Oetheimer Yohann Prevost Adrien n°2114789 n°2113523 Dossier d’enquête ethnologique Le mouvement psytrance Entre déviance et engagement Année 2011/2012, Semestre 2 Mme M. Bollon-Mourier -1- Sommaire I. Introduction 1. Présentation a. Origine et histoire b. Structure musicale et nature des évènements 2. Cadre et objet d’étude 3. Approches générales et questionnements 4. Stéréotypes et aprioris II. a. La « Vox Populi » b. Personnels Le mouvement Psytrance : entre déviance et engagement ? 1. Premiers pas sur le terrain : la cohésion sociale 2. L’influence de Goa : une revendication d’ethnicité 3. Une atmosphère déviante… mais engagée. III. a. Déviance b. Engagement Enseignements, contraintes, intérêt et perspectives Annexe -2- I. Introduction Cette présentation a pour objectif de décrire dans ses grandes lignes l’histoire et la nature du mouvement psytrance de ses origines à nos jours. Elle propose également de définir la nature, l’ambiance et le contenu des évènements musicaux qu’il génère en Europe, sans omettre une introduction au jargon qui lui est propre et dans lequel abondent les anglicismes. Ceci étant notre premier et seul semestre d’enquête sur ce sujet, nous sommes tenus de contextualiser notre terrain et de rendre intelligibles ses contours, y compris dans le domaine du langage. Un lexique étoffé se trouve en annexe, définissant l’ensemble des termes techniques relatifs à notre sujet. 1. Présentation a. Origine et histoire La trance psychédélique1 a vu le jour dans les années 1980 à Goa, ancienne colonie portugaise de l’Inde. Les hippies2 « échoués » sur les côtes de cet État3 à la fin des années 1960 ont non seulement créé ce style de musique nouveau, mais aussi un « mode de faire la fête » bien particulier. Aux débuts du mouvement, les parties se passaient la nuit, toujours en plein air, dans des lieux paradisiaques (plage, forêt), avec des décorations surprenantes (peintures, tentures, black lights, etc.). Mais le point le plus important est le fait que ces évènements sont souvent situés dans un contexte et un temps bien spécifiques : « évènements astronomiques (éclipse lunaire ou solaire), date symbolique (jour de l’an ; passage de saison) [...] » (Boutouyrie, 2009). La forme de ces évènements n’avait donc rien de vraiment original, mais c’est le contenu qui est entièrement singulier pour l’époque. Les évènements organisés sur les plages de Goa avant 1980 étaient de type rock, reggae ou encore dub, et c’est à partir de 1983/1984 que les premiers synthétiseurs électroniques apparurent et se diffusèrent, faisant apparaitre les premières musique composées totalement à partir de boites à rythme et de synthétiseur. Ce changement drastique de mode de composition ne fut pas accepté par tous les hippies de Goa. En effet, « Leur culture musicale était plus proche de « Pink Floyd » et « The Doors » que de « Tangerine Dream » ou « Can ». » 1 Précédemment appelée « special music », puis « trance dance », puis « Goa-trance », notons ici l’importance du lieu de naissance du courant musical, et enfin « psychedelic trance » ou trance psychédélique, d’où son nom raccourci : la « psytrance ». 2 cf. Boutouyrie, Eric. Goa aux portes des métropoles. Communautés transnationales et musique techno. Volume !, 2009, n°6, p. 123-133. 3 Goa est aujourd’hui un État de l’Inde, situé sur la côte sud-ouest. -3- (Boutouyrie, 2009), et c’est la décoration et la mise en scène des fêtes qui fut décisive dans le succès croissant de cette musique. Par la suite, de nombreux artistes, – à partir de 1988 – reviennent de Goa avec l’intention de reproduire et de diffuser dans leur pays d’origine, les fêtes qu’ils ont vu et vécu là-bas. Par exemple, en France, la première fête appelée « rave4 » fut le « Trance Body Express », à Paris, sur une péniche louée pour l’occasion en 1988. Pour conclure sur l’histoire de ce mouvement musical, nous pouvons dire qu’aujourd’hui il tend à devenir l’un courants majeurs de musique électronique « et par la vitalité de ses productions (entre six et dix nouveaux CD par semaine) et par l’ampleur de ses manifestations (depuis 1992 plus de 15 000 événements ont eu lieu dans 79 pays différents).» (Boutouyrie, 2009), les principaux « pôles de production » étant Israël, l’Amérique Latine et l’Europe. Ces données datant de 2009 ne sont plus valides. Aujourd’hui la « production » de ce genre de musique atteint de 3 à 5 nouveaux albums et compilations par jour et devient, petit à petit, un réel phénomène de masse. b. Structure musicale et nature des évènements La structure musicale d’un morceau de trance psychédélique est bien particulière. La musique provenant de Goa5, très mélodieuse, avec un rythme constant, devient de plus en plus rare. Même s’il existe un grand nombre de sous-genres6 de la trance psychédélique, nous retrouvons certaines similitudes, notamment, une très forte présence des basses, un « beat » soutenu, allant de 120 à plus de 160 battements par minutes (ou BPM). Une autre caractéristique bien singulière de la structure musicale de la trance psychédélique, est la progression des mélodies et des basslines7. Une musique dure généralement de 6 à 8 minutes, certaines peuvent même aller jusqu’à 20 minutes et c’est vers les trois-quarts de celle-ci qu’elle atteint son summum. Ce genre de musique est principalement joué en concert sous deux formes : le live act et le DJ set. Le live act consiste à jouer en direct des musiques, à l’aide de machines 4 Le verbe anglais « to rave » peut se traduire par « délirer », « divaguer » ou « s'extasier ». Le terme « rave » a été utilisé pour désigner une fête (party) dès les années 1960 à Londres par les descendants des immigrants venus des Caraïbes ; il fut ensuite repris dans les années 1980, lors de la naissance de l’Acid house à Chicago et en Grande-Bretagne, à Goa, Ibiza et Israël ensuite. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) 5 La Goa-trance a connu un grand succès dans les années 1990, et c’est à partir des années 2000 que le genre a changé drastiquement : plus de basses, moins de mélodies et de synthétiseurs… 6 Goa-trance, progressive trance, full-on, twilight, morning, dark, power, night… 7 La bassline est la ligne de basse d’une musique. Elle peut être très grave et rapide, notamment pour la dark psytrance, mais aussi aiguë et lente pour la progressive trance, ou la full-on morning par exemple. -4- électroniques, paramétrées avec des samples8, des boucles (ou loops), auxquels l’artiste ajoute des effets. Le DJ set est plus simple dans le sens où le DJ joue des musiques qu’il n’a pas composé, fait des transitions entre ces musiques et leur ajoute des effets. Ces deux façons de jouer sont souvent accompagnées par des animations vidéo, projetées de chaque côté de la scène. Ces dernières sont choisies et jouées par un VJ (ou vidéo-jockey). Et en dernier lieu, nous trouvons les ingénieurs du son, qui s’occupent de tout ce qui concerne les réglages sonores. Les évènements de trance psychédélique se produisent dans des lieux et des contextes très variés. Les formes de ces manifestations vont des festivals en plein air sur plusieurs jours (organisés), aux free-parties et « tekos9 » sans