Médecine
& enfance
CAS CLINIQUE
Vous êtes appelé à voir un garçon de
vingt-cinq mois qui refuse de marcher.
Il s’agit du premier enfant d’un couple
non consanguin. La grossesse et l’accou-
chement étaient sans particularité. L’en-
fant a commencé à marcher vers onze
mois. Son développement psychomo-
teur est normal.
Depuis deux jours, il se plaint de dou-
leurs dans les jambes et refuse de
mettre ses chaussures. Depuis ce matin,
il refuse de marcher. Il n’a pas eu de
fièvre. Il n’est pas tombé et n’a pas eu de
traumatisme. Il a eu une ou deux
« fuites urinaires » alors que cet enfant
est habituellement propre. A son arri-
vée aux urgences, il a été vu par l’ortho-
pédiste, qui a éliminé une cause os-
téoarticulaire. En débutant votre exa-
men, vous voyez un petit garçon sou-
riant, qui est assis et se laisse examiner.
Lorsque vous touchez ses jambes, il se
plaint de douleurs. Vous essayez de le
faire marcher, mais les douleurs ne
vous permettent pas d’évaluer s’il existe
un déficit musculaire.
Quelle est votre première hypothèse
diagnostique?
La présentation clinique est typique
d’une polyradiculonévrite aiguë ou syn-
drome de Guillain-Barré. Contraire-
ment aux adultes, les enfants se plai-
gnent en premier lieu de douleurs des
membres inférieurs. Le déficit moteur
arrive souvent dans un deuxième
temps. Le diagnostic différentiel sur le
plan neurologique est une myélite ai-
guë. Dans le cas des myélites, la posi-
tion assise est difficile en raison d’une
raideur et de douleurs rachidiennes.
Que recherchez-vous à l’examen
clinique?
L’examen clinique se focalise d’abord
sur les réflexes ostéotendineux. Une
aréflexie ostéotendineuse est un argu-
ment clinique important. La présence
initiale de symptômes vésicosphincté-
riens (premières quarante-huit heures)
est possible dans les polyradiculoné-
vrites aiguës, mais ils doivent dispa-
raître au cours de l’évolution. Sinon il
faudra évoquer une myélite. Dans ce
cas, l’examen clinique est différent : il
trouve un syndrome pyramidal avec des
réflexes vifs et éventuellement un signe
de Babinski ; dans la phase déficitaire
aiguë des myélites, une aréflexie est
parfois observée. Des signes vésico -
sphinc tériens sont fréquents et peuvent
persister de façon prolongée.
A côté des éléments diagnostiques en
faveur d’un syndrome de Guillain-Bar-
ré, il faut rechercher des signes de gra-
vité. Le pronostic du syndrome de
Guillain-Barré à la phase aiguë est lié
essentiellement à l’atteinte respiratoire
et de la déglutition. La présence de
fausses routes et le réflexe nauséeux
doivent donc être recherchés. L’inges-
tion d’eau est une méthode plus sen-
sible pour trouver des fausses routes
que l’ingestion d’aliments mixés ou en
morceaux.
Quelles investigations demandez-
vous?
Une ponction lombaire et un électro-
myogramme avec mesure des vitesses
de conduction nerveuse sont demandés.
L’analyse cytologique et biochimique
confirme le diagnostic. On retrouve peu
ou pas de cellules dans le LCR alors que
les protéines y sont augmentées. Il s’agit
de la classique dissociation albumino -
cytologique.
L’examen électrophysiologique recher -
che un bloc de conduction nerveuse
proximal complet ou partiel. La mesure
des vitesses de conduction objective le
plus souvent une atteinte démyélinisan-
te avec un allongement des latences de
l’onde F (témoin de l’atteinte proxima-
le). Dans de rare cas, il peut s’agir d’une
polyradiculonévrite aiguë axonale. Ces
formes sont de moins bon pronostic
avec un risque de séquelles au long
cours.
(Pour les éléments sur les myélites, voir
la discussion après le cas clinique.)
NEUROLOGIE
Rubrique dirigée par S. Auvin
Refus de la marche
S. Auvin, service de neurologie
pédiatrique et des maladies métaboliques
hôpital Robert-Debré, Paris
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Le diagnostic suspecté étant confirmé,
quel traitement débutez-vous?
Le traitement du syndrome de Guillain-
Barré consiste en l’administration intra-
veineuse d’immunoglobulines polyva-
lentes. On administre le plus souvent
1 g/kg/j deux jours de suite.
