Péripéties et avatars politico-budgétaires sous

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PERIPETIES ET AVATARS POLITICO-BUDGETAIRES SOUS LA V° REPUBLIQUE
Monique DOREAU-TRANQUARD
Maître de Conférences de Droit public
Université de POITIERS
IREDE -- CNRS –UMR 5081
Si le "nouveau Franc" est souvent associé à la fondation de la V° République, il faudra très prochainement ajouter la disparition de la monnaie nationale aux événements qui auront marqué de manière indélébile cette époque de notre Histoire. Pendant plus de quarante années, le Franc et la V°
République auront entretenu des rapports souvent ambigus, aussi bien en termes de politiques d'une
manière générale que de politique budgétaire en particulier : il a en effet fallu composer tout naturellement avec les fluctuations du Franc pour tenter, par des mesures politiques inévitables et leur traduction budgétaire immédiate, soit de renforcer la stabilité relative de la monnaie nationale, soit de
minimiser les effets éventuellement pernicieux de dévaluations.
A y regarder de plus près, ces diverses démarches ne diffèrent fondamentalement ni dans leurs
objectifs ni dans leurs moyens : c'est dès lors tout le problème - en réalité très classique - de l'adéquation des politiques nationales aux impératifs monétaires qui est posé. Néanmoins, s'il est généralement
patent que toute décision politique a – ou est susceptible d'avoir – des incidences financières et budgétaires, il est souvent moins simple de percevoir comment la plupart des événements qui affectent
l'existence d'une monnaie amènent les instances nationales à prendre des mesures financières et budgétaires destinées à leur faire contrepoids.
De fait, bien que de telles interventions constituent au premier chef des décisions "politiques",
leur portée réelle peut parfois dépasser celle de simples mesures d'accompagnement budgétaire de la
mise en œuvre d'objectifs monétaires. Sous la V° République peut être plus encore que dans d'autres
contextes politiques – notamment en raison de l'ampleur et de la fréquence des événements qui ont
émaillé la vie de la monnaie nationale depuis 1958 – ces interventions ont souvent conduit à infléchir
certaines orientations politiques antérieures, parfois même à mettre à profit des impératifs monétaires
présentés comme incontournables pour appuyer des initiatives que les gouvernants n'auraient probablement eu ni l'opportunité ni l'audace d'entreprendre en d'autres circonstances. La contrainte financière première se trouve alors transformée en prétexte politique aux décisions budgétaires. La représentation nationale et l'opinion publique n'ont alors qu'à s'incliner devant une raison d'Etat quelque peu
détournée.
C'est ainsi que, de la traduction budgétaire du Plan De Gaulle-Rueff aux mesures destinées à satisfaire aux critères de convergence du Traité de Maastricht, en passant par les montages budgétaires
en rapport avec des dévaluations ou au contraire des refus de dévaluer, bon nombre d'actions budgétaires directement liées aux vicissitudes du Franc ont pu trouver leur justification officielle, et être
expressément rattachées à une prétendue orthodoxie financière, alors même que leurs implications sur
certains secteurs de l'activité nationale étaient parfois très lourdes de conséquences. L'impact politicobudgétaire de certaines vicissitudes monétaires permet d'illustrer cette dichotomie. En ce sens les rapports entre le Franc et la V° République semblent osciller souvent entre péripéties et avatars.
I – Le "nouveau Franc", façade des desseins politiques du Général De Gaulle
S'étant depuis longtemps forgé "une certaine idée de la France", le Général De Gaulle, lorsqu'il se
déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République le 15 mai 1958, avait déjà une conception très
arrêtée de la politique qu'il voulait mettre en œuvre. Ses priorités allaient tout naturellement plus aux
institutions du futur régime et à sa Défense - a priori plus porteuses du prestige de la France - qu'à des
préoccupations économiques et financières, mais sans négliger pour autant que ces dernières constituent tout à la fois le moyen de permettre au Franc de rivaliser avec la Livre et le Dollar et un vecteur
non négligeable de popularité, deux considérations auxquelles De Gaulle est loin d'être insensible. Par
ailleurs, à une époque où, sans que l'on puisse déjà évoquer la "mondialisation", l'interconnexion des
économies est déjà très forte, le contexte international – et plus particulièrement européen, avec
l'abaissement des droits de douane entre les Six le 1° janvier 1959 et la libération progressive des
échanges au sein de l'OECE – impliquait la remise en cause immédiate d'une politique monétaire et
financière moins malmenée qu'on a bien voulu le dire par la IV° République, mais néanmoins obsolète.
Dès lors, le Général De Gaulle s'est efforcé d'intégrer les conséquences des impératifs financiers du
moment dans la ligne politique qu'il a tracée pour la France, parfois cependant aux dépens –sinon au
mépris – d'une certaine logique budgétaire, ce qui n'a pas été sans susciter quelques ambiguïtés.
A – Nouveau Franc, nouvelle politique budgétaire ?
Bien que la grave crise financière et monétaire de 1958 soit essentiellement "le reflet de la crise
politique à laquelle le régime se trouve confronté"1, la rigueur financière mais aussi économique s'imposait inexorablement à ce tournant de notre Histoire, pour remédier aux déséquilibres simultanés du
budget et du commerce extérieur. Il devenait notamment urgent de moduler la consommation intérieure afin que les exportations permettent de rétablir un équilibre financier quelque peu perturbé, sans
que l'on ait a priori tranché l'alternative entre une réduction drastique de cette consommation, et son
orientation par des mesures appropriées. Bien que la marge de choix soit en fait très limitée, De
Gaulle opta pour la première voie, et, lors des arbitrages budgétaires, imposa immédiatement d'importantes restrictions sur les crédits demandés par ses Ministres au titre de l'année 19592, à l'exception
évidemment des crédits militaires que la guerre d'Algérie ne permettait pas de réduire. Il allait en cela
dans le sens des conclusions du Comité Pinay-Rueff3, qui préconisait, afin de "rendre à la France une
1
VESPERINI J.-P., [1993], p.3
ne manque pas de provoquer déjà certains remous dans l'opinion publique : l'éducation nationale voit en effet ses
crédits d'équipement amputés de plus de 30%, alors qu'aucune réduction ne vient affecter les 1790 millions destinés aux
premières opérations de percement du tunnel du Mont Blanc !
