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Médecine
& enfance
Refus de la marche
NEUROLOGIE
S. Auvin, service de neurologie
pédiatrique et des maladies métaboliques
hôpital Robert-Debré, Paris
Rubrique dirigée par S. Auvin
CAS CLINIQUE
Vous êtes appelé à voir un garçon de
vingt-cinq mois qui refuse de marcher.
Il s’agit du premier enfant d’un couple
non consanguin. La grossesse et l’accouchement étaient sans particularité. L’enfant a commencé à marcher vers onze
mois. Son développement psychomoteur est normal.
Depuis deux jours, il se plaint de douleurs dans les jambes et refuse de
mettre ses chaussures. Depuis ce matin,
il refuse de marcher. Il n’a pas eu de
fièvre. Il n’est pas tombé et n’a pas eu de
traumatisme. Il a eu une ou deux
« fuites urinaires » alors que cet enfant
est habituellement propre. A son arrivée aux urgences, il a été vu par l’orthopédiste, qui a éliminé une cause ostéoarticulaire. En débutant votre examen, vous voyez un petit garçon souriant, qui est assis et se laisse examiner.
Lorsque vous touchez ses jambes, il se
plaint de douleurs. Vous essayez de le
faire marcher, mais les douleurs ne
vous permettent pas d’évaluer s’il existe
un déficit musculaire.
Quelle est votre première hypothèse
diagnostique ?
La présentation clinique est typique
d’une polyradiculonévrite aiguë ou syndrome de Guillain-Barré. Contrairement aux adultes, les enfants se plaignent en premier lieu de douleurs des
membres inférieurs. Le déficit moteur
arrive souvent dans un deuxième
temps. Le diagnostic différentiel sur le
plan neurologique est une myélite aiguë. Dans le cas des myélites, la position assise est difficile en raison d’une
raideur et de douleurs rachidiennes.
Que recherchez-vous à l’examen
clinique ?
L’examen clinique se focalise d’abord
sur les réflexes ostéotendineux. Une
aréflexie ostéotendineuse est un argument clinique important. La présence
initiale de symptômes vésicosphinctériens (premières quarante-huit heures)
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est possible dans les polyradiculonévrites aiguës, mais ils doivent disparaître au cours de l’évolution. Sinon il
faudra évoquer une myélite. Dans ce
cas, l’examen clinique est différent : il
trouve un syndrome pyramidal avec des
réflexes vifs et éventuellement un signe
de Babinski ; dans la phase déficitaire
aiguë des myélites, une aréflexie est
parfois observée. Des signes vésico sphinctériens sont fréquents et peuvent
persister de façon prolongée.
A côté des éléments diagnostiques en
faveur d’un syndrome de Guillain-Barré, il faut rechercher des signes de gravité. Le pronostic du syndrome de
Guillain-Barré à la phase aiguë est lié
essentiellement à l’atteinte respiratoire
et de la déglutition. La présence de
fausses routes et le réflexe nauséeux
doivent donc être recherchés. L’ingestion d’eau est une méthode plus sensible pour trouver des fausses routes
que l’ingestion d’aliments mixés ou en
morceaux.
Quelles investigations demandezvous ?
Une ponction lombaire et un électromyogramme avec mesure des vitesses
de conduction nerveuse sont demandés.
L’analyse cytologique et biochimique
confirme le diagnostic. On retrouve peu
ou pas de cellules dans le LCR alors que
les protéines y sont augmentées. Il s’agit
de la classique dissociation albuminocytologique.
L’examen électrophysiologique recherche un bloc de conduction nerveuse
proximal complet ou partiel. La mesure
des vitesses de conduction objective le
plus souvent une atteinte démyélinisante avec un allongement des latences de
l’onde F (témoin de l’atteinte proximale). Dans de rare cas, il peut s’agir d’une
polyradiculonévrite aiguë axonale. Ces
formes sont de moins bon pronostic
avec un risque de séquelles au long
cours.
(Pour les éléments sur les myélites, voir
la discussion après le cas clinique.)
Médecine
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Le diagnostic suspecté étant confirmé,
quel traitement débutez-vous ?
Le traitement du syndrome de GuillainBarré consiste en l’administration intraveineuse d’immunoglobulines polyvalentes. On administre le plus souvent
1 g/kg/j deux jours de suite.
IRM médullaire
T1 avec injection de gadolinium sans prise de contraste. On note toutefois
l’augmentation de la taille de la moelle. Hypersignal T2 étendu de T9 au cône
médullaire.
