Banques de tissus cryopréservés : intérêt, contraintes et perspectives D

DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 28 - avril/mai/juin 2005
Banques de tissus cryopréservés :
intérêt, contraintes et perspectives
Banks of frozen tissue in oncology: advantages, constraints and perspectives
X. Sastre-Garau*
epuis une vingtaine d’années, l’intérêt de la constitu-
tion de banques de spécimens biologiques cryopré-
servés et, en particulier, de banques de tissus tumo-
raux, encore appelées tumorothèques, s’est accru. Cet intérêt
concerne plusieurs aspects des pratiques médicale et scientifique,
en particulier, la qualité des soins, l’interaction avec la recherche
et l’amélioration des pratiques médicales, que nous envisagerons
successivement :
En ce qui concerne la qualité des soins en cancérologie, l’impor-
tance de la préservation des tissus sur une longue période a depuis
longtemps été soulignée. Le mode de préservation n’est pas pré-
cisé par les textes réglementaires, mais la conservation, selon les
techniques traditionnelles de fixation et d’inclusion en paraffine, a
rendu et rend encore d’immenses services. Dans la majeure partie
des cas, ce mode de préservation est suffisant pour assurer le suivi
des patients dans de bonnes conditions. Toutefois, le développe-
ment des techniques de biologie moléculaire et, plus récemment,
le développement des thérapeutiques ciblées ont montré les
limites de ce mode de conservation. En effet, certaines investiga-
tions biologiques nécessitent d’avoir recours à du matériel cryo-
préservé, dans l’intérêt du patient, pour affirmer certains diagnos-
tics difficiles et évaluer certains marqueurs biologiques. C’est le
cas notamment de plusieurs types de tumeurs pédiatriques, de
maladies hématologiques ou de certaines proliférations mésen-
chymateuses. Par ailleurs, la rapidité du développement des
connaissances médicales incite fortement à préserver le matériel
tissulaire dans des conditions optimales au moment du diagnostic
afin de parer à toute éventualité en ce qui concerne la nécessité
d’analyses ultérieures, au cours de l’évolution de la maladie.
Le développement des interactions avec la recherche représente
également un aspect fondamental dans la constitution des banques
de tissus cryopréservés. Ces interactions peuvent être réalisées,
soit dans des perspectives de recherche fondamentale, soit, plus
souvent, dans le cadre de programmes de recherche appliquée
(“transfert” ou “transitionnal research”). Les interactions avec la
recherche fondamentale se font par l’intermédiaire d’équipes spé-
cialisées, souvent sur des thématiques restreintes et développées
au cours du temps. Les programmes de recherche appliquée sont
aujourd’hui de plus en plus nombreux, dans un cadre institution-
nel ou en partenariat avec l’industrie pharmaceutique. Dans ce
cas, l’analyse d’un nombre important de tumeurs, de nature
variée, peut être nécessaire pour valider l’intérêt de certains types
d’altérations moléculaires dans des perspectives diagnostiques ou
thérapeutiques. Dans ce contexte, il est important de souligner que
les collections de matériel tissulaire ne sont généralement pas suf-
fisantes. L’adjonction de données médicales validées, collectées
dans la durée, est un élément essentiel de la qualité et du caractère
opérationnel de ces collections.
L’amélioration de la qualité des pratiques médicales en patholo-
gie, par la réalisation de collections de spécimens cryopréservés,
doit être soulignée. En effet, une telle action suppose une disponi-
bilité du personnel médical et technique, un développement tech-
nologique assez important et un système d’information perfor-
mant. La mise en place de tous ces éléments représente une
mobilisation de ressources non négligeables dont les retombées,
au niveau de la pratique quotidienne, sont nombreuses et de nature
variée : meilleure connaissance des données médicales au
moment du diagnostic, prise en charge rapide des pièces opéra-
toires, croisement régulier de données biologiques, histopatholo-
giques et médicales. Ainsi, dans de nombreux laboratoires, la
mise en place d’un système de cryopréservation en pratique quoti-
dienne a conduit à modifier de nombreuses conditions de travail et
à obtenir une amélioration globale dans la qualité de l’organisa-
tion, des techniques et des résultats.
Les contraintes de tels développements sont à la fois d’ordre
réglementaire et organisationnel. En ce qui concerne les
aspects réglementaires, les pratiques vis-à-vis de la cryopréser-
vation sont peu contraignantes lorsqu’elles visent, en premier
lieu, à l’amélioration de la qualité des soins. Les banques de
spécimens biologiques cryopréservés, telles que nous les avons
décrites, sont réalisées dans le cadre de la prise en charge
médicale et ne nécessitent pas de prélèvement particulier obli-
geant à solliciter un consentement du patient. En revanche, si
des perspectives de recherche sont envisagées, obligation est
faite au médecin préleveur d’informer le patient de tels projets.
