Introduction à la philosophie

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I
Introduction à la philosophie
Joe-Kodzo HOMEZO
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Genève, 04 mars 2011
Il manque d’ouvrage de philosophie en Afrique. J’ai produit ce texte à l’intention des élèves en classe
de philosophie à la demande de certains membres d’Africa Commons. Le présent document est donc
basique.
L’on pourrait caractériser la physionomie ou l’image générale du monde contemporain par
certains traits généraux perceptibles par les préoccupations suivantes :
1.-
les progrès de la techno-science
2.-
la mondialisation des systèmes d’information et de communication
3.-
la globalisation de l’économie de marché
4.-
la généralisation des problèmes d’environnement et du climat
5.-
la fin des grands discours sur Dieu, le pouvoir et l’Etat
6.-
le recul de la démocratisation et la ruine de l’Afrique
7.-
la création littéraire, artistique et l’imaginaire social
8.-
l’affirmation de la subjectivité, du corps et des formes de sexualité
Prises ensemble, les thématiques ci-dessus mentionnées s’articulent autour des problèmes
de la connaissance et de l’action. La réflexion sur la connaissance est une constante de la
philosophie. Car l’homme aspire à connaître le monde qui l’entoure pour mieux accroitre ses
moyens d’action conformément à la raison. La connaissance est dès lors une constante de
la philosophie. Mais, qu’est-ce que connaître, quels sont nos moyens de connaissance et
quelle est la validité de nos savoirs ?
La connaissance est une démarche par laquelle un sujet (acteur, connaisseur,
savant) se met en relation avec un objet (chose à connaître ou connue). Il existe plusieurs
formes de connaissance : la connaissance intuitive, la connaissance empirique et la
connaissance scientifique. La philosophie réfléchit sur les systèmes ou formes de
connaissance. Dans la connaissance intuitive (in-tueri = voir dedans), le connaisseur se
transporte immédiatement dans l’objet à connaître ou connue. Un bébé connaît sa maman
sans avoir besoin de la regarder. L’intuition est directe, immédiate et instantanée. L’intuition
nous transporte au cœur d’une chose que nous comprenons intégralement.
En revanche, la connaissance empirique (empirique veut dire concret) passe par les
sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et de toucher). Lorsqu’on demande à X et à Y de porter
une table chez le menuisier, l’un peut trouver cet objet facile à transporter, pendant que
l’autre y renonce. Selon sa constitution physique, X déclare que la table est légère, alors que
Y peut la déclarer lourde. L’expérience empirique dépend de chacun : c’est une
connaissance assez vague, générale et imprécise.
II
À la différence, la connaissance scientifique se veut être précise, car fondée sur un
instrument de mesure. Lors que la table en question est posée sur une balance, X et Y
peuvent lire le poids exact de la table. Devant une bassine d’eau, X et Y peuvent avoir des
appréciations différentes : l’eau est chaude, déclare l’un ; pendant que l’autre affirme que
l’eau est froide. Le thermomètre permet de départager les deux individus, puisque l’un et
l’autre diront que l’eau en question fait 31° (degré). Une connaissance est scientifique,
lorsqu’elle est mesurée par des appareils ou tout autre instrument approprié. Ainsi là où le
commun des gens déclare qu’il y a beaucoup d’eau, le savant dira précisément qu’il s’agit de
tel nombre de molécules d’eau.
La scientificité est liée au degré d’intégration de l’outil mathématique dans
l’explication des faits. Le microscope photonique prolonge nos sens, en permettant
d’observer le mouvement des paramécies dans une fusion d’herbes. Mais, le microscope
électronique ou les rayons X utilisés en radiographie expliquent davantage. On parle de
progrès des sciences dans la mesure où les théories qui ont servi à fabriquer le microscope
photonique sont obsolètes et rudimentaires par rapport aux rayons X et aux rayons laser.
Les connaissances scientifiques sont donc relatives en fonction de la qualité des instruments
de mesure.
La physique classique, de Lavoisier à Newton, était construite autour de l’atome,
jusque-là considéré comme l’élément de la matière. Expliquer scientifiquement, c’est tenter
de modéliser la loi ou la causalité, c’est aussi énoncer ce qui rend telle ou telle chose
possible ou ce par quoi une chose se produit. La physique traditionnelle ou physique de
l’atome explique les mouvements des corps grâce à la mesure du temps.
Au XXe siècle, la physique des quanta, encore appelée mécanique quantique, se
spécialise dans la description de l'infiniment petit. Depuis les années vingt, les travaux de
Max Planck, d’Einstein et d’Heisenberg, en physique des particules, ont fait chavirer toute
idée de déterminisme. La physique des particules démontre l’existence de quartz ou
l’antimatière. C’est-à-dire des ondes et de l’énergie. La propriété des particules est
ondulatoire : les électrons, les protons ou les particules de la lumière dénommées "photons"
ne semblent guère obéir à la loi de la causalité. Du moins, l’on ne sait plus évaluer leur
mobilité, ni leur structuration. C'est l'indéterminisme qui régit le monde quantique. Peut-on
conférer un statut univoque à la réalité matérielle, en la réduisant à l’espace euclidien,
tridimensionnel ?
Dans la mesure où toute nos connaissances sont relatives et jamais absolue, il est
possible de considérer problématiques nos savoirs et nos méthodes d’approche de la réalité.
Un sujet ou une situation est problématique quand il/elle donne lieu à des questionnements.
Lorsqu’un individu déclare qu’il ne dort pas, c’est qu’il manifeste des problèmes d’insomnie.
On peut lui demander s’il a mangé, s’il a des soucis ou s’il est simplement malade ?
Lorsqu’un paysan déclare avoir faim, on peut considérer la faim comme une problématique :
comment se fait-il que… ? Peut-être que l’intéressé n’a pas cultivé son champ, qu’il n’a pas
semé à temps, que la saison pluvieuse a ravagé ses récoltes, etc. On peut chercher à
comprendre ce qui lui arrive, dans quelles circonstances et comment en est-il arrivé là ?
Pour analyser et comprendre cette situation, on peut émettre des hypothèses,
suggérer des réponses et vérifier si les tentatives d’explication sont valables ou s’il est
besoin de changer de mode de questionnement, d’approche ou de réponse. En d’autres
termes, une problématique transforme les problèmes en questionnements et en réponses
provisoires, mais qui, sans cesse, sont sujets à des modifications. Puisque toute
connaissance est approchée (Gaston Bachelard) et relative, que signifie dès lors,
l’expression « problématique de la connaissance » ?
III
1.- La problématique de la connaissance en philosophie
Le terme de problématique évoque le doute, l’incertitude ou la probabilité. On dit d’une
situation qu’elle est problématique, lorsqu’elle suscite des doutes, des appréhensions ou tout
simplement parce que la situation en cause reste ouverte, possible et sujette à des
incertitudes. En outre, la problématique signale l’existence des problèmes, des questions
ouvertes, des hypothèses. La problématique désigne enfin les solutions provisoires que l’on
suggère, mais pour autant que les réponses préconisées ne sont pas définitives.
En intitulant ce chapitre « problématique d’une introduction à la philosophie », je
voudrais signifier que l’introduction à la philosophie pose des problèmes de définition, de
présentation et que les penseurs ne sont pas toujours d’accord entre sur ce que philosopher
veut dire et le sens même du mot philosophie.
Le mot « philosophie » [filosofia = ] est un terme grec formé par deux
racines étymologiques : le substantif (nom) philo ] vient du verbe filein ] qui veut
dire désirer, rechercher, vouloir, aimer. Mais le mot Philo ] est la conjugaison du verbe
aimer à la première personne du singulier = philéo /  qui veut dire « j’aime ». Le désir,
la recherche ou la poursuite se dit « Philê » à ne pas confondre avec l’amour au sens
théologal [agapê = ]. Le second terme étymologique de philosophie est Sophia
, lequel évoque la sa gesse, la connaissance, le savoir ou la science.
