I
Introduction à la philosophie
Joe-Kodzo HOMEZO
jozataka@hotmail.com
++4122-7317120
Genève, 04 mars 2011
Il manque d’ouvrage de philosophie en Afrique. J’ai produit ce texte à l’intention des élèves en classe
de philosophie à la demande de certains membres d’Africa Commons. Le présent document est donc
basique.
L’on pourrait caractériser la physionomie ou l’image générale du monde contemporain par
certains traits généraux perceptibles par les préoccupations suivantes :
1.- les progrès de la techno-science
2.- la mondialisation des systèmes d’information et de communication
3.- la globalisation de l’économie de marché
4.- la généralisation des problèmes d’environnement et du climat
5.- la fin des grands discours sur Dieu, le pouvoir et l’Etat
6.- le recul de la démocratisation et la ruine de l’Afrique
7.- la création littéraire, artistique et l’imaginaire social
8.- l’affirmation de la subjectivité, du corps et des formes de sexualité
Prises ensemble, les thématiques ci-dessus mentionnées s’articulent autour des problèmes
de la connaissance et de l’action. La réflexion sur la connaissance est une constante de la
philosophie. Car l’homme aspire à connaître le monde qui l’entoure pour mieux accroitre ses
moyens d’action conformément à la raison. La connaissance est dès lors une constante de
la philosophie. Mais, qu’est-ce que connaître, quels sont nos moyens de connaissance et
quelle est la validité de nos savoirs ?
La connaissance est une démarche par laquelle un sujet (acteur, connaisseur,
savant) se met en relation avec un objet (chose à connaître ou connue). Il existe plusieurs
formes de connaissance : la connaissance intuitive, la connaissance empirique et la
connaissance scientifique. La philosophie réfléchit sur les systèmes ou formes de
connaissance. Dans la connaissance intuitive (in-tueri = voir dedans), le connaisseur se
transporte immédiatement dans l’objet à connaître ou connue. Un bébé connaît sa maman
sans avoir besoin de la regarder. L’intuition est directe, immédiate et instantanée. L’intuition
nous transporte au cœur d’une chose que nous comprenons intégralement.
En revanche, la connaissance empirique (empirique veut dire concret) passe par les
sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et de toucher). Lorsqu’on demande à X et à Y de porter
une table chez le menuisier, l’un peut trouver cet objet facile à transporter, pendant que
l’autre y renonce. Selon sa constitution physique, X déclare que la table est légère, alors que
Y peut la déclarer lourde. L’expérience empirique dépend de chacun : c’est une
connaissance assez vague, générale et imprécise.
II
À la différence, la connaissance scientifique se veut être précise, car fondée sur un
instrument de mesure. Lors que la table en question est posée sur une balance, X et Y
peuvent lire le poids exact de la table. Devant une bassine d’eau, X et Y peuvent avoir des
appréciations différentes : l’eau est chaude, déclare l’un ; pendant que l’autre affirme que
l’eau est froide. Le thermomètre permet de départager les deux individus, puisque l’un et
l’autre diront que l’eau en question fait 31° (degré). Une connaissance est scientifique,
lorsqu’elle est mesurée par des appareils ou tout autre instrument approprié. Ainsi là où le
commun des gens déclare qu’il y a beaucoup d’eau, le savant dira précisément qu’il s’agit de
tel nombre de molécules d’eau.
La scientificité est liée au degré d’intégration de l’outil mathématique dans
l’explication des faits. Le microscope photonique prolonge nos sens, en permettant
d’observer le mouvement des paramécies dans une fusion d’herbes. Mais, le microscope
électronique ou les rayons X utilisés en radiographie expliquent davantage. On parle de
progrès des sciences dans la mesure où les théories qui ont servi à fabriquer le microscope
photonique sont obsolètes et rudimentaires par rapport aux rayons X et aux rayons laser.
Les connaissances scientifiques sont donc relatives en fonction de la qualité des instruments
de mesure.
