L’ Histoire des neuropathies périphériques : première partie

306 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle Vol. XVII - no 10 - décembre 2013
MISE AU POINT
Histoire des neuropathies
périphériques : première partie
History of peripheral neuropathy: first part
P. Bouche*
* Département de neurophysiologie
clinique, hôpital de la Pitié-Salpê-
trière, Paris.
L’émergence, dans la littérature médicale, de
l’individualisation de la névrite multiple, ou
polynévrite, a été tardive par rapport à celle
des affections du système nerveux central et des
maladies de la moelle épinière. Pour ces dernières, le
démembrement était déjà bien avancé au moment
des premières publications sur les névrites dissé-
minées. C’est à Duménil que l’on doit les premières
observations avec vérification anatomique des
névrites disséminées responsables d’une atteinte
sensitive et motrice étendue aux 4 membres.
Ces observations surviennent à un moment guère
propice pour en tirer toutes les conséquences pour
la pathologie neurologique, d’autant que Duménil
n’avait pas l’aura des grands médecins de l’époque,
parisiens ou provinciaux tels Charcot, Pitres, Jaccoud,
Vulpian… Il est d’ailleurs assez curieux de constater
que ce sont surtout les auteurs anglo-saxons qui ont
accordé à Duménil la paternité de cette découverte.
Le dogme selon lequel une atteinte neuromusculaire
étendue était due à des lésions médullaires prévalait
largement dans les milieux médicaux importants
de l’époque.
Revenons aux observations de Duménil. La première
fut publiée dans la Gazette hebdomadaire de
médecine et de chirurgie en 1864. Il s’agissait du cas
d’un homme de 71 ans, admis à l’hôpital général de
Rouen en juin 1860, pour des sensations de picote-
ments des orteils survenues 2 semaines auparavant.
Quelques jours plus tard apparaît un engourdis-
sement du pied gauche et du bras droit, puis du
bras gauche, sans douleur. En août, les pieds sont
inertes. À l’examen, le patient présente une insensi-
bilité à la piqûre dans plusieurs zones des 2 membres
inférieurs. Les mains sont aussi partiellement
paralysées. Finalement, en septembre, l’état du
patient est particulièrement préoccupant, avec une
atteinte sensitivomotrice étendue des 4 membres
et une atrophie musculaire prononcée, surtout
sur les muscles distaux des 4 membres. La stimu-
lation faradique nentraîne aucune réponse dans
la presque totalité des muscles. Le patient meurt
de pneumonie 5 mois après son entrée à l’hôpital.
Lexamen post-mortem montre des muscles dont le
volume est diminué, mais sans inltration adipeuse.
Le cerveau, la moelle et les racines rachidiennes ne
présentent aucune anomalie. Les nerfs ne paraissent
pas anormaux, mais un examen au microscope
révèle d’importantes modications, notamment
une atrophie de la substance médullaire des tubes
nerveux périphériques. L’examen a été réalisé par
le docteur Ponchet.
En 1866, toujours dans la Gazette hebdomadaire,
Duménil rapportait 3 nouveaux cas, dont 1 eut
une vérication anatomique, celui d’une patiente
de 36 ans, repasseuse, qui consulte en août 1860
pour des troubles sensitivomoteurs des 4 membres
apparus 1 an auparavant. Lévolution est assez rapide,
marquée par une extension des troubles à la face
et des difcultés respiratoires. La patiente meurt
par asphyxie 1 an plus tard. Lautopsie montre une
altération importante des nerfs périphériques avec
des amas de myéline fragmentée. La moelle est
également altérée, ce qui conduit les commentateurs
français à douter qu’il s’agisse d’une authentique
névrite disséminée. Les 2 autres observations, qui
n’ont pas été suivies d’une autopsie, étaient aussi des
exemples de névrite disséminée, qui furent résolus
après traitement par électricité, bains sulfureux et
frictions stimulantes sur les parties paralysées.
Qui était donc ce Duménil ? Louis Stanislas Duménil
est en 1823 à Fontaine-le-Bourg. Interne des
hôpitaux de Paris, il fait ensuite carrière à Rouen,
il est d’abord médecin adjoint de l’hôtel-Dieu, pour
Louis Stanislas Duménil.