Du point de vue définitoire, lorsqu’on s’en tient aux racines étymologiques de « Philê /
= » et de Sophia = , la philosophie est une attitude qui consiste dans
l’amitié pour la sagesse. Dans ce sens, les religions, les savoirs mythiques, les
représentations symboliques africaines, asiatiques, précolombiennes, etc. seraient tous
philosophiques. Mais il est des approches de la philosophie en tant que méthode rationnelle,
critique et analytique de recherche de la vérité qui réduisent la philosophie aux seuls
systèmes doctrinaux, aux textes écrits et à l’histoire de la pensée occidentale.
En quoi consiste la méthode philosophique ? L’homme s’émerveille de la beauté du
monde et de l’ordre apparent de l’univers. Il s’étonne également face aux contradictions de
l’existence humaine et se met à douter des choses. L’étonnement engendre des
questionnements et suscite le besoin de connaissance. Le doute au sujet de ce que l’on croit
connaître entraîne l’homme à examiner et à réexaminer les situations et les choses, pour se
faire une idée assez claire. Parfois l’homme réfléchit sur lui-même et le sens de son
existence à partir des bouleversements (naturels, accidentels, sociaux) et du sentiment
d’impuissance (tremblements de terre à Haïti tuant innocents et méchants hommes,
détruisant les grands édifices et les habitations des pauvres, aggravant la paupérisation).
Du point de vue méthodologique, la philosophie est une interrogation radicale et une
réflexion globale. Cette discipline oscille entre la connaissance et l’action. Je tracerai un bref
récit de l’histoire de la philosophie en Occident.
1.1.- L’éclosion de la pensée philosophique
Comme bien d’autres civilisations humaines, la société grecque antique avait produit des
mythologies. Un mythe est, comme un conte, une légende, un récit imaginaire construit in Ilo
tempore, dans des temps immémoriaux. Les mythes n’ont pas d’auteurs connus. Mais les
histoires qu’ils racontent sont supposées avoir lieu en des temps et des lieux imaginés. Les
IV
récits mythiques deviennent mythologies, lorsque ces discours sont écrits par des poètes ou
des écrivains. Les mythologies sont bâties sur des satyres, des personnages énigmatiques,
mi-boucs mi-hommes, des exploits de monstres hypostasiant la nature et des récits fabuleux
des dieux-animaux qui actionnent l’ouragan ou les tremblements terrifiants du monde.
Hésiode décrit l’irruption de la terre :
« La Terre, la toute belle aux seins épanouis
Se leva, elle qui est la base inébranlable de toute chose.
Et la blonde Terra mit d’abord au monde le Ciel étoilé, son égal,
Afin qu’il la recouvrît de tout côtés et devint
La demeure éternelle des dieux immortels »1.
Les discours mythologiques sont des systèmes d’explication de l’univers dans
lesquels le monde visible et l’univers invisible se côtoient, où des puissances surnaturelles et
des forces occultes interviennent dans la vie humaine, où des mystères surgissent dans le
cours ordinaire de l’histoire.
À partir du sixième siècle avant notre calendrier, survient un changement radical dans
les rapports des hommes à l’univers, une rupture inédite avec l’enchantement, un passage
de l’explication mythique du monde à un autre mode de justification désormais fondé sur le
concret et non plus sur les habitudes imaginaires et les sentiments intuitifs des poètes et des
devins. « Laissons de côté les combats des Titans et des Géants, les aventures des
Centaures, fables inventés par les Anciens », écrivait Xénophane de Colophon 2.
Désormais, ce n’est plus Dieu, mais c’est l’homme qui est la mesure de toute chose. Les
cosmo-logies se substituent désormais aux cosmogonies et aux mythologies.
L’avènement de la philosophie est corolaire de la recherche d’explication rationnelle
et empiriquement fondée des choses et de l’univers. La réflexion philosophique ouvre la voie
à la problématisation du réel, à la remise en cause des croyances. Car désormais, il n’y a
plus de réponses données, mais de solutions construites et rationnellement voulues.
1.2.- L’aperçu d’histoire de la philosophie
Dans la mesure où la philosophie consiste en une démarche rationnelle, une tentative de
spéculation pour comprendre, ordonner ou unifier les divers matériaux de l’univers, les
Présocratiques (7è, 6è et 5è siècle av. J.-C.) semblent être les premiers à tenter cet effort en
Occident. Ces penseurs prenaient comme point de départ les données sensibles, aiguisaient
leur curiosité et observaient la nature avec une grande attention. Alors que les habitudes
séculaires consistaient à consulter les dieux, les oracles et les divinités, pour justifier le cours
des événements, les présocratiques, encore appelés physiocrates, réduisirent la complexité
des phénomènes à un élément ou principe premier. Au lieu de consulter Zeus, Apollon,
Dionysos, les présocratiques s’en tiennent à la causalité et inaugurent l’ère du réalisme. Tel
est le Miracle grec, c’est-à-dire l’explication des choses par la tangibilité, la concrétion :
Thalès de Millet,
Anaximandre
Anaximène,
Héraclite,
1
l’eau
la terre
l’air [l’indéterminé = « apeiron » ]
le feu.
Hamilton E., La mythologie, Verviers, 1962, Marabout Université, p. 70.
Xénophane de Colophon, « Fragments », in Voilequin G., Les penseurs grecs avant Socrate, Paris, Garnier,
1941, p. 42.
2
V
La référence très empirique des physiciens d’Ionie est vivement critiquée par diverses écoles
philosophiques rivales, dont le pythagorisme et l’éléatisme. Pythagore de Samos (- 540 av.
J.C.-) avait fondé une école de pensée qui porte son nom et qui décrit les essences
rationnelles en termes d’intelligibilité mathématique. Ce qui veut dire que le monde est
nombre et que le nombre est le chiffre de l’être. Pythagore de Samos avait étudié la
trigonométrie en Egypte, à l’époque où cette région appelée la Vallée du Nil était un territoire
des africains noirs !
Un autre penseur grec antique, du nom de Parménide, avait également créé une
école à Elée. Parménide affirme vouloir aller au-delà de la connaissance sensible. Car selon
lui, « l’être est ». C’est l’école de l’ontologie. Aussi les Eléates s’opposent-ils à la doctrine
des Ioniens. Dans la ville d’Ephèse, il y avait une école rivale qui affirmait que rien n’est en
fait, que tout devient à travers la conflagration des contraires par le feu. Cette école est
l’œuvre d’Héraclite. Selon lui, l’être n’est pas. C’est le non-être qui est.
Enfin les Sophistes constituent à partir du Ve siècle av. J.-C., un groupe de
connaisseurs qui savaient habilement spéculer sur toute chose. C’était des professeurs d’art
utiles, des démagogues confirmés, comme Protagoras et Caliclès, qui avaient l’art de faire
triompher l’opinion, quelle qu’elle soit, vraie ou fausse. Ces spécialistes de rhétorique
parcouraient les villes et tenaient des conférences à l’agora (place publique) et démontraient
qu’il n’y a ni justice ni vérité, et que l’homme est la mesure de toute chose.
Si la sophistique était perçue comme l’un des plus grands dérèglements de l’esprit, il
urge de noter que l’antiquité grecque avaient connue de célèbres personnages comme
Socrate (470-399). On lui attribue la célèbre formule qu’on lisait au fronton du Temple de
Delphes : « Connais-toi, toi-même ! ».
1.3.- La philosophie de Socrate
Socrate est souvent considéré comme l’inventeur de la philosophie, parce qu’il y a indiqué la
méthode. Socrate a appris la musique, l’astrologie et la géométrie. Il s’intéressait également
à la philosophie naturaliste des Ioniens. Mais son projet principal, c’est d’œuvrer en faveur
du bonheur de l’être humain auquel il indique comment conduire et orienter la vie. La
méthode de Socrate peu être caractérisée d’un double point de vue, l’ironie et la maïeutique.
