La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006
L’envahissement ganglionnaire métastatique :
nouvelle cible dans le traitement du cancer ?
Metastasic lymph node invasion: a new target in the treatment of cancer?
#P. Saintigny*,**, J.F. Morère*, J.L. Breau*, J.F. Bernaudin***, M. Kraemer**
Au cours de l’évolution des tumeurs solides, la dissémi-
nation tumorale se fait par voie vasculaire sanguine,
par voie vasculaire lymphatique et parfois au travers
d’une cavité ou le long d’une surface (par exemple, dans la cavité
pleurale ou péritonéale) [1]. Les mécanismes de dissémination
vasculaire sanguine sont bien connus depuis la description de
l’angiogenèse tumorale, du concept de switch angiogénique et de
la mise en évidence des premiers facteurs diff usibles synthétisés
par les cellules tumorales ou par celles du stroma tumoral et
ayant une activité proangiogénique (2). Ces connaissances ont
permis le développement actuel de nombreuses drogues ciblant
la vascularisation tumorale sanguine, dont la plus aboutie est
actuellement l’anticorps anti-VEGF-A bévacizumab (3).
La dissémination tumorale par voie vasculaire lymphatique est
fréquente et a un impact pronostique péjoratif majeur dans de
nombreuses localisations tumorales, motivant le plus souvent,
quand elle est présente, l’administration d’un traitement systé-
mique postopératoire pour diminuer le risque de rechute métas-
tatique (4). Pourtant, les mécanismes responsables de l’apparition
des métastases ganglionnaires nont fait l’objet d’études que de
façon très récente, la raison principale en étant l’absence, jusqu’à
il y a quelques années, de marqueurs spécifi ques de l’endothélium
lymphatique (5). Les progrès réalisés dans la compréhension
des mécanismes moléculaires impliqués dans la formation de
la vascularisation lymphatique, appellée lymphangiogenèse, que
ce soit lors du développement embryonnaire ou au cours de la
croissance tumorale, permettent despérer le développement de
nouvelles thérapeutiques ciblées destinées à prévenir l’apparition
de métastases ganglionnaires et/ou viscérales (6).
* Service d’oncologie médicale, hôpital Avicenne, Bobigny.
** Laboratoire d’oncologie cellulaire et moléculaire, EA 3410, université Paris-13, Bobigny.
*** Service d’histologie biologie tumorale, EA 3499, université Paris-6, hôpital Tenon, Paris.
La présence de métastases ganglionnaires est un facteur
de mauvais pronostic dans les tumeurs solides. La mise en
évidence de marqueurs spéci ques des cellules endothéliales
lymphatiques a permis l’étude des mécanismes moléculaires
de la di usion métastatique, et en particulier de la lymphan-
giogenèse. L’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3 est le plus étudié,
mais d’autres acteurs moléculaires sont impliqués. Plusieurs
stratégies sont actuellement développées pour lutter contre
la di usion métastatique lymphatique, ciblant principalement
l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3 : inhibition de la maturation et
de l’activation des VEGF-C et VEGF-D par protéolyses succes-
sives, inhibition de la liaison des ligands à leur récepteur et
utilisation d’inhibiteurs de tyrosine kinase. De nombreuses
questions restent posées et seront discutées, en particulier
sur le rôle des métastases ganglionnaires dans la survenue
de métastases viscérales et sur les toxicités éventuelles des
thérapeutiques antilymphangiogéniques.
Mots-clés : Ganglion lymphatique - Métastase - Densité
microvasculaire lymphatique - Lymphangiogenèse - Théra-
peutique ciblée.
The presence of lymph node metastasis is predictive of
poor prognosis in solid tumors. Demonstration of speci c
markers of lymphatic endothelial cells has facilitated
the study of the molecular mechanisms of metastasis,
particularly lymphangiogenesis. The VEGF-C/VEGF-D/
VEGFR-3 axis has been most extensively studied, but other
molecular pathways are also involved. Several strategies
are currently being developed to prevent lymphatic metas-
tasis, mainly targeting the VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3 axis:
inhibition of the maturation and activation of VEGF-C
and VEGF-D by successive proteolyses, inhibition of the
binding of ligands to their receptor and the use of tyrosine
kinase inhibitors. Many questions remain unresolved
and will be discussed in this article, particularly the role
of lymph node metastasis in the development of visceral
metastases and possible toxicities of antilymphangiogenic
treatments.
Keywords: Lymph node - metastasis - Lymphatic vascular
density - Lymphangiogenesis - Targeted therapy.
RÉSUMÉSUMMARY
Mise au point
Mise au point
299
Tableau I.
Di érences morphologiques entre capillaires sanguins
et capillaires lymphatiques (9).