3 "Rien ne saurait être accepté qui aboutisse à l'inflation" : Cf. Allocution télévisée du Général De Gaulle du 28
décembre 1958. En dépit de rapports personnels souvent tendus, De Gaulle avait nommé Antoine Pinay Ministre des
finances, et avait été séduit par l'orthodoxie financière et monétaire prônée par Jacques Rueff, adepte d'un strict
équilibre budgétaire prévisionnel et d'un solde d'exécution nul. Le Rapport Pinay-Rueff – qui ne traduit pas
véritablement les engagements pris par Monsieur Pinay bien que le plan de redressement qui s'ensuivra ait pris la
dénomination quasi officielle de "plan Pinay" (aussi appelé "plan De Gaulle-Rueff") - a été remis le 8 décembre. Mais
s'il n'a été rendu public que le 28 décembre, c'est pour faire coïncider sa publication avec celle de la loi de finances
pour 1959 certes, mais surtout avec la fermeture de la Bourse qui avait été décidée pour les vendredi 26 et samedi 27
2Ceci
monnaie saine, forte, respectée"4, un retour indispensable vers le mythique équilibre budgétaire, vecteur d'une orthodoxie monétaire et financière anti-inflationniste. Jacques Rueff attachait en outre une
grande importance au financement des dépenses définitives de l'Etat par ses recettes définitives ; le
solde d'exécution de la loi de finances ne devait pas donner lieu à création monétaire. Or l'impasse5
prévisionnelle pour 1959 était de 1500 milliards de Francs, et l'objectif immédiat de la ramener aux
600 milliards susceptibles d'être financés par l'épargne.
La traduction budgétaire de ces objectifs était alors relativement simple. En ce qui concerne les
charges, déjà lourdement grevées par le poids de la dette publique, une augmentation linéaire des dépenses de fonctionnement était quasi incontournable, à ceci près cependant que, à la fois pour faire
bonne mesure et preuve de bonne volonté au regard des crédits en forte extension du Ministère des
Armées, la retraite du combattant a été purement et simplement supprimée pour les moins de 60 ans.
Les crédits d'investissement, jugés suffisants pour maintenir constant le niveau de l'activité économique, ne devaient pas non plus être affectés en valeur relative, et même augmentés à terme. La rigueur
eut donc pour cible exclusive les interventions économiques de l'Etat. Directement d'abord, il convenait, selon les propositions du rapport Rueff, et de manière concomitante à d'importantes restrictions
dans le domaine des dépenses sociales, de réduire voire de supprimer celles des subventions (dites "à
la consommation") ou détaxations dont l'effet direct ou indirect était de maintenir certains prix à un
niveau inférieur au coût de production 6 : ce faisant, on devait réaliser une économie de 125 milliards
de Francs sur un budget général d'environ 5500 milliards. Indirectement ensuite, il a fallu évidemment
imposer de lourdes hausses de tarifs aux usagers de services publics, afin que l'Etat puisse faire l'économie des fortes subventions d'équilibre qu'il dispensait jusque là.
S'agissant des ressources budgétaires, l'objectif de les augmenter d'environ 300 milliards s'accommodait fort bien de la volonté de diminuer les revenus disponibles des particuliers. L'éventail des
possibilités restait théoriquement plus large qu'en matière de charges7, et c'est à la fois la suppression
de nombreuses exonérations dont la France est coutumière, et la majoration de la plupart des taux
d'imposition qui ont été décidées, au delà de la classique augmentation des "recettes de poche". Certes
les impôts indirects ont été les plus durement touchés, non seulement parce c'est la consommation
qu'il s'agissait avant tout de freiner, mais aussi en raison de leur caractère plus indolore ; mais l'ensemble de la fiscalité nationale8 a été affectée par ces augmentations.
décembre, non pas tant à cause de la traditionnelle "trève des confiseurs" que parce que l'on redoutait toute réaction trop
immmédiate et irréfléchie à un plan de redressement qui dépassait de beaucoup la simple opération monétaire.
4 Cf. Allocution radiodiffusée d'Antoine PINAY, le 4 juin 1958, lendemain du vote de la loi qui amènera le Général De
Gaulle à fonder la V° République.
5 Qualifiée de "pernicieuse théorie" (Edgar Faure, le Monde, 3 janvier 1958), l'impasse est constituée de l' "ensemble
des charges que le Trésor doit couvrit avec ses propres ressources" ; elle inclut essentiellement le déficit budgétaire et
les prêts et avances consentis par le Trésor public. Elle constitue donc un "pari" que la bonne santé de l'économie va
permettre au Trésor public de trouver les ressources nécessaires. Sur l'ampleur de cette question à la fin de la IV°
République, Cf PAYSANT A., [1999], p.27 ; MARTINEZ J.-C. et DI MALTA P., [1999], p.112
6 Cf. Sur ce point : Paule ARNAUD-AMELLER - "mesures éconnomiques et financières de décembre 1958" Recherches sur l'économie française - Armand Colin 1968. La plupart d'entre elles concernaient le secteur agricole, et,
par ricochet, le mécontentement des producteurs touchera également les entreprises qui transformaient les produits issus
de ce secteur, et de ce fait une partie importante des salariés
7 Bien que M. Pinay ait insisté sur le fait que "dans le cadre du système d'imposition existant, la pression fiscale a
atteint des limites qu'il serait imprudent de dépasser" Cf. La Vie Française 30 septembre 1958.
8 Si l'on excepte la suppression de l'impôt sur les bicyclettes !
Bien évidemment, ces mesures sont présentées comme provisoires, simplement destinées à réduire la consommation par l'intermédiaire des finances publiques dans le cadre de la mise en œuvre du
Plan Rueff. A terme, ce dernier a mis l'accent - pour la première fois (mais non la dernière !) sous la
V° République - sur la double nécessité de modifier la présentation budgétaire9 et de refondre en
profondeur le système fiscal français... Mais les modifications adoptées plusieurs mois plus tard seront
loin de l'ampleur annoncée, confinant cette promesse, par ailleurs classique en politique française, au
rang de simple alibi aux mesures de redressement10. Dans le même temps, et contre l'avis du Conseil
économique et social11, le Franc fut dévalué de 17,55%12, notamment afin de compenser l'inévitable
hausse des prix liée à la mise en œuvre du plan.
De manière plus patente, afin de "placer notre Franc sur une base telle qu'il soit inébranlable"13,
une nouvelle unité monétaire, le "nouveau" Franc, fut instituée14 ; valant 100 "anciens" Francs, et devait voir le jour le 1° janvier 1960. Opération nécessaire ? Symbole aux dires de certains, "illusion"
pour d'autres …
B – Nouveau Franc, nouveau départ ?
Qualifié, dès la première allocution radiodiffusée du Général De Gaulle à l'Hôtel Matignon le 13
juin 1958, d' "effort très dur , mais absolument nécessaire de remise en équilibre de nos finances et de
notre économie …. grâce auquel (notre pays) verra s'ouvrir la carrière de la prospérité", ce plan de
redressement a t il constitué, compte tenu de ses prolongements, une simple péripétie dans les relations entre la V° République et sa monnaie, ou un avatar auquel pourraient se rattacher des effets
inattendus, voire pervers ?
Sur le plan politique et institutionnel, certaines réactions ne se font pas attendre. Après la démission d'Antoine Pinay (que De Gaulle refuse) le 24 décembre, le 27, c'est Guy Mollet, Ministre d'Etat,
qui présente à son tour la sienne au Président du Conseil (acceptée, elle ne sera annoncée officiellement que le 4 janvier15) ; au-delà de la procédure suivie pour aboutir au plan de redressement, ce sont
surtout la dévaluation et l'inspiration jugée trop libérale du plan qu'il entend ainsi contester 16 : "Je
9
Il n'est pas sans intérêt de noter que cette proposition argumentée des experts intervient à peine quelques jours avant la
publication de l'ordonnance organique n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
cette ordonnance ne saurait probablement constituer la réforme d'ensemble suggérée. Si l'on excepte quelques
adaptations mineures, il faudra attendre la loi organique du 1° août 2001 pour qu'elle soit refondue.