1.3.1.- L’ironie socratique
Cette approche de la philosophie consiste à engager un dialogue avec un interlocuteur et à
lui poser des questions sur ce qu’il sait ou croit savoir et à pousser l’interlocuteur jusque
dans ses propres contradictions. Socrate se dit ignorant. Il veut sortir de cette situation
malheureuse et s’adresse à un tiers, pour que celui-ci lui apporte des réponses savantes. En
fait, le connaisseur avance des certitudes. Mais Socrate lui demande davantage de
précisions. Plus le savant/connaisseur se met en exercice, plus Socrate exige des réponses
plus précises. Au final, l’interlocuteur s’essouffle et enfin découvre l’inconsistance de son
propre pseudo savoir. Ce que je sais, c’est que je ne sais rien !
VI
1.3.2.- La maïeutique
Il s’agit de faire jaillir un savoir inconscient. Socrate se comporte comme une accoucheuse
qui aide la femme enceinte qui parvient à termes à se débarrasser du bébé qu’elle porte.
Aussi la philosophie ne consiste-telle pas à suggérer des solutions, mais à favoriser la
construction de la vérité. Ce n’est pas Socrate qui donne le bébé à naître. Il aide la maman à
accoucher le joli bébé qu’elle porte.
La philosophie est une discipline spéculative qui poursuit la connaissance de la vérité
par la critique, l’utilisation de la logique et le raisonnement rationnel. La philosophie est une
démarche critique et analytique qui procède par la remise en question. Philosopher, c’est se
mettre en route, disait Karl Jaspers. Et en philosophie, les questions sont plus importantes
que les réponses et chaque réponse est une nouvelle question.
Il est précisé en début de cette approche définitoire que la philosophie est l’amitié de
la sagesse. Ce qui signifie que tous les peuples et civilisations ont fait œuvre de philosophie
d’une manière ou d’une autre et que la philosophie ne peut être limitée à l’Occident.
L’Europe n’a pas le monopole de la philosophie. Qu’en est-il de la philosophie africaine ?
4.- La philosophie africaine
La philosophie est traditionnellement définie comme l’ensemble des questionnements des
individus et des sociétés qui tentent de projeter des idées sur le monde et leurs sociétés par
l’usage de la raison. La philosophie est une interrogation radicale (radis = racine) et une
réflexion critique qui se veut être à la fois épistémologique (connaissance), sociopolitique
(critique des institutions) et théologico-morale (critique des croyances et des systèmes
d’administration du sacré). Chaque méthode de philosopher est historique, initiée à partir de
questionnements sur des cultures ou civilisations données. Dans ces conditions, toute
société possède inéluctablement ses propres philosophies, sagesses et visions du monde.
Or divers acteurs et libres penseurs ressortissants des églises, du colonat ou
exerçant dans les milieux académiques préconisaient que l’Afrique et les Africains étaient
incapables de philosopher. Telle était la position du philosophe allemand, Wilfried Hegel qui,
au XVIIIe siècle, publia un ouvrage intitulé La raison dans l’histoire dans lequel il dénia à
l’Afrique toute historicité, c’est-à-dire la conscience de vivre dans l’histoire. Selon Hegel
l’Afrique n’a pas encore été visité par la raison. L’Afrique noire serait au stade d’enfance
perpétuelle. Hegel détache l’Afrique du Nord et l’Egypte antique de l’Afrique noire. Cette
dernière n’aurait pas d’historicité. L’historicité étant la conscience d’usage de la raison dans
l’espace-temps : « l’historicité réconcilie l’histoire et le rationnel en présentant l’histoire
comme une totalité dont le sens est déchiffrable par la raison »3.
En fait, Hegel méconnaît l’histoire africaine. Cheik Anta Diop a démontré que l’Egypte
pharaonique était noire, que l’Egypte (Kemet), le Soudan (Kouch et Napata) et l’Ethiopie
(Abyssinie) formaient tous ensemble la civilisation noire de la Vallée du Nil. Les
constructions pyramidales se retrouvent en miniature au Soudan. De plus, les philosophes
penseurs grecs ont pour la plupart étudié en Egypte : Platon (427-347) a passé de longues
années à Mégare, Cyrène, Crotone, de 399 à 387. Il a étudié à Héliopolis, chez Sekhnuphis.
À Memphis, l’Athénien avait été enseigné par le prophète Khnuphis vers 405-350.
3
Théophile Obenga, Cheikh Anta diop, Volney et le Sphinx, Présence Africaine, Khepera, p. 22.
VII
Pythagore de Samos avait appris la géométrie dans la Vallée du Nil. Saint Augustin,
l’inventeur de la doctrine de la Trinité, était un Africain noir. Bien d’autres Pères de l’église,
dont Saint Athanase, Grégoire de Nice, Grégoire de Nazianze ou Tertullien, étaient tous
Africains noirs4. Le 31 juillet 1969, le Pape Paul VI avait clamé le rôle de ces Noirs, Pères et
Docteurs de l’Eglise, au Symposium des Evêques d’Afrique à Kampala: « L’Occident aussi a
su puiser aux sources des écrivains africains, comme Tertullien, Ottavius de Millet, Origène,
Cyprien, Augustin ». (Cf. La Documentation Catholique, n°1546 du 7 septembre 1968).
En 1946, en pleine période coloniale, un missionnaire belge, Placide Tempels, publie
un ouvrage titré Philosophie bantu5. Le but avoué de l’auteur était de connaître les systèmes
de pensée des bantous, pour mieux les évangéliser. L’ouvrage expose les visions du monde,
les arts et les pratiques religieuses des populations Baluba du Congo. L’auteur caractérise
l’ontologie bantoue par la Force vitale. L’être bantu est avant tout Force et Énergie vitale.
Cette dernière n’est pas une notion abstraite, mais dynamique. Tempels qui était préoccupé
par l’évangélisation des indigènes, critique l’européocentrisme, notamment les préjugés et
les dénis de toute valeur de civilisation aux Noirs, alors même que les Bantous ont leurs
visions du monde et leurs représentations des énergies vitales dans les choses et les
humains. L’ouvrage était mal reçu parmi les Européens. Mais ce livre ouvrit la voie à d’autres
recherches sur l’Afrique subsaharienne longtemps dénigrée en Occident.
Un autre religieux, mais d’origine africaine, l’abbé Alexis Kagame, écrit sa
Philosophie Batu-Rwandaise de l’être6. L’auteur met en exergue l’ontologie bantu en
s’inspirant de la philosophie de l’être d’Aristote7. Marcel Griaule étudie les Dogon du Mali et
publie le Dieu d’eau. Bref, les sociétés d’Afrique précoloniale ont des systèmes de pensée et
de représentation du monde diversement exprimés dans l’art symbolique, les formes
graphiques, les chants et les contes. Mais les religions chrétiennes, le régime de colonisation
européenne et des universitaires continuent à nier la pensée rationnelle en Afrique.
Marcien Towa, Eben-Ezer Ngo, Paulin Hountondji8 affirment que les contes, les
légendes, les mythes africains relèvent de l’ethnophilosophie. Selon eux, la philosophie est
avant tout une démarche individuelle et non collective. La vision globale du monde ne serait
guère philosophique, écrit Hountondji, qui affirme que pour exister, la philosophie africaine
doit être l’œuvre d’africains : La philosophie africaine doit être « un ensemble de texte,
l’ensemble précisément des écrits par des africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes
de philosophiques » (Hountondji, p. 11).
En quoi les sagesses des mythes, des légendes et des contes ne seraient-elles pas
philosophiques ? Un texte est avant tout un support, lequel peut être écrit, oral, acoustique ou visuel. Il
y a une multiplicité de textes en Afrique, que Hountondji et ses collègues ne semblent pas percevoir.