La physique classique, de Lavoisier à Newton, était construite autour de l’atome,
jusque-là considéré comme l’élément de la matière. Expliquer scientifiquement, c’est tenter
de modéliser la loi ou la causalité, c’est aussi énoncer ce qui rend telle ou telle chose
possible ou ce par quoi une chose se produit. La physique traditionnelle ou physique de
l’atome explique les mouvements des corps grâce à la mesure du temps.
Au XXe siècle, la physique des quanta, encore appelée mécanique quantique, se
spécialise dans la description de l'infiniment petit. Depuis les années vingt, les travaux de
Max Planck, d’Einstein et d’Heisenberg, en physique des particules, ont fait chavirer toute
idée de déterminisme. La physique des particules démontre l’existence de quartz ou
l’antimatière. C’est-à-dire des ondes et de l’énergie. La propriété des particules est
ondulatoire : les électrons, les protons ou les particules de la lumière dénommées "photons"
ne semblent guère obéir à la loi de la causalité. Du moins, l’on ne sait plus évaluer leur
mobilité, ni leur structuration. C'est l'indéterminisme qui régit le monde quantique. Peut-on
conférer un statut univoque à la réalité matérielle, en la réduisant à l’espace euclidien,
tridimensionnel ?
Dans la mesure où toute nos connaissances sont relatives et jamais absolue, il est
possible de considérer problématiques nos savoirs et nos méthodes d’approche de la réalité.
Un sujet ou une situation est problématique quand il/elle donne lieu à des questionnements.
Lorsqu’un individu déclare qu’il ne dort pas, c’est qu’il manifeste des problèmes d’insomnie.
On peut lui demander s’il a mangé, s’il a des soucis ou s’il est simplement malade ?
Lorsqu’un paysan déclare avoir faim, on peut considérer la faim comme une problématique :
comment se fait-il que… ? Peut-être que l’intéressé n’a pas cultivé son champ, qu’il n’a pas
semé à temps, que la saison pluvieuse a ravagé ses récoltes, etc. On peut chercher à
comprendre ce qui lui arrive, dans quelles circonstances et comment en est-il arrivé là ?
Pour analyser et comprendre cette situation, on peut émettre des hypothèses,
suggérer des réponses et vérifier si les tentatives d’explication sont valables ou s’il est
besoin de changer de mode de questionnement, d’approche ou de réponse. En d’autres
termes, une problématique transforme les problèmes en questionnements et en réponses
provisoires, mais qui, sans cesse, sont sujets à des modifications. Puisque toute
connaissance est approchée (Gaston Bachelard) et relative, que signifie dès lors,
l’expression « problématique de la connaissance » ?
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Le terme de problématique évoque le doute, l’incertitude ou la probabilité. On dit d’une
situation qu’elle est problématique, lorsqu’elle suscite des doutes, des appréhensions ou tout
simplement parce que la situation en cause reste ouverte, possible et sujette à des
incertitudes. En outre, la problématique signale l’existence des problèmes, des questions
ouvertes, des hypothèses. La problématique désigne enfin les solutions provisoires que l’on
suggère, mais pour autant que les réponses préconisées ne sont pas définitives.
En intitulant ce chapitre « problématique d’une introduction à la philosophie », je
voudrais signifier que l’introduction à la philosophie pose des problèmes de définition, de
présentation et que les penseurs ne sont pas toujours d’accord entre sur ce que philosopher
veut dire et le sens même du mot philosophie.
Le mot « philosophie » [filosofia = ] est un terme grec formé par deux
racines étymologiques : le substantif (nom) philo ] vient du verbe filein ] qui veut
dire désirer, rechercher, vouloir, aimer. Mais le mot Philo ] est la conjugaison du verbe
aimer à la première personne du singulier = philéo / qui veut dire « j’aime ». Le désir,
la recherche ou la poursuite se dit « Philê » à ne pas confondre avec l’amour au sens
théologal [agapê = ]. Le second terme étymologique de philosophie est Sophia
, lequel évoque la sa gesse, la connaissance, le savoir ou la science.