10 S'était-il agi seulement en décembre 1958 de "faire diversion, de présenter un leurre aux contribuables qui, en
attendant, payaient"? Cf. VIANSSON-PONTE P., op. cit., p. 211
11 Avis des 16 et 17 décembre 1958, Journal officiel, avis et rapports du Conseil économique et social, 1, 1959.
12 Ce taux est inférieur à celui proposé par le Comité d'experts, mais calculé pour que le nouveau Franc soit égal à 180
mg d'or fin. Le dollar passait ainsi de 419,9 à 493,71 anciens Francs
13 Cf De Gaulle : allocution radiotélévisée du 28 décembre 1958 précitée. "Le vieux Franc français, si souvent mutilé à
mesure de nos vicissitudes, nous voulons qu'il reprenne une substance conforme au respect qui lui est dû".
14 Cf. ordonnance 58-1341 du 27 décembre 1958 – JO 28 décembre. Dans le même temps, est rétablie sa convertibilité
externe
15 à la demande du Général De Gaulle, et ce afin d'attendre son entrée à l'Elysée.
16 Selon lui, le plan entraînerait "un véritable transfert de revenus de plusieurs centaines de milliards des faibles vers
les puissants" : cité par Pierre VIANSSON-PONTE - Histoire de la République gauklienne - Tome I - Fayard 1970 page 121. En fait, il avait déjà fait part de son intention de démissionner au Conseil national de la SFIO le 4 décembre,
crois la décision de dévaluation une mauvaise décision. Elle n'est rendue inévitable que parce que l'on
renonce à toute direction de l'économie, alors que la politique inverse, qui eut consisté à s'accrocher au
Franc , aux prix, …. eut permis de redresser la situation dans un bien meilleur climat psychologique et
avec davantage de justice".
En revanche, pour l'opinion publique17, une certaine rassurance, venue à la fois de la mise à mort
par le référendum du 28 septembre d'une IV° République très décriée, et de la confiance accordée à
De Gaulle pour régler le problème algérien, l'emporte sur l'inquiétude qu'aurait pu susciter la sévérité
des mesures adoptées. Leur impopularité est alors largement atténuée. Si l'on excepte l'attitude de
Guy Mollet et de ses partisans, d'un impact médiatique d'ailleurs délibérément atténué, bon nombre
d'interventions politiques lénifiantes - voire démagogiques sous couvert d'un appel au civisme - ont
pour objet direct d'asseoir cette rassurance. Ainsi, non seulement "le Gouvernement doit repousser
toutes les tentatives d'une recherche de la popularité aussi facile que mensongère"18, mais encore "il
faut du courage pour inaugurer un régime par la dévaluation du Franc … et pour accompagner cette
décision d'une série d'autres mesures aussi impopulaires"19.
En outre, la rapidité des premiers signes d'amélioration de la situation économique et financières
a constitué un atout majeur d'une acceptation populaire des mesures adoptées sans véritables remous.
De fait, il s'agissait, au terme des travaux du Comité Rueff, d'assainir les finances publiques sans freiner l'expansion, donc de limiter la consommation intérieure sans sacrifier les investissements à la monnaie20, et ce d'autant que l'inflation peut être considérée comme un des moyens de financement de
l'impasse. Bon nombre d'économistes demeuraient cependant circonspects, eu égard, d'une part, au
caractère plus conjoncturel que structurel du plan de décembre 1958, d'autre part au risque d'une prise
de conscience, à terme, de l'ampleur des sacrifices financiers imposés au peuple français. Ces craintes,
voire ces interrogations, ont un temps paru injustifiées. Ainsi, jusqu'en 1962 du moins, l'expansion n'a
pas été freinée par ces mesures, et la situation du Franc sur le marché des changes est restée plutôt
satisfaisante ; en outre, le passage au "nouveau Franc" s'est réalisé sans difficulté majeure.
Sur le plan budgétaire proprement dit, l'impasse, largement tributaire des opérations à caractère
temporaire, est restée dans les limites préconisées21 et toujours inférieure aux prévisions des lois de
finances initiales. On a même été en mesure d'accroître au delà de ce que prônait le plan de redressement les dépenses de transferts et les crédits d'investissement, ce qui a probablement contribué a satisfaire pour partie l'opinion publique. Il est vrai que, parallèlement, les recettes fiscales ont été supérieures aux prévisions22 et que les crédits militaires, probablement délibérément surévalués à l'origine,
ont pu être réduits.
Cependant, de manière sous-jacente, un certain nombre de modifications se sont opérées au sein
des masses budgétaires. Si d'aucuns avaient pu initialement craindre que le plan de redressement se
cantonne à de simples effets conjoncturels, force est de constater qu'il a induit, l'expansion aidant, des
après les résultats de son parti aux élections législatives des 23 et 30 novembre. La formulation du plan de redressement
ne constitua donc que l'occasion de mettre en oeuvre cette décision.
17 sur l'ensemble des réactions, nationales et internationales, suscitées par les décisions françaises, Cf ARNAUDAMELLER P. précité, p. 95 et s.
18 Antoine PINAY, le 26 septembre 1958
19 Pierre MENDES-France, le 12 janvier 1959
20 Cf. notamment ARNAUD-AMELLER P., [1968], p 39 et s.
21 Elle est toujours inférieure à 7 milliards (soit 700 milliards d' "anciens Francs") en 1962.
22 Elles représentaient 84,5% des recettes budgétaires en 1958, et 90,7% en 1962.
effets structurels indirects, mais probablement différents de ceux qui auraient pu en être attendus. Par
exemple, on a assisté à une modification insidieuse de la structure de la pression fiscale : elle est demeurée globalement constante (aux alentours de 22,5%), mais dénotait un accroissement du rendement de la fiscalité indirecte par rapport à la fiscalité directe (le produit de la TVA a augmenté de
28%), et, au sein de cette dernière, une augmentation spectaculaire de l'imposition des personnes physiques (IRPP) par rapport à celle des entreprises (en moyenne, l'IS augmente de 2% mais l'IRPP de
23,6%) ; il convenait en effet d'alléger leurs charges fiscales pour relancer la production : ainsi, la taxe
sur les salaires a été diminuée de 15% à compter du 1° novembre, et des mesures fiscales d'incitation à
l'investissement sont adoptées.
En revanche, le pouvoir a incontestablement reculé devant la véritable réforme fiscale annoncée.