CONDUITE À TENIR DEVANT
UN REFUS DE LA MARCHE
PENSER D’ABORD AUX CAUSES
ORTHOPÉDIQUES
Devant un refus de la marche, il faut en
premier lieu évoquer une cause locale
et une cause orthopédique, même si
dans ce type de causes les difficultés
sont asymétriques et sont plutôt responsables de boiterie que de refus de la
marche. Parmi les causes locales, on retrouve des chaussures trop petites, une
ou plusieurs verrues plantaires, une
écharde passée inaperçue…
On passe ensuite en revue les causes ostéoarticulaires : arthrite et ostéoarthrite, synovite aiguë transitoire, ostéochondrite… L’évaluation des données
de l’anamnèse et de l’examen clinique
indiquera s’il faut réaliser un bilan biologique, une échographie, une radiographie ou une scintigraphie osseuse…
ORIENTATION NEUROLOGIQUE
L’atteinte symétrique de la motricité ou
la présence de symptômes neurologiques doivent faire évoquer une cause
neurologique. Mais ces éléments ne
sont pas pathognomoniques d’une atteinte neurologique. Les deux grandes
causes d’impossibilité de la marche chez
le jeune enfant sont les polyradiculonévrites aiguës et les myélites.
POLYRADICULONÉVRITE AIGUË OU
SYNDROME DE GUILLAIN-BARRÉ
Le syndrome de Guillain-Barré est une
polyradiculonévrite inflammatoire caractérisée par une faiblesse musculaire
d’apparition progressive. Chez l’enfant,
il débute le plus souvent par des douleurs et un refus de la marche. Dans 50
à 70 % des cas, on retrouve une infection virale qui a précédé de deux à
quatre semaines l’apparition des symptômes neurologiques. Il est possible
d’observer une ataxie, qui peut être le
symptôme de l’atteinte motrice ou
d’une véritable atteinte cérébelleuse.
On observe d’ailleurs parfois une variante du syndrome de Guillain-Barré :
le syndrome de Miller-Fisher. Il s’agit
d’une atteinte cérébelleuse associée à
une atteinte oculomotrice et à une atteinte périphérique.
Le syndrome de Guillain-Barré évolue
en trois phases : phase de progression,
phase d’état, phase de récupération. La
phase de progression des symptômes
s’étale sur quatre semaines. Le pronostic initial est lié à l’atteinte respiratoire
et/ou de la déglutition.
Le diagnostic est établi grâce à la ponction lombaire et à l’étude neurophysiologique par électromyogramme et mesure des vitesses de conduction nerveuse.
L’anomalie caractéristique à l’analyse
du LCR est la dissociation albuminocynovembre 2009
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tologique. L’augmentation des protéines serait le reflet de l’atteinte démyélinisante des racines des nerfs. Il n’y
a généralement pas ou seulement très
peu de cellules de la lignée blanche
dans le LCR. L’élévation de la protéinorachie peut être décalée de vingt-quatre
ou quarante-huit heures par rapport au
début des symptômes. Une augmentation importante de la cellularité doit faire rechercher une autre affection.
L’électromyogramme recherche un bloc
de conduction nerveuse proximal complet ou partiel.
La mesure des vitesses de conduction
objective le plus souvent une atteinte
démyélinisante avec un allongement
des latences de l’onde F (témoin de l’atteinte proximale). La mise en évidence
d’une forme de polyradiculonévrite aiguë axonale est un facteur de mauvais
pronostic fonctionnel.
L’atteinte respiratoire, qui touche 10 à
15 % des patients, fait toute la gravité
Médecine
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La myélite aiguë transverse est une pathologie rare de l’enfant, même si, chez
celui-ci, elle constitue la cause la plus
fréquente de syndrome médullaire aigu.
La localisation préférentielle est dorsale, avec une atteinte prédominant aux
membres inférieurs. Le tableau clinique
est le plus souvent d’installation brutale, associant un déficit sensitivomoteur
initialement flasque suivi d’un syndrome pyramidal et des troubles sphinctériens. Des algies importantes sont souvent présentes au niveau rachidien et
aux membres inférieurs.
La myélite aiguë réalise une atteinte
segmentaire de la moelle épinière. Sa
pathogénie reste mal connue ; elle résulterait d’une action combinée de plusieurs causes associant une réaction immune postinfectieuse et une vascularite
des petits vaisseaux.