Caractéristiques Capillaires
lymphatiques
Capillaires
sanguins
Lumière Irrégulière, large Régulière, étroite
Cellules endothéliales Cytoplasme peu
abondant Cytoplasme abondant
Chevauchements de
cellules endothéliales Oui Non
Invaginations de la
membrane plasmique et
vésicules cytoplasmiques
Abondantes Peu abondantes
Membrane basale Absente Présente
Péricytes Non Oui
Jonctions serrées Peu fréquentes Fréquentes
Filaments d’ancrage Présents Absents
Hématies intraluminales Absentes Présentes
Tableau II.
Marqueurs spéci ques des cellules endothéliales lym-
phatiques et leur fonction (VEGFR-3 : vascular endothelial growth
factor receptor-3 ; VEGF : vascular endothelial growth factor ; LYVE-1 :
lymphatic vessel endothelial hyaluran receptor-1 ; Prox1 : prox-re-
lated homeobox 1 ; SLC : secondary lymphoid chemokine ; CCR7 :
chemokine receptor-7).
Marqueurs Fonction
VEGFR-3 Récepteur des VEGF-C et VEGF-D
LYVE-1 Récepteur de l’acide hyaluronique, glycosaminoglycane
constituant de la matrice extracellulaire dont le transport
se fait par les vaisseaux lymphatiques
Podoplanine Glycoprotéine membranaire découvert
initialement dans les podocytes
Prox1 Facteur de transcription à homéobox jouant un rôle
important dans le développement précoce du système
nerveux central et le système lymphatique
CCL21 Ligand du CCR7
Desmoplakine Protéine cytoplamisque
La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006
LE SYSTÈME VASCULAIRE LYMPHATIQUE :
STRUCTURES ET FONCTIONS
Les fonctions du système lymphatique (7), qui est constitué de
vaisseaux et de ganglions lymphatiques, sont d’abord d’assurer
l’homéostasie, par le drainage du tissu interstitiel permettant
le maintien de la pression interstitielle et du volume plasma-
tique, et la réabsorption dans la circulation des macromolécules.
Son rôle dans la surveillance immune est aussi fondamental.
Il assure également le transport des lipides vers le foie sous
la forme de chylomicrons après leur absorption au niveau de
l’intestin grêle.
La circulation de la lymphe à l’intérieur des vaisseaux lymphati-
ques est unidirectionnelle, des tissus vers les ganglions lympha-
tiques. Si les vaisseaux lymphatiques sont généralement d’un
diamètre plus élevé que les vaisseaux sanguins contigus, la pres-
sion à l’intérieur y est plus faible, et la circulation plus lente. Des
valvules tronconiques constituent un système antiretour, et la
circulation de la lymphe dans les vaisseaux de petit diamètre est
principalement assurée par les contractions des muscles péri-
phériques (8). Les capillaires lymphatiques sont en cul-de-sac et
leur lumière est irrégulière. Les caractéristiques permettant en
microscopie électronique de diff érencier les capillaires lympha-
tiques des capillaires sanguins fi gurent dans le tableau I (9).
Avant la découverte de marqueurs spécifi ques de l’endothélium
lymphatique, la mise en évidence des vaisseaux lymphatiques
reposait sur ces critères morphologiques, sur l’utilisation de
colorants vitaux, ou sur des critères immunohistochimiques
peu fi ables (10). Des marqueurs beaucoup plus spécifi ques des
cellules endothéliales lymphatiques (tableau II) permettent
depuis quelques années d’étudier plus précisément les méca-
nismes de la diff usion métastatique lymphatique (11). Certains
d’entre eux participent au développement embryonnaire du
système vasculaire lymphatique (lymphatic vessel endothelial
hyaluran receptor-1 ou LYVE-1, vascular endothelial growth
factor receptor-3 ou VEGFR-3, prox-related homeobox 1 ou
Prox1 et podoplanine) [9].
MÉCANISMES DE LA DIFFUSION
MÉTASTATIQUE LYMPHATIQUE
La diff usion métastatique lymphatique se manifeste morphologi-
quement par des emboles lymphatiques intra- ou péritumoraux
et/ou par un envahissement ganglionnaire, et cliniquement par
la présence d’une ou plusieurs adénopathies. Les aspects anato-
mopathologiques de l’envahissement ganglionnaire sont divers :
emboles tumoraux dans le sinus sous-capsulaire, cellule tumorale
isolée ou micrométastase au sein du parenchyme ganglionnaire,
voire métastases ganglionnaires parfois cliniquement évidentes,
pouvant reproduire l’aspect de la tumeur primitive avec son
contingent de stroma et/ou de nécrose tumorale. À un stade
encore plus évolué, une rupture capsulaire avec envahissement
du tissu conjonctif adjacent peut être observée.