Il est également revenu sur certaines des mesures nées du plan de décembre 1958 : suppression très
rapide23 de la franchise de trois mille (anciens) Francs sur les remboursements de Sécurité Sociale,
rétablissement de la retraite du combattant dès 1960, suppression annoncée puis retirée de l'intouchable privilège des bouilleurs de cru, entre autres…
Si le Général De Gaulle a pu affirmer à Bourges, en mai 1959 : "nous sommes arrivés à la stabilité
économique et financière", d'aucuns constataient plus prudemment : "la nouvelle politique économique et financière aura… dans l'ensemble, des conséquences heureuses pour le court et le moyen
terme"24. Qu'en a t il été sur une plus longue période ?
II – La valse-hésitation des dévaluations
Le succès immédiat du plan de redressement "ne doit pas apparaître comme miraculeux dans la
mesure où … la situation réelle de l'économie française était parfaitement saine"25, et certaines des
méfiances qu'il a suscitées vont se trouver confortées à plus long terme. Dès 1962 en effet, le rythme
de la hausse des prix s'est renforcé sous les effets conjugués de l'arrivée en Métropole de prés d'un
million de français d'Algérie qui ont contribué à l'accélération de la consommation des ménages, et de
l'augmentation de la masse monétaire (de 13,4% en 1959 à 18,6% en 1962). Par ailleurs, l'accroissement des recettes fiscales n'a pas suffi à couvrir celui des dépenses, et le solde d'exécution des lois de
finances est passé de –4,24 milliards en 1960 à –8,21 milliards en 1963. L'inquiétude envahit de nouveau les pouvoirs publics, et les atermoiements qui s'ensuivent entre dévaluation et non-dévaluation
témoignaient certes de la fragilité de toute politique monétaire, mais aussi de l'insuffisance, à terme, de
la plupart des mesures adoptées en décembre 1958, qu'elles s'inscrivent dans le prolongement du rapport Pinay-Rueff ou qu'elles s'en soient délibérément éloignées. Etant admis qu'en matière monétaire
probablement encore plus que dans d'autres domaines il n'existe pas de panacée, la question va donc
encore plusieurs fois se poser de savoir si, pour tenter de maintenir une certaine stabilité à la monnaie
nationale, il convenait ou non de la dévaluer. Quelles que soient les réponses successivement apportées, leur traduction budgétaire, palliative ou d'accompagnement, a témoigné, toutes tendances politiques confondues, d'hésitations et de revirements.
23
Juin 1959
VIANSSON-PONTE P., op. cit., p. 121
25 VESPERINI J.-P., p.11
24
A - Dévaluer ou pas….
Avec un budget fortement expansionniste pour tenter de limiter le chômage, 1962 a marqué une
rupture, mais la menace de dévaluation planait à nouveau. 1963 amena tant la population26 que les
gouvernants à identifier très rapidement le danger qui pesait sur le Franc, affaibli par les hausses vertigineuses des prix et des salaires, et le déséquilibre de la balance commerciale27. Le Général De Gaulle,
préoccupé par la situation du Franc, demanda expressément à son Premier Ministre G. Pompidou et
au Ministre de l'Economie et des Finances V. Giscard d'Estaing le maintien de la valeur du Franc.
Pour ce faire, il convenait encore de ralentir la consommation des ménages. Dès lors, le 12 septembre
1963, à défaut d'une dévaluation dont on écartait délibérément l'éventualité, un plan de stabilisation fut
adopté, d'ailleurs sans consultation du Parlement : outre une action directe sur les prix et diverses mesures concernant le crédit et l'épargne, il impliquait la résorption du déséquilibre budgétaire - le solde
d'exécution devait rester inférieur à 7 milliards - qui devait modifier en profondeur les dépenses publiques et la structure de la pression fiscale. C'est ainsi que fut créé un impôt sur les plus values foncières28, parallèlement à d'importantes débudgétisations vers le secteur nationalisé et la Caisse des Dépôts. Ceci permettait de présenter, en 1965, 1966 et 1967 (pour la première fois depuis le début de la
V° République) des soldes budgétaires prévisionnels en excédent ; les résultats d'exécution resteront
néanmoins négatifs29.
Même si ce plan parvint à infléchir certaines tendances dès 1964, les six mois prétendument nécessaires pour assurer son succès se transformeront en réalité en vingt huit mois, minimisant ainsi le
potentiel impact économique des mesures qu'il édictait, et alimentant les mouvements sociaux et le
mécontentement d'une opinion publique rarement encline à accepter que de telles mesures s'installent
dans la durée, de surcroît au mépris des promesses faites pas V. Giscard d'Estaing.
Un dilemme du même type réapparaît en 1968. Déjà, des craintes pour la stabilité du Franc
étaient nées d'une politique (trop?) peu dynamique du Gouvernement après 1963 pour stimuler la reprise, et des effets redoutés de la généralisation de la TVA le 1° janvier 1968. Mais ce sont les accords
de Grenelle, le 26 mai, qui vont, accélérer le processus, notamment par l'importante hausse des salaires qu'ils consacraient après un période où la politique des revenus avait été relativement stricte. Au
delà de l'aspect salutaire de son impact expansionniste, "mai 68" a probablement contribué, par delà la
fuite des capitaux, à relancer l'inflation et le déséquilibre du commerce extérieur. Dès lors, se profila
de nouveau l'éventualité d'une dévaluation30, que De Gaulle repoussera encore, pour des considérations politiques qu'il habillera ici de solidarité communautaire. Les mesures palliatives, inefficaces, du
26
La formule "Charlot, des sous" est restée célèbre.
La masse monétaire augmente de 16,5% en 12 mois
28 Après un projet avorté de création d'un impôt sur les entreprises qui accorderaient des augmentation de salaires trop
importantes
29 Seulement de 253 millions il est vrai en 1965
30 Edgar Faure avait proposé, en juin, une dévaluation de 7%. M. Pompidou ne l'excluait pas mais l'avait différée après
les éléctions ; les événements ne lui permirent pas d'y donner suite. Mais le 19 novembre, interrogé par le Premier
Ministre, il s'est prononcé contre la dévaluation. Sur ce point, Cf. Viansson-Ponté, op.cit., 590 et s. A noter que M.
Chirac, semble t il tenu écarté des tractations du moment, a été, dans l'entourage de De Gaulle, le seul avec M.
Chalandon a se déclarer favorable à la dévaluation.
27
"plan du 4 septembre" 1968, laissaient la question en suspens, et la première édition du Monde du 23
novembre a même annoncé la dévaluation du Franc ! De Gaulle, infirmant cette assertion31 et imputant exclusivement la responsabilité de la nouvelle crise monétaire aux évènements de mai, imposa
alors de sévères mesures budgétaires visant à réduire le déficit prévisionnel de moitié par une diminution des dépenses publiques (essentiellement les subventions aux entreprises nationalisées) et une
augmentation de la pression fiscale (majoration des droits de succession et surimposition des revenus
élevés, avec pour conséquence inévitable, la pénalisation de ceux qui ne pratiquent pas l'évasion fiscale ; majoration des taux de TVA)32. Au total, les avantages obtenus par les salariés lors des accords
de Grenelle furent largement absorbés par la fiscalité, directe et indirecte. Les réticences populaires
s'amplifièrent, alors même que les mécontents de mai 1968 avaient, entre temps, donné une confortable majorité au Président de la République lors des élections législatives de juin.