Du point de vue définitoire, lorsqu’on s’en tient aux racines étymologiques de « Philê /
=» et de Sophia = , la philosophie est une attitude qui consiste dans
l’amitié pour la sagesse. Dans ce sens, les religions, les savoirs mythiques, les
représentations symboliques africaines, asiatiques, précolombiennes, etc. seraient tous
philosophiques. Mais il est des approches de la philosophie en tant que méthode rationnelle,
critique et analytique de recherche de la vérité qui réduisent la philosophie aux seuls
systèmes doctrinaux, aux textes écrits et à l’histoire de la pensée occidentale.
En quoi consiste la méthode philosophique ? L’homme s’émerveille de la beauté du
monde et de l’ordre apparent de l’univers. Il s’étonne également face aux contradictions de
l’existence humaine et se met à douter des choses. L’étonnement engendre des
questionnements et suscite le besoin de connaissance. Le doute au sujet de ce que l’on croit
connaître entraîne l’homme à examiner et à réexaminer les situations et les choses, pour se
faire une idée assez claire. Parfois l’homme réfléchit sur lui-même et le sens de son
existence à partir des bouleversements (naturels, accidentels, sociaux) et du sentiment
d’impuissance (tremblements de terre à Haïti tuant innocents et méchants hommes,
détruisant les grands édifices et les habitations des pauvres, aggravant la paupérisation).
Du point de vue méthodologique, la philosophie est une interrogation radicale et une
réflexion globale. Cette discipline oscille entre la connaissance et l’action. Je tracerai un bref
récit de l’histoire de la philosophie en Occident.
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Comme bien d’autres civilisations humaines, la société grecque antique avait produit des
mythologies. Un mythe est, comme un conte, une légende, un récit imaginaire construit in Ilo
tempore, dans des temps immémoriaux. Les mythes n’ont pas d’auteurs connus. Mais les
histoires qu’ils racontent sont supposées avoir lieu en des temps et des lieux imaginés. Les
IV
récits mythiques deviennent mythologies, lorsque ces discours sont écrits par des poètes ou
des écrivains. Les mythologies sont bâties sur des satyres, des personnages énigmatiques,
mi-boucs mi-hommes, des exploits de monstres hypostasiant la nature et des récits fabuleux
des dieux-animaux qui actionnent l’ouragan ou les tremblements terrifiants du monde.
Hésiode décrit l’irruption de la terre :
« La Terre, la toute belle aux seins épanouis
Se leva, elle qui est la base inébranlable de toute chose.
Et la blonde Terra mit d’abord au monde le Ciel étoilé, son égal,
Afin qu’il la recouvrît de tout côtés et devint
La demeure éternelle des dieux immortels »1.
Les discours mythologiques sont des systèmes d’explication de l’univers dans
lesquels le monde visible et l’univers invisible se côtoient, où des puissances surnaturelles et
des forces occultes interviennent dans la vie humaine, où des mystères surgissent dans le
cours ordinaire de l’histoire.
À partir du sixième siècle avant notre calendrier, survient un changement radical dans
les rapports des hommes à l’univers, une rupture inédite avec l’enchantement, un passage
de l’explication mythique du monde à un autre mode de justification désormais fondé sur le
concret et non plus sur les habitudes imaginaires et les sentiments intuitifs des poètes et des
devins. « Laissons de côté les combats des Titans et des Géants, les aventures des
Centaures, fables inventés par les Anciens », écrivait Xénophane de Colophon2.
Désormais, ce n’est plus Dieu, mais c’est l’homme qui est la mesure de toute chose. Les
cosmo-logies se substituent désormais aux cosmogonies et aux mythologies.
L’avènement de la philosophie est corolaire de la recherche d’explication rationnelle
et empiriquement fondée des choses et de l’univers. La réflexion philosophique ouvre la voie
à la problématisation du réel, à la remise en cause des croyances. Car désormais, il n’y a
plus de réponses données, mais de solutions construites et rationnellement voulues.