La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - no 10 - décembre 2013 | 307
Résumé
L’histoire des neuropathies périphériques débute au milieu du xix
e
siècle. C’est à Louis Stanislas Duménil (de
Rouen) que revient le mérite d’avoir le premier apporté la preuve histopathologique de la responsabilité
d’une lésion nerveuse périphérique dans un tableau d’atteinte diffuse neuromusculaire. Par la suite, d’autres
auteurs, notamment de langue allemande, ont pu confirmer l’origine périphérique de la névrite multiple.
Mots-clés
Neuropathies
périphériques
Névrite multiple
Duménil
Landry
Summary
The story of peripheral nerve
disorders begins at the mid-
nineteenth century. Louis
Sta nislas Duménil, from
Rouen, was the first physician
to establish a strong relation-
ship between a generalized
neuromuscular disorder and
histopathological lesions of
the peripheral nerves. Later
on, others authors, generally of
German language, confirmed
the peripheral nerve origin of
the multiple neuritis.
Keywords
Peripheral nerve disorders
Multiple neuritis
Duménil
Landry
ensuite gravir les échelons, chef du
service de chirurgie jusqu’en 1883,
et enfin professeur de clinique
externe jusqu’à sa mort en 1890.
Il était contemporain de Gustave
Flaubert, dont le père, Achille-
Cléophas, était chirurgien
chef de l’hôtel-Dieu, où il
résidait et où Gustave est
en 1821. Si Duménil est
bien le premier à apporter
la preuve anatomique d’une
lésion étendue des nerfs responsable de la névrite
disséminée, d’autres avant lui avaient soupçonné
que des maladies neuromus culaires pouvaient être
dues à une atteinte nerveuse périphérique.
Robert J. Graves, physicien anglais à Dublin,
professeur à l’institut de médecine au collège
irlandais des physiciens à Dublin, a délivré ses
“clinical lectures” à partir de 1843. Il fut sans doute
le premier à incriminer une lésion nerveuse périphé-
rique dans les cas de névrite multiple, terme qui
n’était pas encore utilisé à cette époque. Mais ses
intuitions venaient d’observations de patients vus
à Paris, en collaboration avec le Français Auguste
François Chomel au moment d’une épidémie” de
névrites survenue en 1828. Le symptôme principal de
cette épidémie était l’existence de douleurs des pieds
et des mains. Une origine toxique fut suspectée. La
plupart des patients récupéraient. Deux cas mortels
furent autopsiés sans que l’on puisse trouver la cause
de la maladie. Les nerfs et la moelle furent pourtant
examinés, mais les résultats furent négatifs. Malgré
cela, Chomel considérait que la pathologie devait
résider dans la moelle ou dans les nerfs périphé-
riques. Graves, dans ses lectures de 1843, devant la
négativité des résultats autopsiques sur la moelle,
conclut que la maladie résidait probablement dans
les nerfs périphériques. Pour l’anecdote, Graves est
l’inventeur de l’aiguille des secondes sur les montres.
Ce qui montre que beaucoup de médecins de cette
époque avaient des capacités qui dépassaient le
simple cadre de la médecine…
La preuve de l’origine périphérique de ces névrites
ne devait arriver que 20 ans plus tard, avec
Duménil. Mais qu’en était-il des connaissances sur
le système nerveux périphérique à cette époque ?
Moritz Heinrich Romberg (1795-1873), professeur
de pathologie à Berlin, dans ses ouvrages sur le
système nerveux parus entre 1840 et 1846, décrivit
de nombreuses affections des nerfs périphériques.
Augustus Volney Waller (1816-1870) décrivit en 1850
les effets de la section des nerfs glosso pharyngien et
hypoglosse chez la grenouille. Il observait la dégéné-
rescence de la partie distale du nerf, alors que la
partie proximale demeurait intacte. Le terme de
dégénérescence wallérienne perdurera pour désigner
les conséquences sur le bout distal de la section ou
de la compression d’un tronc nerveux.
