C’ Un paradoxe ?

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Soins palliatifs et réanimation
Un paradoxe ?
La pratique des soins palliatifs n’est pas récente.
Elle fait partie intégrante des soins dans de nombreuses
spécialités, notamment en réanimation. Dans ce
domaine, les soins palliatifs représentent une aide
indéniable. Seules les modalités d’intervention restent
difficiles à déterminer.
C’
est la loi du 9 juin 1999 qui
vise à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs. Ceux-ci se
définissent comme “des soins actifs et continus pratiqués par une
équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à
soulager la douleur à apaiser la
souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage”.
En 1987, s’ouvrait à Paris la première unité de soins palliatifs française. Aujourd’hui, on dénombre,
en France, 58 unités de soins palliatifs et 108 équipes mobiles.
Les soins palliatifs sont orientés
sur une prise en charge globale
du patient. Ils ne se limitent pas
aux patients en fin de vie, mais
concernent avant tout les patients
atteints d’une pathologie déstabilisante qui entraîne une rupture
de l’équilibre physique et psychologique. Cette rupture d’équilibre est due aux modifications
que la maladie entraîne dans la
vie quotidienne du patient.
Ce n’est pas la fin de vie
Dans les soins palliatifs, le patient
représente un ensemble comprenant lui-même, sa famille et ses
soignants. Le but de la démarche
palliative est d’aider le patient à
passer un cap difficile de son existence, qu’il soit atteint d’une pathologie potentiellement mortelle
ou pas. Il inclut aussi le soutien
de l’entourage familial du patient
dont l’existence est souvent réorganisée autour de la maladie du
proche et rythmée par celle-ci.
Enfin, les soins palliatifs concernent le soutien des équipes soi-
gnantes exposées quotidiennement à la souffrance physique et
psychologique des patients et
de leur famille, dont il est difficile de se préserver. Les équipes,
confrontées au désespoir et à la
mort, sont souvent en quête de
sens par rapport à leur fonction
et aux soins qu’elles dispensent.
D’une manière générale, on peut
définir les soins palliatifs comme
un ensemble de soins universellement applicables, quel que soit
le service. Les soins palliatifs sont
à la fois le soulagement, l’écoute,
la reconnaissance, le respect, l’accompagnement et l’information
du patient et de son entourage.
Réanimation : état des lieux
Même si les indices de gravité
permettent d’évaluer l’état du patient à son entrée en réanimation,
il reste toujours difficile de prévoir son évolution. C’est pourquoi un soutien psychologique
est indispensable au patient dès
son admission ou lorsqu’il est capable d’entrer en relation avec
ceux qui l’entourent. Les soignants connaissent bien les effets
délétères de l’hospitalisation en
secteur de réanimation et tout ce
qu’elle induit chez les patients.
Tout d’abord, la réanimation entraîne une rupture avec le milieu
familial, le monde extérieur, provoquant un sentiment d’isolement et/ou de solitude. Ensuite,
les soins techniques répétés, invasifs ou douloureux sont souvent ressentis comme des agressions physiques et psychologiques
constantes. Enfin, les soignants
connaissent le stress qu’engendre
l’hospitalisation chez le patient.
C’est pourquoi le soutien et l’accompagnement font partie intégrante des soins quotidiens. C’est
grâce à leur expérience que les
soignants apprennent à adapter
au mieux leur comportement visà-vis des patients et en fonction
des pathologies qu’ils présentent.
Ils s’appliquent le plus souvent à
les informer, les soutenir et les
écouter. Parfois, ils deviennent
même “porte-parole” de leurs
malades ou défenseurs de leurs
droits auprès des équipes médicales. L’attitude des soignants permet aussi d’établir un équilibre
entre l’aspect technique et l’aspect
humain de la réanimation. Ils servent en outre de garde-fous et
permettent ainsi de prévenir certaines déviances telles que la dépersonnalisation du patient ou
l’acharnement thérapeutique. En
réanimation, les soins aux malades peuvent être considérés
comme une intrusion et une
agression physique et psychologique du corps et, dans ce cas,
être atténués par les qualités
humaines et relationnelles des
soignants. Ces derniers ont, en
quelque sorte, un rôle “tampon”
entre le patient et la technicité
des soins.
Qui accompagner ?