Les scarifications sont des graphies, des traits parfaitement lisibles et compréhensibles. Dans
l’alphabet, la lettre B n’est-elle pas une verticale fixant deux demi-croissants à 180° ? Et la lettre V
n’est-elle pas deux verticales jointes à la base et décrivant un certain angle ?
Bref, la philosophie africaine existe. Elle se trouve partout, dans nos villages et nos maisons,
alors même que les Africains veulent l’ignorer, comme ils ignorent la profusion des écritures, des
expressions et des langages de nos terroirs. L’Europe n’a pas l’apanage de la sagesse et encore
moins de la philosophie. De tout temps les africains ont exercé leur raison dans divers domaines et
formulé des textes, des imaginations sociales et divers moyens de lutte, dont la négritude orientée
vers la dénonciation du colonat.
4
Cf. décret du Concile Vatican II, “Optatam Totius Ecclesiae Renovationem”, n°16.
Rev. Placide Tempels, Bantu Philosophy, Présence Africaine, 1959.
6
Alexis Kagame, Philosophie Batou-Rwandaise de l’être, , Académie Royale des Sciences Coloniales, Bruxelles,
1959
7
Elungu P. E., Eveil philosophique africain, L’Harmattan, Paris, 1984.
8
Paulin Hountondji, « Remarques sur la philosophie africaine contemporaine », in Diogène, 1978, n° 71, pp.
128-140.
5
VIII
LA NATURE ET LA CULTURE
La philosophie est une discipline spéculative qui poursuit la sagesse par l’exercice du
questionnement et de la critique. Dans ce chapitre consacré à la thématique de la nature et
de la culture, je commencerai par définir les termes et discuterai ensuite des relations
susceptibles d’exister entre eux. Mais le couple conceptuel « Nature et Culture » indique de
questionner la place de l’homme et le rôle des institutions dans l’organisation des sociétés.
1.- Les perceptions de la nature
On appelle concept, une idée générale. Ainsi le mot table est un concept, dans la mesure où
il désigne tout objet monté sur pieds. Le terme de nature désigne tout ce qui est là, donné,
comme l’environnement, l’univers, les ressources naturelles que l’homme et les sociétés
n’ont pas produits ou cultivés : « everything that exists in the world independently of people,
such as plants and animals, earth and rocks, and the weather »9. La nature (natus) évoque
ce qui n’est pas issu de l’intelligence ou de la création humaine. U produit est naturel dès
lors qu’il est brut, comme l’eau qui coule dans les fleuves et les rivières, comme les matières
premières forestières (bois de chauffage), les ressources fossiles (le pétrole, le gaz naturel,
l’eau thermale) ou minières (cuivre, le phosphate, l’or). La nature est donnée, alors que la
culture est produite. Celui qui cultive son orangeraie, sa palmeraie ou sa plantation de maïs
s’inscrit dans une dynamique de culture, de travail et d’organisation.
La définition qui précède de la nature est cependant problématique. La société
humaine et la culture humaine sont-elles séparables de la nature ? L’être humain peut-il
vivre indépendamment de la nature ? Est-il possible d’envisager un monde naturel
analytiquement séparable des sociétés ? Les sciences modernes sont basées sur
l’opposition des phénomènes naturels et les subjectivités humaines. Mais telle n’est pas
l’approche des sociétés amérindiennes, précolombiennes (l’Amérique du Sud avant l’arrivée
de la colonisation espagnole) et précoloniales d’Afrique. Les sociétés pré-modernes
reconnaissent une âme, un esprit aux choses qui nous environnent et qu’elles vénèrent
parfois, comme les fées des eaux et des rivières, les divinités terrestres et l’esprit de certains
arbres. La nature est donc diversement construite et perçue suivant les sociétés. Certaines
perçoivent le monde de l’extérieur, pendant que d’autres regardent l’environnement de
l’intérieur et parfois avec du cœur.
Au demeurant, la nature est une représentation sociale. Comme concept, la
représentation désigne le contenu concret d'un acte de pensée, la manière de traduire un
objet ou une situation en provoquant l’apparition de son image au moyen d’un objet qui lui
ressemble ou qui lui correspond. L'objet représenté n'est plus dans ce cas un simple donné.
Il est entièrement produit par un acteur ou un groupe. Dès lors, représenter, consiste à
présenter à nouveau. La représentation est une « forme de connaissance socialement
élaborée et partagée »10. D’après Emile Durkheim11, les représentations collectives
procèdent tant des traditions, que des rites et se transmettent aux générations successives.
9
Longman Harlow, 1987, Longman dictionary of contemporary English, p. 693.
Jodelet D., « Représentations sociales : un domaine en expansion », Les
représentations sociales, Paris, P.U.F., 1989, p. 36.
11
Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, P.U.F., 22è éd., Paris, 1986.
10
IX
Les sociétés traditionnelles abordent leurs milieux naturels par l’exaltation, le totémisme et
les récits de fondation. Les mythes de l’espace mettent en scène l’intervention des génies,
des animaux, des végétaux et/ou des éléments naturels12 dans le quotidien des êtres
humains : « La terre n’est pas un simple support de la production, ni la forêt une simple
réserve de bois, ce sont les éléments d’une cosmogonie à laquelle l’homme participe et avec
lesquels il entretient des liens mystiques »13. Le sacré et le profane sont des sphères
différentiées qui s’impliquent et s’imbriquent mutuellement. « The space is a religious space
between human beings, the ancestors and the spirits, whose mystical relations are
essentially based on the spiritual power of the Earth »14. Ces récits holistiques humanisent la
nature et environnementalisent les humains. Divers groupes sociaux affirment être
ontologiquement de même nature que certains phénomènes ou produits naturels (végétaux,
animaux, insectes), qu’elles magnifient par des évocations analogiques15. Ainsi les Akposso
se déclarent comme léopards. Il existe ainsi plusieurs manières de voir la même chose, de
l’extérieur, mais également de l’intérieur. La tradition analytique ou objectiviste de Galilé,
Descartes et Newton, construit le monde ad intra. Mais, il est aussi des approches
compréhensives émises par nombre de sociétés traditionnelles.
12
Certaines populations du Togo reconnaissent comme totem, la couleuvre ou le python,
un serpent (au demeurant) non venimeux. D’autres, en particulier les Akposso, se
définissent elles-mêmes comme des léopards. D’autres enfin possèdent des mythologies
de la tourterelle ou des produits des champs. Dans le sud-est, chez les Kpessi, on
raconte le récit légendaire d’une courge providentielle qui a servi à désaltérer des
ancêtres lors de migrations décisives.
13
Rossi Georges, “Nous et les autres. Points de vue sur la dialectique
environnement/développement”, in Georges Rossi, Philippe Lavigne Delville et Didier
Narbeburu, Sociétés rurales et environnement. Gestion des ressources et dynamiques
locales au Sud (sous la direction de), Karthala, Regards et Gret, Paris, 1998, p. 14.
14
Bayili B., 1998, Religion, droit et pouvoir au Burkina Faso : les Lyèlae du Burkina Faso,
L’Harmattan, Paris & Montréal, p. 484.
15
L’analogie est un procédé d’attribution de qualités à un être dans une circonstance
précise. L’analogie est vraie lorsque le titre convient en propre à la réalité (res
significata). C’est le cas lorsque la Bonté, la Sagesse ou la Pureté sont des attributs de
Dieu. En revanche, le langage analogique devient impertinent dans le contexte où le
mode de signifier (modus significandi) oblige le locuteur à préciser l’essence, le nom ou
la propriété des choses. Dans l’analogie totémique, les objets choisis comme totems sont
admis comme des sacrements - symboles et réalités vivantes – de l’esprit des ancêtres.
