Fiche
Technique
Sous la responsabilité de leurs auteurs
dicaments proctologiques et grossesse
J.-M. Bidart (Clinique de l’Espérance, Mougins)
Médicaments proctologiques
et grossesse
Le problème posé par l’utilisation de certains médicaments
(ceux intéressant le proctologue) au cours de la grossesse
est lié aux interactions possibles entre le fœtus, la mère et les
médicaments. Si la femme enceinte malade est en droit de rece-
voir le traitement médicamenteux le mieux adapté, son enfant,
in utero, souvent non malade, n’a pas besoin de ces médica-
ments, qui ne peuvent être considérés pour lui que comme des
toxiques (1).
Seront ainsi pris en compte les problèmes de tératogénicité,
de toxicité et de risque sur l’évolution de la grossesse.
PHYSIOPATHOLOGIE
Deux facteurs principaux règlent la toxicité éventuelle d’un
médicament au cours de la grossesse.
Le passage mère-enfant
À partir de l’implantation de l’œuf dans la paroi utérine, le pla-
centa commence à se développer. Il est formé de membranes
phospholipidiques conditionnant le passage selon les facteurs
suivants :
la liposolubilité de la molécule facilite la traversée ;
l’ionisation du médicament : plus elle est forte, plus le pas-
sage est lent ;
les dimensions de la molécule : plus elles sont petites, plus
le passage est fort ;
le débit sanguin placentaire : les vasoconstricteurs (morphine,
sérotonine) le diminuent ;
l’âge du placenta : le vieillissement amincit le placenta,
qui passe de 25 microns en début de grossesse à 5 microns
en fin de grossesse.
L’enfant peut métaboliser les toxiques. Certaines enzymes
fœtales sont fonctionnelles et leur action est modifiée par des
produits pris par la mère (phénobarbital, tabac). La cinétique
médicamenteuse est proche de celle de la mère, mais elle est
retardée et peut même parfois être un piège de stockage.
La date et la durée d’administration
La période critique de tératogénicité est le premier trimestre
de la grossesse. Cependant, durant la phase s’étendant de la
conception jusqu’à la gastrulation (2 à 3 premières semaines),
l’œuf est à l’abri des agressions extérieures, vivant en autarcie.
Si une destruction survient, les cellules totipotentes restantes
remplacent celles perdues. En cas d’agression, il y a soit mort
de l’œuf, et donc avortement, soit poursuite de la grossesse,
avec restitution ad integrum de l’œuf (1). Ultérieurement se
produit l’organogenèse, avec de possibles malformations.
MÉDICAMENTS PROCTOLOGIQUES ET GROSSESSE
Antibiotiques et antiviraux (2)
Les pénicillines et les céphalosporines sont d’un emploi sûr
au cours de la grossesse.
Les cyclines sont contre-indiquées : risque tératogène nul ou
modéré, mais risque de fœtopathie, car les cyclines chélatent
le calcium au niveau des structures osseuses ou dentaires ;
risque de toxicité maternelle par stéatose hépatique.
Les macrolides : induction enzymatique chez la mère.
Lérythromycine traverse mal la barrière placentaire ; la spira-
mycine est utilisée dans la toxoplasmose.
Les synergistines peuvent être utilisées (pristinamycine et
virginiamycine).
Les antituberculeux traversent tous le placenta, et il n’y a
pas de modification thérapeutique à envisager.
L’utilisation de vancomycine induit un risque de néphrotoxi-
cité et d’ototoxicité.
Les fluoroquinolones ne sont pas utilisables en raison de
lésions articulaires, sauf cas particulier.
Pour ce qui est de la combinaison triméthoprime-
sulfaméthoxazole, le triméthoprime est inhibiteur des folates,
et donc à éviter.
La nitrofurantoïne, très utilisée, est à éviter en cas de suspi-
cion de déficit en G6PD.
Le métronidazole peut être utilisé aux deuxième et troisième
trimestres sans danger majeur, surtout en cures courtes.
Les antiherpétiques :
Aciclovir : aucune toxicité, sans effet sur l’ADN cellulaire.
Ganciclovir : contre-indiqué, sauf si la vie de la mère est
en danger.
Foscarnet : contre-indiqué.
Vidarabine : contre-indiquée.
AINS - Corticoïdes - Aspirine et dérivés
Au cours du premier trimestre : risque malformatif de l’aspirine
Une méta-analyse de Kozer (3) a permis de sélectionner, à
partir de cinq bases de données électroniques, 22 études
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recevables sur ce sujet, dont une seule randomisée. Aucune
association n’a été notée entre la consommation d’aspirine et
les malformations fœtales, mais il existe une certaine tendance
à l’augmentation du risque de malformation de la paroi
abdominale. Ce risque est toutefois peu élevé, car le nombre
d’inclusions nécessaires pour l’apprécier correctement
devrait être vingt fois plus grand. Le taux spontané de malfor-
mations est de 3 à 6 pour 100 000 naissances (tableau).