organisation (et donc illégales), en passant par les festivals en salle, les soirées d’une nuit en salle, ou en plein air. Selon DJ M., le cadre de ces évènements reste très important, expliquant des droits d’entrée parfois élevés, jusqu’à 180€ pour une semaine, « ce qui rend les choses élitistes ». Une party trance ou un festival peut se résumer en quelques caractéristiques principales : L’accent est mis sur la mise en scène, la décoration, l’ambiance, en d’autres termes, le « spectacle ». Pour un DJ M., « c’est tout un show, avec des décors « de fou », la structure, des jeux de lumière … ». En effet, le spectacle prend toutes ses dimensions à l’occasion de la nuit grâce au « Light Art » et à la musique. La party trance met en jeu trois polarités bien distinctes et interdépendantes : le « dance floor », le « chill-out10 floor » et le « Goa village ». - Le « dance floor » correspond à la piste de danse ou à la « fosse ». Il est le centre d’attraction dans la mesure où la danse correspond au principal facteur de déplacement. On y trouve, en plus des flux sonores, des toiles aux peintures réagissant à la black light11, des panneaux sur lesquels sont projetées des images fractales et des formes abstraites, ainsi que des jeux de lumières, des lasers... 8 Les samples sont des échantillons de musique ou de sons, qui sont joués dans un ordre bien particulier, afin de reproduire la musique originale, composée sur l’ordinateur. 9 Festivals illégaux sur plusieurs jours, généralement de musique électronique. 10 De l’anglais, « to chill out », se détendre. 11 De l’anglais, la lumière noire, faisant ressortir toute forme de couleurs fluorescentes, ainsi que le blanc. -5- - Le « chill-out » correspond à un espace de temporisation sonore et physique. C’est un lieu de décompression où les participants viennent écouter un autre type de musique (de l’ambient12) tout en participant à des conversations entre amis ou entre inconnus. C’est le principal lieu de sociabilités et de rencontres. Des coussins ainsi que des matelas sont mis à la disposition, sur fond d’encens et d’odeurs de thés. Des expositions de peintures et de sculptures venant compléter le dispositif. - Enfin, le « Goa village » correspond à un lieu dans la party trance où l’on trouve une série de commerces et de services, du moins pour les soirées et festivals importants. On y trouve des vendeurs de nourritures et de boissons (le plus souvent des plats exotiques et des boissons indiennes) ; des vendeurs de vêtements, de bijoux et d’ustensiles en tous genres, mais aussi des stands proposant divers services, comme des massages, des pratiques de méditation, de yoga, et bien d’autres. Il correspond à la reconstitution d’un lieu idéalisé, où l’échange prime sur le business. 2. Cadre et objet d’étude Le « mouvement psytrance » dans le cadre géographique et « culturel » européen étant notre objet d’étude, nous constatons d’entrée qu’il recèle un grand nombre de facettes à explorer, issues de thématiques très diverses. Citons entre autre, en passant de l’individuel pour aller vers le collectif : la relation au corps des participants, la danse, les contradictions et paradoxes entre idéaux collectifs et actes du quotidien, les problèmes liés à l’organisation des évènements, ceux liés à la consommation de stupéfiants13, la quête d’état modifiés de conscience, paradis artificiels ou trance de guérison14, les visées spiritualisantes, les langages codes15, etc. 12 L’ambient est un genre de musique électronique dont les limites sont difficiles à définir. Une image risquée pourrait être une musique calme, une « musique de fond », avec un rythme lent, voire même sans rythme. 13 Pour illustrer ces problèmes, nous aurons l’occasion de prendre l’exemple d’une association (Keep Smiling à Lyon) d’autosupport en milieu festif, implantée dans un grand nombre de soirées et festival, dont le but est l’information et la prévention concernant l’usage de drogues. 14 En puisant notamment dans l’ouvrage de Pierre-Yves Albrecht : Entrons dans la transe. 15 Ajoutons aussi différents langages, codes spécifiques au milieu (exemples de codes de langage rencontrés sur notre terrain : une « teuf », un « festoch », « poser du son », un bon « beat » ou encore une bonne « bassline », etc.) -6- 3. Question de base Notre question de base vise à englober la totalité de notre objet d’étude : quelles sont les caractéristiques du mouvement psytrance et les dynamiques qui l’anime dans un monde en rapide transformation ? Cette question étant très vaste, nous allons nous restreindre à certains champs au sein de ce dossier, et pensons approfondir cette enquête dans les prochaines années de licence. Dans un premier temps de notre analyse, nous tenterons de cerner le groupe de socialisation qu’est le mouvement psytrance, du fait que ses membres ressentent, pour la plupart un fort sentiment d’appartenance à un groupe. Nous montrerons qu’il existe une « culture trance16 », avec divers principes, normes, valeurs, etc. Nous focaliserons par la suite notre attention sur trois caractéristiques majeurs, inhérentes à ce mouvement : le sentiment d’appartenance à une souche commune (Goa), les différents types de déviance et enfin les formes d’engagement présentes au sein mouvement, en analysant nos données d’enquête. Ces questions seront débattues sans qu’à ce stade se dégagent pour toutes des conclusions définitives. 4. Stéréotypes et aprioris L’histoire et la sociologie ont montré qu’un groupe minoritaire, de par ses gouts et apparences, qu’elles soient vestimentaires, alimentaire, musicale, sexuelles, idéologiques… mais aussi de par ses choix d’habitat et de spiritualité (mode de vie nomade ou précaire pour certains), provoque de la part du groupe majoritaire normatif, jugements et préjugés allant jusqu’à des réactions violentes de rejet voir de haine. Conscient de ces faits voyons maintenant si le mouvement psytrance active de semblables réflexes, et dans quelle mesure nous avons été nous même influencés par notre propre « culture » et ses règles implicites, émanant des normes sociales. a. La « Vox Populi » Un apriori qui ressort souvent des discussions concernant la musique électronique est celui de son association à la consommation de stupéfiants. Effectivement, la musique techno est aujourd’hui considérée par de nombreuses personnes comme une « musique de drogués ». Un témoignage illustrant ce propos est celui de C., étudiant en biologie, qui nous affirmait 16 Ce terme est employé dans plusieurs articles sur la trance psychédélique, que ce soit dans des journaux (Le Monde), des magazines (Télérama, Trax) ou encore dans les dossiers de presse de l’association Hadra. -7- qu’un enfant lui avait demandé un jour d’écouter dans ses écouteurs, et après cela, il le traita de « drogué », sans plus d’éléments. Un autre préjugé que nous avons pu trouver est l’image du lendemain d’une « freeparty » : un lieu complètement ravagé, avec des déchets de partout… Cependant, un témoignage de DJ M. nous présentait tout le contraire : « Le lieu était plus propre après la free-party qu’avant l’arrivée des participants ! ». C’est donc pour tenter de tempérer ces préjugés