X
2.- Les représentations holistiques de la nature
Je caractériserai les représentations topologiques et l’apprivoisement de l’espace et des
ressources par le mythe du Python sacré, appelé “Dangbui” (serpent sacré) chez les XwlaXweda, lire Pla-Péda du Sud-Est Togo. Les Xwla-Xweda constituent un groupe ethnique
originaire des abords sud du fleuve Mono. Cette entité était partie intégrante du royaume
d’Abomey au XVIIIe siècle d’où il s’est essaimé pour former ensuite le royaume d’Agbanakin
ou de Savi (actuel Ouidah). Les Xwla sont établis sur le littoral de l’océan Atlantique et
forment une population relativement importante de Lomé (la capitale du Togo). Les Xwla
sont de fervents dévots du Python sacré16, dont j’évoquerai la mythologie.
Le mythe du Python sacré
Les Peda (Houeda) ont le Python royal comme totem. Ce gros reptile donne
l’allure d’un fauve redoutable. Comme la plupart des serpents, sa morsure ou sa
capacité d’étranglement ne laisserait aucune chance à ses victimes. Mais il n’en
est rien : le python est paisible, inoffensif et doux. Les natifs Houeda [Serpent
domestique] (Xwla-Xweda) revendiquent la même identité de nature que le
reptile ancestral « Togbé-Dangbé », littéralement Serpent-Ancestral, auquel
ils s’identifient par les scarifications (deux fois cinq traits verticaux) qu’ils
portent au visage, notamment sur le front, les joues et les tempes.
« Les combinaisons de lignes y dessinent [dans l’espace] des figures qui
chantent le destin de l’homme devenu créateur, au sein du grand drame qui
prépare la victoire de la vie »17. En attribuant des emblèmes totémiques à ce
serpent, la communauté Xweda tente de signifier que les personnes en position
d’autorité et de force doivent cultiver des vertus de sérénité et de
tempérance. Le Python royal est un animal protégé par les us et coutumes Fort
cet apprivoisement, le gros reptile rôde paisiblement aux alentours des
concessions, pénètre et sort des cases comme bon lui semble.
Quiconque retrouve la dépouille dudit serpent ancestral doit y reconnaître
l’Enigme qui lui imposerait de recueillir l’Ineffable et Lui offrit une sépulture
et des funérailles dignes des ancêtres.
L’ethnonymie de Xweda se décline par deux étymologies, (a)xwe = maison ;
dan = serpent. Ce qui signifie serpent domestique ! En fait, Reptile sacré.
16
Gayibor Nicoué L., L’aire culturelle Adja-Tado des origines à la fin du XVIIIe siècle,
Paris, thèse d’Etat, 1985, Sorbonne / CRA, 3 vol. Cf. Goerg Odile, Pouvoirs locaux et
gestion foncière dans les villes d’Afrique de l’Ouest, L’Harmattan, Paris, 2006, pp. 31-32.
17
Mveng Engelbert, L’Art d’Afrique Noire : liturgie cosmique et langage religieux, Editions
Clé, Yaoundé, 1974, p. 81.
XI
L’eau que l’on tire à la fontaine publique ou sous le robinet est-elle encore naturelle ? À
Atakpamé, l’eau potable distribuée par la Régie des eaux provient d’un barrage construit sur
la rivière Ôfê, dans les plateaux de l’Akposso. En outre, la station la désinfecte avant d’en
assurer la distribution aux consommateurs. Quelle encore est la naturalité de ces eaux ? On
peut adresser la même question aux planteurs de maïs, dont on sait que les semences sont
hybrides et cultivées grâce à l’utilisation des engrais chimiques. La forêt de teck qui
surplombe le Collège NDA est constituée par le gouvernement par un arrêté de création et
protégée. En quoi les forêts classées sont-elles -elles naturelles ?
Ces questions et bien d’autres nous laissent entrevoir comment les sociétés
humaines dépendent de la nature qu’elles dégradent et conservent également. Il y a donc
une étroite dépendance entre l’homme et la nature qui rend impensable la distinction Nature
et Culture. Les théories du XIXè siècle envisageaient la nature comme un donné, une chose
dévolue, une altérité (autre) face à laquelle l’homme ne peut que se plier. En objectivant la
nature comme une chose, l’industrialisation finit par en faire un produit. Les destructions
causées à la nature par la pollution, la désertification et les massacres des animaux
pénalisent les sociétés qui se trouvent en situation de pénurie ou de raréfaction de la
biodiversité végétale, animale et des espèces. Il devient impossible d’appréhender la nature
indépendamment de la société et vice versa, note Ulrich Beck18.
3.- Les discours anthropocentrique de l’univers
Plusieurs discours d’explication du monde (perception objective, ad intra) ont été élaborés
qui traitent de l’origine du monde et de l’homme. Deux théories créationnistes et
évolutionnistes se croisent sans s’accorder en la matière. Les religions historiques, encore
appelées religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam) sont à l’avant-garde de
l’approche créationniste et assertent que Dieu a créé le monde ex nihilo (à partir de rien) et a
placé l’homme pour dominer sur la création. Ce discours anthropocentrique rallie
paradoxalement ensemble croyants et cartésiens.
3.1.- La lecture créationniste et cartésianiste
Depuis l’époque moderne, Descartes et les post-cartésiens opposent l’esprit et la matière et
érigent l’homme en maître et possesseur de la nature. Le « cogito » ou la conscience du
sujet19 est décrit de manière antithétique à l’univers matériel, lequel est considéré comme
toute quelconque substance étendue : « Nous saurons que la nature de la matière, ou du
corps pris en général ne consiste point en ce qu’il est une chose dure ou pesante, ou
colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce sens qu’elle
est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur »20.
18
Ulrich Beck, La société du risque. P. 146.
Descartes René, Œuvres, Paris, Gallimard, Collection Bibliothèque de la Pléiade, Paris,
1953. Cf. Descartes, R., Le Discours de la méthode, « Deuxième Méditation
métaphysique » (IX, 21).
20
Descartes, Principes de la philosophie, II, paragraphe 4.
19
XII
L’épistémologie postcartésienne présente ainsi l’être humain comme une substance
essentiellement pensante et prétend que les animaux, à la différence, sont de simples
matières21 qui agissent sous la motion uniquement de leurs instincts.
Le présupposé dualiste qui forme l’ossature des cartésianismes de toute obédience
apparaît être également dans la cogitatio fidei des théologiens chrétiens. Certes, le
cartésianisme et le christianisme sont doctrinalement antithétiques. Cependant, leurs
systèmes doctrinaux convergent, notamment lorsque chrétiens et cartésiens clament la
primauté de l’homme sur le monde environnant et définissent les produits naturels comme
de simples biens d’usage et de commodité. Dans leurs théorisations sur la place de l’homme
dans l’univers, les doctrinaires chrétiens subordonnent l’existence des produits naturels à la
satisfaction des besoins humains.
Les magistères ecclésiastiques, de même que les analystes postcartésiens
considèrent globalement les ressources naturelles comme des choses meubles que l’homme
peut s’asservir dans ses intérêts. Le magistère romain se prévaut du poème de la création et
professe que l’être divin, créateur de l’univers, a placé la terre et les ressources naturelles
sous la maîtrise de l’homme : « Dieu les bénit et Dieu leur dit, ‘‘Fructifiez, multipliez,
emplissez la terre et soumettez-la, maîtrisez les poissons de la mer et les volatiles des cieux
et tout vivant qui se meut sur la terre’’ »22. Sur la base de l’exégèse du fragment scripturaire
qui précède, l’Église revendique l’annonce eschatologique du salut de Dieu dans l’histoire.
Le christianisme confesse et enseigne que l’homme est le sommet de la création, qu’il
possède ainsi la primauté sur toute chose et que sont conformes à la révélation divine, la
consommation des animaux, l’utilisation des fourrures dans le vestimentaire et l’usage des
défenses animales dans la décoration esthétique23. Les théories chrétiennes et cartésiennes
soumettent le sort de la nature et de l’environnement au bon vouloir des personnes. Un tel
anthropocentrisme favorise l’insouciance et porte préjudice à la biodiversité.
