Arch Inst Pasteur Madagascar 2000; 66 (1&2) : 46-49 Prise en charge des Maladies Sexuellement Transmissibles par l’approche syndromique et le dépistage VIH volontaire dans un dispensaire spécialisé d’Antananarivo (Madagascar) Gleize L1, Randriamanga R1, Ratsimbazafy N1, Rakotonandrasana S1, Durand P1, Le Bot F2 RESUME : Un dispensaire spécialisé MST/SIDA a été ouvert en 1994 par l’ONG Médecins du Monde dans un quartier urbain défavorisé de la capitale malgache, Antananarivo. Outre la prise en charge des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST) et du SIDA, ce dispensaire assure des activités d’Information-Education-Communication (IEC) au sein du dispensaire et à l’extérieur, vers la population résidente du quartier des 67 hectares et vers des populations considérées comme à risque élevé vis-à-vis des MST et du VIH : prostitué(e)s, routiers, travestis. Les objectifs du projet visent à prévenir l’extension de l’infection à VIH et à réduire l’incidence des MST classiques. L’approche syndromique est, selon les directives du Ministère de la Santé, appliquée depuis fin 1997 pour la prise en charge des MST. Les résultats de l’année 1998 relèvent l’importance de l’association gonocoque - chlamydiae parmi les consultants des deux sexes. Les résultats négatifs des 1 218 sérologies VIH réalisées semblent confirmer la faible prévalence actuelle de l’infection à VIH à Madagascar. Le pourcentage de sérologies syphilis positives parmi les consultants testés est par contre beaucoup plus faible que celui mentionné dans des études antérieures. Enfin, l’intérêt de l’approche syndromique est soulignée pour les pays dont les capacités de laboratoire sont modestes. Mots-clés : [Maladies Sexuellement Transmissibles] - [Approche syndromique] - [Infection à VIH] (Organisation Non Gouvernementale) - MADAGASCAR. ABSTRACT : “Management of Sexually Transmitted Diseases detected by a syndromic approach in a specialized dispensary of Antananarivo-City” : In 1994, Médecins du Monde opened a free health centre specialized in STD/AIDS in an ill-favored district of Antananarivo, the Malagasy capital of Madagascar. Besides the medical treatment of Sexually Transmitted Diseases (STD) and AIDS, the centre is responsible for the Information, Education and Communication activities (IEC) within and without the centre towards the residents of the 67 hectares district and the high-risk populations (prostitutes, truck-drivers and transvestites). The project aimed at both preventing the spreading of the VIH infection and reducing the incidence of STD. As the Ministry of Health directed, a syndromic method was applied since 1997 regarding STD. Results for 1998 showed the predominance of the association Neisseria gonorrhae-Chlamydiae among the consultants of both sexes. Negative results from 1 218 HIV serological tests carried out seemed confirm the low prevalence of the HIV infection in Madagascar. Yet, the percentage of positive syphilis serology among the tested consultants was lower than that mentioned in previous surveys. Finally, it appears that the syndromic method is of high interest for the countries with limited laboratory capacities. Key-words : [Sexually Transmitted Diseases] - [Syndromic method] - [HIV infection] - (Non Governmental Organizations) - MADAGASCAR. INTRODUCTION certains experts, ces chiffres seraient sous-estimés, et le nombre réel de séropositifs pourrait se situer autour de 5 000 en 1995 [4]. La prévalence des MST est par contre élevée. La prévalence de la gonococcie serait, selon les statistiques officielles, de 450 cas pour 100 000 habitants, et celle de la syphilis de 350 pour 100 000. Là encore, ces chiffres seraient sousestimés. C’est dans ce contexte que l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) Médecins du Monde a ouvert en 1994 un dispensaire MST/SIDA dans le La progression des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST) en général et du SIDA en particulier semble inéluctable dans les pays du sud. Les premiers cas de SIDA ont été identifiés à Madagascar en 1987 [1]. Depuis, la progression de l’épidémie reste lente, le système de surveillance national faisant état de 170 séropositifs et 36 cas de SIDA déclarés au 31 mars 1998 [2,3]. Selon 1 2 Médecins du Monde, 67 Hectares, 101 Antananarivo - Madagascar. Médecins du Monde Océan Indien, Saint Denis - La Réunion. 