qu’une association grenobloise17 de trance psychédélique fait noter dans un dossier de presse que sa démarche est la suivante : « L’objet de l’association consiste en le développement et la promotion de la musique électronique et des pratiques qui y sont liées. L’un de nos objectifs est en ce sens de permettre à cette culture18, généralement ternie par des préjugés négatifs et dénonciateurs lorsque l’on évoque les «teknival» ou les «free-parties», d’obtenir la reconnaissance qu’elle mérite. » b. Personnels Avant de connaitre le milieu, nous partagions l’avis collectif sur l’assimilation de ce mouvement musical avec la prise de stupéfiants, tels que relatés par les médias. Et c’est en participant à la « vie » du milieu que ce stéréotype s’est estompé, la prise de produits psychoactifs n’est pas nécessairement partagée. En effet il n’est pas rare de trouver des participants qui refusent la prise de toutes substances19. De plus, avant de le connaitre, nous considérions ce mouvement comme marginal et en déclin. Tout le contraire nous a été démontré lors de notre enquête : DJ M. nous a expliqué son désarroi face à la tournure « fame20 » d’une partie du mouvement, qui devient très commercial. Effectivement, ce courant musical ne doit pas être vu comme stable, arrêté, mais plutôt comme évolutif et adaptatif : l’aspect « fame » et l’importante production musicale en sont l’exemple. 17 Hadra est une association Loi 1901, qui comprend un label indépendant depuis 2004 : Hadra Records Nota bene : on parle ici de « culture trance ». 19 Alcool, cigarettes, produits dopants ou psychoactifs… 20 Qui met plus l’accent sur le show d’un « acteur » que sur le partage musical, ou encore « plus l’accent sur la musique que sur la nature humaine ». (DJ M.) 18 -8- II. Le mouvement Psytrance : entre déviance et engagement ? Nous aborderons dans un premier temps la cohésion sociale sur le terrain, puis, poserons deux hypothèses distinctes – concernant deux thèmes de recherche différents – auxquelles nous tenterons de répondre par deux problématiques. 1. Premiers pas sur le terrain : la cohésion sociale Dans les évènements festifs liés au milieu Psytrance, on a pu remarquer une grande diversité d’individus. En effet, ce milieu semble refléter une large partie de la population, qu’ils soient adolescents ou adultes, l’âge ne joue pas un rôle dans l’accès à ces soirées. Il n’est pas rare de croiser des parents avec leur enfants réunis devant la musique qu’ils aiment, lors de notre terrain, nous avons même pu rencontrer des individus d’environ 50, voire même 60 ans, alors que d’autres n’étaient pas encore majeurs. Cependant, c’est la tranche des 20-30 ans qui est la plus présente dans ce genre d’évènement. De plus, il n’y a pas que le « facteur » âge qui est à prendre en compte ; les origines sociales sont elles aussi diverses. Il n’y a pas de distinctions quant à l’origine sociale des participants, en effet dans ces évènements nous pouvons rencontrer des individus de classe « aisée » et d’autres plus « défavorisés ». Ainsi, à travers ces évènements, les origines sociales sont mélangées, grâce à cela, ces distinctions dans la vie courantes passent au second plan. De plus, les vêtements portés par les participants ne résultent pas d’une norme, chacun peut venir comme il le souhaite. Ainsi, certains participants viennent déguisés, d’autres viennent habillés de vêtements « fluo », … Il n’en résulte pas non plus une règle vestimentaire caractéristique à ce milieu. On peut remarquer cependant, que la pluparts des participants ont des genres vestimentaires similaires. En effet, « baggys21 », « vestes à capuches », « casquettes », etc., sont les plus courants dans ces évènements. Les participants se regroupent entre groupes de connaissances mais il est fréquent de constater que les groupes interagissent entre eux. En effet, en début de soirée, les différents groupes sont visibles car les participants qui se connaissent, arrivent souvent ensembles. Ainsi, au fur et à mesure que la soirée se déroule les groupes commencent à se disperser, certains vont se reposer alors que d’autres restent vers la musique. Lorsque les groupes ne sont plus aussi visibles, de nouveaux groupes se forment soient avec des connaissances perdues lors de la soirée, soit avec d’autres participants ayant engagés la 21 Pantalon large, souvent porté en dessous de la taille. -9- conversation. Dans le milieu Psytrance, la notion de groupe social 22 n’est pas suffisante. En effet, il faut aussi les considérer comme des éléments d’un plus vaste ensemble. Un groupe ne peut pas être jugé comme représentatif du milieu car celui-ci est caractérisé par une grande diversité (d’origine, d’âge, de styles vestimentaires, …). DJ M., qui nous a accordé un entretien, nous a parlé de « microsociété » pour définir le public présent lors de ces évènements. Lorsque l’on observe les groupes comme des éléments d’un ensemble, on remarque que le concept de microsociété n’est pas si éloigné. En effet, chaque groupe occupe un rôle dans le bon déroulement de l’évènement, mais aussi dans l’ambiance générale de celui-ci. Les groupes occupent des zones différentes, certains vont se situer plus ou moins près de la musique, d’autres se placeront plus loin de celle-ci. Ces placements ne sont pas définitifs, en effet, les groupes migrent. La migration est ici de courte échelle, elle montre que le rôle des groupes varie en fonction du lieu où il se situe. Les participants adoptent eux aussi une attitude migratoire, ce qui explique l’extrême variabilité et dynamique dans la composition des groupes. Ainsi, la vision de groupe social n’est pas suffisante, il ne faut pas voir le groupe social comme un élément représentatif du milieu mais plutôt comme élément d’un ensemble plus vaste : le milieu Psytrance. Cependant, ces groupes se distinguent par plusieurs caractéristiques bien distinctes : l’influence « néo-hippie », par la présence des dieux issus de la mythologie indienne, … de plus ces groupes se caractérisent par un sentiment de double identité, que nous traiterons dans la partie suivante. 2. L’influence de Goa : une revendication d’ethnicité Nous nous appuierons sur nos observations de terrain et sur les travaux d’Eric Boutouyrie (sur Goa et l’apparition de la trance psychédélique) et d’Etienne Racine (sur le mouvement techno et les raves) pour construire notre hypothèse. Nous avons vu précédemment l’origine et l’histoire de la psytrance, de ses débuts à Goa et à sa diffusion soutenue, encore aujourd’hui. Ainsi, en nous intéressant aux débuts du mouvement, nous avons formulé l’hypothèse suivante : Peut-on parler d’un imaginaire collectif directement lié au lieu de naissance de la trance psychédélique (Goa), influençant directement les membres de ce mouvement23 ? Cet imaginaire collectif se caractérise-t-il par le sentiment d’appartenance à une même souche24, à 22 En tant que regroupement d’individus ayant le même but. Dans leur mode de vie, dans leur quotidien… 24 Souche physique (le lieu) et « étique » (les valeurs partagées collectivement). 