21
Descartes René, « Lettre au Marquis de Newcastle », 23 novembre 1646, in Œuvres et
Lettres, Gallimard, Pléiade, Paris, 1983.
22
Cf. La Bible de Jérusalem, (Genèse, 1, 28).
23
Toutefois, le discours normatif de la catholicité officielle est vivement contesté par des
milieux écologistes. La Fondation Franz Weber (FFW) se dit choquée par le Nouveau
catéchisme de l’église catholique publié en 1992, dont les enseignements sont qualifiés
d’être trop courts. La FFW accuse le saint Siège d’en appeler au massacre des animaux,
principalement la grande faune. Des pétitions sont alors diligentées qui pressent l’église
de Rome, de retirer, sous peine d’action en justice, les paragraphes troubles à propos
des animaux. En effet il n’existe nulle part dans la Bible, d’ordonnance explicite à
consommer et à violenter les animaux. Il est plutôt écrit : « Voici : je vous donne toute
herbe faisant semence sur la face de toute la terre, et tout arbre qui porte en lui un fruit
faisant semence : ce sera votre nourriture. À tous les vivants de la terre, et à tout
volatile des cieux et à ce qui se remue sur la terre et qui a un souffle de vie, toute herbe
deviendra nourriture » (Gen. 1, 28-29).
Face à l’ampleur des critiques, l’édition 1998 du Catéchisme parle désormais de
partenariat entre l’animal et l’homme avec un langage plus apaisant et conciliant : « Il
existe une solidarité entre toutes les créatures du fait qu’elles ont toutes le même
Créateur et que toutes sont ordonnées à sa gloire » (article 343-344). Le théologien
André Wénin écrit justement : « Dès lors, les uns et les autres ne devront pas lutter
entre eux pour leur nourriture, et les humains n’auront donc pas à user de violence
envers les bêtes ». Cf. Wénin André, « L’humain face à l’animal. Maîtrisez les animaux…
(Gen. 1, 28) », Etudes, Mai 2002, N°3965, Paris, p. 636.
XIII
3.2.- Les discours évolutionnistes
Mais à l’opposé, la théorie évolutionniste représentée par Darwin, Lamark et Lapalce stipule
que tout a évolué dans notre univers. Nous n’exposerons pas ici la théorie de Darwin. Nous
nous contenterons d’un rappel actuellement admis dans la communauté scientifique.
Notre univers qui pèse environ 1051 tonnes existe depuis environ 15 milliards
d’années (15x109). La terre dont le poids total de 5,9x1021 tonnes couvre une superficie de
5,1x108 Km2 s’est formée il y a quatre milliards et demi d’années (4,6x109). La couche
terrestre s’est constituée par suite des mouvements volcaniques et tectoniques datant de
quatre milliards d’années (4x109) favorisant des plateformes continentales couvrant 1,49x108
Km2 apparue il y a deux millions et demi d’années (2,5x109) environ. La combinatoire
d’homéostasie (negative feedbacks) et gaz de conditions atmosphériques (positive
feedbacks) de divers (N2, 50% Vol., CO2, 40% Vol., H2O, CH4, NH3, CO, etc.) ont concouru à
l’émergence de la vie des organites proto-cellulaires qui se sont ensuite démultipliées
donnant lieu à des métazoaires. La vie est apparue sur terre, il y a environ 3,8x109 années
(environ 4 milliards d’années).
Il est ridicule de penser que la terre est créée en six jours. Le discours biblique fait
état d’une analogie énonçant qu’un jour de Dieu vaut 1.000 ans. L’homme n’est pas apparu
non plus en six mille ans! Les philosophies et les religions ont échafaudé des chiffres qu’il
faut prendre comme des allégories : la philosophie Indoue postule l’infinité de l’univers à
travers des cycles de développement et de déclin. Chaque cycle est un jour de Brahma (« a
day of Brahma ») qui dure 4,3 milliards d’années. La sagesse dogon (peuple du Mali) a
développé un comput (mesure) d’astronomie qui serait fastidieux à exposer dans ce texte.
Il existe aussi des débats sur l’origine de l’homme. Deux thèses se confrontent
également à ce sujet. La première est la thèse du polycentrisme, qui affirme que l’homme
serait apparu dans divers endroits de notre planète. Contre le poly centrisme, le savant
sénégalais Cheik Anta Diop a apposé son argument du monogénitisme, à savoir que
l’homme est apparue en Afrique de l’Est (Kenya, Tanzania, Ethiopia) et c’est à partir du
continent noir que le genre homo s’est répandu dans le reste du monde. L’Afrique est, dit-il,
le berceau de l’humanité. Les races ne sont que l’adaptation du Sapiens Sapiens à diverses
conditions écologiques. Voici comment Cheikh Anta Diop démontre sa théorie.
La terre dans son mouvement ne passe jamais deux fois au même endroit. Chaque
lieu (latitude est unique). Et c’est l’Afrique qui a réuni les conditions favorable à l’apparition
de l’homme sur terre. Six spécimens homos ont apparu en Afrique. Les trois premiers sont
sortis d’Afrique, mais ont ensuite disparu : ce sont l’homo Erectus, l’home Habilis et l’homo
Ergatus. Le quatrième et le cinquième n’ont jamais quitté l’Afrique et sont moins développés.
Le sixième qui s’appelle Homo Sapiens Sapiens, est apparu en Afrique orientale il y a
200.000 ans. Il est sorti d’Afrique il y a 120.000 ans et est allé en Indonésie (où il est identifié
comme Homo florentius). Il est également allé en Chine, il y a 70.000 ans. Le même Sapiens
Sapiens a quitté l’Afrique, il y a 40.000 ans, et est allé jusque dans les hauteurs de
Heidelberg en Allemagne (où on le surnomme Homo Neandertalis). Il y a 35.000 ans, le
Sapiens sapiens africain est arrivé en France, en Dordogne, dans les grottes de CroMagnon. Le Sapiens sapiens africain est repéré en Espagne sur les crêts de Grimaldi il y a
25.000 ans. Bref, l’homo Sapiens Sapiens avait deux possibilités de quitter l’Afrique par
l’isthme du Caire (Egypte) ou le détroit de Gibraltar.
Outre la géohistoire, la nature
des réflexions sur le pouvoir.
pouvoir.
4.-
Les théories
Plusieurs philosophes ont mené des réflexions politiques en imaginant un
opposent à l’état de société. Certes, l’état de nature n’a jamais existé et n’existera
probablement jamais. Cependant, la métaphore de la nature leur permet d’inventer une
situation fictionnelle jugée périlleuse qu’il faut quitter par
4.1.- L’état de nat
La nature est considérée comme un contexte où les individus donnent libre cours à leurs
passions d’accroitre leurs pouvoirs sur les autres. La recherche
l’état de nature périlleuse. En effet l’égalité des hommes à l’état de nature devient une
source de menace généralisée. En 1751, Thomas Hobbes publie un ouvrage intitulé
Léviathan dans lequel il théorise sur l’absolutisme.
XV
sont égaux. Mais l’égalité de fait, à l’état de nature, était la principale cause du malheur des
hommes. En effet dans cette situation de guerre de tous contre tous, les faibles, exposés
aux exactions des plus forts, tentent également de se faire justice: l’homme est un loup pour
l’homme (Homo omini lupus). Comment épargner les gens contre le cycle infernal des
violences interpersonnelles ?
Hobbes théorise sur la nécessité d’inventer un pacte civil, une convention, par
l’abdication des forces naturelles respectives de chacun entre les mains du Prince. Celui-ci
dispose du droit d’usage de la force, peut s’en servir pour protéger ses propres intérêts et
défendre ses sujets24 : « … that right which every man had before to use his faculties to his
own advantage, is now wholly translated on some certain man, or council, for the common
benefit»25. L’instauration de l’inégalité de droit met une fin à l’égalité de fait qui prévalait à
l’état naturel.
