeutique est d’aider le patient à développer des comportements adaptés à son nouvel environnement. Le travail psychothérapique lui permettra de prendre conscience des comportements jugés mal adaptés aux situations. • L’intervention du psychologue dans le cadre familial, en thérapie systémique, est envisagée lorsque la communication est perturbée ou source de conflits entre le patient et certains membres de la famille (le plus souvent le conjoint, l’(es) enfant(s), le père et/ou la mère mais aussi la fratrie). L’objectif est de conduire chaque personne à comprendre quel est son rôle dans le dysfonctionnement observé (dysfonctionnement qui peut être antérieur à la maladie) et à trouver les moyens de rétablir un mode d’échange plus harmonieux, à partir de la reconnaissance réciproque du rôle de chacun et du réajustement de ce rôle en fonction de la maladie. face à face à réaliser un contre-conditionnement. Les situations anxiogènes sont traitées successivement dans le temps en fonction de leur hiérarchisation. Un conditionnement positif a pour but de réduire les réponses neurovégétatives intenses ou inadéquates. Le patient met en place des attitudes motrices nouvelles et de nouveaux modes de pensées. L’étape ultérieure correspond à la verbalisation. C’est un temps d’analyse et d’évaluation de ce qui a été ressenti corporellement au cours de la séance et des affects qui s’y rapportent. Cette étape permet au patient d’exprimer ses conflits et ses angoisses. Les patients ont-ils des attentes particulières quant au dispositif psychothérapeutique ? Pour répondre, je m’appuie sur ma propre expérience clinique en service de neurologie, avec un recul de treize ans. Cette expérience repose sur l’évaluation, l’orientation thérapeutique, mais aussi la prise en charge psychologique à moyen et à long terme. J’observe que la prise en charge psychologique doit tenir compte du caractère chronique et des spécificités de la maladie. Elle nécessite un cadre plus structuré et plus interactif que dans les psychothérapies classiques de type analytique. En effet, les patients se plaignent d’un accroissement de l’angoisse lorsqu’il y a des silences trop fréquents au cours des séances. Cela s’observe particulièrement au commencement d’une psychothérapie, au décours d’une poussée ou encore lorsque le diagnostic est récent. Les patients interprètent alors la fréquence des silences comme une absence de solution devant la maladie, dont l’issue est perçue comme dramatique à courte échéance. En règle générale, ils déplorent principalement deux choses : - que les psychothérapeutes se cantonnent à leur dispositif de psychothérapie traditionnelle ; c’est-à-dire qu’ils orientent de manière univoque l’interprétation de la souffrance actuelle en terme de conflit psychique inconscient ; - et par conséquent, qu’ils prennent insuffisamment en compte les difficultés liées à la chronicité, à l’atteinte du corps et aux troubles cognitifs et émotionnels, voire qu’ils en fassent 177 F A C E À F A C E . . . face à face face à Quel est le principal intérêt de la psychothérapie verbale pour les patients ? face La psychothérapie verbale contribue à la réorganisation du mode de pensée du patient et lui permet de réaménager sa réalité interne et externe. C’est un travail que le patient va pouvoir poursuivre seul à un moment donné. Il peut y avoir des reprises ponctuelles d’entretiens, lorsque les périodes de réorganisation psychique sont source de tensions durables ou de détresse, par exemple dans des situations liées à l’évolution de la maladie, à un bouleversement affectif, ou encore à un changement de statut socioprofessionnel. Les objectifs du soutien psychologique dans une prise en charge structurée peuvent être les suivants : clarifier avec chacun quels sont les problèmes les plus importants auxquels il est confronté, c’est-à-dire hiérarchiser les problèmes selon le patient ; hiérarchiser les problèmes selon la famille ; maintenir ou rétablir une qualité de communication entre le patient et sa famille, si cela est nécessaire ; analyser la nature des stratégies mises en place pour résoudre les problèmes rencontrés ; aider à établir des stratégies nouvelles de réponse aux difficultés permettant moins d’épuisement et plus d’efficacité ; assurer un rôle de contenant émotionnel face aux angoisses du quotidien mais surtout de l’avenir et entretenir un sentiment de continuité (1). 178 face Quelle est votre conclusion ? à face abstraction ; autrement dit, la souffrance autour de l’atteinte corporelle ne semble pas entendue. Cela est alors source d’incompréhension et d’arrêt prématuré de la psychothérapie. Quel que soit le dispositif proposé, l’engagement thérapeutique fait l’objet d’un accord tacite entre le psychothérapeute et le patient, ce qui nécessite l’élaboration d’une demande de la part du patient. Le nombre, la durée et l’espacement des séances doivent être évalués en fonction de l’état physique et mental et sont à discuter et à définir avec le patient. C’est ce qu’on appelle le cadre et le contrat thérapeutiques, indispensables pour faire un bilan “avant” et “après” prise en charge psychologique. Ainsi, les variables susceptibles de changer peuvent être évaluées, selon les objectifs visés. Il n’existe pas, à notre connaissance, de recherches publiées sur l’efficacité de la prise en charge psychologique des patients SEP. De telles études pourraient, par exemple, être entreprises dans les investigations sur la qualité de vie (5). La prise en charge psychologique aide le patient à comprendre et à tolérer les émotions, à maintenir un sentiment d’identité malgré les inévitables bouleversements internes et externes, mais aussi à trouver un sens à la souffrance qu’il rencontre face à la maladie et dans son histoire personnelle. Par ailleurs, la fonction de soutien est susceptible d’améliorer la qualité de vie du patient et de rétablir un sentiment d’existence dans le contexte social. À l’issue de ce travail, le patient découvre ou redécouvre, alors, une autonomie intérieure qui lui permet de mieux accepter les aléas de la maladie et de son histoire personnelle. Afin d’améliorer la prise en charge des patients, il serait nécessaire d’envisager une approche pluridisciplinaire qui prendrait en compte l’ensemble des besoins du patient. L’apport du psychologue clinicien ne doit pas être négligé, considérant que la fonction éthique de la psychologie clinique consiste à introduire ou réintroduire par la parole la dimension symbolique de la souffrance et la singularité du sujet atteint par la maladie. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Fontaine B, Montreuil M. Génétique et maladies du système nerveux ; biologie, éthique et psychopathologie. Collection dirigée par Jouvent R, Lyon-Caen O. Ed PIL 1999. 2. Lyon-Caen O, Benoit N, Montreuil M. Sclérose en plaques. In : Signoret JL, Hauw JJ (Eds). Maladie d’Alzheimer et autres démences. Paris : Flammarion Médecine-Sciences 1991 ; 327-31. 3. Brickner R, Simons B. Emotional stress in relation to attacks of MS. Res Nerv Ment Dis 1950 ; 28 : 1431-49. 4. Stip E, Truelle JL. Syndrome de personnalité organique dans la sclérose en plaques et influence du stress sur les poussées. Revue Can de Psychiatrie 1994 ; 39 : 27-33. 5. The Canadian Burden of Illness Study Group. Burden of Illness of Multiple Sclerosis : Part II : Quality of Life. Can J Neurol Sci 1998 ; 25 : 31-8. 6. Butler S, Chalder T, Ron M, Wessely S. Cognitive behaviour therapy in CFS. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1991 ; 54 : 153-8. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000