Pour atteindre ce but, il est nécessaire d’étudier le médicament
dans la population cible, c’est-à-dire chez un groupe de malades
devant bénéficier du traitement. De plus, comme on veut
connaître la variabilité des paramètres pharmacocinétiques
(et/ou pharmacodynamiques), la population doit comporter un
nombre assez important d’individus (un effectif de 20 à 30
semble être un minimum). Enfin, si l’on cherche à déterminer
l’influence de certains facteurs physiologiques ou patholo-
giques (covariables) sur la pharmacocinétique ou la pharma-
codynamique, ces facteurs doivent varier de manière assez
importante dans la population étudiée. On revient encore à une
notion d’effectif assez large, car on cherche à mettre en évi-
dence une caractéristique de type statistique, une corrélation
entre un paramètre pharmacocinétique, par exemple, et une
caractéristique individuelle. Ce coût supplémentaire en termes
d’effectif est cependant compensé par la possibilité de réaliser
un nombre d’observations par individu extrêmement réduit.
Pour une étude pharmacocinétique, par exemple, on pourra se
contenter de 2 à 3 prélèvements par sujet, au lieu des 15 à 20
et plus requis pour une approche classique. Ce dernier point
constitue un net avantage, dans la mesure où il devient possible
d’étudier, par exemple, la pharmacocinétique d’un médicament
dans des populations autrefois exclues pour des raisons éthiques
(très jeunes enfants, vieillards, malades dans un état sévère).
De plus, il est également possible d’analyser les données éparses
provenant de stratégies thérapeutiques ou d’essais cliniques de
phase 3 ou 4, pendant lesquels une ou quelques observations
sont recueillies pour chaque patient, à des temps “praticables”
plutôt que déterminés à l’avance.
COMMENT ESTIMER ET QUANTIFIER LES PARAMÈTRES
DE POPULATION ?
À ce stade, on peut résumer et définir ce qu’est l’approche de
population en pharmacocinétique-pharmacodynamique, ici
appliquée à la seule pharmacocinétique par L.B. Shiener
(1984) : “Les paramètres pharmacocinétiques de population
quantifient, pour la population étudiée, la pharmacocinétique
moyenne, la variabilité interindividuelle et la variabilité rési-
duelle, incluant la variabilité intra-individuelle et l’erreur de
mesure”.
La figure 1 compare schématiquement les méthodes utilisées
dans les deux approches, classique et de population. La diffé-
rence essentielle avec l’approche traditionnelle est que toute
l’information est analysée au moyen d’un modèle “pharmaco-
statistique”, qui permet d’évaluer simultanément les paramètres
du modèle pharmacologique (clairance, volume de distribution,
effet maximal…) et du modèle statistique. Ces modèles se
décomposent eux-mêmes en sous-modèles. Le modèle phar-
macologique ou modèle à effets fixes, ou encore modèle struc-
turel, est composé du modèle pharmacocinétique auquel
s’ajoute éventuellement l’influence de telle caractéristique indi-
viduelle (covariable) sur certains paramètres pharmacociné-
tiques. Soit, par exemple, la perfusion intraveineuse d’un médi-
cament, dont la pharmacocinétique est monocompartimentale
et la clairance proportionnelle au poids corporel. Le modèle
structurel s’écrira au moyen de deux équations, de manière très
simplifiée :
Le modèle statistique, ou modèle d’erreur, décrit les effets aléa-
toires, c’est-à-dire la variabilité de la pharmacocinétique ou de
la pharmacodynamique. Cette variabilité se décompose elle-
même en :
"Variabilité interindividuelle. Chaque individu est différent :
ses paramètres structurels sont spécifiques et diffèrent des para-
mètres de population. Les paramètres moyens de population
sont donc estimés à une erreur près, qui décrit la variabilité des
paramètres dans la population.
"Variabilité résiduelle. Elle inclut les erreurs de mesure, des
temps de recueil, de déviation du modèle mathématique par
rapport à la réalité.
"Enfin, de façon récente, une troisième source de variabilité
peut être prise en compte, c’est la variabilité interoccasion,
qui rend compte de la variation des paramètres au cours du
temps, lors de réadministrations du médicament largement
espacées dans le temps.
La méthode le plus souvent utilisée pour l’analyse des données
de population est donc cette “modélisation combinée des dif-
férents effets” (librement adapté de l’anglais mixed effect mode-
ling). Cette méthode est implémentée dans le programme NON-
MEM (Non Linear Mixed Effects Modeling), qui est le standard
pour ce type d’analyses. La méthode d’estimation est dite
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 3 - mai/juin 2002
MÉTHODOLOGIE
Clairance = a x poids + b (1)
Concentration = fonction (volume de distribution, clairance, temps) (2)
Figure 1. La modélisation en pharmacologie – comparaison des
approches classique et de population. Dans l’approche classique, à
gauche, les phénomènes sont étudiés le plus complètement possible,
individu par individu (“de l’individu à la population”). Dans une
approche de population, à droite, les phénomènes sont analysés sur
le groupe tout entier au moyen d’un “modèle pharmaco-statistique”
qui permet d’extraire simultanément les paramètres pharmacolo-
giques et les variabilités interindividuelles et résiduelles (“de la popu-
lation à l’individu”).