4.2.- Jean Bodin et le droit naturel
Jean Bodin a également théorisé sur la nécessité du pouvoir absolu pour assurer la paix
civile, Bodin26 déclare également vouloir éviter le risque d’indiscipline ou le refus d’obéir (obaudire) à l’altérité. La désolation de la société de son époque résulte, en partie, de
l’indiscipline caractérisée des moines religieux qui se sont alors révoltés contre l’autorité
ecclésiale. Chacun clamant ses propres droits naturels, sans égard à la moindre autorité,
bascule dans ses passions. Les coûts sociaux des rebellions étant redoutables, Bodin
préconise de les surmonter par l’affirmation de la suprématie absolue de l’État 27. Une telle
institutionnalisation serait indispensable à la protection des personnes et des patrimoines,
pour autant, note-t-il, que la toute-puissance royale elle-même soit subordonnée au droit
divin, à la loi fondamentale de l’État et à la justice naturelle.
4.3.- Nicolas Machiavel et le Prince
La réflexion sur le pouvoir est également au centre de l’œuvre de Machiavel [lire Makiavel].
Le souverain recherche en priorité la conservation de sa principauté contre les menaces de
ses ennemis extérieurs et intérieurs. Le Prince qui détient sa principauté par héritage, par
acquisition ou par conquête, est extérieur à sa contrée. Puisqu’il n’en fait pas partie, le
rapport qui le lie à sa principauté est « un lien soit de violence, soit de tradition, soit encore
un lien qui a été établi par l’accommodement de traités et la complicité ou l’accord des autres
princes, peu importe ; de toute façon c’est un lien purement synthétique »28. Le Prince qui
entretient des rapports d’extériorité et de transcendance avec sa principauté, n’a pas d’autre
but que la conservation dudit territoire. Aussi concentre-t-il par la force, le pouvoir dans ses
mains, pour protéger la principauté contre tout risque de danger interne et externe. En
inspirant la crainte à ses sujets et en s’inspirant de la ruse du renard (diplomatie) et de la
force du lion (militaire), le prince défend ses intérêts et consolide ses territoires.
24
Thomas Hobbes, Le Léviathan, cf. chap. XIV et XXI.
Hobbes Thomas, 1983, De Cive, The English version, Oxford: Clarendon.
26
Jean Bodin, Les six livres de la République
27
Kriegel Blandine, La République incertaine, Paris, Quai Voltaire, 2è édition, 1992, pp.
8-9.
28
Miche Foucault, « La gouvernementalité », Dits et écrits II, 1976-1988, p. 638.
25
XVI
Dans l’opuscule qu’il adresse à Laurent de Médicis, le Florentin met en exergue la
métaphore du simulacre dans la fonction dirigeante. Car pour mieux gouverner, le prince doit
savoir agir à propos, à la fois en bête et en homme : « … il y a deux manières de combattre,
l’une avec les lois, l’autre avec la force »29. Selon J. Derrida, « Le prince doit être un renard
non seulement pour être rusé comme le renard mais pour feindre d’être ce qu’il n’est pas et
de ne pas être ce qu’il est. Donc pour feindre de ne pas être un renard, alors qu’il est en
vérité un renard. C’est à la condition qu’il soit un renard ou qu’il devienne renard ou comme
un renard, que le prince pourra être à la fois homme et bête, lion et renard »30.
4.4.- L’état de nature selon Rousseau
Enfin Jean-Jacques Rousseau émet l’idée selon laquelle l’homme naît bon, mais c’est la
société qui le corrompt. Rousseau impute l’origine de l’inégalité parmi les hommes aux
institutions, aux sciences et aux arts. La résistance à l’oppression sociale est au cœur de la
pensée politique de Rousseau, lequel théorise sur la volonté générale en tant que force
politique et ferment de la démocratie. Alors que l’économiste anglais Adam Smith considère
la loi comme un moyen de protection des riches contre les pauvres31, Rousseau, incrimine,
quant à lui, les artefacts institutionnels, dont le droit, d’être la cause des inégalités qui
rongent les sociétés32. Rousseau décrit la loi comme un moyen d’assujettissement des
faibles par les puissants33. En effet l’esprit général de la loi vise à soutenir le plus fort contre
le plus faible et à légitimer l’arrogance des possédants contre tous les démunis. L’éthique
rousseauiste des rapports de pouvoir tranche radicalement avec tout système absolutiste34 :
« Lorsqu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il s’y soumet, il fait bien. Mais, lorsque le
peuple assujetti secoue le joug de l’oppression, il fait nettement mieux »35, note le Genevois.
La société étant corrompue, il faut alors envisager l’éducation de l’Emile. Mais
l’homme vit en famille. Il urge alors d’inventer une nouvelle famille, La Nouvelle Eloïse. La
société doit être organisée conformément à la raison à travers la définition des règles de vie
en communauté, par un Contrat Social.
Après ces réflexions sur le pouvoir, il s’impose de voir ce que les agents sociaux font
de la nature. Je poursuivrai l’analyse des problèmes d’érosion des ressources naturelles et
les stratégies de limitation de la dégradation.
29
Machiavel, N., Le Prince, UGE, Paris, chap. XVIII.
Derrida, Jacques, « Le loup oublié de Machiavel », [texte inédit] in Le Monde diplomatique, n°
654, Septembre 2008, p. 3.
31
“Laws and governments may be considerated as a combination of the rich to oppress the poor,
and preserve to themselves the inequality of the goods which would otherwise be soon destroyed
by the attacks of the poor”. 1762, Monthly Review 32(5):13.
32
Rousseau J-J., Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, (1754).
33
Rousseau, J-J., L’Emile et de l’éducation, Vol. 2, p. 200.
34
Cf. Jean Bodin, Les six livres de la République; Nicolas Machiavel, Le Prince; Thomas Hobbes (Du
citoyen [De cive], Principes fondamentaux de la philosophie de l’Etat;
Le Leviathan) ou
Montesquieu ([1748] 1989), The Spirit of the Laws.
35
Rousseau, Le contrat social, UGE, Paris, 1986.
30
XVII
5.-
Les discours de protection de l’environnement
Alors que l’industrialisation encourageait la prédation des ressources, depuis la fin du XIXe
siècle, la nature et les produits naturels sont davantage abordées en termes écologiques.
Les sociétés sont de plus en plus confrontées à la fragilité des écosystèmes et à la
perturbation des cycles climatiques. Les produits naturels et les écosystèmes sont alors
perçus comme des biens rares sujets à des limites et susceptibles d’extinction. Plusieurs
discours énoncent les problèmes environnementaux en projetant des stratégies de limitation
de l’érosion naturelle. La dégradation du patrimoine naturel est de plus en plus présentée
comme une menace collective36.
La recherche théorique a également analysé la précarisation des biens naturels et
préconisé de limiter l’anthropie par l’imposition des prix37, l’appropriation privative ou la
création des aires protégées. Il s’agit désormais de faire du développement durable (The
Sustainable Development) qui permette d’assurer la protection de l’environnement en faveur
des générations futures ; et l’ambition de poursuivre le développement respectueux de
l’humain, suivant les termes du rapport du PNUD sur le développement dans le monde
(Human Development Reports – UNDP).
La crise des ressources devient alors une préoccupation des Etats, des organisations
de la société civile et de la communauté internationale. Nous récapitulerons la constriction
internationale des problèmes d’environnement et les tentatives de réponses envisagées.
Depuis le début des années cinquante jusqu’à nos jours, l’environnement est l’objet
de discours écologiques et de stratégies de conservation. Les acteurs locaux savent qu’elles
doivent tout à la nature qui leur fournit la matière et l’énergie nécessaires à leurs activités.