La ponction lombaire montre une réaction cellulaire, entre 50 et 100 éléments, à prédominance de lymphocytes. La protéinorachie est normale ou
modérément augmentée, le plus souvent inférieure à 1 g/l. La glycorachie
est toujours normale. On peut identifier
le virus chez près de un patient sur
deux. L’IRM est ici fondamentale et doit
être réalisée rapidement, car elle permet d’éliminer une compression médullaire. L’IRM montre, dans le cas des
myélites, un hypersignal T2 et parfois
un hyposignal T1. Il n’est pas rare de
noter une augmentation de la taille de
la moelle. L’absence de prise de contraste élimine certaines causes tumorales
(voir figure). Une IRM normale n’élimine pas le diagnostic de myélite aiguë. Il
n’y a pas d’intérêt à réaliser des explorations neurophysiologiques. Elles ne sont
demandées qu’en cas de doute pour éliminer une atteinte périphérique, en
particulier une polyradiculonévrite aiguë.
Les deux grands diagnostics différentiels sont une première poussée de sclérose en plaques (SEP) ou une myélite ischémique, mais ces situations sont
rares. La récidive évoquera la SEP. Dans
le cas des atteintes ischémiques, le pronostic est très péjoratif.
Le traitement est basé sur une administration de bolus de corticoïdes à la posologie de 1 g/1,73 m2 trois jours de
suite. Il est associé à un traitement
symptomatique de la douleur, des
troubles vésicosphinctériens…
Le pronostic est réservé. Le nombre de
patients avec des séquelles est non négligeable : on retient, un peu artificiellement, qu’un tiers des patients récupèrent totalement, un tiers partiellement
et un tiers pas du tout…
첸
symptoms approach, Elsevier/Saunders, 6e édition, 2009.
RYAN M.M. : « Guillain-Barré syndrome in childhood », J. Paediatr. Child Health, 2005 ; 41 : 237-41.
KNEBUSCH M., STRASSBURG H.M., REINERS K. : « Acute transverse myelitis in childhood : nine cases and review of the literature », Dev. Med. Child Neurol., 1998 ; 40 : 631-9.
Polyradiculonévrites aiguës et myélites : éléments diagnostiques, thérapeutiques et
pronostiques
Polyradiculonévrite aiguë
Myélite aiguë
Symptômes
Douleur dans les membres
Refus de la marche
Refus de la marche
Raideur et/ou douleurs rachidiennes
Examen
clinique
Aréflexie
Pas de syndrome pyramidal
Syndrome pyramidal
Signes vésicosphinctériens
Rares et transitoires
Possibles
Ponction
lombaire
Dissociation albuminocytologique
Hyperleucocytose
Légère hyperprotéinorachie
VCN-EMG
Atteinte radiculaire démyélinisante
parfois axonale (pronostic)
Pas d’anomalie
IRM
Normal, rarement prise de contraste
de la queue de cheval
Hypersignaux T2
Sans prise de gadolinium
Traitement
Immunoglobulines IV (1 g/kg/j x 2 j)
Bolus de corticoïdes (1 g/1,73 m2 x 3 j)
Pronostic
Récupération en trois phases
Rare récidive, parfois séquelle
1/3 récupération,
1/3 récupération partielle
1/3 sans récupération
de l’affection. Le taux de mortalité est
faible et quasi exclusivement lié à l’atteinte respiratoire. En pédiatrie, l’affection est très fréquemment marquée par
un refus ou une impossibilité de marcher. Le plus souvent, le pronostic est
bon (9/10), mais, chez l’enfant comme
chez l’adulte, il existe des formes récurrentes et des patients avec des déficits.
Des séquelles sont plus fréquemment
observées chez les patients avec une atteinte axonale.
Le traitement repose sur l’administration d’immunoglobulines polyvalentes
par voie intraveineuse. La dose est de
1 g/kg/j deux jours de suite. La surveillance des fonctions respiratoires et
de la déglutition est fondamentale. Il
est fréquent d’utiliser des antalgiques
contre les douleurs neuropathiques
(clonazépam, gabapentine…). Il faut
ensuite envisager les mesures de réédu-
cation (kinésithérapie…). L’objectif ne
doit pas être uniquement la reprise de
l’autonomie, il faut viser la récupération
des capacités à l’effort.
MYÉLITE AIGUË
Pour aller plus loin
LANDRIEU P., TARDIEU M. : Neurologie pédiatrique, Abrégés
de médecine, Masson, 2001, 2e édition.
FENICHEL G.M. : Clinical pediatric neurology : a signs and
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