Après le premier trimestre de la grossesse
Tous les AINS, y compris l’aspirine à des doses supérieures
ou égales à 500 mg/j et les inhibiteurs de la COX-2, sont
inhibiteurs de la synthèse des prostaglandines.
Cette inhibition peut être responsable d’effets vasoconstricteurs
sur certains territoires :
Reins : insuffisance rénale fœtale et/ou néonatale, transi-
toire ou définitive, pouvant entraîner la mort.
Appareil cardio-pulmonaire : constriction in utero du canal
artériel pouvant provoquer une mort fœtale in utero, une insuf-
fisance cardiaque droite et/ou une hypertension artérielle
pulmonaire, parfois mortelles chez le nouveau-né.
Ces atteintes peuvent apparaître lors de prises très brèves (un
jour), à des posologies usuelles, et sont d’autant plus graves
que l’exposition est proche de l’accouchement.
En raison de la gravité des effets décrits et compte tenu de la
banalisation de la prescription des AINS, y compris en cours
de grossesse (soins dentaires, otites, sinusites, douleurs lom-
baires et articulaires, céphalées, fièvre, hémorroïdes, para-
phlébites, etc.), l’AFSSAPS (4) rappelle cette dernière contre-
indication aux prescripteurs et aux pharmaciens (encadré).
Corticoïdes
Le risque de fente palatine est augmenté d’un facteur 3,35
(1,97 à 5,69) selon une méta-analyse (5). Au cours de la
grossesse, aucune contre-indication n’est retrouvée sur la
base des recommandations du Vidal®. Lors de maladies chro-
niques nécessitant un traitement tout au long de la grossesse,
un léger retard de croissance intra-utérin est possible. Une insuf-
fisance surrénale néonatale a été exceptionnellement observée
après corticothérapie à doses élevées. Il est justifié d’observer
une période de surveillance clinique (poids, diurèse) et biolo-
gique du nouveau-né. En conséquence, les corticoïdes peuvent
être prescrits pendant la grossesse si besoin est. En revanche,
en cas de traitement à des doses importantes et de façon
chronique, l’allaitement est déconseillé.
5 ASA
Il n’existe pas actuellement de données en nombre suffisant
pour évaluer un éventuel effet malformatif ou fœtotoxique de
la mésalazine lorsqu’elle est administrée pendant la gros-
sesse. Le traitement par la mésalazine peut être poursuivi aux
doses efficaces les plus faibles possibles, en évitant de dépasser
la posologie de 2 g par jour. En effet, au-delà de cette poso-
logie, les concentrations plasmatiques de la mésalazine, qui
est un dérivé salicylé, sont susceptibles d’exposer le fœtus à
un risque malformatif rénal comparable à celui rapporté avec
les AINS. Le passage de la mésalazine dans le lait maternel
est faible. Néanmoins, il n’existe pas d’études documentant
ce passage par des dosages répétés. L’allaitement pendant un
traitement par ce médicament semble possible. Toutefois, l’inno-
cuité à long terme n’est pas prouvée. De plus, la survenue d’un
rash ou d’une diarrhée ne peut pas être exclue.
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Tableau. Évaluation du risque malformatif lié à la prescription d’aspirine au cours du premier trimestre de la grossesse.
Risque Études Exposé (n/N) Contrôle (n/N) Odds-ratio (IC95)
Malformations congénitales 8 888/16 138 1935/49 890 1,3 (0,9 à 1,9)
Malformations cardiaques 6 692/15 130 1772/48 146 1,0 (0,9 à 1,1)
Gastroschisis 5 52/261 523/2 449 2,4 (1,4 à 3,9)
La prescription d’AINS est contre-indiquée à partir du début
du sixième mois de la grossesse (24 semaines d’aménor-
rhée révolues), même en prise ponctuelle.
Cette contre-indication concerne tous les AINS, y compris l’aspi-
rine à des doses supérieures ou égales à 500 mg/j et les inhi-
biteurs de la COX-2, qu’ils soient sur prescription médicale ou
en vente libre, et quelle que soit la voie d’administration.
Une attention particulière est nécessaire pour éviter toute
automédication avec les AINS pendant cette période à risque.
Une alternative à ces médicaments existe pour faire face à
des problèmes douloureux ou fébriles, quel que soit le terme
de la grossesse (antalgiques de palier 1, 2 ou 3, corticoïdes,
etc.).
