Q U E S T I O N / R É P O N S E La Lp(a) : un facteur de risque d’athérothrombose ? Tu T. Nguyen* Ph. Giral**, S. Gombert** a lipoprotéine(a) [Lp(a)] se compose d’une Ll’apolipoprotéine(a) lipoprotéine de faible densité (LDL) à laquelle [apo(a)] est liée de façon covalente par un pont disulfure. L’apo(a) est une glycoprotéine très hétérogène qui présente de larges parentés de structure avec le plasminogène. Le kringle 4 du plasminogène se répète entre 10 et 40 fois dans l’apo(a). Le niveau de Lp(a) dans le plasma a un écart de variation de plus de 1 000. Un certain nombre d'arguments attestent du potentiel athérogène de la Lp(a) : – la lipoprotéine(a) a été détectée dans les plaques d’athérosclérose, non dans les artères coronaires normales ; – la majorité des études transversales et rétrospectives ont montré l'existence d'une association entre une concentration élevée de Lp(a) et un risque accru de coronaropathie ; – les isoformes de l’apo(a), de faible densité moléculaire, associées à une concentration élevée de Lp(a), sont plus fréquentes chez les patients présentant une maladie cardiovasculaire ; – les études prospectives ne sont pas toutes concordantes en ce qui concerne la valeur prédictive de la Lp(a) dans les maladies cardiovasculaires. Cela est peut-être dû aux différences de condition de stockage des prélèvements, à la variabilité des dosages ou à la différence des populations étudiées. Toutefois, si l’on considère toutes les études prospectives qui ont mesuré la concentration de Lp(a), dans des prélèvements frais, par dosage immunologique ou électrophorèse (méthodes qui ne sont pas affectées par la taille des isoformes), celles-ci ont montré de manière invariable que la Lp(a) est un facteur prédictif indépendant de maladie cardiovasculaire dans les populations de race blanche. Les données épidémiologiques actuelles, ainsi que les conditions de réalisation des études, apportent-elles suffisamment d’arguments pour affirmer le rôle de la lipoprotéine(a) [Lp(a)] comme facteur de risque cardiovasculaire ? .../... ** Centre de détection et de prévention de l’athérosclérose, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. *Division of endocrinology, Mayo Clinic, Rochester, États-Unis. Le Courrier de l’Arcol (2), n° 1, mars 2000 u’est-ce qu’un facteur de risque ? Il s’agit d’une variable associée avec un risque de survenue d’un événement. Cette variable peut être clinique ou biologique. Elle est associée avec la survenue d’un événement cardiovasculaire lorsqu’il s’agit d’un facteur de risque cardiovasculaire. On confond souvent facteur et marqueur ; un marqueur de risque peut passivement être associé avec une maladie sans qu’il permette de prédire vraiment son déroulement. Pour parler de facteur, il doit exister une relation entre la maladie et le facteur, et la modification de ce dernier facteur doit influencer le risque de survenue de la maladie. D’autre part, il faut différencier les facteurs de risque modifiables des non modifiables (sexe, âge, antécédents familiaux). D’autres critères sont parfois nécessaires pour préciser la relation entre la maladie et le facteur : la temporalité, les modèles animaux. La Lp(a) ne satisfait pas à ces critères. Tout d’abord, dans l’ensemble, les études n’ont pas montré de façon constante que la Lp(a) était un facteur de risque. En ce qui concerne les études transversales ou rétrospectives, ne sont publiées que celles qui montrent des résultats positifs (lorsqu’elles sont négatives, ces études ne sont ni soumises, ni publiées). Pour les études prospectives, les résultats sont moins optimistes que lors des premières études transversales. D’un point de vue fondamental, l’action physiologique de la Lp(a) n’est toujours pas connue. Enfin, la Lp(a) appartient plutôt au groupe des facteurs de risque non modifiables du fait de la stabilité de ses taux. D’ailleurs, malgré l’utilisation des thérapeutiques hypolipémiantes, dans les rares études où son taux a été modifié, la baisse du LDL-cholestérol suffisait à expliquer la diminution des événements ! ■ Q 36 .../... Le risque relatif associé à une concentration élevée de Lp(a) est respectivement d’environ 1,9 et 1,6 pour les hommes et les femmes. ■ omme les méthodes de dosage de la Lp(a) ne sont pas standardisées, l’évaluation des taux plasmatiques de Lp(a) ne doit pas être utilisée pour effectuer un dépistage dans la population générale. Toutefois, ce dosage peut s’avérer utile pour décider d’un traitement, du moins chez les patients qui : – ont un risque important de maladie cardiovasculaire (antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire prématurée ou sujets présentant les stigmates d’athérosclérose lors d’examens non invasifs, tels que le scanner détectant des calcifications coronariennes) ; – ont déjà une maladie cardiovasculaire, tout particulièrement si celle-ci est précoce. Chez les patients de race noire, le rôle de la Lp(a) est sujet à plus de controverses et n’a