46 quartier des 67 hectares de la capitale Antananarivo. Ce dispensaire, entièrement géré par une équipe malgache, assure la prise en charge médicale des MST et du SIDA, ainsi que des activités d’Information-Education-Communication (IEC) au sein du dispensaire et à l’extérieur, vers la population résidente du quartier des 67 hectares et vers des populations considérées comme à risque élevé vis-à-vis des MST et du VIH : prostitué(e)s, routiers, travestis. Les objectifs du projet visent à prévenir l’extension de l’infection à VIH et à réduire l’incidence des MST classiques. Le dispensaire suit la politique officielle du Ministère de la Santé et du Programme National de Lutte contre le SIDA (PNLS); il a été le premier site à appliquer l’approche syndromique [5] pour la prise en charge des MST, après avoir participé à l’enquête d’évaluation initiale de cette approche. Il est actuellement considéré comme lieu de référence pour la prise en charge et la prévention des MST et du SIDA au niveau national. Sont présentées ici les données des activités du dispensaire des 67 hectares pour l’année 1998. counselling prétest, et ne se fait qu’avec l’acceptation éclairée du patient. Consultation et traitement sont payants selon un tarif forfaitaire : 3 000 FMG pour le consultant “tout venant”, 500 FMG pour les prostitué(e)s, gratuit pour les indigents. A noter que les indigents sont soit issus du quartier des 67 hectares et dans ce cas bien connus de l’équipe du dispensaire, soit référés par d’autres ONG travaillant avec les populations défavorisées. L’exploitation des données du registre de consultation est mensuelle. Une synthèse annuelle est réalisée, et fait l’objet d’une diffusion assez large auprès des partenaires institutionnels. RESULTATS Au cours de l’année 1998, 7 944 consultations ont été réalisées, au profit de 4 303 consultants : 2 578 femmes, 1 688 hommes et 37 nouveau-nés. Les nouveaux consultants représentent 72% des femmes et 91% des hommes. Parmi les consultantes femmes, 472 soit 18% sont des prostituées; parmi les consultants hommes, 48 soit 3% sont des homosexuels ou des travestis. Sur l’ensemble des consultants, 875 sont des partenaires de sujets vus en consultation au dispensaire, soit 20%. La répartition par tranche d’âge n’est pas disponible, l’exploitation des données 1998 ayant été manuelle. Les signes cliniques les plus fréquents chez les hommes ont été la présence d’un écoulement urétral ou d’une ulcération génitale. Chez les femmes, les pertes vaginales, éventuellement accompagnées de cervicite, ont représenté la majorité des syndromes rencontrés (Tableau I). PATIENTS ET METHODE Pour chaque consultation médicale réalisée au dispensaire, des données concernant le consultant lui-même (sexe, statut d’ancien ou de nouveau consultant, facteur de risque, notion de partenaire d’un consultant déjà connu), le ou les syndromes présentés et le ou les diagnostics retenus sont reportés dans un registre de consultation. Sont également inscrits dans ce registre les sérologies éventuellement réalisées. 2 types de sérologies sont proposés : la sérologie de syphilis (Laboratoire de l’Institut d’Hygiène Sociale) faisant appel au seul RPR (RPR Reditest, RPR Product ou Syphilis-RPR Test GMBH), selon les recommandations nationales, et la sérologie du VIH (Laboratoire de Virologie de l’Institut Pasteur de Madagascar) faisant appel aux tests ELISA (GENELAVIA, Sanofi-Diagnostics Pasteur) éventuellement confirmés par un Western Blot (New Lav Blot I et II, Sanofi-Diagnostic Pasteur). La consultation médicale est toujours assortie d’une information personnalisée sur les MST, le SIDA et leur prévention, avec démonstration de l’utilisation des préservatifs masculins et féminins, et remise gratuite de quelques exemplaires de ceux-ci. Les médecins s’attachent, dans toute la mesure du possible, à convaincre le patient de faire venir son ou ses partenaires au dispensaire, afin qu’il(s) soi(en)t également traité(s). Toute sérologie de VIH s’accompagne d’un Tableau