Il ne s'agissait là encore que de palliatifs, et V. Giscard d'Estaing, Ministre des Finances du Gouvernement de J. Chaban-Delmas décidera, dans le cadre d'un nouveau "plan de redressement", de dévaluer le 11 août 196933, trois mois et demi seulement après le départ du Général De Gaulle. Il accompagna sa décision de mesures budgétaires plus draconiennes encore que celles du Gouvernement
précédent, en supprimant précisément certains avantages fiscaux accordés en septembre 1968 : 5,2
milliards d'autorisations de programme furent bloquées et de nombreux crédits de paiement purement
et simplement reportés. La pression fiscale sur les ménages comme sur les entreprises fut accrue, et
les taux de TVA encore modifiés à la hausse. Pour beaucoup, il ne s'agissait là que de la reconnaissance officielle, avec 10 mois de retard, de la dévaluation "virtuelle" de novembre 196834. Néanmoins,
à terme, les lois de finances pour 1970, 1972, 1973 et 1974, seront pour la première fois35 depuis le
début de la V° République exécutées avec un solde excédentaire largement supérieur aux prévisions,
en raison simultanément d'un nouveau freinage des dépenses budgétaires et d'une augmentation sensible des recettes36.
Par la suite, dans le cadre du "serpent monétaire européen" à partir de 1972, puis, après le 13
mars 1979, du "système monétaire européen" [SME], vecteur de stabilité et de cohésion monétaires,
les "dévaluations" n'eurent plus le même impact. Plus prosaïquement (ou pudiquement ?) qualifiées
de "réajustements de parité" ou de "réalignement monétaire", elles pourraient probablement s'apparenter au remaniement général des parités monétaires que le Général De Gaulle préconisait en 1968,
et ont pris l'apparence moins négative d'une action concertée avec nos partenaires37. De fait, de la
dévaluation au réajustement, les données du problème sont différentes : on passe de la décision individuelle d'un Etat, qui pourrait éventuellement tenter de trouver par lui-même des mesures palliatives, à
31
Dans l'après midi, le porte parole du Gouvernement annonce : "Le Président de la République fait connaître qu'à la
suite du Conseil du 23 novembre, la décision suivante a été prise : la parité du Franc est maintenue".
32 Les entreprises voient au contraire la diminution puis la suppression de la taxe sur les salaires
33 Cette dévaluation, préatiquée "à froid", a été en quelque sorte concertée avec le Gouvernement allemand qui
procédera peu après à une réévaluation du Mark (qui avait été refusée en novembre 1968) ; ceci préfigure les
réajustements de parité que l'on connaîtra par la suite dans le cadre du système monétaire européen.
34 Cf. en ce sens : VIANSSON-PONTE P., op. cit. p.596 ; ceci conduit à s'interroger sur ce qu'aurait fait le Général De
Gaulle, hostile à cette procédure, si le résultat du référendum du 27 avril 1969 avait été positif
35 Et les seules à ce jour
36 En décembre 1972, un "plan antihausse" a conduit à des diminutions substantielles des taux de TVA, budgétairement
compensées par un emprunt : d'un montant initial de 6,5 milliards, sa charge de remboursement, du fait de la
conjoncture, a été finalement de 15 milliards de Francs 1973.
37 De Gaulle y voyait même un renforcement du prestige de la monnaie nationale
une décision collective des Ministres des finances des Etats membres de la Communauté européenne ;
certes, de telles décisions doivent être adoptées à l'unanimité, et chaque Etat dispose donc virtuellement d'un droit de veto, mais la "solidarité communautaire" vient généralement à bout des réticences.
Cependant, quelle que soit la dénomination de ces opérations, elles se s'ont accompagnées de mesures
budgétaires sensiblement identiques.
Ainsi, en 1981, l'augmentation considérable des dépenses budgétaires (21,5% alors que dans le
même temps le PIB augmentait de 12,7%) liée à l'arrivée au pouvoir de la Gauche avait fait passer le
déficit budgétaire de 35,4 milliards en 1980 à 80,06 milliards en 1981 ; le premier réajustement de
parités du 4 octobre 1981 a conduit à amputer la plupart des dépenses publiques, et pas seulement les
dépenses d'investissement comme c'est souvent le cas, et à geler certaines d'entre elles dans un fonds
de réserve. En 198238, année de naissance de l'impôt sur les grandes fortunes [IGF] et de la tranche de
l'IRPP imposable à 65%39, il fut décidé de plafonner le déficit à 3% du PIB, d'accentuer la décélération
de la croissance, et de poursuivre la diminution des dépenses publiques ; c'est aussi l'année de création, par une loi du 3 août40, du Fonds spécial de grands travaux, vecteur d'une débudgétisation à
peine voilée. En 198341, la diminution de ces dépenses s'accompagna d'une augmentation de 7% des
tarifs des services publics, d'un prélèvement supplémentaire de 1% sur le revenu imposable et d'un
emprunt obligatoire remboursable. En 1986 enfin42, les traitements des fonctionnaires furent "gelés"
et, pour une réduction totale de 15 milliards, bon nombre de dépenses - de transfert notamment - revues à la baisse alors que d'autres ont été systématiquement débudgétisées.
Ces péripéties budgétaires, qui s'inscrivent tout naturellement dans un processus économique et
financier, n'en sont pas pour autant exemptes de considérations politiques, tant dans leurs motivations
que dans leurs effets.
B - Heurs et malheurs des politiques budgétaires
Le plan de stabilisation de 1963 ne vint en rien apaiser les esprits, à peine remis des importants
efforts consentis par l'ensemble de la population dans le cadre de son homologue de 1958. Il est vrai
qu'au moment de l'adoption de ce dernier, les français avaient pour priorités le règlement du conflit
algérien et la restauration des institutions, et se trouvaient de ce fait plus prompts à consentir parallèlement des sacrifices. Cinq ans plus tard, le climat politique s'est dégradé : la France n'était plus impliquée en Algérie43 et le Général De Gaulle avait non seulement solidement assis la V° République,
mais également renforcé ses prérogatives présidentielles par la loi référendaire du 6 novembre 1962.
Ainsi délivré de ses craintes initiales, le citoyen-contribuable n'était plus nécessairement prêt à porter
directement le poids des vicissitudes du Franc, à supposer qu'il ait été par ailleurs convaincu que là
était la cause des mesures adoptées, plutôt que dans l'obstination de De Gaulle face à toute dévaluation, obstination qu'il n'avait pas pu faire autrement que d'exorciser en 1958 ? Toujours est il que le
38
Réajustement du 12 juin
Que Pierre Joxe proposa de porter à 70% dans le projet de loi de finances pour 1983 ; il se heurtera au refus de
Laurent Fabius
40 Loi 82-669 – JORF du 04-08-1982
41 Réajustement du 21 mars
42 Réajustement du 6 avril
43 Si ce n'est pour des intérêts pétroliers et des espaces nécessaires à des expériences atomiques
39
ballottage de l'élection présidentielle de décembre 1965 n'était probablement pas sans lien avec le plan
de stabilisation.