De nombreux auteurs considèrent que la diff usion métasta-
tique ganglionnaire ne peut se faire que par l’intermédiaire des
vaisseaux lymphatiques péritumoraux, les lymphatiques intra-
tumoraux ne pouvant être fonctionnels en raison de la pression
interstitielle élevée régnant au sein de la tumeur (5). Certains
travaux ont pourtant montré une relation entre la présence
de lymphatiques intratumoraux, l’envahissement ganglion-
naire et le pronostic péjoratif de patients opérés de carcinomes
Mise au point
Mise au point
300
La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006
épidermoïdes de la tête et du cou (12), de mélanomes (13) et
de carcinomes papillaires de la thyroïde (14). De même, si la
majorité des études montre le caractère non fonctionnel des
lymphatiques intratumoraux, d’autres retrouvent en leur sein
la présence de cellules endothéliales lymphatiques en cycle et
d’emboles tumoraux (15). La réponse à cette question dépend
probablement du modèle tumoral étudié.
Facteurs associés à la lymphangiogenèse
Le concept retenu actuellement pour expliquer l’apparition
de métastases ganglionnaires est l’induction d’une augmenta-
tion de la densité vasculaire lymphatique, le plus souvent en
périphérie de la tumeur, qui favorise la formation d’emboles
vasculaires lymphatiques, puis de métastases ganglionnaires.
Cette augmentation de la densité vasculaire lymphatique se
fait grâce à la lymphangiogenèse, c’est-à-dire la formation de
néovaisseaux lymphatiques à partir des vaisseaux lymphatiques
préexistants (16). Si les stimuli favorisant l’angiogenèse tumorale
sont bien connus, comme par exemple l’hypoxie tumorale, ceux
qui déclenchent la lymphangiogenèse le sont beaucoup moins.
Laugmentation de la pression interstitielle intratumorale pour-
rait jouer un rôle important.
Le modèle le plus communément admis est celui de laxe VEGF-
C/VEGF-D/VEGFR-3 : sécrétion de VEGF-C et/ou de VEGF-D
par les cellules tumorales ou les cellules du stroma, en parti-
culier les macrophages, qui activent leur récepteur VEGFR-3
exprimé à la surface des cellules endothéliales lymphatiques,
avec pour conséquence la prolifération des cellules endothéliales
et la formation de nouveaux vaisseaux lymphatiques (6). Plus
récemment, d’autres acteurs moléculaires jouant un rôle dans
la lymphangiogenèse physiologique et tumorale ont été mis
en évidence (17).
Laxe de signalisation VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3
Chez l’adulte, VEGFR-3 est exprimé majoritairement à la surface
des cellules endothéliales lymphatiques (18). Ses ligands sont le
VEGF-C et le VEGF-D, membres de la famille des VEGF/PDGF
(19, 20). Lactivation du VEGFR-3 par ses ligands entraîne une
hétérodimérisation du récepteur, l’activation de son domaine
tyrosine kinase intracellulaire et la transduction intracellulaire du
signal, qui aboutit à une prolifération des cellules endothéliales
lymphatiques. Plusieurs modèles in vitro et in vivo ont montré
le rôle majeur de l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3 dans la
régulation de la lymphangiogenèse physiologique (21-23). Les
VEGF-C et VEGF-D sont sécrétés sous la forme de protéines
peu actives biologiquement. Les protéolyses successives des
domaines N- et C-terminaux augmentent l’affi nité des ligands
pour le VEGFR-3. Leurs formes matures activent également le
VEGFR-2, mais de façon beaucoup plus modeste. Cette protéo-
lyse est assurée par la plasmine (pour le VEGF-D et le VEGF-C)
et par des enzymes de la famille des proprotéines convertases,
PC5, PC7 et furine (pour le VEGF-C) [24].
La démonstration du rôle de l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3
dans l’induction de la lymphangiogenèse tumorale a d’abord
été apportée dans divers modèles animaux. Dans la majorité
des cas, une hyperexpression du VEGF-C et/ou du VEGF-D
est associée à une augmentation de la lymphangiogenèse péri-
et/ou intratumorale, elle-même corrélée à une augmentation
de l’incidence des métastases ganglionnaires locorégionales
et, dans certaines études, des métastases pulmonaires (25-30).
Deux de ces études montrent également une augmentation de
la croissance tumorale sous leff et d’une hyperexpression du
VEGF-C (27, 28). L’inhibition du VEGF-C et du VEGF-D par
l’utilisation de fragments solubles de VEGFR-3 ou d’anticorps
spécifi ques de la portion extracellulaire du VEGFR-3 diminue
la lymphangiogenèse et l’incidence des métastases ganglion-
naires (27-28).
