
Louis Stanislas Duménil.
La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - no 10 - décembre 2013 | 307
Résumé
L’histoire des neuropathies périphériques débute au milieu du xix
e
siècle. C’est à Louis Stanislas Duménil (de
Rouen) que revient le mérite d’avoir le premier apporté la preuve histopathologique de la responsabilité
d’une lésion nerveuse périphérique dans un tableau d’atteinte diffuse neuromusculaire. Par la suite, d’autres
auteurs, notamment de langue allemande, ont pu confirmer l’origine périphérique de la névrite multiple.
Mots-clés
Neuropathies
périphériques
Névrite multiple
Duménil
Landry
Summary
The story of peripheral nerve
disorders begins at the mid-
nineteenth century. Louis
Sta nislas Duménil, from
Rouen, was the first physician
to establish a strong relation-
ship between a generalized
neuromuscular disorder and
histopathological lesions of
the peripheral nerves. Later
on, others authors, generally of
German language, confirmed
the peripheral nerve origin of
the multiple neuritis.
Keywords
Peripheral nerve disorders
Multiple neuritis
Duménil
Landry
ensuite gravir les échelons, chef du
service de chirurgie jusqu’en 1883,
et enfin professeur de clinique
externe jusqu’à sa mort en 1890.
Il était contemporain de Gustave
Flaubert, dont le père, Achille-
Cléophas, était chirurgien
chef de l’hôtel-Dieu, où il
résidait et où Gustave est
né en 1821. Si Duménil est
bien le premier à apporter
la preuve anatomique d’une
lésion étendue des nerfs responsable de la névrite
disséminée, d’autres avant lui avaient soupçonné
que des maladies neuromus culaires pouvaient être
dues à une atteinte nerveuse périphérique.
Robert J. Graves, physicien anglais né à Dublin,
professeur à l’institut de médecine au collège
irlandais des physiciens à Dublin, a délivré ses
“clinical lectures” à partir de 1843. Il fut sans doute
le premier à incriminer une lésion nerveuse périphé-
rique dans les cas de névrite multiple, terme qui
n’était pas encore utilisé à cette époque. Mais ses
intuitions venaient d’observations de patients vus
à Paris, en collaboration avec le Français Auguste
François Chomel au moment d’une “épidémie” de
névrites survenue en 1828. Le symptôme principal de
cette épidémie était l’existence de douleurs des pieds
et des mains. Une origine toxique fut suspectée. La
plupart des patients récupéraient. Deux cas mortels
furent autopsiés sans que l’on puisse trouver la cause
de la maladie. Les nerfs et la moelle furent pourtant
examinés, mais les résultats furent négatifs. Malgré
cela, Chomel considérait que la pathologie devait
résider dans la moelle ou dans les nerfs périphé-
riques. Graves, dans ses lectures de 1843, devant la
négativité des résultats autopsiques sur la moelle,
conclut que la maladie résidait probablement dans
les nerfs périphériques. Pour l’anecdote, Graves est
l’inventeur de l’aiguille des secondes sur les montres.
Ce qui montre que beaucoup de médecins de cette
époque avaient des capacités qui dépassaient le
simple cadre de la médecine…
La preuve de l’origine périphérique de ces névrites
ne devait arriver que 20 ans plus tard, avec
Duménil. Mais qu’en était-il des connaissances sur
le système nerveux périphérique à cette époque ?
Moritz Heinrich Romberg (1795-1873), professeur
de pathologie à Berlin, dans ses ouvrages sur le
système nerveux parus entre 1840 et 1846, décrivit
de nombreuses affections des nerfs périphériques.
Augustus Volney Waller (1816-1870) décrivit en 1850
les effets de la section des nerfs glosso pharyngien et
hypoglosse chez la grenouille. Il observait la dégéné-
rescence de la partie distale du nerf, alors que la
partie proximale demeurait intacte. Le terme de
dégénérescence wallérienne perdurera pour désigner
les conséquences sur le bout distal de la section ou
de la compression d’un tronc nerveux.
L’autre date importante est 1859, année où paraît
l’article de Jean Baptiste Octave Landry (1826-
1865) dans la Gazette hebdomadaire : “Note sur la
paralysie ascendante aiguë”. Landry rapporte 10 cas
de paralysie ascendante aiguë, dont un personnel
avec autopsie. Dans 8 cas, la maladie s’est terminée
par la guérison. Dans le cas autopsié, la moelle
épinière et les muscles paralysés paraissaient intacts.
Le tableau clinique était assez stéréotypé, caractérisé
par une extension rapide des paralysies centripètes
aiguës. Les troubles sensitifs étaient soit absents soit
modérés. Beaucoup crurent que cette affection n’était
qu’une des formes de la myélite, qui commençait
seulement à être étudiée de façon rigoureuse. Landry,
originaire de Limoges, est reçu à l’internat de Paris
en 1849, et s’installe dans la capitale, où il exerce
auprès d’une clientèle très huppée. Il se spécialise
dans les maladies nerveuses. Malheureusement, il
meurt du choléra en 1865, tandis qu’il soignait les
patients atteints. Dans les Archives générales de
médecine, Pellegrino Levi rapporta, en 1865, un cas
typique avec extension foudroyante des paralysies
qui aboutit à la mort en 7 jours. L’autopsie faite
avec soin par le Dr Cornil ne montra aucune lésion
de la moelle épinière. Levi relate aussi la mort de
l’illustre Cuvier dans les mêmes circonstances, en
1832. Dans ce dernier cas également, on pensait
qu’il devait y avoir une lésion organique ou une
compression de la moelle, mais l’autopsie ne révéla
aucune lésion médullaire. Ollivier d’Angers rapporte
lui aussi, dans son Traité des maladies de la moelle
épinière (1827), des observations semblables à celles
de Landry. Il faudra encore beaucoup de temps
avant que la physiopathologie de cette affection
ne soit élucidée, comme nous le verrons plus loin.