L’autre date importante est 1859, année où paraît
l’article de Jean Baptiste Octave Landry (1826-
1865) dans la Gazette hebdomadaire : “Note sur la
paralysie ascendante aiguë”. Landry rapporte 10 cas
de paralysie ascendante aiguë, dont un personnel
avec autopsie. Dans 8 cas, la maladie s’est terminée
par la guérison. Dans le cas autopsié, la moelle
épinière et les muscles paralysés paraissaient intacts.
Le tableau clinique était assez stéréotypé, caractérisé
par une extension rapide des paralysies centripètes
aiguës. Les troubles sensitifs étaient soit absents soit
modérés. Beaucoup crurent que cette affection n’était
qu’une des formes de la myélite, qui commençait
seulement à être étudiée de façon rigoureuse. Landry,
originaire de Limoges, est reçu à l’internat de Paris
en 1849, et s’installe dans la capitale, où il exerce
auprès d’une clientèle très huppée. Il se spécialise
dans les maladies nerveuses. Malheureusement, il
meurt du choléra en 1865, tandis qu’il soignait les
patients atteints. Dans les Archives générales de
médecine, Pellegrino Levi rapporta, en 1865, un cas
typique avec extension foudroyante des paralysies
qui aboutit à la mort en 7 jours. L’autopsie faite
avec soin par le Dr Cornil ne montra aucune lésion
de la moelle épinière. Levi relate aussi la mort de
l’illustre Cuvier dans les mêmes circonstances, en
1832. Dans ce dernier cas également, on pensait
qu’il devait y avoir une lésion organique ou une
compression de la moelle, mais l’autopsie ne révéla
aucune lésion médullaire. Ollivier d’Angers rapporte
lui aussi, dans son Traité des maladies de la moelle
épinière (1827), des observations semblables à celles
de Landry. Il faudra encore beaucoup de temps
avant que la physiopathologie de cette affection
ne soit élucidée, comme nous le verrons plus loin.
Octave Landry.
Silas Weir Mitchell.
Étienne Lancereaux.
Jean Martin Charcot.
L’infirmerie générale, service de Charcot,
aujourd’hui détruite.
Duchenne de Boulogne,
stimulation des zygomatiques
sur un patient.
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Histoire des neuropathies périphériques : première partie
MISE AU POINT
Guillaume Benjamin Armand Duchenne de Boulogne
(1806-1875), dans son traité de l’électrisation
localisée, en 1855, rattachait à une altération médul-
laire ces paralysies ascendantes à marche rapide ou
lente, d’où le terme de paralysie spinale générale
aiguë et subaiguë.
Ainsi, comme on peut le constater, les cas de
paralysies généralisées aiguës ou subaiguës, pour
l’ensemble du corps médical de cette époque,
relevaient d’altérations de la moelle, même si
celle-ci se révélait normale à l’autopsie. Il est vrai
que, dans la plupart des cas rapportés, les troubles
sensitifs étaient absents ou discrets.
On connaissait bien les paralysies du béribéri, et
de sa forme endémique japonaise, le kakke, ou
encore le rôle de l’alcool dans les paralysies des
membres (Magnus Huss, 1852). Mais il existait
quelques cas où l’origine nerveuse périphérique
avait été démontrée. Les névrites traumatiques
avaient été parfaitement décrites par Silas Weir
Mitchell (1829-1914), le plus célèbre neurologue
de son temps aux États-Unis. C’est en quelque sorte
grâce à la guerre de Sécession (1861-1865) que cette
pathologie put être étudiée de façon approfondie.
Mitchell en tirera son célèbre livre sur les blessures
des nerfs en 1872. Il montrait, comme l’avait fait
expérimentalement Waller, qu’une lésion nerveuse
pouvait entraîner une atrophie des muscles
correspondants, ainsi que des troubles sensitifs
et trophiques. Il créera à cette occasion le terme
de causalgie. Étienne Lancereaux (1829-1910),
remarquable médecin, surnommé le Sanglier
des Ardennes, décrivit l’origine pancréatique du
diabète. Il publia, en 1863, dans les Comptes-rendus
des séances et mémoires de la Société de biologie,
un cas de paralysie saturnine avec altération des
cordons nerveux et des muscles paralysés.