pas encore été bien défini. Il serait préférable d’utiliser une technique de dosage cliniquement validée lors d’études épidémiologiques et d’éviter un stockage prolongé des prélèvements sanguins. ■ C es informations récentes fournies par l’étude prospective de Bruneck suggèrent que, dans les lésions vasculaires précoces, une concentration élevée de Lp(a) contribue à l’accumulation de lipides dans la paroi vasculaire en synergie avec un niveau élevé de LDL-C (supérieur à 1,30 g/l). Dans les lésions avancées, la Lp(a) peut jouer un rôle antifibrinolytique (activité proprothrombotique) qui semble dépendre de la taille des isoformes de l’apo(a). En fait, il a été démontré que les isoformes d'apo(a), de faible poids moléculaire, sont un puissant prédicteur des sténoses avancées, tout particulièrement quand elles sont associées à des taux circulants élevés de Lp(a). On a observé un risque de coronaropathie accru chez les sujets présentant l’association d’une concentration élevée de Lp(a) (supérieure à 0,32 g/l) et des isoformes d’apo(a) de faible poids moléculaire. Ainsi, une évaluation plus complète du profil de risque pourrait être obtenue par l’association d’une détection du taux plasmatique de Lp(a) et des isoformes d’apo(a), ces dernières n’étant pas rentables dans l’immédiat. ■ D L’évaluation biologique de la lipoprotéine(a), bien que non encore standardisée, se justifie-t-elle chez les sujets à haut risque cardiovasculaire ? Une simple détermination de la concentration plasmatique de Lp(a) suffit-elle à affirmer un surcroît de risque cardiovasculaire ? 37 évaluation biologique de la Lp(a) ne se justifie pas, même chez les patients à haut risque cardiovasculaire car, d’une part, les autres facteurs de risque ne sont pas correctement pris en charge (voir étude EUROASPIRE) et, d’autre part, la multiplication des dosages biologiques ne peut que compliquer la prise en charge des patients à risque. Celle-ci repose avant tout sur la lutte contre les quatre facteurs de risque principaux. Les patients qui n’ont aucun des ces quatre facteurs représentent une minorité, dans laquelle on peut aussi donner le fibrinogène, la CRP, l’homocystéine et la Lp(a). Il est sûr que le manque de standardisation du dosage de la Lp(a) rend encore plus difficile son dosage en routine. Voir l’exemple des apolipoprotéines, apoB ou apoAI, potentiellement intéressantes qui, du fait de la multiplicité des dosages, ne peuvent être utilisées pour le suivi des patients à risque lipidique. ■ L’ a simple détermination de la concentration plasmatique de Lp(a) ne suffit pas à affirmer un surcroît de risque cardiovasculaire puisque, dans la plupart des cas, il est nécessaire qu’il y ait une augmentation associée du LDL-cholestérol ; en effet, c’est surtout chez les patients avec une concentration de LDL-cholestérol élevée que la Lp(a) a été associée avec un surcroît de maladie cardiovasculaire. Il faut remarquer que le LDL-cholestérol est calculé d’après la formule de Friedewald, qui ne soustrait pas le cholestérol porté par la Lp(a). Pour cela, il est nécessaire de modifier la formule et d’utiliser celle de Dahlen. Par ailleurs, la taille de l’isoforme de l’apolipoprotéine(a) est inversement corrélée au niveau plasmatique de Lp(a), dans certaines études, la détermination de l’isoforme apporte des précisions supplémentaires. Ce dosage n’est pas envisageable en pratique clinique de routine. ■ L Le Courrier de l’Arcol (2), n° 1, mars 2000 Q U E S T I ans la plupart des études, des concentrations élevées de Lp(a) dans les populations de race blanche sont définis comme étant supérieurs au 1/80e percentile, correspondant à une quantité de Lp(a) comprise dans une fourchette de 0,2 à 0,4 g/l. Cette large fourchette peut être due aux variations dans les méthodes utilisées pour mesurer la Lp(a) ou dépendre de la population étudiée. Par conséquent, une valeur limite arbitraire serait une concentration de Lp(a) de 0,2 g/l (à peu près l’équivalent d’une concentration de cholestérol de la Lp(a) de 0,05 g/l). ■ D evant une élévation de concentration de la Lp(a), il faut tout d’abord en éliminer les causes secondaires : les maladies inflammatoires concomitantes (en phase aiguë), l’hyperthyroïdie, l’acromégalie ou un traitement à base d’hormones de croissance, l’insuffisance rénale et l’existence d’une protéinurie. De plus, il a été rapporté que le troglitazone et l’isotrétinoïne sont deux médicaments susceptibles d'augmenter les taux circulants de Lp(a). Les traitements susceptibles d’abaisser la concentration plasmatique de Lp(a) se limitent actuellement à l’hormonothérapie substitutive chez les femmes ménopausées – la Lp(a) peut augmenter de 10 à 30 % lors de carences estrogéniques – ou la prise d’acide nicotinique – 4 g/jour abaissent la concentration de Lp(a) de 40 %. On a également rapporté que les androgènes et les anabolisants stéroïdiens diminuent la concentration de Lp(a). Les huiles de poisson à dose pharmacologique