La difficulté ou l’impossibilité
d’accompagner les patients dans
leurs tous derniers instants de vie
est largement compensée en réanimation par un soutien au quotidien permanent. Certaines pathologies nécessitent une prise en
charge très lourde pour l’équipe
soignante. Il s’agit surtout des
affections neurologiques (accident
vasculaire cérébral, polyradiculonévrite, maladie de Charcot) ou
encore d’autres affections comme
les insuffisances respiratoires
chroniques ou les polytrauma●●●
tismes. Ces pathologies
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 24 - mars 2001
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Soins palliatifs et réanimation
●●● ayant autant de retentissement sur le plan psychique que
sur le plan somatique, les infirmiers passent beaucoup de temps
au chevet de ces patients pour tenter de communiquer avec eux, de
les comprendre, de les réconforter
de les encourager et de les soutenir. Ces soins sont aussi importants que les soins techniques qui
leur sont prodigués étant donné
l’état de détresse et de dépendance
de ces patients. Les soignants accompagnent les patients à travers
des deuils successifs à caractère
transitoire ou définitif auxquels ils
doivent faire face (perte de la motricité, de la parole, de la fonction
de nutrition, de l’autonomie respiratoire, perte du rôle familial et
du statut social...). L’implication
émotionnelle des soignants est
souvent très importante car ils vivent au jour le jour, avec les malades, les périodes d’amélioration,
de régression et les échecs. De
plus, les hospitalisations sont souvent longues et peuvent durer plusieurs mois. Les familles ont également besoin, et tout autant, d’un
soutien et d’un accompagnement
en rapport avec la gravité et la durée de la pathologie du proche. La
vie des familles est souvent rythmée par les horaires des visites, par
les long moments d’attente à l’accueil et les appels téléphoniques.
Elles vivent dans une angoisse
et une incertitude constantes, attendant mais aussi redoutant toute
nouvelle information. Les familles
sont fragilisées par la fatigue, l’attente, la crainte de l’avenir et ont
souvent les nerfs “à fleur de peau”.
Elles sont souvent très sensibles
aux marques d’attention que les
soignants peuvent leur témoigner.
Les hôtesses d’accueil ont aussi un
rôle primordial d’accompagnement, d’information et de soutien
auprès de ces familles. Quant aux
infirmiers, ils occupent un rôle important mais difficile. Ils servent
souvent d’intermédiaires ou d’interprètes entre les familles et les
médecins. En fait, les relations soi-
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gnants/familles se tissent au fur
et à mesure de l’hospitalisation,
fondées sur l’information, l’écoute
mutuelle et le partage des émotions, de sorte que, lorsque le patient est en phase critique ou décède, les relations entre la famille
et les soignants sont souvent le reflet et la continuité des relations
qui se sont établies lors de l’hospitalisation. L’accompagnement ne
s’arrête pas au décès du patient,
mais se poursuit par l’accueil, l’accompagnement dans la chambre,
l’écoute, le soutien, l’aide aux démarches, une liberté de visite, le
respect de l’intimité de la famille.
Soins de confort
et de prévention
Un gros travail de prévention et de
confort est réalisé en réanimation
auprès de tous les patients dès leur
admission et quelles que soient
leurs pathologies, depuis l’installation du patient dans son lit jusqu’à l’aménagement pratique de
son environnement. Des soins de
base sont instaurés dès l’entrée
comme les soins de bouche, les
soins oculaires, les soins de confort
et de prévention : pratique de massages ou frictions, surélévations
des membres pour les risques potentiels du décubitus, prévention
des positions vicieuses, position et
fixation des sondes, soins de
sondes vésicale, gastrique et à oxygène. La surveillance et l’évaluation de la douleur sont évidemment inclus dans ces soins.
Obstacles
On peut relever plusieurs obstacles à l’intégration de la philosophie des soins palliatifs en
réanimation. Le premier est la
non-reconnaissance de l’accompagnement et du soutien des malades et de leurs familles comme
un soin à part entière et nécessaire. Le deuxième est la souffrance et le stress des soignants,
rarement évoqué et pris en charge
en réanimation. Le troisième obstacle est le manque de temps
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consacré au malade et à sa famille.
Ce manque de temps, considéré
quelquefois comme une indisponibilité, constitue un problème
majeur en matière de nursing.
L’absence ou la rareté des cas relevant des soins palliatifs explique
en partie le peu de sollicitations
ou de demandes d’intervention
des équipes mobiles de soins palliatifs. Le souhait des équipes médicales de réanimation de prendre
en charge leurs patients jusqu’au
bout, sans aucune aide extérieure,
peut être considéré comme une
résistance à l’intégration des soins
palliatifs. Cependant, la difficulté
de prendre en charge certains patients ou de gérer certaines situations peut parfois susciter l’envie
de passer le relais à une autre
équipe, d’être conseillé pour la
prise en charge de certains symptômes, pour une orientation, ou
d’être éclairé par rapport à un
problème éthique.
De même, il est important de souligner la différence de statut du
corps selon que le patient est pris
en charge en réanimation ou par
les équipes de soins palliatifs. En
réanimation, on parle volontiers
de “corps-machine” ou de “corpsobjet”, c’est-à-dire d’un individu
dépossédé de sa capacité à gérer
sa propre existence, alors que la
philosophie des soins palliatifs
encourage à une réappropriation
et au maintien de l’autonomie du
patient jusqu’au bout, ceci devant
guider la relation de soins.
En effet, l’expérience de l’accompagnement a permis aux acteurs
des soins palliatifs de s’orienter
vers la prise en charge d’autres
patients, notamment ceux de réanimation. Seule subsiste la difficulté de déterminer les frontières
entre les soins dits “curatifs” et
“palliatifs”. Car ces frontières restent encore actuellement floues
dans ces services.
Sylvie Van Daele
Infirmière, équipe mobile de soins
palliatifs, pavillon Christiaens,
hôpital A.-Calmette, CHRU de Lille.
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