L`argyronète et quelques araignées des milieux humides

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Jeunes Dolomèdes. Cliché S. Jolivet
Par Bruno Didier .
L’Argyronète et quelques araignées
des milieux humides
Au bord de l’eau, dans les marais, les prairies humides ou les tourbières, jusque sur les zones d’étiage en bord de mer, de nombreuses
araignées courent ou bien tissent « les pieds dans l’eau ». Certes,
rares sont celles qui s’enfoncent sous la surface, mais elles apprécient
toutes ces villégiatures mouillées. En partant de la plus célèbre – une
vraie plongeuse –, un petit aperçu de quelques espèces remarquables.
Argyroneta aquatica Clerck
(Cybéidés)
Mâle 9 à 12 mm ; femelle 8 à 15 mm
À tout seigneur… L’Argyronète est
définitivement une araignée des
plus étonnantes. C’est, à vrai dire,
l’unique araignée véritablement
aquatique. La partie ventrale de
son céphalothorax (ou prosome),
son abdomen (ou opisthosome) et
ses pattes sont recouverts de nombreuses soies fines et hydrophobes
qui retiennent une mince couche
d’air qui l’isole de l’eau, lui permet
de respirer et lui donne un aspect
argenté caractéristique. C’est la
seule araignée capable de se mouvoir dans l’eau, de nager, sans le
soutien de supports immergés.
Toutefois, incapable d’utiliser
l’oxygène dissous pour respirer, elle
vit à l’intérieur d’une bulle d’air de
la taille d’une noisette, maintenue
par une toile tissée accrochée à des
plantes aquatiques, près de la surface. Cette véritable « cloche à plongeur » lui sert tout à la fois de
chambre, de salle à manger,
d’appartement nuptial et de « nursery » pour les jeunes. Pour fabriquer son abri, elle tend au préalable
quelques fils de soie en nappe, sous
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L’Argyronète. Cliché J. Hlásek
La Dolomède. Cliché R. Coutin
l’eau, dans la végétation. Elle vient
alors en surface, faisant émerger
une partie de son abdomen et les
pattes postérieures : dans cette posture, l’air qui était prisonnier des
soies abdominales est renouvelé.
Elle s’immerge alors à nouveau,
acheminant une bulle qu’elle vient
libérer, en brossant ses poils, sous
les fils de soie qui retiennent prisonnière cette première livraison.
Après plusieurs allers-retours, la
structure est renforcée autour de la
bulle, avec une entrée à la face inférieure. L’appartement est prêt. Pour
s’y maintenir, notre sirène articulée
renouvelle l’air régulièrement, selon son activité et la saison.
L’Argyronète colonise les eaux
douces et non polluées, stagnantes
ou avec peu de courant et une végétation aquatique assez abondante
ancrée au fond. L’hiver, elle s’isole
dans une cloche, entièrement fermée et renforcée. Ses proies sont
des invertébrés aquatiques, parfois
de petits poissons, qu’elle chasse
sous les eaux et maîtrise à l’aide de
ses fortes chélicères. La mue a lieu
le plus souvent en surface, ce qui
est sans doute nécessaire au durcissement de la cuticule, mais parfois
aussi sous la cloche.
La couleur générale est brun-olivâtre, le sternum et les chélicères
sont plus foncés. Le mâle est plutôt
plus grand que la femelle, ce qui
est rare chez les araignées. Le bref
accouplement (une minute) a lieu
sous la cloche. Les œufs rassemblés en cocons sont parfois pondus
dans une chambre supérieure, séparée par une nappe de soie de la
chambre inférieure où se tient la
femelle. Au bout de 3 semaines, les
jeunes sortent du cocon ; ils restent
ensemble et effectuent leur première mue sous la cloche qu’ils
quittent après quelques jours.
Certains sortent de l’eau, étendent
un long fil de soie et s’envolent
pour coloniser d’autres milieux. Le
cycle de vie dure environ deux ans.
Dolomedes fimbriatus
Latreille (Pisauridé)
Mâle 10-13 mm ; femelle jusqu’à
22 mm
En France, il y a deux espèces de
Dolomèdes très proches l'une de
l'autre : Dolomedes fimbriatus et D.
plantarius, qui est plus rare, et qui
toutes deux se trouvent toujours
dans les endroits humides. D. fimbriatus est une très belle espèce,
puissante, dont la taille pattes étirées peut atteindre 70 mm. La
couleur est brun foncé, avec deux
bandes latérales jaunâtres qui
s’étendent de la tête à l’extrémité
du corps.
Elle est familière des berges des marais. Elle chasse à terre ou en surface
Tétragnathe. Cliché R. Coutin
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de l'eau. Là, elle se met à l’affût et attire ses proies en faisant vibrer l’eau
avec ses pattes antérieures. Elle
chasse également à la course, y compris sur l’eau où elle pénètre parfois,
en marchant sur un support pour y
capturer quelques proies y compris
de très petits poissons, de jeunes têtards ou de petites grenouilles. Du
reste, inquiétée ou se sentant menacée, elle n’hésite pas à plonger, pouvant rester immergée plusieurs minutes grâce à l’air retenu par ses
poils hydrofuges. Elle consomme
notamment des mouches mais
n’hésite pas, à l’occasion, à s’emparer
de proies de grande taille comme les
demoiselles.