CONDUITE À TENIR DEVANT
UN REFUS DE LA MARCHE
PENSER D’ABORD AUX CAUSES
ORTHOPÉDIQUES
Devant un refus de la marche, il faut en
premier lieu évoquer une cause locale
et une cause orthopédique, même si
dans ce type de causes les difficultés
sont asymétriques et sont plutôt respon-
sables de boiterie que de refus de la
marche. Parmi les causes locales, on re-
trouve des chaussures trop petites, une
ou plusieurs verrues plantaires, une
écharde passée inaperçue…
On passe ensuite en revue les causes os-
téoarticulaires : arthrite et ostéoarthri-
te, synovite aiguë transitoire, ostéo-
chondrite… L’évaluation des données
de l’anamnèse et de l’examen clinique
indiquera s’il faut réaliser un bilan bio-
logique, une échographie, une radiogra-
phie ou une scintigraphie osseuse…
ORIENTATION NEUROLOGIQUE
L’atteinte symétrique de la motricité ou
la présence de symptômes neurolo-
giques doivent faire évoquer une cause
neurologique. Mais ces éléments ne
sont pas pathognomoniques d’une at-
teinte neurologique. Les deux grandes
causes d’impossibilité de la marche chez
le jeune enfant sont les polyradiculoné-
vrites aiguës et les myélites.
POLYRADICULONÉVRITE AIGUË OU
SYNDROME DE GUILLAIN-BARRÉ
Le syndrome de Guillain-Barré est une
polyradiculonévrite inflammatoire ca-
ractérisée par une faiblesse musculaire
d’apparition progressive. Chez l’enfant,
il débute le plus souvent par des dou-
leurs et un refus de la marche. Dans 50
à 70 % des cas, on retrouve une infec-
tion virale qui a précédé de deux à
quatre semaines l’apparition des symp-
tômes neurologiques. Il est possible
d’observer une ataxie, qui peut être le
symptôme de l’atteinte motrice ou
d’une véritable atteinte cérébelleuse.
On observe d’ailleurs parfois une va-
riante du syndrome de Guillain-Barré :
le syndrome de Miller-Fisher. Il s’agit
d’une atteinte cérébelleuse associée à
une atteinte oculomotrice et à une at-
teinte périphérique.
Le syndrome de Guillain-Barré évolue
en trois phases : phase de progression,
phase d’état, phase de récupération. La
phase de progression des symptômes
s’étale sur quatre semaines. Le pronos-
tic initial est lié à l’atteinte respiratoire
et/ou de la déglutition.
Le diagnostic est établi grâce à la ponc-
tion lombaire et à l’étude neurophysio-
logique par électromyogramme et mesu-
re des vitesses de conduction nerveuse.
L’anomalie caractéristique à l’analyse
du LCR est la dissociation albuminocy-
tologique. L’augmentation des pro-
téines serait le reflet de l’atteinte dé-
myélinisante des racines des nerfs. Il n’y
a généralement pas ou seulement très
peu de cellules de la lignée blanche
dans le LCR. L’élévation de la protéino-
rachie peut être décalée de vingt-quatre
ou quarante-huit heures par rapport au
début des symptômes. Une augmenta-
tion importante de la cellularité doit fai-
re rechercher une autre affection.
L’électromyogramme recherche un bloc
de conduction nerveuse proximal com-
plet ou partiel.
La mesure des vitesses de conduction
objective le plus souvent une atteinte
démyélinisante avec un allongement
des latences de l’onde F (témoin de l’at-
teinte proximale). La mise en évidence
d’une forme de polyradiculonévrite ai-
guë axonale est un facteur de mauvais
pronostic fonctionnel.
L’atteinte respiratoire, qui touche 10 à
15 % des patients, fait toute la gravité
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& enfance
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IRM médullaire
T1 avec injection de gadolinium sans prise de contraste. On note toutefois
l’augmentation de la taille de la moelle. Hypersignal T2 étendu de T9 au cône
médullaire.
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de l’affection. Le taux de mortalité est
faible et quasi exclusivement lié à l’at-
teinte respiratoire. En pédiatrie, l’affec-
tion est très fréquemment marquée par
un refus ou une impossibilité de mar-
cher. Le plus souvent, le pronostic est
bon (9/10), mais, chez l’enfant comme
chez l’adulte, il existe des formes récur-
rentes et des patients avec des déficits.
Des séquelles sont plus fréquemment
observées chez les patients avec une at-
teinte axonale.
Le traitement repose sur l’administra-
tion d’immunoglobulines polyvalentes
par voie intraveineuse. La dose est de
1 g/kg/j deux jours de suite. La sur-
veillance des fonctions respiratoires et
de la déglutition est fondamentale. Il
est fréquent d’utiliser des antalgiques
contre les douleurs neuropathiques
(clonazépam, gabapentine…). Il faut
ensuite envisager les mesures de réédu-
cation (kinésithérapie…). L’objectif ne
doit pas être uniquement la reprise de
l’autonomie, il faut viser la récupération
des capacités à l’effort.