Charcot et Vulpian ont pu montrer, en 1863, dans
les Comptes-rendus des séances et mémoires de
la Société de biologie, que, dans un cas d’angine
diphtérique, les nerfs du voile du palais étaient très
altérés. Il s’agissait bien là d’une véritable névrite.
Malgré ces découvertes, Charcot et Vulpian nen
étaient pas moins convaincus qu’il n’existait pas de
maladie neuromusculaire généralisée qui puisse être
due à la seule lésion des nerfs périphériques. Ces
2 médecins étaient sans doute les plus éminents
de leur époque, tout du moins à Paris.
Jean Martin Charcot (1825-1893) choisit l’hospice
de la Salpêtrière pour sa dernière année d’internat,
en 1852. Il est nommé agrégé en 1860 et médecin de
la Salpêtrière en 1862. Il commence ainsi son travail
de recensement des maladies neurologiques avec son
confrère Félix Alfred Vulpian (1826-
1887), qui quittera cet hôpital en
1869. À leur arrivée, l’hospice
héberge environ 4 000 pension-
naires, dont 1 400 aliénés. Il
existe 2 grands services de
médecine, que se partagent
Charcot et Vulpian. Le service
de Charcot comprend 200 lits
occupés par des patients
présentant des maladies
chroniques, des incurables et
des invalides de toutes sortes.
Aidé de son ami Duchenne de Boulogne, il parcourt
les immenses salles de l’hospice pour étudier tous
les cas et, notamment, les pathologies neuromuscu-
laires. Duchenne utilise des appareils “électriques”,
et Charcot, la nouvelle méthode anatomo clinique
promue par Laennec (1781-1826). Dès 1866, il donne
ses premières leçons sur les maladies des nerfs.
Les moyens diagnostiques étaient à cette époque
assez limités. Létude clinique prenait alors toute
son importance. Duchenne de Boulogne utilise
son appareil pour étudier la réaction des muscles
aux courants galvaniques et faradiques, ce
qui est d’une aide très relative
pour distinguer une pathologie
spinale d’une pathologie
nerveuse périphérique. Les
études histopathologiques
étaient par contre assez
satisfaisantes. L’examen
des nerfs périphériques
bénéciait de techniques
qui sont peu différentes de
celles utilisées de nos jours.
C’est donc grâce à ces
techniques que Duménil
put démontrer l’existence
Appareil de Duchenne de Boulogne.
Jules Dejerine en 1880.
La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVII - no 10 - décembre 2013 | 309
MISE AU POINT
de véritables névrites disséminées. Son message fut-il
entendu ? Dans l’immédiat, non. Il faut peut-être
rappeler, comme l’a fait Fulgence Raymond dans
ses leçons (1895), que, jusque vers les années 1880,
le travail de rénovation qui venait de s’accomplir
d’abord dans le domaine de la pathologie de la
moelle, puis dans celui de l’encéphale et dans celui
des affections dynamiques, avait jusqu’à un certain
point détourné l’attention des médecins de l’étude
des maladies du système nerveux périphérique.
Alix Joffroy et J. Gros, en 1879, et von Leyden, en
1880, vont dénitivement conrmer la place des
névrites disséminées dans la pathologie neuro-
logique. La possibilité de voir une simple névrite
périphérique engendrer une paralysie amyotrophique
est alors formellement établie. Pourtant, Charcot fut
hostile à cette idée : “Je crois, disait-il, dans une de
ses leçons du mardi, qu’il faut faire attention à cette
tendance moderne de mettre toujours en avant les
névrites périphériques ; il y en a beaucoup trop, elles ne
peuvent pas servir aussi à expliquer les symptômes de
toutes les affections où on les trouve. Il est impossible
que des affections de formes si différentes soient toutes
commandées par une lésion organique toujours la
même : rhumatisme articulaire aigu, goutte, paralysie
ascendante aiguë ; trop de névrites périphériques.
Que s’était-il passé entre les publications de
Duménil, entre 1864-1866 et 1879-1880 ? En fait, de
nombreuses observations furent publiées, avec véri-
cation anatomique, emportant l’adhésion générale.