peuvent aussi produire une légère diminution de la concentration de Lp(a). Il nous manque actuellement des moyens plus efficaces pour abaisser la concentration de Lp(a) afin de concevoir des essais randomisés contrôlés. Dans cette perspective, on peut envisager deux approches thérapeutiques : – on peut considérer que la Lp(a) est un facteur de risque de maladie cardiovasculaire additif non modifiable, et il faut donc se concentrer sur une diminution plus agressive du LDL-C. Il a été suggéré que la diminution de LDL-C seule réduit les risques attribuables à la Lp(a). Toutefois, dans l’étude 4S de prévention secondaire, les concentrations de Lp(a) étaient les indices d’événements coronariens et de mort, même dans le groupe qui était traité par la simvastatine. La diminution de LDL-C peut être une approche raisonnable pour la prévention de la progression d’une athérothrombose précoce chez des patients qui ont une concentration élevée de Lp(a). Ainsi, chez les sujets ne pré- D O N / É P Une concentration plasmatique de Lp(a) < 0,30 g/l définit-elle un seuil cohérent de risque cardiovasculaire ? L Une augmentation de la lipoprotéine (a) circulante justifie-t-elle des mesures thérapeutiques spécifiques ? L’ O N S E e seuil de 0,3 g/l, retenu comme celui audessus duquel la concentration de Lp(a) représente un risque cardiovasculaire, n’est pas aussi précis que cela car, dans l’ensemble des études, il s’agit d’une fourchette de 0,2 à 0,4 g/l. Vu les problèmes de standardisation du dosage de la Lp(a), il est donc difficile de retenir un seuil. Enfin, il ne faut pas oublier qu’une étude a montré que les centenaires avaient une concentration de Lp(a) très élevée, ce qui est encore un argument supplémentaire contre sa responsabilité comme facteur de risque des maladies cardiovasculaires. ■ augmentation plasmatique du taux de Lp(a) ne justifie pas de mesure thérapeutique spécifique car il n’en existe aucune, sauf l’épuration par aphérèse. Certains médicaments abaissent le LDL-cholestérol et abaissent parallèlement la Lp(a), comme le traitement hormonal substitutif de la ménopause, l’acide nicotinique ou les fibrates, comme l’ont montré certaines études. Cependant, il n’existe aucune étude qui ait montré qu’une baisse médicamenteuse de la Lp(a) entraînait une réduction des événements cardiovasculaires ou de leurs récidives. En conclusion, la Lp(a) n’a pas encore gagné ses galons de facteur de risque cardiovasculaire. Le paradoxe qui consiste à dire : “Il faut abaisser le LDL-cholestérol quand la Lp(a) est élevée” est double : – si la Lp(a) est élevée, cela signifie que le LDL n’est pas aussi élevé que ne le donne le calcul suivant la formule de Friedewald ; – donc, les statines, qui sont utilisées en général en cas d’augmentation du LDL-cholestérol, ne seront pas très efficaces, puisqu’elles ne modifient pas le taux de Lp(a). La Lp(a) est une lipoprotéine très intéressante dont personne ne connaît le rôle physiologique dans l’organisme. La découverte de sa fonction permettrait peut-être d’apporter des arguments supplémentaires en faveur de son rôle comme facteur de risque cardiovasculaire. ■ .../... Le Courrier de l’Arcol (2), n° 1, mars 2000 R 38 .../... sentant pas de maladie cardiovasculaire, il faudrait faire baisser la concentration de LDL-C de sorte à obtenir une valeur inférieure à 1,30 g/l (3,3 mmol/l) ; – on peut envisager le choix d’un traitement pour abaisser conjointement les concentrations de Lp(a) et de LDL-C. Plus particulièrement chez les patients souffrant de maladie cardiovasculaire avancée, outre la diminution de LDL-C à une valeur inférieure à 1g/l (2,6 mmol/l), il faudrait abaisser le taux plasmatique de Lp(a) afin de diminuer son potentiel prothrombotique. Dans cette situation, la détection des isoformes d’apo(a) peut s’avérer utile pour établir le profil de risque. Il serait indiqué d’utiliser l’acide nicotinique ou l’hormonothérapie substitutive chez la femme ménopausée. L’approche qui consiste à diminuer la Lp(a) est confortée par des résultats préliminaires issus de l’étude HERS qui suggèrent que, chez les femmes coronariennes ayant une concentration élevée de Lp(a), un traitement estroprogestatif réduit considérablement le risque d’épisode coronarien et la mortalité ; le risque coronarien est réduit chez les femmes dont le taux de Lp(a) est diminué en moyenne de 0,088 g/l (OR 0,60 [0,400,90] ; p = 0,01) (Shlipak et coll. Circulation1999 ; 100 (I-532) : 2805). En dernier ressort, on peut envisager l’aphérèse. Ainsi, on a rapporté que le traitement par immunoabsorption de Lp(a) par des anticorps spécifiques de moutons réduit significativement la concentration de Lp(a) de 1,70 g/l à moins de 0,30 g/l chez un patient présentant une coronaropathie précoce sévère. Ce traitement, poursuivi pendant deux ans, permet la régression de la sténose coronarienne de plus de 50 % et arrête la progression de la maladie athéromateuse. ■ 39 Le Courrier de l’Arcol (2), n° 1, mars 2000