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Dans la mesure où la philosophie consiste en une démarche rationnelle, une tentative de
spéculation pour comprendre, ordonner ou unifier les divers matériaux de l’univers, les
Présocratiques (7è, 6è et 5è siècle av. J.-C.) semblent être les premiers à tenter cet effort en
Occident. Ces penseurs prenaient comme point de départ les données sensibles, aiguisaient
leur curiosité et observaient la nature avec une grande attention. Alors que les habitudes
séculaires consistaient à consulter les dieux, les oracles et les divinités, pour justifier le cours
des événements, les présocratiques, encore appelés physiocrates, réduisirent la complexité
des phénomènes à un élément ou principe premier. Au lieu de consulter Zeus, Apollon,
Dionysos, les présocratiques s’en tiennent à la causalité et inaugurent l’ère du réalisme. Tel
est le Miracle grec, c’est-à-dire l’explication des choses par la tangibilité, la concrétion :
Thalès de Millet, l’eau
Anaximandre la terre
Anaximène, l’air [l’indéterminé = « apeiron » ]
Héraclite, le feu.
1Hamilton E., La mythologie, Verviers, 1962, Marabout Université, p. 70.
2Xénophane de Colophon, « Fragments », in Voilequin G., Le s penseurs grecs avant Soc rate , Paris, Garnier,
1941, p. 42.
V
La référence très empirique des physiciens d’Ionie est vivement critiquée par diverses écoles
philosophiques rivales, dont le pythagorisme et l’éléatisme. Pythagore de Samos (- 540 av.
J.C.-) avait fondé une école de pensée qui porte son nom et qui décrit les essences
rationnelles en termes d’intelligibilité mathématique. Ce qui veut dire que le monde est
nombre et que le nombre est le chiffre de l’être. Pythagore de Samos avait étudié la
trigonométrie en Egypte, à l’époque où cette région appelée la Vallée du Nil était un territoire
des africains noirs !
Un autre penseur grec antique, du nom de Parménide, avait également créé une
école à Elée. Parménide affirme vouloir aller au-delà de la connaissance sensible. Car selon
lui, « l’être est ». C’est l’école de l’ontologie. Aussi les Eléates s’opposent-ils à la doctrine
des Ioniens. Dans la ville d’Ephèse, il y avait une école rivale qui affirmait que rien n’est en
fait, que tout devient à travers la conflagration des contraires par le feu. Cette école est
l’œuvre d’Héraclite. Selon lui, l’être n’est pas. C’est le non-être qui est.
Enfin les Sophistes constituent à partir du Ve siècle av. J.-C., un groupe de
connaisseurs qui savaient habilement spéculer sur toute chose. C’était des professeurs d’art
utiles, des démagogues confirmés, comme Protagoras et Caliclès, qui avaient l’art de faire
triompher l’opinion, quelle qu’elle soit, vraie ou fausse. Ces spécialistes de rhétorique
parcouraient les villes et tenaient des conférences à l’agora (place publique) et démontraient
qu’il n’y a ni justice ni vérité, et que l’homme est la mesure de toute chose.
Si la sophistique était perçue comme l’un des plus grands dérèglements de l’esprit, il
urge de noter que l’antiquité grecque avaient connue de célèbres personnages comme
Socrate (470-399). On lui attribue la célèbre formule qu’on lisait au fronton du Temple de
Delphes : « Connais-toi, toi-même ! ».
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Socrate est souvent considéré comme l’inventeur de la philosophie, parce qu’il y a indiqué la
méthode. Socrate a appris la musique, l’astrologie et la géométrie. Il s’intéressait également
à la philosophie naturaliste des Ioniens. Mais son projet principal, c’est d’œuvrer en faveur
du bonheur de l’être humain auquel il indique comment conduire et orienter la vie. La
méthode de Socrate peu être caractérisée d’un double point de vue, l’ironie et la maïeutique.
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Cette approche de la philosophie consiste à engager un dialogue avec un interlocuteur et à
lui poser des questions sur ce qu’il sait ou croit savoir et à pousser l’interlocuteur jusque
dans ses propres contradictions. Socrate se dit ignorant. Il veut sortir de cette situation
malheureuse et s’adresse à un tiers, pour que celui-ci lui apporte des réponses savantes. En
fait, le connaisseur avance des certitudes. Mais Socrate lui demande davantage de
précisions. Plus le savant/connaisseur se met en exercice, plus Socrate exige des réponses
plus précises. Au final, l’interlocuteur s’essouffle et enfin découvre l’inconsistance de son
propre pseudo savoir. Ce que je sais, c’est que je ne sais rien !
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