Le mâle séduit sa partenaire en agitant ses pattes antérieures, l’une
après l’autre. Après un bref accouplement, la femelle pond plus de
1 000 œufs, en deux à trois pontes
au cours de la saison. Chaque ponte
est conservée dans un cocon verdâtre qu’elle porte sous son corps en
le tenant à l’aide de ses chélicères.
Lorsque l’éclosion est proche, le cocon est suspendu dans la végétation
sous un dôme de soie et la femelle
défend les araignées nouveau-nées
en se tenant au bord de l’édifice.
Puis les nombreuses jeunes
Dolomèdes cherchent refuge dans
les arbres et arbustes avant de revenir, adultes, mais beaucoup plus
rares, vers les lieux humides.
Tetragnatha extensa L.
(Tétragnathidés)
Mâle 6-9 mm ; femelle jusqu’à 12 mm
Les Tétragnathes s’observent principalement en été. À la différence des
Dolomèdes, T. extensa construit
Épeire des roseaux : mâle et femelle.
Clichés J.-Y. Bernoux à
http://champignon.champyves.free.fr/
Femelle de l’Épeire des roseaux et sa proie,
une libellule. Cliché J. Lindsey à
http://popgen.unimaas.nl/~jlindsey/
une toile pour capturer ses proies.
Mais cette économe n’investit que
peu de soie à la confection : tout au
plus une quinzaine de rayons, une
spirale de quelques tours aux
mailles espacées et un fil si fin qu’il
se distingue à peine. Sa toile est
toujours inclinée, plus horizontale
que verticale. Placée dans la végétation basse ou au-dessus de l’eau,
elle lui permet de capturer les insectes qui s’envolent, sautent ou se
posent. Autre particularité, elle est
active la nuit. C’est à la lueur d’une
lampe qu’on a le plus de chance de
la voir, tissant ou réparant les dégâts provoqués à sa toile par la
chasse de la nuit précédente ou déjà
installée en son centre. Chez les
adultes le céphalothorax est d’un
brun jaune, plus sombre en avant.
L’abdomen est blanc-argenté
avec une paire latérale de lignes
ondulantes jaune pâle et brun rougeâtre.
De jour, ces araignées allongées à
l’abdomen étroit et étiré, aux pattes
avant démesurées, se dissimulent
parfaitement dans la végétation.
Plaquées sous une feuille ou contre
une tige avec laquelle elles se
confondent, elles se tiennent immobiles. Les deux paires de pattes
antérieures sont tendues vers
l’avant dans le prolongement du
corps, la dernière vers l’arrière tandis que la troisième paire enserre le
support. Du fait de leur vie nocturne, les Tétragnathes, souvent
abondantes, se voient peu.
Lors de l’accouplement, comme
chez tous les Tétragnathidés, les
grandes chélicères fortement dentées des deux partenaires sont imbriquées les unes dans les autres, le
mâle bloquant celles de la femelle.
Larinioides cornutus
Clerck (Aranéidés)
Mâle 5-8 mm ; femelle 6-12 mm
L’Épeire des roseaux est commune
près de l’eau. Si sa couleur de fond
est très variable – de blanc à brun ou
rouge – le motif de son abdomen –
qui est gros et rond – est caractéristique, évoquant deux cornes épaisses
réunies par la pointe, mais interrompues en leur milieu. Elle
construit dans la végétation basse
une toile géométrique de 30 à 40 cm
de diamètre, assez lâche, possédant
15 à 20 rayons. Un fil avertisseur relie le centre de la toile à une « annexe » – souvent une loge de soie –
qui lui sert de repaire. Ses captures
sont essentiellement nocturnes et
peuvent être de taille respectable
puisqu’il n’est pas rare de voir des demoiselles ou des libellules prises
dans ses filets. Le mâle, nettement
plus petit, reste souvent avec la femelle tout au long de la saison.
Une particularité physiologique,
unique chez les épeires, permet à
cette espèce de résister aux hivers
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les plus froids. Son hémolymphe
contient en effet un antigel lui permettant de survivre à des températures extrêmement basses, jusqu’à
- 25 °C. Les adultes qui survivent à
l’hiver sont donc aux premières
loges au printemps pour profiter,
en l’absence de toute concurrence,
des insectes les plus précoces.
Cette araignée résistante se prêtant
facilement à l’élevage, elle est souvent utilisée pour des études scientifiques (sur le tissage, les effets des
polluants sur les toiles, etc.)
Micrommata virescens
Clerck (Sparassidés)
Mâle 8-10 mm ; femelle 12-15 mm
La Micrommate (littéralement : « à
petits yeux ») ou Sparasse verte, est
une araignée errante de la végétation basse des milieux humides, remarquable pas sa coloration : pattes
et corps sont, globalement, d’un
très beau vert. Le mâle est plus
sombre que la femelle ; son abdomen porte trois bandes longitudi-
Micrommate mâle
© L. Viatour à www.lucnix.be
Micrommate femelle
Cliché L. Bartolini à www.lucianabartolini.net
Femelle de Pirate portant son cocon
Cliché J. Lindsey
nales rouges et deux bandes jaunes
encadrant la bande médiane rouge.
