pervers de leurs acquis et devant la difficulté de penser une société
véritablement égalitaire, et épuisées par la multiplication des luttes
qu’elles doivent mener seules, les féministes sont, de leur propre aveu, à
bout de souffle. Elles ressentent le besoin de recentrer leurs énergies et
de prendre la mesure du chemin parcouru. Doivent-elles poursuivre les
mêmes objectifs qu’à l’origine ?, se demandent-elles. Et quels étaient ces
objectifs ?
C’est dans ce contexte qu’en octobre 1981
2
, la revue Sociologie et
sociétés fait paraître un numéro intitulé Les femmes dans la sociologie.
Quatorze femmes sociologues
3
, toutes ouvertement féministes, y
présentent, dans onze textes, leur vision de la sociologie féministe au
terme de la décennie 1970-1980. La relecture de cette véritable synthèse
collective, près de 30 ans plus tard, permet de comprendre certains
éléments de la démarche et de la réflexion de ces femmes qui vivent alors
au quotidien les luttes féministes. Ces éléments de réflexion, offerts par
ces femmes aux points de vue parfois divergents, mais toujours assumés,
permettent aujourd’hui de répondre, au moins en partie, aux questions
exigences et aux critères des institutions sociales telles que l’université, les médias et
le gouvernement afin d’obtenir, de leur part, subventions, connaissance et exposure?
Ou faut-il, au contraire, laisser ces luttes se déployer « sur le terrain », dans toute leur
spontanéité et leur diversité, près des personnes qu’elles concernent, et ainsi leur
conserver leur sens de « mouvement social »? La question est débattue par les
auteures de Les femmes dans la sociologie et bien qu’il ne fasse aucun doute que le
féminisme, en 2010, est au moins partiellement institutionnalisé, elle continue de l’être
aujourd’hui. J’y reviens plus loin.
2
Ce texte est écrit au présent. Toutefois, les opinions et les faits qui y sont recensés
sont ceux de 1981.
3
Les femmes sociologues ne sont pas nécessairement féministes. J’emploie le terme
« femme sociologue » pour désigner toute femme qui fait profession dans le domaine
de la sociologie, en posant l’hypothèse, à l’instar des auteures de Les femmes dans la
sociologie, que le seul fait d’être femme apporte quelque chose de différent à la
pratique de cette profession.