23 - 10 - un même groupe, dispersé géographiquement, mais se rassemblant lors d’évènements festifs, notamment les festivals de plusieurs jours25 ? Allons plus loin dans la réflexion : peut-on parler ici d’une forme de revendication d’ethnicité ? Et enfin, quels seraient les degrés de cohérence et de cohésion au sein de ce groupe, ou plus simplement, quel serait le ciment de ce dernier ? En nous appuyant sur les travaux d’Eric Boutouyrie puis sur ceux d’Etienne Racine, nous allons tenter d’établir une problématique répondant à cette première hypothèse : Selon Eric Boutouyrie, les « communautés des parties trance» seraient fortement imprégnées par la culture indienne, plus particulièrement par celle propre à Goa. Il considère les communautés des parties trance « comme de nouvelles diasporas qui ne répondent pas à une origine ethnique précise, mais se réfèrent à une idéologie où l’Inde devient le port d’attache. » (Boutouyrie, 2009). Un entretien instructif à ce propos nous a été accordé par DJ M. Il se considère en effet comme un « néo-hippie » (prônant les valeurs hippies des débuts du phénomène de Goa), et il nous a fortement conseillé de nous intéresser aux origines du mouvement de la trance psychédélique, de remonter à ses racines, à Goa. Effectivement, nous avons pu remarquer que les musiques de trance psychédélique, sont aujourd’hui en grande partie influencées par la musique traditionnelle indienne, par les références aux dieux26, (« ces fêtes techno, sur fond d’orientalisation où planent les ombres de Shiva et de Ganesh », Boutouyrie, 2009), mais plus particulièrement par « une appropriation symbolique de ses fondamentaux (vêtements, nourritures, musique, mode de vie, etc.) ». Illustrons cette appropriation, avec le symbole « Om27 », encore écrit « Aum », présent sur un grand nombre de décorations, de tentures, d’habits, de tatouages, dans tous les évènements (soirées et festivals), en France comme à l’étranger. Les noms des parties trance sont aussi significatives de cette imprégnation de la « culture » indienne : « Hari Om », « Hare Krishna Gathering »… 25 Nous pensons à C., étudiant en biologie, qui a fait trois festivals pendant les vacances d’été dernier : un en France (Hadra Trance Festival), un au Portugal (Freedom Festival), et un en Allemagne (Indian Spirit Festival). Il pourrait donc être considéré comme un trance-traveller, du fait de son envie de participer à ce type d’évènements et des moyens qu’il met en œuvre pour y parvenir. 26 Selon la mythologie indienne, la musique indienne a une origine divine : c'est par le son que le dieu Brahmâ a créé l'univers. Le dieu Shiva jouait quant à lui du tambour, son fils Ganesh en jouait également. L'univers a été créé par le son primordial Ôm; le langage dérive des rythmes du tambour, ces rythmes étant omniprésents dans la psytrance. 27 Cf. images. - 11 - Ces exemples que d’autres pourraient étayer, permettent donc d’assimiler à première vue ce mouvement musical à « une culture de l’hybridation, du métissage, du mélange, du couplage d’imaginaires artistiques » (Gruzinski, 1999). Comme nos entretiens nous inclinent à le penser, les amateurs de ce style de musique électronique revendiquent une double appartenance : celle à leur pays d’origine (un grand nombre d’artistes et de leur auditoire qualifiant Goa comme une étape essentielle de leur vie) et celle « mythifiée » et reproduite émanant de Goa, avec des valeurs « hippies » calquées, voire réappropriées. A ce propos, DJane S. nous a donné certains exemples de ces valeurs : le respect de la nature, de l’environnement, la consommation de nourriture biologique ou encore l’importance de la rencontre de personnes « ayant la même vision du monde », la rencontre d’étrangers, le partage d’idées. Comme le souligne Christian Grataloup, l’individu, en allant dans ces évènements, aurait une « quête d’altérité zonale ». Cependant, cette revendication d’ethnicité n’est pas forcément consciente, nous pensons notamment à plusieurs entretiens où les traces de celle-ci ne sont pas perceptibles au premier abord. Tout comme l’a montré C., étudiant en biologie, qui sans même connaître en profondeur les valeurs hippies des fondateurs de la « culture trance», pense appartenir au groupe social qui les prône. L’histoire du mouvement de la trance psychédélique résumée au début de notre dossier est essentielle, car sans celle-ci, il serait impossible de comprendre les motivations qui poussent les membres de ce mouvement à adopter certains comportements, certaines revendications ou plus particulièrement, certains modes de vie (habillement, philosophies, nourritures, codes linguistiques (cf. note n°14), etc.). Pour l’instant, nous avons eu quelques retours de personnes ayant fait le voyage jusqu’à Goa, aux « fondements » de ce courant musical et en ayant rapporté une grande satisfaction. Mais pour d’autres, ce voyage fut une désillusion28, du fait notamment de la tournure commerciale des évènements et de ce courant musical29, cette tournure allant totalement à l’encontre des valeurs hippies. Une hypothèse pourrait être émise à ce sujet : le mouvement psytrance n’aurait-il pas une tendance à se séparer en deux, d’une part, les idéalistes attachés aux valeurs fondamentales30 du mouvement, et de l’autre l’esprit commercial qu’adoptent une 28 Un exemple de cette désillusion est celui d’un compositeur de psytrance lyonnais, rencontré devant une party à la Croix-Rousse, qui rentrait de trois semaines passées à Goa, séjour qu’il n’a pas apprécié à cause de la forme commerciale qu’ont pris les parties là-bas. 29 Les grands noms de ce courant, comme Infected Mushroom, Skazi, Vibe Tribe, etc., on en effet dérivé depuis 2005 environ, vers une musique à tendance commerciale : plus de publicité, mais surtout le style musical lui-même, se rapprochant de genres tel que l’électro ou encore la house. Certains artistes font même des collaborations avec des stars de hard rock, par exemple, comme Korn. 30 Qui sont des bases comportementales simples, d’inspiration néo-hippie. - 12 - partie des artistes. Le public varierait-il donc, non seulement selon les pays, mais aussi selon les types d’évènements ? Selon Etienne Racine, les « techno-travellers » ont ramené des musiques électroniques des quatre coins du monde et on fait de Londres le point d’attache de ce type de musique en Europe. En nous appuyant sur cette affirmation, nous avons risqué une hypothèse liant cette dernière avec les travaux d’Eric Boutouyrie : la culture trance est-t-elle un mélange entre « culture techno31 » (majoritairement londonienne) et « culture indienne » ? La « culture trance » serait-elle donc imprégnée par Goa et Londres, deux souches qui, fusionnées, constitueraient son essence32 ? Cette question restera ici en suspens, nous ne disposons pas encore de suffisamment d’éléments pour parvenir à une telle affirmation, malgré le fait que la culture anglo-saxonne a une forte influence sur la culture trance (codes de langage, labels anglais33, « trance-travellers » britanniques34...). Un exemple qui illustrerait cette essence est celui de DJane S. qui a travaillé à Londres et y a fréquenté le milieu des freeparties. Elle a par la suite, effectué le voyage à Goa, où elle a vécu une expérience atypique, vue dans la partie suivante… 3. Un mouvement déviant… mais engagé. a. Déviance Nous essayerons dans cette partie de répondre à l’hypothèse suivante : dans quelle mesure le mouvement psytrance peut-il être considéré comme déviant ? Le mouvement Psytrance peut être considéré comme déviant au sens d’Howard Becker. En effet, il définit la déviance comme une « transgression d’une norme acceptée d’un commun accord35 ». On remarque en effet, que certains des participants transgressent certaines règles sociales, on peut prendre l’exemple de la prise de produits psychoactifs. 