L’abdomen de la femelle est vert
jaune avec une tache cardiaque (à
l’avant du dessus de l’abdomen)
plus sombre. Ses yeux sont entourés de petits poils blancs. Les pattes
des adultes des deux sexes sont
longues et tout leur corps est recouvert de poils. La rapidité de sa
course dans les herbes tranche avec
la longueur de l’étreinte sexuelle
qui dure jusqu’à sept heures. Du
fait de leur durée de vie courte, les
mâles sont plus rarement observés.
En été, la femelle pond un grand
nombre d’œufs vert brillant. Elle les
protège dans un cocon dissimulé
entre des feuilles rapprochées au
moyen de fils de soie et reste auprès
d’eux, dans cette retraite. Elle produit ainsi jusqu’à deux cocons. On
pense que la seconde ponte n’at-
Pirata piraticus. Cliché J. Lindsey à http://popgen.unimaas.nl/~jlindsey/
teint pas la maturité avant la venue
de l’hiver et que pour elle, le cycle
dure deux ans.
Pirata piraticus (Lycosidés)
Mâle 6 mm ; femelle jusqu’à 9 mm
Notre petite promenade aquatique
ne saurait se terminer sans évoquer… les Pirates. Il s’agit en effet
d’un genre (Pirata) généralement
très commun de petites araignéesloup qui cherchent la proximité de
l’eau. Elles se caractérisent par la
présence d’une tache en Y sur le
dessus du céphalothorax, peuvent
marcher sur l’eau et certaines savent s’immerger en cas de danger.
Comme leur nom l’indique, ces
araignées courent au sol et pourchassent leurs proies.
La femelle de Pirata piraticus porte
sur son abdomen une double rangée de poils blancs en V encadrant
la tache cardiaque d’un brunjaune. Des points blancs encadrent l’extrémité de ce dessin et
les côtés de l’abdomen sont couverts d’une pilosité blanche. Avant
de l’approcher, le mâle prend soin
de se signaler à l’aide de signaux, à
défaut de quoi il risque de passer
pour une proie. La femelle tisse un
cocon qui reste fixé à ses filières, à
l'arrière de son abdomen ; lorsque
les œufs ont éclos, les jeunes restent un temps sur le dos de leur
mère. Ils la quittent au bout de
quelques jours, tissant bientôt un
fil aérien et confiant leur destinée
au bon vouloir de la brise… r
Pour en savoir plus
• Jones D., 1990. Guide des Araignées et
Opilions d’Europe. Éd. Delachaux et Niestlé.
384 p.
• À (re)lire : www.inra.fr/ OPIEInsectes/be1890-2.htm
EN ÉPINGLE - voir les autres Épingles à www.inra.fr/opie-insectes/epingle08.htm
Altius citius fortius
Les épreuves entomolympiques de saut ont eu lieu à Toulouse – et pas à
Pékin –, opposant Ctenocephalides canis à C. felis felis, soit la Puce du chien
à la Puce du chat. Qui croyez-vous qui l’emporta ? Au saut en longueur, la
première, avec un bond moyen de 30,4 cm contre 19,9 pour la seconde.
Pour l’épreuve de hauteur, les puces étaient par équipes (ou lots) de 10
placées au fond de tubes de hauteurs graduées, dont il s’agissait de
jaillir par l’ouverture supérieure. Là encore, victoire à la Puce du chien
avec 15,5 contre 13,2 cm (hauteurs franchies par la moitié des insectes).
Pas de dopage ni de transfusion d’hémolymphe.
La communauté scientifique internationale a tenu à honorer les entomologistes organisateurs, Marie-Christine Cadiergues, Christel Joubert et
Michel Franc (ENVT et INRA – France) en leur attribuant le prix de biologie
lors de la 18e cérémonie des IgNobel qui s’est tenue le 3 octobre 2008 à
l’université de Harvard (États-Unis). Cette récompense est décernée
chaque année en même temps que les Nobel scandinaves par un joyeux
jury à des travaux scientifiques qu’il trouve rigolos.
AF
Référence de l’article source : « A comparison of jump performances…”, doi:10.1016/S03044017(00)00274-0
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En test à l’OPIE : les puces jaunes sautent-elles plus haut que
les puces rouges ?
Pour en savoir plus, le très documenté site de l’Association nordaméricaine de Saut de puces à www.tiddlywinks.org
Ce prix a déjà été attribué à des travaux sur des insectes – (re)lire notamment l’Épingle « Prix Nobel à 4 entomologistes », octobre 2006, en ligne
à www.inra.fr/opie-insectes/epingle06.htm#ign
Le lauréat Michel Franc a publié « Les puces du chien et du chat » dans
Insectes n° 143, 2006(4), en ligne à www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i143franc.pdf
n°151 - 2008 (4)
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