dans son évolution, difficile à faire appré-
hender de façon simple. Si l’on reprend
les quatre registres précédemment discu-
tés, la schizophrénie est à chaque fois
concernée. Les inconnues scientifiques
sont aussi nombreuses que les hypothèses
étiopathogéniques, la maladie est typi-
quement égosyntone, son pronostic ainsi
que le retentissement des troubles sur
l’existence sont redoutables, et elle est
socialement très stigmatisante.
"Informer, c’est à un moment ou à un autre
évoquer un diagnostic. Et l’on voit mal
comment contourner cette annonce si l’ob-
tention du consentement aux soins et l’in-
formation délivrée à ce propos sont
conformes aux obligations réglementaires
et légales. Alors comment partager avec un
patient ou avec ses proches un savoir qui
peut paraître insupportable ? La question
de l’information au patient ne peut être
réduite à une réflexion sur les procédures.
Comme on l’a vu, elle interroge à la fois le
concept de maladie dans son rapport à la
personne, et le rapport du psychisme à la
maladie qui le conditionne. Les moyens
pouvant corrompre la fin, une annonce non
réfléchie peut annihiler ce qui la motivait ;
à savoir le souci de préserver la dignité d’un
sujet, son droit à l’information, l’optimisa-
tion thérapeutique. La plupart du temps, la
médecine française contemporaine est prag-
matique, mais encore grandement influen-
cée par sa tradition paternaliste.
L’information délivrée est individuelle,
modulée par le cas clinique, le degré de luci-
dité estimé du patient, le savoir et l’expé-
rience du praticien. Le médecin attend de la
personne malade qu’elle lui délègue une part
de son pouvoir sur soi, laquelle lui sera res-
tituée au fil de la relation et de l’évolution.
"Le malaise éprouvé par de nombreux pra-
ticiens à communiquer au patient un dia-
gnostic, dès lors qu’on entre dans le champ
des troubles sévères de la personnalité ou
des psychoses, se dissipe sur une langue de
bois bien patinée. Dépression et angoisse
sont devenues des termes génériques qui
recouvrent en apparence la quasi-totalité de
l’activité soignante en psychiatrie. Face à
un patient un peu insistant pourra être évo-
qué “un épisode psychotique aigu”, en pre-
nant soin d’évacuer ce qui concerne l’état
résiduel ou la chronicité. Plus subtil est le
non-démenti face aux patients qui lancent
des affirmations interrogatives telles que :
Je suis probablement schizophrène, Doc-
teur… Notons que l’industrie pharmaceu-
tique, à laquelle il est demandé beaucoup
de rigueur et de transparence, prolonge
cette ambiguïté en délivrant des informa-
tions fantaisistes sur les notices d’accom-
pagnement des neuroleptiques. Les
exemples sont nombreux où la notice men-
tionne que le médicament est un neurolep-
tique prescrit dans “certains troubles de
l’humeur”, alors que le Vidal retient l’indi-
cation du traitement au long cours des états
psychotiques chroniques, lesquels sont cités.
"Le préalable à l’information est l’instal-
lation d’une relation dynamique et durable,
dans un cadre permettant d’accueillir et
d’associer ceux qui seront engagés dans les
alliances nécessaires au soin. L’information
proprement dite, dont la communication du
diagnostic, peut alors se faire.
Les procédures existantes visent essentiel-
lement les patients schizophrènes. Elles sont
conçues comme des processus éducatifs,
interactifs, progressifs et élargis à l’entou-
rage. Certaines sont très formalisées et uti-
lisées couramment, principalement en Amé-
rique du Nord mais aussi en Europe (3).
Beaucoup de travaux soulignent l’intérêt thé-
rapeutique des programmes d’information
adressés aux familles, et l’UNAFAM y est
associée de façon active (4). Ce sont d’abord
les symptômes qui sont évoqués avec un
repérage séméiologique classique. Ensuite
est présenté le regroupement syndromique
ou l’entité pathologique concernée. Dans le
cas de la schizophrénie, l’accent est mis sur
la pluralité des formes cliniques, ce qui per-
met la “déstigmatisation”. Des informations
concernant le mode de vie, les risques à évi-
ter (toxiques…) sont dispensées. L’informa-
tion sur les thérapies et les traitements médi-
camenteux se veulent pédagogiques.
La “déstigmatisation” du patient schizo-
phrène n’est pas acquise, et il faudra
attendre un peu pour juger des bienfaits des
programmes d’information. En revanche,
l’information potentialise les thérapeu-
tiques et améliore le pronostic. Les traite-
ments précoces, réguliers et prolongés
entraînent une réduction symptomatique
plus nette et plus rapide, une moindre fré-
quence des rechutes et des hospitalisations,
un moindre handicap et peut-être une
meilleure insertion. Le traitement médica-
menteux ne pourra être accepté et suivi au
long cours par un sujet souvent jeune que
si celui-ci a bénéficié d’une information
circonstanciée dans le cadre d’une alliance
thérapeutique. Il semble que l’arrivée de
nouvelles molécules antipsychotiques effi-
caces et remarquablement tolérées facili-
tera désormais la tâche.
E. Hirsch (5), directeur de l’Espace éthique
de l’AP-HP, familier de ce débat, replace la
question de l’information dans une pers-
pective diachronique et relationnelle et sou-
ligne le danger de l’annonce à tout prix :
“La question ne consiste donc pas à se
demander s’il convient ou non de restituer
une information, mais selon quelles moda-
lités, en fonction de quels objectifs visés
(…) La valeur d’une annonce se situe pour
beaucoup dans la qualité de la réponse que
l’on produit et assume, ne serait-ce que pour
limiter l’insupportable confrontation avec
une mise en cause à ce point flagrante. (…)
En soi, la vérité n’a de signification, de per-
tinence, qu’inscrite, intégrée, vécue et par-
tagée à travers une relation maintenue, tou-
jours possible et porteuse de projet, de
réciprocité. S’affirmer en charge, en res-
ponsabilité d’une vie humaine, c’est accep-
ter d’assumer, au-delà de toute rhétorique
ou parodie, des devoirs d’humanité qui ne
peuvent jamais se satisfaire d’une parole de
renoncement ou d’évitement. Force est
d’affirmer, ici, que la vérité renvoie au
courage d’être présent à l’autre dans son
attente humaine, donc à cet effort de per-
ception, et plus encore de considération. Il
m’arrive même de concevoir, dans certaines
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les hommes
Les mots et les hommes