I : Syndromes observés chez les consultants du dispensaire MST/SIDA des 67 hectares, année 1998 Syndromes Femmes (% ) Ecoulement urétral Ulcération génitale Bubon inguinal 697 (41) 224 (9) 7 Inflammation scrotale 1 997 (77) Pertes vaginales avec cervicite 1 573 (61) Total examinés 294 (17) 17 (1) 32 (2) Pertes vaginales Douleurs abdominales basses Hommes (% ) 211 (8) 2 578 1 688 Le nombre total de syndromes identifiés (5 052) est supérieur au total de consultants, un même consultant pouvant présenter plusieurs syndromes. Les pourcentages présentés dans le tableau I ont été calculés à partir du nombre de consultants 47 recueil d’arguments cliniques et d’interrogatoire, de retenir un ou des syndromes correspondant à un ou des diagnostics probabilistes, et aboutissant euxmêmes à un ou des traitements bien définis. La mise en place d’une approche syndromique d’une pathologie au niveau d’un pays suppose que l’épidémiologie de la pathologie concernée soit bien documentée, au moyen d’une enquête couplant clinique et examens de laboratoire par exemple, ce qui a été fait à Madagascar en 1997 (F Behets et coll, communication personnelle). L’approche syndromique permet de standardiser la prise en charge de la pathologie et de rationaliser les choix thérapeutiques. Après la mise en place de cette approche au dispensaire des 67 hectares, le taux de reconsultation et le taux d’échec des prises en charge des stérilités secondaires ont baissé, sans que cette évolution ait été toutefois chiffrée. Les principaux diagnostics médicaux retenus sont, dans les deux sexes, l’association gonococcieinfection à Chlamydiae, suivis chez les femmes des trichomonases et des candidoses. Ces données sont cohérentes avec le résultat d’enquêtes antérieures ayant utilisé des tests de laboratoire pour identifier les étiologies des principaux syndromes MST observés à Madagascar [6]. Les diagnostics principaux ont changé depuis l’adoption de l’approche syndromique : en 1995, l’infection à Trichomonas venait en tête chez les femmes, l’infection à gonocoque chez les hommes [7]. Un des inconvénients apparents de l’application des algorythmes reste la multiplication des prises médicamenteuses pour un même malade. En effet, il n’est pas rare que plusieurs syndromes cliniques et donc plusieurs diagnostics soient retenus au terme d’une consultation, conduisant à la prescription de plusieurs traitements. Ce désavantage apparent devrait être mis en balance avec la diminution du taux d’échec initial et de reconsultation. L’approche syndromique ne s’applique pas par ailleurs au suivi mensuel des prostitué(e)s; ces patients sont pris en charge au dispensaire selon une approche clinique classique. Le suivi de cette démarche rigoureuse et le recrutement effectué par le dispensaire devraient pouvoir lui permettre de jouer le rôle d’observatoire des MST et du SIDA dans la ville d’Antananarivo. A ce titre, le chiffre de 4% de sérologies syphilis positives relevé en 1998 apparait surprenant, bien inférieur aux taux de prévalence observés lors d’études antérieures; les données de la sérosurveillance sentinelle mise en place en 1990 et colligées par G Harms et coll [8] pour les années 1990 à 1992 relèvent 34% de sérologies positives examinés et non à partir du nombre de syndromes identifiés. Aucun pourcentage ne figure à la ligne “bubon inguinal”, le nombre de cas observés étant trop faible. L’approche syndromique a ceci de particulier qu’au terme de sa consultation le médecin, en fonction du ou des syndromes présentés par le patient, va retenir un ou plusieurs diagnostics en suivant un algorythme. Certains diagnostics comme la gonococcie ou la chlamydiase ne seront jamais isolés, mais toujours associés. Les diagnostics les plus souvent rencontrés sont, dans les deux sexes, l’association gonococcie-infection à Chlamydiae, suivis chez les femmes des trichomonases et des candidoses (Tableau II). Tableau II : Diagnostics retenus chez les consultants du dispensaire MST/SIDA des 67 hectares, année 1998 Diagnostic Femmes (% ) Hommes (% ) Gonococcie 1 982 (77) 1 344 (8) Chlamydiose 1 982 (77) 1 344 (8) Trichomonase 1 658 (64) Candidose 1 281 (50) Syphilis 1 370 (14) Chancre mou