La même ténacité se manifesta de nouveau en 196844. Le 13 novembre, De Gaulle déclara en
Conseil des Ministres qu' "accepter la dévaluation de la monnaie serait la pire des absurdités", puis qu'
" une pareille opération risquerait fort d'être, non pas du tout un remède, mais l'artifice momentané
d'une ruineuse facilité et la prime payée à ceux qui ont joué notre déclin"45. Même si d'éminents économistes considèrent cette décision comme raisonnable46, ils n'en ont pas moins qualifié de "maladresse" les mesures substitutives, notamment la majoration des droits de succession qui a eu un impact psychologique désastreux, et n'a pas manqué d'accroître encore une fuite des capitaux déjà considérable. Avec le recul plus encore qu'à l'époque, cette crise majeure du Franc, certes non dissociable
d'une crise monétaire internationale, apparaît essentiellement comme une crise du régime. "La France
s'ennuie"47 incontestablement, mais la contestation sociale qui a amplifié les défaillances du Franc est
probablement largement imputable au manque de souplesse d'un régime politique où la participation,
par ailleurs fortement prônée au sein des entreprises puis de l'Université, n'était pas le maître mot. "La
confiance était, bien plus que l'équilibre du budget, la condition préalable au rétablissement du
Franc"48…
Si De Gaulle a néanmoins à son actif la dévaluation de 1958, cette dernière pouvait être directement imputable – et imputée – aux "errements" financiers de la IV° République. Par la suite, dévaluer
aurait été en quelque sorte reconnaître que le "nouveau" Franc n'avait ni la solidité ni le prestige que
son instigateur voulait lui attacher. Certains n'ont pas hésité à affirmer qu'il ne s'agissait pour De
Gaulle que d' "éluder le problème … derrière le rideau de fumée de son prestige et de son autorité"49.
A cet égard, le remaniement des parités budgétaires, maintes fois réclamé par le Général, notamment
après la crise de 1968, aurait habilement permis de banaliser les dévaluations en les camouflant sous
des ajustements de parité. A l'inverse, la dévaluation "réussie" de 1969 n'a probablement pas été
étrangère à l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, Ministre de l'économie et des Finances sans discontinuité de 1969 à 1974, aux élections présidentielles de 1974. De même, le réalignement monétaire
de mars 1983 a conduit au remaniement du Gouvernement Mauroy, dans lequel les désaccords sur
l'opportunité de la politique monétaire et budgétaire étaient importants. Enfin, les réajustements au
sein du SME ont également permis parfois de "réécrire l'histoire" : à cet égard, il n'est pas anodin
qu'en 1982, le Ministère des finances ait évoqué "la réévaluation de certaines monnaies vis à vis du
Franc"50, alors même que réciprocité et solidarité commandent au fonctionnement du SME….
Des promesses de "réforme fiscale d'ensemble" ont par ailleurs accompagné toutes les dévaluations et opérations assimilées. Ainsi, après le Plan Rueff en 1958, le 3 septembre 1969, M. Giscard
d'Estaing annonçait une "nouvelle orientation de la politique fiscale". Le 5 novembre 1981, M. Mitterrand écrivait à M. Mauroy pour lui indiquer ses souhaits en la matière, et notamment la remise en
cause des exonérations, déductions et abattements de tous ordres, la modification des taux de TVA, le
44
De Gaulle n'avait il pas dit, en juin 1958 : "Je donnerai à la France un Franc modèle dont la parité ne changera pas
tant que je serai là"?
45 Cf. Allocution radiodiffusée du 24 novembre 1968.
46 Cf. notamment VOLCOUVE V., [1969], p.30 ; VESPERINI J.-P., [1993], p.62
47 Intitulé d'un article de Pierre VIANSSON-PONTE paru dans Le Monde du 15 mars 1968
48 Cf. VOLCOUVE V., op. cit. p.101
49 Cf. VIANSSON-PONTE P., op. cit. p.596
50 Notes Bleues N°42, 26/10/81, à propos du projet de loi de finances pour 1982
rééxamen de l'imposition des plus values, le tout étant axé sur deux objectifs : plus de justice fiscale et
lutte contre la fraude. En 1983, la réforme fiscale était toujours à l'ordre du jour, et M. Fabius proposait même de changer l'année de base de l'impôt en passant au prélèvement à la source, qui ne serait
pas sans effets immédiats sur un déficit budgétaire assez considérable51.
Enfin, les alternances politiques ne sont pas faites pour atténuer la politisation de ces dévaluations. Ainsi, en 1969, alors même que la majorité s'efforçait d'évoquer une "décision juste à un moment bien choisi", M. Savary, premier secrétaire du Parti socialiste, avait parlé de "constat d'échec".
De même, en 1986, M. Fabius n'avait pas manqué de qualifier le réajustement budgétaire d' "erreur"
dans le cadre d'une "politique de facilité et de fuite en avant". En revanche, dès la première "dévaluation" de la Gauche en 1981, M. Chirac52 déclarait : "la dévaluation d'une monnaie, c'est d'abord la
sanction d'un échec" ; en 1982, il évoquait une "gestion irresponsable", alors que M. Debré faisait part
de sentiments de "honte, tristesse, angoisse", que M. Giscard d'Estaing disait cette décision "choquante par ce qu'elle révèle sur la manière dont sont conduites les affaires de la France", et que la Une
du Figaro titrait "Constat de faillite".
Ces règlements de compte politico-budgétaires sur fond de stabilité monétaire au fil des alternances vont être pérennisés par les contraintes liées à l'Union économique et monétaire.
III – L'Euro, alibi d'une indispensable rationalisation des politiques budgétaires
Ultime étape, la disparition du Franc aura eu, elle aussi, des implications budgétaires considérables. Les autorités françaises y ont délibérément consenti : membre fondateur de la Communauté européenne, la France a en effet choisi d'aller au terme de l'entreprise initiée par Jean Monnet et Robert
Schuman ; la monnaie unique, dans le cadre de l'Union économique et monétaire, constitue l'un de ces
aboutissements. En outre, en autorisant la ratification du Traité de Maastricht par le référendum du 20
septembre 1992, le peuple français a cautionné cette démarche. Pourtant, la dénomination même de
cette nouvelle monnaie constitue un changement sensible pour notre pays, qui, depuis 1360, possédait
le prestigieux privilège d'une corrélation symbolique entre son nom et celui de sa monnaie ; et le fait
que le nom de l' "Euro" soit à l’avenir non seulement dissocié de celui de l'Etat français, mais par ailleurs inspiré de celui d'une entité supranationale, a on le sait suscité des réactions politiques souvent
assez vives.