C’est d’abord la conrmation des lésions nerveuses
périphériques dans le saturnisme par Albert Gombault
en 1873 et dans la diphtérie par Dejerine en 1878.
C’est encore Lancereaux qui, dans son Atlas d’ana-
tomie pathologique, en 1871, relate le cas d’un
homme de 26 ans qui, à la suite d’une grande
frayeur occasionnée par un violent coup de tonnerre,
développa une paralysie des membres, d’abord
asymétrique, évoluant sur 6 mois. L’atrophie muscu-
laire était manifeste, les pieds en varus équin. Le
patient décède dans un tableau fébrile, cachectique,
et sans doute de pneumonie. L’autopsie montre
une altération marquée des nerfs, dont la myéline
était transformée en nes granulations grisâtres. La
moelle épinière est parfaitement intacte. Lancereaux
conclut que la pathogénie de cette atrophie muscu-
laire paraît exiger de nouvelles recherches. Dejerine
rapporte 2 cas de paralysie ascendante aiguë (en
1876 puis 1878), caractérisés par une paralysie avec
amyotrophie d’évolution très rapide, où les réexes
tendineux achilléens (étudiés par Wilhelm Erb) et
rotuliens (étudiés par Carl Westphal) étaient abolis.
L’autopsie ne montre pas de lésion médullaire, mais
des lésions des racines antérieures des nerfs. La
pathogénie de cette affection demeurait encore
obscure, et, selon Dejerine, une lésion médullaire
inapparente pouvait quand même en être respon-
sable. Dans son mémoire de 1879 sur les lésions du
système nerveux dans la paralysie ascendante aiguë,
Dejerine concluait ainsi : “Il existe dans certains cas
de paralysie ascendante une altération des racines
antérieures […] analogue à celle que l’on observe
dans le bout périphérique d’un nerf sectionné, [qui]
est de nature probablement inflammatoire (névrite
parenchymateuse). Nous ne croyons pas que cette
altération soit primitive, qu’elle constitue à elle seule
la lésion de la paralysie ascendante ; nous croyons
plutôt qu’elle est consécutive à une altération de la
substance grise de la moelle épinière, altération qui
est encore inaccessible à nos moyen actuels d’inves-
tigation […].
Joseph Jules Dejerine est à Genève en 1849. Il
décide d’étudier la médecine à Paris, où il arrive
le 21 mars 1871, à la veille de la proclamation
de la Commune. Il est nommé agrégé en 1886
et exerce d’abord à Bicêtre avant de rejoindre la
Salpêtrière en 1895. Il épouse Augusta Klumpke,
qui est la première femme interne des hôpitaux
et qui rédige en 1889 sa thèse sur les polynévrites.
Lœuvre de Dejerine est abondante, notamment
sur le système nerveux périphérique ; nous aurons
l’occasion d’en reparler.
Comme on peut le constater, les 2 plus grands
neurologues français de cette fin de xixe siècle ne
croyaient pas encore à l’existence autonome de
la névrite disséminée. Charcot ne disait-il pas en
1874 : “Quoi qu’il en soit, je ne sache pas qu’il existe,
quant à présent, en dehors du saturnisme, un exemple
bien avéré d’amyotrophie généralisée, relevant d’une
altération des nerfs périphériques ; je n’ignore pas
que, sous le nom d’atrophie nerveuse progressive,
Alix Joffroy.
Hermann Ludwig Eichhorst.
Histopathologie du cas d’Eichhorst.
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Histoire des neuropathies périphériques : première partie
MISE AU POINT
on a tracé la description d’une affection que carac-
tériserait une amyotrophie à évolution progressive,
provenant d’une lésion de nerfs sans participation
de la moelle épinière ; je ne vois aucun motif qui
permette de nier à priori l’existence d’une telle
affection. Mais je dois avouer que, pour le moment,
ce chapitre de nosographie me fait un peu l’effet
d’un cadre sans tableau.