31 Nos deux entretiens avec des DJs nous ont confirmé le fait que beaucoup d’artistes sont passés du milieu techno ou plutôt « tek » à celui de la psytrance, pour des raisons de valeurs et de gouts musicaux. La culture techno est donc présente dans la culture trance. 32 Dans son sens philosophique, en tant que « nature intime d’un être ou d’une chose ». (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) 33 En effet, le premier label de Goa trance en Europe était londonien : Dragonfly Records. Fondé en 1993 par Martin Glover il cessera son activité en 2008. 34 Simon Posford, une voire même la figure emblématique de la Goa-trance est né et est basé au Royaume-Uni. C’est l’artiste de ce genre de musique qui a vendu le plus d’album : 80 000 ventes pour son album « Twisted ». 35 Becker, Howard. Outsiders. A.M. Métailié, 1963. 248 p. - 13 - Celle-ci est pourtant fortement réprimandée en France mais cela n’empêche pas la consommation de ceux-ci dans tout type d’évènement36. Cependant, tous les participants ne sont pas des consommateurs de ces produits. On remarque donc que le mouvement peut être considéré à première vue comme un milieu prônant la déviance, mais selon DJane S. : « dans tel ou tel évènement t’auras de la drogue, l’étiquette ils en font ce qu’ils en veulent, mais qu’ils viennent voir sur le dance-floor, y’a des gens qui ne prennent pas de drogue. Ce n’est pas que sur cette musique que l’on prend des drogues ». L’aspect déviant ne se réduit donc pas à la consommation de stupéfiant. En effet, on remarque que l’organisation de parties pose elle aussi la question de la déviance. Ainsi, les habitants d’une commune où doit avoir lieu la party seront réticents par rapport à celle-ci. Cette réticence est compréhensible car les évènements illégaux « dérangent ». Effectivement, la musique est peu connue et souvent assimilée à une « musique de drogués », de ce point de vue-là, les participants de ces évènements sont considérés comme déviants. Ils ne respectent pas une norme commune interdit la participation à des évènements non-autorisés ou illégaux. Ainsi, on peut remarquer qu’au début des années 1990, certains gouvernements se lancent dans une « chasse aux raves » ou comme nous l’a indiqué DJ.M « une chasse à la culture underground ». Effectivement, en Angleterre, dès les années 1990, les gouvernements se mettent en chasse de ces évènements considérés « comme un danger pour toute la jeunesse ». L’auteur37 remarque ici l’émergence d’un groupe particulier qu’il nomme « travellers », qu’il définit comme des « adeptes de la contre-culture, et noyés dans une idéologie de la contestation inspirée du NewAge, des Hippies et des philosophies orientales ». Dès lors que cette « chasse aux raves » est lancée, les « technomades » anglais fuient vers tout le reste de l’Europe, c’est ainsi que les premières « raves » appelées « raves-pirates » font leur émergence vers Paris dans les années 1990. DJ M. nous a expliqué son point de vue sur la « chasse à la culture underground », qui n’englobe pas seulement la psytrance, mais aussi le dub, etc., du fait de problèmes de plus en plus fréquents. Le moindre « faux pas » est fortement et immédiatement sanctionné. En outre, un préjugé très présent chez un grand nombre de personnes est le fait que la musique techno est directement confondue avec la prise de drogues. Cette assimilation est fausse, effectivement, nous avons rencontré plusieurs cas de personnes ne buvant ni alcool, et ne consommant aucunes drogues. 36 37 Aussi bien dans les concerts de type rock, punk, reggae…, que dans les parties. Méloni, Jean-Paul. Entre ombre et lumière : la rave. Le Portique, 2002, n°10, p. 2-13 - 14 - Selon lui, la musique électronique en général « dérange » la politique française. En effet, des problèmes sont rencontrés même au niveau des associations. Les difficultés rencontrées sont majoritairement de l’ordre des autorisations, de l’administratif, mais aussi des terrains et des emplacements des soirées ou des festivals. En effet, nous pouvons prendre l’exemple de l’association grenobloise de trance psychédélique Hadra, qui a eu des problèmes pour obtenir l’autorisation d’organiser la dernière édition de son festival annuel38. La cause de cette complication était la mort d’oiseaux nocturnes après l’évènement (cf. 3. b. Engagement) Le caractère déviant de ce milieu vient aussi des règles de sécurité, qui sont jugées insuffisantes. Selon DJane S., les organisateurs de parties se trouvent confronté à des normes de sécurité « draconiennes39». Elle a pris l’exemple d’une party à Goa sur un bateau qui tanguait40, mais aussi son expérience dans les clubs anglais, ou la pyrotechnie 41 et même certaines fois des manèges sont mis en place dans le lieu de l’évènement42. Pour pallier la prise de produits psychoactifs dans ce genre d’évènements, on remarque la présence de stands de préventions des risques. Selon Etienne Racine, les « ravers sont des véritables experts des drogues », il évoque que les participants connaissent souvent les effets des produits psychoactifs. Ainsi, l’un des moyens d’éviter les désagréments liés à une surdose, est l’autogestion. En effet, les ravers évoquent souvent cet aspect quant à leur prise de stupéfiants, ils connaissent les risques et savent que les mélanges de produits sont dangereux. Pour eux, la connaissance des risques est importante voire même indispensable dans certaines situations. En plus de l’autogestion des participants certaines associations43 sont présentes afin de tenir un stand de prévention des risques. Ainsi, sur ce genre d’évènements, il n’est pas rare de voir des stands de prévention fournissant des dépliants sur les effets des produits psychoactifs, des conseils pour arrêter leur consommation, et même dans certains cas des ustensiles nécessaires à une prise de certaines substances moins risquée44. Alors que la présence des forces de l’ordre est souvent peu acceptée, voire même indésirable, car assimilée à la répression de la prise de produits psychoactifs, celle des associations de prévention est acceptée et voire même désirée. Ces associations fournissent des informations neutres sur les substances sans inciter à leur consommation, ni en 38 Hadra Trance Festival 2011. « Faut dire qu’en France on a des conditions de sécurité assez draconiennes par rapport à l’étranger » 40 « Tu vas à Goa, ils font une soirée sur un bateau, le bateau il tangue, si tu fais un pas à droite, ça équivaut à trois pas tellement le bateau tangue » 41 « Dans les clubs à London, t’as de la pyrotechnie » 42 « Ils ont mis des manèges dans les teufs à London » 43 Collectif F.M.R, Keep Smiling, La Croix Rouge, … 44 On y donne des ustensiles afin qu‘une personne n’utilisent pas la même seringue qu’une autre personne par exemple. 