Dès lors, avant le Sommet de Bruxelles qui devait, le 1° mai 1998, sélectionner parmi les 15
Etats membres de l'Union européenne ceux qui remplissaient les conditions requises pour entrer dans
la troisième phase de la monnaie unique, la France a donc dû dans un laps de temps assez bref se plier,
comme ses partenaires, à un certaine nombre d'exigences, sur le plan budgétaire notamment. Se pose
néanmoins la question de savoir si, au delà de la substitution de l'Euro au Franc, ces exigences n'auraient pas été de toute façon commandées par la plus élémentaire logique économique et financière.
51
52
BELTRAME P., "Idéologies politiques et réforme fiscale", RFFP N°6, novembre 1997, p.49 et s
Conférence de presse du 5 octobre, Cf Le Monde du 6
A – Une rationalisation nécessaire
Le Traité de Maastricht, afin d'assurer le "caractère soutenable de la situation des finances publiques" indispensable à l'instauration d'un monnaie unique, pose 4 critères, dits "de convergence", parmi
lesquels deux contraintes ont un impact budgétaire direct : s'agissant d'une manière générale d' "éviter
les déficits publics excessifs", le déficit public et la dette publique doivent demeurer respectivement
inférieurs à 3 et 60% du PIB. A cette époque, si la situation de la dette française était à encore largement en deçà (30,1% du PIB en 1992), le déficit, longtemps voisin de 2% du PIB, s'accroît beaucoup
plus rapidement à partir de 1992 (3,17%, puis 4,46% en 1993), et est donc bien supérieur à la référence communautaire.
Pour intégrer ces références, la France a choisi la voie législative, tant pour se doter d’un cadre
juridique national attestant de sa détermination à respecter le Traité de Maastricht que, probablement,
pour pouvoir éventuellement se retrancher derrière des textes pour justifier l'adoption de mesures
contestées. Ainsi, la loi du 24 janvier 199453 a laconiquement "pour objectif, selon une programmation pluriannuelle, de ramener le déficit du budget de l'Etat à 2,5%54 du PIB total dans la loi de finances pour 1977". Le "rapport sur les orientations budgétaires à moyen terme" qui y est annexé présente
une stratégie de redressement des finances publiques qui s'avérera d'autant moins efficace à l'usage
qu'elle ne sera que très imparfaitement mise en œuvre : il s'agissait de réduire le déficit budgétaire d'1/2
point de PIB chaque année dès 1994, en stabilisant les dépenses en Francs constants pour qu'elles ne
progressent pas plus vite que les prix prévisionnels. Les dépenses ainsi maîtrisées, le ratio de l'encours
de la dette rapporté au PIB devait de lui même se stabiliser aux environs de 42%.
Ces stratégies sont imprécises quant aux moyens de leur mise en œuvre – il s'agit il est vrai d'une
"loi d'orientation" – et leurs premiers résultats ne sont guère plus convaincants : le déficit d'exécution
de la loi de finances pour 1994 est de 4,10% et de 4,21% pour 1995. Par la suite, il diminue effectivement d'environ 0,5% par an : 3,74% en 1996, 3,28% en 1997, année "terminale" de la loi d'orientation quinquennale ; mais on reste loin des 2,5% décidés en 1994, qui ne seront atteints qu'en 1999. En
revanche, l'effet "boule de neige" affecte fortement la dette publique qui, de 1992 à 1998, passe de
30,1 à 58,8% du PIB55.
Les procédés utilisés pour parvenir à ces résultats furent multiples, et souvent dénués de cohérence. Dans un premier temps, dès 1994, une procédure - d’ailleurs totalement informelle bien que le
principe en ait été posé le 24 janvier 1994 – visant à la révision des services votés a été mise en œuvre.
On a pu ainsi diminuer ces services votés de 42,5 milliards en 1994, 32,5 en 1995, 36,6 en 1996, 29,2
en 1997 et 16,6 en 1998, soit entre 3 et 1% du budget général. Ces réductions sont d'autant plus remarquables que, plus que de véritables "économies" ou restrictions budgétaires, elles ont essentiellement consisté à substituer à une reconduction quasi systématique une mise en adéquation des dépenses
au regard des besoins réels des services56. Simultanément, les ministères ont simultanément vu plus
53Loi
d'orientation quinquennale n°94-66 relative à la maîtrise des finances publiques. JORF 25/01/94
Ce montant est inférieur au plafond du Traité de Maastricht, lequel concerne l'ensemble des déficits publics et non
pas seulement celui de l'Etat
55 Elle reste cependant inférieure au seuil fatidique des 60%, et par ailleurs moindre que celle de la plupart de nos
partenaires européens
56 Sur cette procédure, Cf. DOREAU-TRANQUARD M., [1999], "De quelques procédés récents de contrôle de la
politique budgétaire française", Contrôle de l'Administration en France et en Pologne, Presses universitaires, Varsovie
54
classiquement leurs crédits plus ou moins amputés, et les procédés de débudgétisation ont encore été
largement utilisés.
Mais dans les premières années d'application de la loi du 24 janvier 1994, c'est surtout en jouant
sur les recettes que le Gouvernement s'est efforcé de réduire le déficit. De 43,9% du PIB en 1993, les
prélèvements obligatoires ont atteint 46,1% en 1997. La loi de finances initiale pour 1995 voit une
progression des recettes de l'Etat de 4,9% alors que celle des dépenses est de 2,1% ; cet écart s'amplifie encore en 1996, avec une augmentation de 5,2% pour les recettes et de 1,9% pour les dépenses. A
cette majoration sensible de la pression fiscale, limitée malgré tout par l'interdépendance des politiques
fiscales, il faut ajouter un certain nombre d'artifices budgétaires visant à minorer quelque peu le solde
d'exécution apparent de la loi de finances. Ainsi a t on reporté au 5 janvier 1996 la date de prise en
compte de certaines recettes au titre de l'année 1995, et inscrit au budget la "soulte de France Télécom" au titre de l'année 1997. Par ailleurs, depuis 1995, les importantes recettes de privatisation –
contestées dans leur évaluation "irréaliste" – contribuaient également de manière substantielle à cette
réduction.
Ces avatars budgétaires ont d'abord pu être expressément justifiés par les contraintes supranationales inhérentes à l'adoption d'une monnaie unique pour l'Europe ; ils ont néanmoins donné des arguments à ceux qui réprouvent l'intégration européenne. Cela étant, le manque de rigueur ne saurait être
érigé en norme juridique ; et s'il a été tout au plus accepté dans les années précédant le Conseil européen de Bruxelles, c'est probablement parce que la perspective proche d'un système de monnaie unique apportait l'assurance que ces désordres budgétaires ne pourraient être réitérés. L'entrée dans la
troisième phase de l'Union économique et monétaire allait enlever aux Etats participants l'outil monétaire de leur politique économique, et leur imposer simultanément une rigueur et une discipline budgétaires très encadrées par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC)57. Dès lors, au delà de l'aboutissement que constitue la monnaie unique, le débat peut être élargi : à la fin du XX° siècle, dans un
contexte de mondialisation avérée, pouvait on éviter de rationaliser un certain nombre de pratiques et
de dérives récurrentes, notamment en matière d'équilibre, qui finissaient par s'éloigner considérablement sinon de l'orthodoxie budgétaire, du moins du "politiquement et financièrement correct"?