Là encore, l’information doit porter, non seulement sur la mise
à disposition de matériel biologique issu des prélèvements
tumoraux, mais également sur l’utilisation des données médi-
cales, diagnostiques et évolutives, qui caractérisent la maladie.
D’après la réglementation en vigueur, le médecin responsable
de la banque de tissus doit pouvoir faire la preuve qu’une
information circonstanciée a bien été délivrée au patient.
Celui-ci peut notifier son refus que les données médicales et
les prélèvements qui le concernent soient utilisés à des fins de
recherche. Si des prélèvements doivent être réalisés unique-
D
* Institut Curie, Paris.
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La Lettre du Sénologue - n° 28 - avril/mai/juin 2005
ment pour la recherche, la réglementation est plus contrai-
gnante et le consentement du patient indispensable.
Deux autres contraintes doivent être soulignées, selon le
contexte envisagé :
La pratique systématique d’une cryopréservation est un élé-
ment important du caractère opérationnel du dispositif mis en
place dans le cadre de la procédure de soins. En effet, il est très
difficile, a priori, de savoir quelles sont les lésions pour les-
quelles une cryopréservation se révèlera utile à l’avenir. Dans
ces conditions, la pratique systématique du geste est un élément
important, permettant de préserver au mieux l’intérêt du patient
porteur d’une tumeur maligne. Par ailleurs, l’expérience montre
que le caractère systématique d’une procédure est le meilleur
garant de son efficacité.
Un deuxième élément à souligner est que, dans le cadre de
perspectives de recherches, la mise à disposition de matériel
tissulaire sans annotations cliniques peut se révéler très limita-
tive. En effet, la pertinence et le caractère exhaustif des don-
nées médicales représentent des éléments essentiels de la valo-
risation des spécimens tissulaires. Par ailleurs, la recherche
appliquée nécessite généralement de disposer, pour la même
série de cas, de prélèvements de nature multiple. C’est en par-
ticulier le cas de prélèvements de sérums qui, de manière opti-
male, devraient être réalisés au moment du diagnostic de la
maladie et après le traitement, lors de la rémission initiale.
CONCLUSION
Il est évident que la mise en place d’une organisation, permettant la
gestion de multiples prélèvements systématiques, mobilise des res-
sources importantes. Toutefois, celles-ci peuvent être moindre
dans le cadre d’une procédure de soins uniquement tournée vers le
patient. Les systèmes actuels de stockage par le froid permettent de
conserver, dans une seule unité, plusieurs milliers de prélèvements
dans des conditions de sécurité acceptables. En revanche, dans des
structures institutionnelles plus importantes avec des perspectives
de recherche, l’investissement doit être beaucoup plus large. Il
porte à la fois sur le personnel formé à différents aspects des procé-
dures, sur le matériel et, surtout, sur le développement du système
d’information et de collecte des données médicales, l’ensemble
devant être maintenu rigoureusement au fil du temps. La
constitution de tels centres de ressources biologiques est de la
responsabilité des structures médico-scientifiques dont la
vocation est à la fois la pratique des soins et le développement
des connaissances.
La préservation de matériel congelé en pratique
Dans les cancers du sein, le matériel biologique correspond le plus
souvent à un prélèvement réalisé sur le nodule tumoral situé dans la
pièce d’exérèse chirurgicale au moment de l’examen extemporané
(figure 1). Cette congélation doit être rapide afin de limiter les pro-
cessus de dégradation de l’ARN liée à l’hypoxie. On considère que
cette congélation doit être faite dans les 15 minutes après l’exérèse.
La méthode le plus employée est la congélation d’un fragment
tumoral dans un tube sec en azote liquide (figure 2) ou dans un
congélateur à -70° C, voire -20° C. Un système de traçabilité du
prélèvement et des conditions de conservation doit être mis en
place pour s’assurer de la bonne conservation du prélèvement.
Une étape importante dans le contrôle de qualité est l’évalua-
tion du pourcentage de cellules tumorales dans l’échantillon
congelé. Elle peut être réalisée par plusieurs méthodes :
– sur une coupe du prélèvement congelé ;
– par l’analyse d’un prélèvement tissulaire situé en regard du pré-
lèvement congelé fixé et inclus en paraffine dit “bloc miroir” ;
– par une apposition cytologique sur lame. Dans les analyses de
génomique, on considère que l’échantillon doit contenir au
moins 30 à 50% de cellules tumorales pour être représentatif.
Un nombre de données minimales doivent être associées au
prélèvement congelé : données cliniques (âge, sexe, classifi-
cation TNM, taille tumorale…), données histologiques (type
tumoral, grade, envahissement axillaire…).
Figure 1. Figure 2.
1 / 2 100%

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