MYÉLITE AIGUË
La myélite aiguë transverse est une pa-
thologie rare de l’enfant, même si, chez
celui-ci, elle constitue la cause la plus
fréquente de syndrome médullaire aigu.
La localisation préférentielle est dorsa-
le, avec une atteinte prédominant aux
membres inférieurs. Le tableau clinique
est le plus souvent d’installation bruta-
le, associant un déficit sensitivomoteur
initialement flasque suivi d’un syndro-
me pyramidal et des troubles sphincté-
riens. Des algies importantes sont sou-
vent présentes au niveau rachidien et
aux membres inférieurs.
La myélite aiguë réalise une atteinte
segmentaire de la moelle épinière. Sa
pathogénie reste mal connue ; elle ré-
sulterait d’une action combinée de plu-
sieurs causes associant une réaction im-
mune postinfectieuse et une vascularite
des petits vaisseaux.
La ponction lombaire montre une réac-
tion cellulaire, entre 50 et 100 élé-
ments, à prédominance de lympho-
cytes. La protéinorachie est normale ou
modérément augmentée, le plus sou-
vent inférieure à 1 g/l. La glycorachie
est toujours normale. On peut identifier
le virus chez près de un patient sur
deux. L’IRM est ici fondamentale et doit
être réalisée rapidement, car elle per-
met d’éliminer une compression médul-
laire. L’IRM montre, dans le cas des
myélites, un hypersignal T2 et parfois
un hyposignal T1. Il n’est pas rare de
noter une augmentation de la taille de
la moelle. L’absence de prise de contras-
te élimine certaines causes tumorales
(voir figure). Une IRM normale n’élimi-
ne pas le diagnostic de myélite aiguë. Il
n’y a pas d’intérêt à réaliser des explora-
tions neurophysiologiques. Elles ne sont
demandées qu’en cas de doute pour éli-
miner une atteinte périphérique, en
particulier une polyradiculonévrite ai-
guë.
Les deux grands diagnostics différen-
tiels sont une première poussée de sclé-
rose en plaques (SEP) ou une myélite is-
chémique, mais ces situations sont
rares. La récidive évoquera la SEP. Dans
le cas des atteintes ischémiques, le pro-
nostic est très péjoratif.
Le traitement est basé sur une adminis-
tration de bolus de corticoïdes à la po-
sologie de 1 g/1,73 m2trois jours de
suite. Il est associé à un traitement
symptomatique de la douleur, des
troubles vésicosphinctériens…
Le pronostic est réservé. Le nombre de
patients avec des séquelles est non né-
gligeable : on retient, un peu artificiel-
lement, qu’un tiers des patients récupè-
rent totalement, un tiers partiellement
et un tiers pas du tout
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Polyradiculonévrites aiguës et myélites : éléments diagnostiques, thérapeutiques et
pronostiques
Polyradiculonévrite aiguë Myélite aiguë
Symptômes Douleur dans les membres Refus de la marche
Refus de la marche Raideur et/ou douleurs rachidiennes
Examen Aréflexie Syndrome pyramidal
clinique Pas de syndrome pyramidal
Signes vésico- Rares et transitoires Possibles
sphinctériens
Ponction Dissociation albuminocytologique Hyperleucocytose
lombaire Légère hyperprotéinorachie
VCN-EMG Atteinte radiculaire démyélinisante Pas d’anomalie
parfois axonale (pronostic)
IRM Normal, rarement prise de contraste Hypersignaux T2
de la queue de cheval Sans prise de gadolinium
Traitement Immunoglobulines IV (1 g/kg/j x 2 j) Bolus de corticoïdes (1 g/1,73 m2x 3 j)
Pronostic Récupération en trois phases 1/3 récupération,
Rare récidive, parfois séquelle 1/3 récupération partielle
1/3 sans récupération
Pour aller plus loin
LANDRIEU P., TARDIEU M. :
Neurologie pédiatrique,
Abrégés
de médecine, Masson, 2001, 2eédition.
FENICHEL G.M. :
Clinical pediatric neurology : a signs and
symptoms approach,
Elsevier/Saunders, 6eédition, 2009.
RYAN M.M. : « Guillain-Barré syndrome in childhood »,
J. Paedia-
tr. Child Health,
2005 ;
41 :
237-41.
KNEBUSCH M., STRASSBURG H.M., REINERS K. : « Acute trans-
verse myelitis in childhood : nine cases and review of the literatu-
re »,
Dev. Med. Child Neurol.,
1998 ;
40 :
631-9.
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