39 - 15 - condamnant leur prise, c’est cet aspect-là qui justifie souvent leur présence. En effet, selon certains ravers les forces de l’ordre ne peuvent pas fournir de « secours direct » en cas de problèmes, ni de prévention ; c’est pour cela que pour eux les associations de préventions sont les bienvenues. Une question restée en suspens et qui pourra être approfondie ultérieurement, concerne la déviance des idées et idéologies politiques. Celles-ci ne sont pas revendiquées collectivement mais se matérialisent sur le terrain, par exemple, certaines tendances au rejet du « système capitaliste » par l’adoption de modes de vie marginaux (nomades en campingcar ou « trance travellers », rejet du nucléaire signalé par des autocollants et des échanges hors entretiens, etc.). b. Engagement Quel type d’engagement trouvons-nous dans un mouvement de musique électronique bien particulier ? Dans quelle mesure ce mouvement participe-t-il à l’émergence actuelle d’une conscience planétaire, inédite dans l’histoire de la civilisation occidentale ? Tout d’abord, il est nécessaire de souligner que le mouvement psytrance ne supporte pas – selon nos observations et entretiens – de réelles revendications politiques, ou du moins elles ne sont pas visibles. En effet, aucun parti politique ne s’y manifeste, mais la question est à approfondir, car nous avons pu discerner une tendance plutôt à gauche, portant certains idéaux écologistes. Parmi la diversité des membres du mouvement, nous pouvons décrire les contours d’un projet collectif à multiples facettes et l’émergence d’une nouvelle conscience : les « villages » des festivals proposent des animations et apprentissages gratuits, ainsi que des espaces de discussions45. Nous pensons ici notamment aux liens entre ce mouvement et le développement personnel, la spiritualité… Des exemples illustrant ce propos serait : le groupe socio-culturel dit des créatifs culturels46, le mouvement néo-hippie, ou encore celui Rainbow. Les créatifs culturels regroupent des individus ayant en commun d'adopter une vision globale du monde, et le partage d'un ensemble de valeurs. Ceux-ci cherchent notamment à 45 Massages, initiations au yoga, pratiques de méditation, débats d’idées dans les espaces de relaxation, rappelant l’Agora grecque ou le forum romain… 46 Ray, Paul & Anderson, Sherry. L’émergence des créatifs culturels. Yves Michel, 2001. 512 p. - 16 - favoriser : la faible dépendance vis-à-vis des modes de consommation industrialisés, le développement personnel et spirituel. Ils souhaitent remettre l’humain au cœur de la société, et combattent les dégradations environnementales47… Ainsi, nous pouvons assimiler certaines personnes rencontrées sur notre terrain à des créatifs culturels. L’entretien accordé par C., ancien professeur d’histoire-géographie, nous a éclairé à ce propos quand il nous a dévoilé certaines de ses vues, concernant l’impact possible d’une fréquence musicale émergente, « le 432Hertz, qui, contrairement au 440 Hertz utilisé aujourd’hui comme diapason universel, aurait des effets sur l’évolution de la conscience humaine, le métabolisme des cellules, l’équilibre des hémisphères cérébraux… ». Il a également évoqué sa démarche résolument autonome en matière de spiritualité, de santé, d’alimentation… Le mouvement néo-hippies est aussi très bien représenté au sein du mouvement psytrance. Comme dit précédemment, DJ M. se considère comme un néo-hippies, faisant partie d’un « mouvement néo-hippies », caractérisé par son histoire, les décors utilisés, la mentalité des membres (qui « est géniale »), mais aussi par l’esprit festif bien particulier. Dans l’expression « néo-hippie » nous trouvons l’affirmation des valeurs hippies des années 1970, notamment, la liberté sexuelle, la mise en avant de l’humanité et plus généralement du vivant, l’environnement, l’engagement contre la violence, la guerre… Le mouvement Rainbow est une communauté intentionnelle éphémère généralement réunie en plein air et cherchant à pratiquer les idéaux de paix, d’amour, d’harmonie, de liberté, en opposition à la culture populaire (ce mouvement est déviant dans ce sens), au capitalisme, aux médias de masse et à la société de consommation. Ces communautés se réunissent annuellement en des lieux annoncés à l’avance et dans plusieurs pays à la fois. Les racines de ces événements peuvent être retrouvées dans la contreculture des années 1960 et les mouvements hippies48. Cette idéologie est présente au sein du mouvement psytrance, effectivement, nous avons eu l’occasion d’échanger avec certains « adeptes de la psytrance49 », qui louaient les valeurs précédemment citées. De plus, l’engagement du mouvement est en premier lieu écologique, tel que nous le montre un dossier de presse de l’association grenobloise Hadra : 47 Source adaptée : Encyclopédie en ligne Wikipédia. Source adaptée : Encyclopédie en ligne Wikipédia. 49 Ils se définissaient en tant que tel. 48 - 17 - « Nous travaillons sur le long terme avec des associations de prévention (Aides : pour la prévention de l’usage de stupéfiants, La Frapna50 : pour la prévention et le respect de l’environnement,...) qui s’installent le temps de l’événement sur le lieu des festivités où des professionnels compétents s’engage à sensibiliser et à informer sur des sujets délicats. » Les festivals proposent un tri des déchets, des toilettes sèches, des cendriers portables sont donnés à l’entrée, la nourriture et les boissons vendues sur les lieux des évènements sont en grande partie biologiques. Et enfin, « en général, les gens font gaffe à la nature » nous affirmait DJane S. Nous constatons donc qu’un grand travail est fait afin de préserver l’environnement, cependant, la création d’un village, voire d’une ville (de 10 000 à 50 000 personnes) dans la nature pose des problèmes considérables : sonores (par exemple, la Frapna affirmait que certains oiseaux en période de nidification, présents sur les lieux du festival Hadra fuyaient à cause du volume sonore, et abandonner leurs oisillons), de dégradations (piétinement du terrain), sanitaires mais aussi de déchets (mégots de cigarettes, bouteilles…). Ainsi, les valeurs hippies ne sont pas respectées par certaines personnes qui viennent plus en consommateurs, comme nous le soulignait DJ M. Celui-ci prend l’exemple d’un des plus grands festivals de psytrance au niveau planétaire, le Boom Festival au Portugal (26 000 personnes en 2010), où les tentes étaient laissées sur place à la fin de l’évènement, celles-ci étaient même parfois, toujours selon DJ M., utilisées en tant que sanitaires, « c’était une vraie déchetterie » a-t-il affirmé. Une alternative qui réduit ces problèmes environnementaux est mise en œuvre en Suisse par le Somuna Festival : celui-ci opte pour une limitation des entrées et n’a lieu que tous les deux ans pour minimiser l’impact environnemental, qui est inévitable, même si tous les efforts sont fournis de la part des organisateurs. Enfin, une dernière forme d’engagement discernée au sein du mouvement est celle « anti-commerciale » : tous les labels de trance psychédélique sont indépendants, et ne dépendent d’aucune grande compagnie d’industrie du disque. Cette tendance de musique underground pose problème aux grandes maisons de production, qui voient s’échapper des profits. 