IMAGE COMMENTÉE Équation neuro-musculaire : steppage + troubles cardiaques = ? T. Maisonobe (département de neurophysiologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) Observation Un patient âgé de 54 ans est adressé au centre de référence des maladies du motoneurone pour l’apparition progressive, vers l’âge de 45 ans, d’un déficit moteur distal symétrique des membres inférieurs. Il se plaint de troubles de la marche, liés à un steppage sévère (2/5). Il n’a pas de troubles sensitifs, de crampes ni de douleurs. L’examen ne montre pas de pieds creux, pas d’amyotrophie péronière nette. L’électro­myogramme met en évidence une conduction motrice et sensitive normale en dehors de l’amplitude motrice distale basse sur les pédieux (0,4 mV). En détection, de la fibrillation est observée dans les jambiers antérieurs. À l’effort, les tracés sont plutôt riches et sont interprétés comme myopathiques ou “pseudo-myopathiques” dans le cadre d’une forme chronique de maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT) [figure 1]. Les CPK sont modérément élevées à 248 U/l. Comme antécédent principal, on note depuis 3 ans des troubles de la conduction cardiaque avec Flutter et bloc de branche droit. Le patient a bénéficié d’un choc électrique externe. La mère du patient, la grand-mère maternelle ainsi qu’un oncle maternel avaient également présenté des troubles de la conduction cardiaque. Une tante maternelle était morte subitement à 50 ans. Une biopsie musculaire est réalisée au niveau du jambier antérieur droit avec mise en évidence d’anomalies myopathiques non spécifiques (fibres atrophiques et hypertrophiques, quelques vacuoles bordées, des remaniements du réseau myofibrillaire), mais surtout des fibres “effacées” (figure 2) et une surcharge en desmine en immuno-histochimie (figure 3), l’ensemble étant évocateur d’une desminopathie. Une mutation du gène de la desmine vient confirmer le diagnostic. L’évolution du patient va être marquée par une insuffisance cardiaque restrictive, la pose d’un pacemaker et une extension du déficit moteur proximal aux membres inférieurs à 2/5. Maladies neuro-musculaires à rechercher devant un déficit moteur distal et une atteinte cardiaque 1. Dystrophie myotonique de Steinert ou DM1, AD – troubles de la conduction cardiaque – première cause à rechercher en priorité +++ 282 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 2. Surcharge en desmine (gène de la desmine ou de l’alpha-B cristalline) AD (très rarement AR) – troubles de la conduction cardiaque et cardio­ myopathie dilatée, parfois hypertrophique 3. Mutation de la chaîne lourde de la myosine MYH7 AD 4. Glycogénose lysosomale de type IIb (maladie de Danon), liée à l’X – cardiomyopathie hypertrophique 5. Maladies mitochondriales – cardiomyopathie hypertrophique 6. Dystrophie congénitale rétractile Emery-Dreifuss, gène de l’émerine, liée à l’X 7. Laminopathies (gène de la lamine A/C), AD – troubles de conduction cardiaques et cardio­ myopathie dilatée 8. Certaines formes rares de myopathie myofibrillaire liées aux mutations du gène ZASP Discussion Attention aux pièges diagnostiques : les myopathies distales ont souvent en électromyogramme des aspects “neuropathiques” pauvres, parfois avec ébauche de sommation temporelle, et, en raison du déficit moteur distal, sont pris à tort pour des amyotrophies spinales distales ou CMT spinaux (comme initialement dans le cas de notre patient). En électromyogramme, il ne faut pas hésiter à piquer des muscles proximaux et à rechercher attentivement des salves myotoniques vraies (importance du diagnostique de Steinert ++). Au moindre doute, ne pas hésiter à réaliser une biopsie musculaire pour rechercher une myopathie distale. La précocité de ce diagnostic est très importante pour prévenir les troubles de conduction cardiaque et les morts subites. ◾ IMAGE COMMENTÉE I M A G E S Figure 1. Détection à l’effort dans le jambier antérieur D. Figure 2. Muscle congelé, réaction oxydative NADH, fibres musculaires présen­tant des aspects dits “effacés”, correspondant à une surcharge intra­musculaire. Figure 3. Muscle congelé. Technique immuno-histochimique avec anticorps antidesmine montrant une surcharge en desmine dans certaines fibres musculaires. ▲ Figure 1 ▲ Figure 2 ▲ Figure 3 La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 | 283