C’est donc Joffroy, comme nous l’avons dit plus
haut, qui, en 1879, dans un long mémoire sur la
névrite parenchymateuse spontanée, généra-
lisée ou partielle va définitivement entériner le
concept de névrite disséminée. Il reprend le cas que
Sigismond Jaccoud avait relaté lors de ses leçons
cliniques à la Charité en 1866 : il s’agissait d’un
homme décédé à la suite d’un épisode de paralysie
ascendante. L’autopsie montra qu’il y avait bien une
névrite généralisée, mais, selon lui, qu’elle était
secondaire et produite par la compression sur les
racines nerveuses de plaques arachnoïdiennes. Gros
réfutera, en 1879, cette affirmation en rappelant
qu’il n’y avait jamais eu de cas de névrite généra-
lisée due à une compression méningée. Joffroy
rapporte une de ses observations personnelles,
en 1871, à l’hôpital Lariboisière dans le service du
Dr E. Desnos. Il s’agit encore de paralysie ascen-
dante, sans trouble sensitif. L’autopsie avait montré
la présence d’une importante altération des nerfs
périphériques caractérisée par une segmentation
plus ou moins avancée de la myéline et la présence
de granulations graisseuses plus ou moins
nombreuses. La moelle était parfaitement
normale. Joffroy rapporte ensuite l’observation
de Lancereaux que nous avons citée plus haut.
Enfin, il rapporte l’observation de E. Desnos
et A.A. Pierret, que Gros rapporte aussi dans
sa thèse. Cette fois-ci, la paralysie s’accom-
pagnait de troubles sensitifs et de douleurs.
Le décès est survenu par asphyxie 1 mois après le
début des troubles. L’autopsie a montré une névrite
interstitielle et parenchymateuse ; la moelle était
saine.
Alix Joffroy (1844-1908), professeur agrégé en 1880,
a fait une grande partie de ses études à l’hôpital de
la Salpêtrière avec Charcot. En 1869, ils décrivent
ensemble l’atrophie des cornes antérieures de la
moelle épinière dans la poliomyélite. Gros, en 1879,
dans une thèse intitulée “Contribution à l’histoire des
névrites”, rapporte les mêmes observations
que Joffroy. Il en ajoute d’autres, dont
une assez curieuse (Dr Tripier) dans
laquelle le patient présentait une
névrite très douloureuse, asymé-
trique. Un prélèvement du nerf
musculocutané par névrotomie
fut réalisé, pour soulager les
douleurs intenses ressenties
par le patient. Le nerf était
le siège d’une importante
atrophie et d’une sclérose
du tissu conjonctif. Il
s’agissait peut-être du
premier cas de biopsie
nerveuse faite du vivant du
malade. Gros rapporte aussi les cas de Duménil et
celui d’Eichhorst. Il s’agit d’un cas important par la
qualité de la description clinique de l’affection et de
l’histopathologie des nerfs périphériques.
Hermann Ludwig Eichhorst (1849-1921), élève
de von Leyden, a étudié la médecine à Berlin et
devient professeur à Iena puis directeur de la clinique
médicale de Zurich. Il rapporte, dans les Virchows
Archives de 1877, une observation remarquable sous
le nom de neuritis acuta progressiva. Il s’agissait
du cas d’une femme de 66 ans qui a présenté une
atteinte sensitive et motrice asymétrique rapidement
évolutive des membres inférieurs. Les réflexes
tendineux et la contraction électrique avaient
disparu. Dix jours plus tard, les membres supérieurs
étaient également atteints. Puis est apparue une
cécité qui a précédé de 48 heures le décès dû à une
asphyxie par atteinte probable des nerfs bulbaires.
Lexamen du cerveau et de la moelle a montré l’inté-
grité totale de ces organes. Les cellules des cornes
antérieures de la moelle étaient parfaitement
normales. Eichhorst, qui s’intéressait plus particuliè-
rement aux nerfs périphériques, prota de l’occasion
pour examiner un certain nombre de ceux-ci, qui
paraissaient à première vue sans grande anomalie,
mais qui au microscope ont montré d’importantes
altérations parenchymateuses et interstitielles,
avec accumulation de cellules lymphoïdes autour
des vaisseaux. Les bres nerveuses étaient en état
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