50 La Frapna (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature) est une association Loi 1901 comprenant 47 000 adhérents, pour la protection de la nature et de l’environnement. - 18 - III. Enseignements, contraintes, intérêt et perspectives Nous avons choisi de commencer notre enquête dans un club privé lyonnais51, à la Croix-Rousse. C’est à partir de ce lieu que nous avons eu des informations sur d’autres évènements tels que les festivals. Nous y avons aussi rencontré les DJs qui nous ont permis de mûrir notre compréhension du terrain. En outre, nos expériences empiriques personnelles52, dans les festivals français et suisse, ont nourri notre réflexion et enrichi notre analyse. Grâce à cette étude, nous avons pu sur le terrain nous défaire de préjugés antérieurs : ces milieux ne pouvait pas simplement être réduit à la vision caricaturale : musique électronique = consommation de substances illégales. Nous avons aussi appris que ce mouvement est très complexe. En effet, il peut être qualifié de microsociété, elle-même composée de sous-groupes. Les sous-groupes qui forment cette dernière sont extrêmement divers, dynamiques et cosmopolites, mais la cohésion sociale y est généralement de rigueur et nombre d’idéaux y sont collectivement partagés, ce qui légitiment cette appellation. Un autre enseignement plus centré sur l’individu concerne la quête de liberté manifeste, par opposition à une société toujours plus sécurisée, ainsi qu’une responsabilisation et une conscience écologique marquées chez les personnes réellement engagées dans le mouvement (organisateurs, artistes, associations…). En outre, nous avons pu distinguer que c’est un mouvement en gestation « rapide », tant dans le contenu de la musique53, que dans les idées véhiculées par ses membres, qui ont un effet concret dans l’évolution globale de ce mouvement cosmopolite et international. Les informations circulent entre les membres par des moyens qui n’existaient pas à ses débuts. Ceux-ci accélèrent la diffusion d’idées et de pratiques nouvelles – pour beaucoup déviantes ou marginales. Nous pouvons ici parler d’un réseau : les membres sont généralement actifs sur les réseaux sociaux et forums internet (ou Agora virtuelles). Ils peuvent donc être en relation à tous moments grâce à la toile : ils y échangent des idées et des informations, partagent des photos, annoncent des parties à venir, organisent des déplacements en co-voiturage vers les évènements, font des rapports de parties, sans omettre les critiques… 51 Feeling Club, qui est une salle équipée, à louer. Rencontres, discussions, échanges… 53 Nouvelles techniques, nouveaux logiciels, nouvelles machines, etc. ici, la musique évolue au rythme de l’évolution technologique. 52 - 19 - La seule contrainte qui s’est imposée à nous concerne le contexte de certains entretiens. Echanger avec une DJ pendant une party ne fut pas aisé : la musique était forte, nous n’avons donc pas pu saisir toutes les subtilités de la discussion. Nous nous sommes donc rendu compte que le contexte des entretiens est très important et influence le contenu et la qualité des informations transmises. A travers cette enquête multisituée (ou multi-sites), nous pensons avoir ouvert des piste prometteuses sur un sujet jusqu’alors très peu abordée en anthropologie et dont l’évolution rapide nécessite des mises à jour permanentes. Le mouvement de la trance psychédélique, en perpétuelle gestation pendant sa courte histoire (deux décennies) et en pleine expansion, représente un mouvement d’ampleur mondiale. Il est l’une des signatures de la création artistique moderne qui a influencé les générations des années 200054. Il serait intéressant d’étudier l’influence qu’a ce mouvement au delà de ses limites, sur l’ensemble de la société : est-il porteur d’idéaux applicables à une plus large échelle ? Une révolution pour le retour de « l’humanité » et de la « vie » sur la planète ? Ou un simple phénomène musical ayant trahi les idéaux fondateurs ? 54 Nous distinguons ici la Goa-trance, qui n’a eu qu’un faible rayonnement, et la trance psychédélique en général, qui est devient un phénomène de masse. - 20 - Annexe i. Bibliographie Ouvrages : Becker, Howard. Outsiders. A.M. Métailié, 1963. 248 p. Mabilon-Bonfils, Béatrice. La fête techno. Tout seul et tous ensemble. Editions Autrement, 2004. 173 p. Racine, Etienne. Le phénomène techno. Clubs, raves, free-parties. Editions Imago, 2004. 237 p. Vaudrin, Marie-Claude. La musique techno ou le retour de Dionysos. L’Harmattan, 2004. 159 p. Ray, Paul & Anderson, Sherry. L’émergence des créatifs culturels. Yves Michel, 2001. 512 p. Articles : Boutouyrie, Eric. Goa aux portes des métropoles. Communautés transnationales et musique techno. Volume !, 2009, n°6, p. 123-133. Coste, Florent. Fossier, Arnaud. Mondémé, Thomas. This is not just music, it’s techno. Tracés. Revue de Sciences humaines, 2009, n°16, p. 249-263. Dreyer, Coralie. Promouvoir la culture trance. Gre City Local News, 2011, Hebdomadaire Province, p. 16. Kapchan, Deborah, The Festive Sacred and the Fetish of Trance, Gradhiva, 2008, n°7, p. 52-67. Kosmicki, Guillaume. Transe, musique, liberté, autogestion, Cahiers d’ethnomusicologie, 2008, n°21, p. 35-49. Méloni, Jean-Paul. Entre ombre et lumière : la rave. Le Portique, 2002, n°10, p. 2-13 Queudrus, Sandy. La free-party, Ethnologie française, 2002, n°32, p. 521-527. Tellier, Pierre. Les zippies s’extasient. Télérama, 2011, Hebdomadaire Paris, ODJ : 691086. - 21 - Sites Web : Psytrance Passion. [En ligne]. Histoire de la psytrance. [Page consultée le 6 mars 2012]. Disponibilité et accès : http://www.psytrancepassion.com/categorie- 768822.html. Hadra. [En ligne]. Site de l’association Hadra. Une décennie de trance psychédélique. [Page consultée le 6 mars 2012]. Disponibilité et accès : http://www.hadra.net/music/psytrance.php#decade. II. Lexique Acid : Adjectif. 1) Son caractéristique, plainte sonore aigue changeant de timbres produite par un instrument musical électronique datant du début des années 80 (TB 303 Roland). 2) Ajouté au nom d’une musique, l’adjectif signifie contenant des sons acides (Acid Trance). Ambient : musique électronique douce, planante, d’environ 120 BPM. Autogestion : (du grec autos « soi-même » et du latin gestĭo, « gérer ») est le fait, pour un groupe d’individus ou une structure considérée, de prendre les décisions concernant ce groupe ou cette structure par l’ensemble des personnes membres du groupe ou de la structure considérée. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) BPM : de l’anglais, « beats per minute » ou battements par minutes. C’est le tempo du morceau, c’est-à-dire le nombre d’unité par minutes du rythme du morceau. La trance : entre 130 et 170 BPM. La classification par BPM est donc aléatoire. Bassline : La bassline est la ligne de basse d’une musique. Elle peut être très grave et rapide, notamment pour la dark psytrance, mais aussi plus aiguë et lente pour la progressive trance, ou la full-on morning par exemple. Black-light : De l’anglais, la lumière noire, faisant ressortir toute forme de couleurs fluorescentes, ainsi que le blanc. Chill-out : de l’anglais, « to chill out », se détendre. Espace utilisé dans une party pour se refroidir. Cohésion sociale : état de bon fonctionnement de la société (ici, du groupe) où s'exprime la solidarité entre individus et la conscience collective. (Durkheim, 1893) - 22 - Commercial : deux sens : 1) appliqué à la musique, elle concerne à la fois sa forme et sa modalité de diffusion. 2) Musique composée de sons, d’effets et de phrases rythmiques considérées comme stéréotypées. Dance-floor : très utilisé, piste de dance. DJ : abréviation de disc-jockey. Acteur qui joue des musiques qu’il n’a pas composé, faisant des transitions entre ces musiques et leur ajoutant des effets. DJane : féminin de DJ. Dub : genre musical issu du reggae jamaïcain, un remixage réalisé en temps réel à partir de bandes magnétiques. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) Ethnicité : « la manière dont les acteurs sociaux pensent les divisions et les inégalités sociales en termes d’appartenance et de différenciation ethnique » (Géraud, Leservoisier, Pottier, Les notions-clés de l’ethnologie, 2006 : 66). Festoch : terme emprunté au langage courant, abréviation de festival. Free-party : fête gratuite, le plus souvent clandestine et illégale. Groupe social : unités d'observation restreintes qui peuvent être soumises à une investigation totale : celles qui se situent dans le champ de la psychologie sociale (…), et celui de l'anthropologie sociale, toujours employée à l'examen de petites communautés et de sociétés de taille réduite. (Encyclopédie Universalis, Balandier, Chazel, article sur le « Groupe Social »). Ensemble de personnes ayant des caractéristiques ou des buts communs. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) Hippie : Adepte aux États-Unis puis en Europe occidentale, d'une éthique fondée sur le refus de la société de consommation qui s'exprime, dans la non-violence, par un mode de vie non conventionnel. Étymol. et Hist. Mot anglo-amér. hippie ou hippy attesté depuis 1953 et dont l'usage s'est largement répandu dans les années 60. Ce terme étant dér. du mot anglo-amér. argot hip, hep « au courant, dans le coup, à la dernière mode ». (Adapté du TLF) House : musique techno caractérisée par l’utilisation de sons acoustiques issus de musiques noir américaines : funk, soul. Apparue aux Etats-Unis en 1984. Label indépendant : structure de production de disques indépendante des grandes compagnies de l'industrie du disque. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) - 23 - Light Art : forme d’art visuel où la principale expression et le but est la lumière. Combinaison de black lights, de lasers, de stroboscopes… Il comprend aussi la performance du VJ. Line-up : ordre dans lequel les DJs et les lives apparaissent pour jouer pendant la party ou le festival. Live act : prestation musicale effectuée en direct à partir d’instruments électroniques. Loop : de l’anglais, boucle. Répétition d’une séquence musicale. Microsociété : milieu social fonctionnant selon ses règles propres, sans tenir compte de la société environnante. (Source : Dictionnaire Larousse) Party : de l’anglais, fête, très employé par les membres du mouvement psytrance. Ici en tant que « fête psytrance ». Produit psychoactif : produit modifiant l’état psychique et/ou physique. Cette appellation dans le champ de la santé publique remplace progressivement celle de drogue (elle inclut les produits illégaux et légaux : tabac, alcool, médicaments…). Psytrance : abréviation de psychedelic trance, ou trance psychédélique. Rave : Le verbe anglais « to rave » peut se traduire par « délirer », « divaguer » ou « s'extasier ». Le terme « rave » a été utilisé pour désigner une fête (party) dès les années 1960 à Londres par les descendants des immigrants venus des Caraïbes ; il fut ensuite repris dans les années 1980, lors de la naissance de l’Acid house à Chicago et en Grande-Bretagne, à Goa, Ibiza et Israël ensuite. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) Sample : durée sonore d’une à quinze secondes en général. Autrement dit, c’est un échantillon de musique. Set : un set est la prestation effectuée par un DJ (DJ set). Techno : désigne ici l’ensemble de la musique fabriquée à l’aide de machines électroniques, comme le sampler et la boite à rythme. Tekos : abréviation de teknival. Teknival : festival techno dont l’animation est fait par les set des différents DJs présents, ils sont gratuits, illégaux (et plus rarement légaux), sans organisation officielle, durant entre 3 et 10 jours. Teuf : verlan de fête, mot souvent employée pour désigner une fête techno. Teufeur : participant d’une teuf. - 24 - Trance psychédélique : forme de trance (style de musique électronique) apparue au début des années 1990 à Goa, Inde, d'où le nom de "Goa" ou "Goa-trance" donné au départ à ce courant musical. La trance psychédélique est caractérisée par un rythme rapide, dans la gamme des 125 à 160 BPM, contrairement à l'ambient et à d'autres formes de techno. Ses basses sont fortes, sans interruption, pouvant varier et recouvertes par beaucoup d'autres rythmes et parfois des sons « acid ». (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) Travellers : se dit des individus qui voyagent et organisent de-ci de-là des fêtes techno illégales. Les premiers travellers sont les Spiral Tribe, qui ont fui l’Angleterre en 1990 pour éviter les sanctions pénales. Underground : 1) Différent de commercial. 2) Un espace culturel marginal, non ou pas encore reconnu par le grand public. De l’anglais, souterrain. VJ : abréviation de vidéo-jockey. C’est la personne chargée des animations et des éléments visuels d’une fête. - 25 - III. Quelques images : France, Hongrie, Suisse et Portugal Image 1 : Les décorations du Hadra Trance Festival V (2011), à Lens-en-Vercors, dans le massif du Vercors près de Grenoble. Ce festival est l’un des 5 plus grands festivals de trance psychédélique en Europe, il a rassemblé plus de 10.000 personnes en 2011. Image 2 : Lunarave, Hadra Trance Festival V - 26 - Image 3 : Hilight Tribe, Hadra Trance Festival V Image 4 : Le O.Z.O.R.A. Festival 2011 en Hongrie, accueillait plus de 30.000 personnes cette même année. - 27 - Image 5 : Décoration black light, O.Z.O.R.A. Festival 2011 Image 6 : Le Somuna Festival 2010 dans les alpes Suisses. Ce festival n’a pas la même politique que les autres dans le sens où le nombre de personnes est limité à 2000. Les principes « néo-hippies » y sont bien représentés. - 28 - Image 7 & 8 : Freedom Festival 2011 au Portugal. Image 7 : dance floor ; Image 8 : chill-out floor. - 29 - Image 9 : Symbole Om, Aum ou encore Ohm, syllabe sanskrite. Cette syllabe est considérée comme le son originel, primordial, à partir duquel l'Univers se serait structuré. (Source : Encyclopédie en ligne Wikipédia) Image 10 : Pochette d’album de Goa-trance illustrant la présence de la culture indienne au sein du mouvement. - 30 -