Les exploitants agricoles puisent leurs eaux d’irrigation dans les lacs, les rivières et les
fleuves qui leur fournissent également des produits halieutiques. Les artisans utilisent
également la rente différentielle des forêts alentours dans lesquelles ils prélèvent des bois
d’œuvre, des essences phytosanitaires ou des produits de chasse. Enfin les éleveurs
paissent leurs troupeaux qui parcourent les savanes et les montagnes herbacées. Les
sociétés locales et les riverains considèrent l’environnement comme leur premier allié
qu’elles se doivent de préserver pour subsister.
Les communautés rurales considèrent les produits de la nature comme des
ressources d’intérêt collectif. On appelle ressource collective, toute entité non délimitable
d’utilités naturelles accessibles sans exclusive à l’ensemble de la collectivité. La littérature
spécialisée désigne les biens d’utilité collective par l’expression “Common Pool Resource”
(CPR) : « A public good is one which, if available for anyone, is available for everyone...
Briefly, a common pool resource is a resource for which there are multiple owners (or a
number of people who have rights to use the resource) and where one or a set of users can
have adverse effects upon the interests of other users »38.
36
Hardin Garrett, “The Tragedy of the Commons”, Science, Vol. 162, N°3859, 1968.
Coase R., « The Problem of Social Cost », The Journal of Law and Economics, 3: 1-44,
(1960). Cf. R. Coase, Essays on Economics and Economists, University of Chicago Press,
Chicago, 1995.
37
38
Baden John, « A Primer for the Management of Common Pool Resources », in Garrett
Hardin and John Baden, Managing the Commons, Freeman and Company, 1977, USA,
pp. 138-139.
XVIII
L’environnement et le développement durable
Joe-Kodzo Homezo.
Genève, le 19 oct. 2010
L’un des tout premiers discours internationaux sur la crise des ressources
naturelles remonte à la publication d’un document appelé Halte à la
croissance (1972)39. Ensuite, le Rapport Brundtland sur Notre avenir
commun (1987)40 débouche sur le Sommet mondial de Rio (1992) et la
Convention sur la biodiversité (1994)41. Les pays sont conviés à élaborer
leurs propres plans d’action de développement, en accord avec l’Agenda 21
des Nations-Unies et à signer le Protocole de Kyoto42.
Deux décennies plus tard, la problématique du développement durable est
plus actuelle que jamais. L’activité humaine transforme, mais ne crée pas
de la matière. Cette dernière est l’objet de diverses perceptions. Au plan
anthropocentrique, le cartésianisme préconise que l’homme devienne
« maitre et possesseur de la nature » (Descartes, Discours sur la méthode),
Jean-Paul II (Nouveau catéchisme de l’église catholique, 1992). Mais les
sociétés locales n’ont eu de cesse de considérer la nature comme un bien
inaliénable d’utilité collective (Common Pool Resource). La perspective
écologique (récente dans l’histoire de l’Occident) aborde l’environnement en
tant que patrimoine de l’humanité (Convention sur la biodiversité, 1994).
39
Créé en 1968, le Club de Rome a chargé une équipe de chercheurs du Massachusetts
Institute of Technology, d’étudier le problème de la croissance. Les experts ont rendu en
1971, le Rapport Dennis Meadows, ainsi désigné du nom du président de ladite
commission et intitulé The Limits of Growth, les « limites de la croissance », traduit en
français par Halte à la croissance et qui tire la sonnette d’alarme et allègue de ce que la
poursuite de la croissance économique, sur la même lancée, entraînerait la raréfaction
des sols cultivables, l’épuisement des ressources renouvelables et déclencherait une
chute démographique brutale au cours du vingt et unième siècle.
Cf. Meadows Donella et al., The Limits to Growth, New York, Universe Book, 1972.
Traduction française, sous le titre Halte à la croissance, Fayard, Paris, 1972.
40
Gro Harlem Brundtland, Notre Avenir à tous, Montréal, Éditions du Fleuve, 1988.
41
Cette convention est prise lors du Sommet de Rio de Janeiro, en 1992. Son objectif est
la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.
42
Le Protocole de Kyoto est un ensemble de dispositions légales contraignantes adopté en
1997, dans le but de limitation ou de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Le
Protocole repose sur trois piliers : le permis d’émission, qui est un mécanisme d’échange
de droits d’émissions et de projets concrets de réduction d’émission entre pays
industrialisés ; la mise en œuvre conjointe, permet de créer, de transmettre et d’acquérir
des unités de réduction d’émission (URE) entre les pays industrialisés et ceux en
transition économique ; le mécanisme pour un développement propre (MDP), assiste les
pays en développement et leur facilite l’accès des capitaux, en vue du développement
durable. Un pays développé qui contribue aux stratégies durables dans un pays du Sud,
peut être crédité des unités de Réduction d’Emissions Certifiées (REC) qu’il a créées.
XIX
Certes, personne ne peut nier l’amenuisement des ressources ou la lenteur
de reconstitution des stocks. Mais personne ne saurait dire non plus
précisément le niveau d’extinction de la biodiversité. En fait, le problème
n’est pas tant les prescriptions normatives de conservation des utilités, que
l’impasse, au niveau conceptuel de nos instruments intellectuels et
théoriques. En effet la notion de développement est imprécise (Comeliau,
1993). Plus de 60 définitions discordantes ont été émises en 1989 sur cette
terminologie. Le Rapport Brundtland de 1987 charrie six différentes
significations du développement (Hatem, 1990).
En fait, le développement est perçue par certains comme un phénomène
naturel d’injection de l’énergie et de l’information à des fins de
transformation de la matière. Le paysan qui ouvre un potager, l’artiste qui
taille du bois ou les villageois qui creusent un puits, font du développement.
Sont également des acteurs en développement, la personne et/ou la
compagnie qui injectent du capital dans la production des biens destinés à
XX
J’ai posé le problème de la connaissance en termes dichotomiques marquant la
différence entre l’approche objective et subjective. Mais peut-on sérieusement parlant tenir
une telle opposition ? Toute connaissance n’est-elle pas une subjectivité ? Je résumerai ce
débat avec la réflexion ci-après:
Backing comments on what I’ve depicted as the “objective” (left) and
“subjective” (right) approaches to Nature, it seems to me that I must move
beyond the ideal type categorization I’ve inherited from the Max Weber
Sociology. In doing so I could be able to change my former perception with the
following question: How do we know things that surround us?
Husserl, the Father of the Phenomenology school stressed that “Any
consciousness is the consciousness of something”. He means that our conscious
to subjects [knowledge] is always linked to our history, memory, temporality,
passions, etc. So that, we all of time are in subjectivity process. Because we
select, chose and sort things we want to see and direct into particular
perspectives. According to the Husserl regards, the criterion of “exterior” and
“indoor” eyes is meaningless, as well as is the paradigms of “objectivity” and
“subjectivity”.
Scholars for their academic simplest readings pretend that there are four
models of knowledge: intuition, empiricism, scientific and theoretic (speculation).
In fact, it is me/You who construct our world. Things never exist per se, as in
the Kantian a priori philosophy. It is me /you who project meanings
[consciousness] on what I/ You already select.
When I open my eyes, there is flash back information whose reflects tape my
retinas which send the reversed images to my brain. My brain quick moves and
tries to ordering the reversed images till at the end of the combinations, I could
be able or not to coordinate, link and interpret the whole according to what I
knew, desired and select before. So my consciousness is not the record of a
brute material thing, but a personal reading process that let me/You convert
scatted data onto unified intelligible information.
The fact that different people confronted to the same and unique information
or event never get the same knowledge or appreciation seems to be an index of
the eminent role of our subjectivity that adds meanings to what we give
existence and consistence. The vision of the nature and the world is then
contextual, contingent and, mobile constructions. Conflicts among people, couple,
friends and families seem in relation to the way each concerned person feels,
appreciates and inputs his meanings to things that previously have been admitted
as common, but which are now perceived different. So I must give up quick the
dichotomist worldview depiction I drew.
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