Herpès 510 (32) 362 (2) 255 (10) 270 (17) 12 (<1) 12 (<1) Autres 236 (9) Total examinés 2 578 5 (<1) 1 688 Le nombre total de diagnostics retenus (11 623) est supérieur au total de consultants, un même consultant pouvant présenter plusieurs diagnostics. Les pourcentages présentés dans le tableau II sont calculés à partir du nombre de consultants examinés et non à partir du nombre de diagnostics retenus. Sur les 2 372 sérologies syphilis réalisées au cours de l’année 1998, 127 sont positives, soit 5,3%. Sur les 1 218 sérologies VIH effectuées au cours de la même période, toutes sont négatives. DISCUSSION Le diagnostic étiologique des MST à partir des seuls éléments de l’examen clinique et de l’interrogatoire s’avère difficile, même pour un praticien averti. Dans les pays occidentaux, l’appui du laboratoire est systématique pour établir un diagnostic précis. Les moyens disponibles dans les pays en développement sont au contraire souvent très limités, tant sur le plan clinique que sur celui des examens complémentaires. Dans ces conditions, l’approche syndromique préconisée par le Ministère de la Santé malgache et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et adoptée par le dispensaire des 67 hectares permet, à partir du 48 sur un total de 862 patients MST. Le test utilisé à l’époque était le TPHA, alors que seuls les tests VDRL ou RPR sont désormais officiellement recommandés par le programme national. Les conditions des tests sont également différentes, puisque les sérologies réalisées au dispensaire Médecins du Monde sont volontaires, ou orientées par une suspicion clinique. L’absence de résultats positifs sur l’ensemble des sérologies VIH réalisées en 1998 est également intéressante. Ces sérologies ont certes été réalisées sur des patients volontaires, mais présentant dans leur majorité des facteurs de risque vis-à-vis de l’infection à VIH. Ces données, cohérentes avec celles d’autres sources (Laboratoire National de Référence, Institut Pasteur) suggèrent que l’épidémie de VIH/ SIDA en est à sa phase initiale à Madagascar, et qu’elle possède par elle-même une grande inertie, même au sein d’une population à risque, probablement à cause de la période d’infectivité. La nécessité de travailler sur les messages de prévention, adaptées aux différentes populations concernées, apparait dans la situation actuelle cruciale. C’est l’attitude adoptée par l’équipe du dispensaire, qui axe ces messages sur la prévention des MST - dont la réalité est mieux perçue par la population que celle du SIDA -, sachant que tout le travail de prévention réalisé vis-à-vis des MST contribuera de fait à la prévention de la propagation de l’épidémie d’infection à VIH. L’introduction, à partir de janvier 1999, d’un recueil informatisé de données épidémiologiques utilisant le logiciel EpiInfo devrait renforcer la capacité d’observatoire du dispensaire. Pour chaque consultation sont désormais relevés, outre les informations médicales simples déjà collectées (syndromes, diagnostics, traitements), des renseignements comportementaux, en particulier sur l’utilisation des préservatifs féminins et masculins. Un suivi indirect de l’impact des messages de prévention devrait être ainsi possible. REMERCIEMENTS Le projet MST/SIDA Médecins du Monde a été financé au cours de l’année 1998 par l’Ambassade de la Grande-Bretagne, l’Ambassade du Japon, et l’Agence Américaine de Développement USAID (grant n° 687 - A- 00 - 98 - 00216 00). Sans l’appui et la confiance de ces bailleurs, aucun travail n’aurait été possible. Nous remercions Elise Rasoanjanahary et Désiré Andrianimanana pour la réalisation des tests sérologiques, ainsi qu’Hervé Zeller pour avis et conseils lors de la rédaction. REFERENCES 1- Genin C, Coulanges P. Results of a mini-survey conducted on HIV 1 seroprevalence in Madagascar. Trans R Soc Trop Med Hyg 1988; 82 : 897. 2- OMS. Surveillance mondiale du SIDA. REH 1998; 73 : 373-376. 3- Zeller HG, Ramamonjisoa A, Boisier P, Ravelojaona L, Brutus L, Randriamanga R, Rabarijaona L, RakotoAndrianarivelo M, Aurégan G, Behets F, Roux JF, Rasamindrakotroka AJ. HIV infection in Madagascar in 1995. 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