B – Une nouvelle discipline budgétaire
La réponse à cette question pourrait passer par une remise en cause des valeurs retenues par le
Traité de Maastricht pour considérer que le déficit et la dette publics58 sont acceptables. Sans revenir
sur les éléments qui ont été pris en considération pour les déterminer, il faut observer que ces valeurs,
devenues quasi mythiques, sont voisines de celles qui sont généralement admises comme témoins
d'une bonne santé économique et financière, et donc compatibles avec une relative stabilité de la monnaie. Mais si en 1981 François Mitterrand avait expressément fixé à 3% du PIB le déficit budgétaire
compatible avec le changement de politique introduit par la Gauche, en 1982, tout en confirmant ce
chiffre, M. Fabius l'avait toutefois assorti d'une question : "faut-il afficher cette rigueur budgétaire ?
Cela peut être un thème populaire, mais à condition d'être utilisé au moment adéquat"59
57
Cf. ONGENA H., "La surveillance budgétaire après le Pacte de stabilité et de croissance", RFFP 1999, N°68, p.57
Cf. Yves-Thibault de Silguy :"Le déficit budgétaire c'est le robinet, la dette publique c'est la baignoire. Il convient
donc de fermer le robinet avant de vider la baignoire"
59 le 8 mars 1982 - Cf. ATTALI J., (1993), Verbatim, Fayard, Paris
58
En 1991, à Maastricht, la question ne se pose plus de savoir si le moment est adéquat. Il s'agit en
l'occurrence de mettre en place l'Union économique et monétaire, et donc de définir les moyens et les
étapes qui permettront d'instaurer la monnaie unique. Or l'impératif majeur est incontestablement la
lutte contre l'inflation, laquelle dicte logiquement les critères de convergence, et notamment les critères budgétaires. Il existe toutefois une différence fondamentale entre le fait de considérer que déficit et
dette doivent être aussi faibles que possible, voire de les quantifier, et celui d'assortir tout dépassement de la référence quantitative uniforme d'une sanction qui, au delà de la réprobation expresse d'une
instance supranationale de "surveillance" - voire de la réprobation morale de ses partenaires dans une
union monétaire - peut être de nature à aggraver encore une situation budgétaire et financière déjà par
définition délicate. En outre, le calendrier irréversible et relativement court du passage à la monnaie
unique a conduit les Etats concernés à agir rapidement, et de ce fait souvent sans toute la réflexion
nécessaire.
On ne saurait contester que les exigences communautaires pour l'instauration d'une monnaie unique sont avant tout des exigence de bonne gestion et de rationalisation des comportements budgétaires des Etats participants. Cela étant, la seule existence de ces références permet de passer d'une
contrainte nationale délibérée à une contrainte communautaire "subie". Cette "mutualisation de la
contrainte monétaire" peut dès lors avoir sur les instances nationales, enclines à voir dans ce processus
une "mise sous tutelle"60 de leurs finances même s'il peut éventuellement de manière opportune sonner
"le glas des politiques budgétaires discrétionnaires", un impact psychologique très différent.
En ce qui concerne la France, le Gouvernement a eu très largement recours, au cours de cette période, à des procédés divers que l'on rattache désormais à la "régulation budgétaire", et qui ne peuvent
constituer qu'une réponse très imparfaite au problème de la conciliation entre l'obligation de résultat
des critères de convergence et les principes démocratiques61. Ce faisant, la tendance déjà bien amorcée
depuis une décennie et où "triomphe la finalité budgétaire en termes d'évitement de la dégradation du
solde de la loi de finances en cours d'exécution"62 trouve sa consécration en même temps que sa légitimation : de procédé souvent apparenté à l'opportunisme budgétaire, la régulation accède ainsi au
rang moins contestable de méthode pour parvenir à une discipline budgétaire solidaire. Cependant,
cette légitimation ne peut être fondée, au niveau de chaque Etat, que si ces procédures demeurent
indifférenciées. Dès lors qu'elles deviennent ciblées et ponctuelles, elles témoignent de ce qu'une volonté politique nationale délibérée vient se surajouter aux impératifs monétaires et financiers supranationaux : ainsi des annulations de crédits en 1995 qui concernent directement 88% des mesures nouvelles destinées au Ministère de l'Agriculture, et 100% de celui des Affaires sociales, et témoignent
d'une mise sous tutelle nationale - et non pas communautaire - de certains ministères. Enfin, si l'on ne
peut probablement pas éradiquer certaines régulations conjoncturelles mineures, liées notamment à des
mutations internationales, ces procédures vont devoir désormais rester d'un usage limité même quand
elles ont pour objet de satisfaire aux exigences du PSC, d'autant qu'elles ne respectent pas véritablement les pouvoirs du Parlement revalorisés par la loi organique du 1° août 2001.
Ce type de situations n'étant pas l'apanage de la France, peut être faut il simplement les imputer,
d'une part au manque de souplesse et au caractère trop rigide et uniforme des dispositions du Traité
de Maastricht sur ce point, d'autre part, aux Etats membres eux-mêmes, qui font souvent prévaloir
60
Cf. CHAVAUCHEZ B., [1999], "Les effets de la construction européenne sur notre système de finances publiques",
Revue française de finances publiques n°68
61 BOUVIER M., "Un quart de siècle de révolution des finances publiques", RFFP N°68, décembre 1999, p.4
62 ORSONI G., "Les pratiques de régulation budgétaire", RFFP N°68, décembre 1999, p.33
l'impératif politique ponctuel que constitue une apparente bonne conduite au sein de l'Union, sur l'impératif financier à plus long terme, qui devrait se concrétiser par un véritable assainissement des finances publiques nationales dans le but d'instaurer une monnaie commune fiable sans préjudice pour leurs
partenaires. De ce point de vue, l'Euro a certes été, dans un premier temps du moins, le vecteur d'artifices budgétaires peu orthodoxes. Il est vrai toutefois qu'ultérieurement il a induit une rationalisation
budgétaire plus maîtrisée et donc plus efficiente.
A cet égard, il est d'ailleurs intéressant d'observer que les répercussions du "changement de monnaie" ont bousculé jusqu'à nos clivages politiques, pourtant bien ancrés dans la tradition française. A la
classique opposition Gauche-Droite, s'est substitué un véritable affrontement entre partisans et adversaires de l'Euro, affrontement qui perdure alors même que la question ne se pose plus désormais. Les
considérations monétaires et financières semblent avoir ainsi prévalu sur des considérations de politique générale, sans pour autant, dans l'état actuel des choses du moins, s'y substituer. Ce phénomène
politique permet encore de s'interroger sur l'attitude qu'aurait pu avoir face à l'Euro le Général De
Gaulle, "père" de la V° République et du nouveau Franc auquel il voulait, en 1958, rendre "le respect
qui lui est dû"….
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