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Azathioprine et 6-mercaptopurine (6MP)
Au cours de la grossesse, l’azathioprine est tératogène chez
l’animal. Dans l’espèce humaine, des centaines d’observa-
tions de grossesses exposées ont été menées à terme sans
incident. Cependant, le taux de malformation congénitale des
fœtus exposés était de 4,3 % (2,7-6,6) dans une étude de
700 cas de grossesses exposées (6). Ainsi, “si une grossesse
se déclare chez une femme traitée, le traitement peut être
maintenu, sous réserve d’une surveillance biologique étroite.
Dans les cas où cela est possible du fait d’une maladie quies-
cente, il est recommandé de stopper les médicaments 3 mois
avant la conception” (6). Il est donc préférable de bien infor-
mer les patientes, de prévoir une contraception efficace et de
ne pas faire d’IVG systématique en cas de grossesse acciden-
telle. La 6-mercaptopurine a été identifiée dans le colostrum
et le lait de femmes traitées par l’azathioprine. Des effets
nocifs sur le nouveau-né ne pouvant être exclus, l’allaitement est
contre-indiqué chez la femme traitée par azathioprine.
Dérivés morphiniques
Au cours de la grossesse, aucun effet malformatif ou fœto-
toxique de la morphine n’est documenté. En fin de grossesse,
des posologies élevées, même en traitement bref, sont néan-
moins susceptibles d’entraîner une dépression respiratoire chez
le nouveau-né, et la naloxone doit être disponible pour la
traiter si elle survient. Au cours des trois derniers mois de la
grossesse, la prise chronique de morphine par la mère, et
cela quelle que soit la dose, peut être à l’origine d’un syndrome
de sevrage chez le nouveau-né, avec irritabilité, vomissements,
convulsions et létalité accrue. En conséquence, il est recom-
mandé de ne pas utiliser la morphine pendant la grossesse,
sauf en l’absence d’alternative thérapeutique et après avoir pris
en compte le bénéfice pour la mère et le risque potentiel pour
le fœtus. Quant à l’allaitement, en raison du passage de la
morphine dans le lait maternel, il est généralement déconseillé.
HÉMORROÏDES ET GROSSESSE
Les antalgiques de type paracétamol peuvent être prescrits
sans réticence, mais attention au risque d’hépatotoxicité lors
des cures longues. Les applications locales de corticoïdes en
mousse ou en crème peuvent être utilisées. Le traitement par
flavonoïdes peut également être indiqué (500 mg x 6/j pen-
dant 4 jours puis 4/j pendant 3 jours puis 2/j), parce qu’un
effet significatif en phase aiguë après 7 jours (le début d’action
apparaît le quatrième jour) et en traitement préventif des mani-
festations hémorroïdaires de l’accouchement a été rapporté (7).
On note une très bonne acceptabilité du traitement et l’ab-
sence d’effet indésirable sur le fœtus et sur la mère. Les hydro-
xyéthylrutosides (500 mg x 2/j) peuvent également être
proposés après le premier trimestre, car l’amélioration sympto-
matique est très significative dès la fin de la deuxième semaine
de traitement (8). En cas de thrombose externe hyperalgique,
une excision sous xylocaïne non adrénalinée peut être réalisée.
CONCLUSION
Il existe un moyen terme réfléchi entre la prudence excessive
condamnant tout traitement et l’insouciance risquée permet-
tant n’importe quel médicament (1).
RÉFÉRENCES
1. Brosset A, Nouaille Y, Merle L. Danger des médicaments et vaccins au cours de
la grossesse. Éditions techniques - Paris : Elsevier Encycl Med Chir, Obstétrique,
1991 : 5048 M10, 1991.
2. Fournié A, Berrebi A. Antibiotiques et grossesse. Encycl Med Chir,
Gynécologie/obstétrique. 5-041-C-10, 1996.
3. Kozer E et al. Aspirin consumption during the first trimester of pregnancy and
congenital abnormalities: a meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2002 187:1623-30.
4. AFSSAPS. Rappel sur la contre-indication de tous les AINS à partir du début
du 6
e
mois de la grossesse, 12 décembre 2003. http://www.agmed.sante.gouv.fr/htm/
10/filltrpsc/indltrps.htm
5. Park-Wyllie L et al. Birth defects after maternal exposure to corticosteroids:
prospective cohort study and meta-analysis of epidemiological studies. Teratology
2000;62:385-92.
6. Marteau Ph, Beaugerie L, Schenowitz G, Tucat G. Prise en charge des MICI.
J Libbey Eurotext 2003.
7. Buckshee K, Takkar D, Aggarwal N. Micronized flavonoid therapy in internal
hemorrhoids of pregnancy. Int J Gynec Obst 1997;57:145-51.
8. Wijayanegara H, Mose JC, Achmad L et al. A clinical trial of hydroxyethylru-
tosides in the treatment of haemorrhoids of pregnancy. J Intern Med Res 1992;
20:54-60.
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