Depuis quelques années, le rôle de l’axe VEGF-C/VEGF-D/
VEGFR-3 a été évalué dans les tumeurs humaines. Si dans la
majorité des publications une corrélation entre l’expression du
VEGF-C par les cellules tumorales et la présence d’un envahis-
sement ganglionnaire lymphatique est observée, des résultats
contradictoires ont été obtenus dans certaines localisations
tumorales telles que les cancers du sein, les cancers colorectaux
et les carcinomes bronchiques non à petites cellules (CBNPC)
[16]. La majorité des études montre également une associa-
tion entre l’expression du VEGF-C par les cellules tumorales
et un pronostic péjoratif en survie sans rechute ou en survie
globale. Deux études ayant inclus des patients opérés d’un
CBNPC montrent un impact péjoratif de l’expression par les
cellules tumorales du VEGF-C sur la survie, sans corrélation
avec l’envahissement ganglionnaire (31, 32). Dautres travaux
ont montré, par ailleurs, que les cellules tumorales pouvaient
exprimer le VEGFR-3 et qu’il s’agissait également d’un facteur
de mauvais pronostic (31, 33, 34). Ces résultats permettent
de faire l’hypothèse de boucles de régulation autocrines et/ou
paracrines responsables d’une augmentation de la prolifération
et de la croissance tumorale, ce qui conduirait à ne pas limiter
le rôle de l’axe VEGF-C/VEGFR-3 à la diff usion métastatique
lymphatique (35). Des études moins nombreuses ont également
montré une corrélation entre l’expression de VEGF-D par les
cellules tumorales, l’incidence de l’envahissement ganglionnaire
et la survie, même s’il faut noter quelques résultats contradic-
toires dans les cancers colorectaux et les cancers du sein (16).
Certains résultats contradictoires sont peut-être liés au fait que
la quasi-totalité des études menées dans les tumeurs humaines
na étudié que l’expression du VEGF-C ou du VEGF-D par les
cellules tumorales. Or, il a été montré qu’ils étaient également
sécrétés par les macrophages, les cellules du stroma périvascu-
laires et les plaquettes (36). D’autres études sont donc néces-
saires pour mieux apprécier dans les tumeurs humaines le rôle
de l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3.
L’utilisation de marqueurs spécifi ques des cellules endothéliales
lymphatiques a également permis de corréler dans diverses
localisations tumorales (cancer du sein, mélanome, carcinome
épidermoïde de la tête et du cou) la densité microvasculaire
lymphatique avec l’incidence des métastases ganglionnaires et
la survie de patients opérés (16).
Mise au point
Mise au point
301
Tableau III.
Acteurs moléculaires impliqués dans la di usion métas-
tatique lymphatique (17).
Axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3
Fibroblast growth factor-2
Platelet-derived growth factor-BB
Angiopoïétine-1
Vascular endothelial growth factor-A
Hepatocyte growth factor
Insulin-like growth factor-1 et 1R
Cyclo-oxygénase de type 2
Chémokine CCL21 et son récepteur CCR7
Molécules de l’adhérence intercellulaire (E-cadhérine, β-caténine)
Fragments solubles du domaine extracellulaire de VEGFR-3
Anticorps
monoclonaux
spécifiques des
formes matures
Matrice extracellulaire
Membrane plasmique
Cytoplasme Inhibiteurs de l’activité
tyrosine kinase
VEGF-C/D
VEGFR-3
Inhibiteurs de protéases
prévenant la maturation
et l’activation des précurseurs
TK TK
Figure.
Stratégies de blocage de l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3.
La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006
Les autres facteurs associés à la diff usion métastatique
lymphatique et à la lymphangiogenèse
D’autres facteurs ont été associés à la lymphangiogenèse et à
l’envahissement ganglionnaire (tableau III). Tous sont impli-
qués dans d’autres processus tumoraux, en particulier l’angio-
genèse tumorale. Certains ont un mode d’action passant par
l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3 ( broblast growth factor-2,
vascular endothelial growth factor-A, insulin growth factor-1,
cyclo-oxygénase de type 2, β-caténine), alors que d’autres ont
un mode d’action indépendant de cet axe (angiopoïétine-1,
vascular endothelial growth factor-A, hepatocyte growth factor,
insulin growth factor-1, la chémokine CCL21 et son récepteur
CCR7). Enfi n, certains stimulent la lymphangiogenèse avec
un mode d’action inconnu (platelet-derived growth factors, E-
cadhérine). Pour la plupart, leur rôle dans la lymphangiogenèse
tumorale doit être confi rmé dans des modèles animaux et dans
les tumeurs humaines (17).
STRATÉGIES DE BLOCAGE DE L’ENVAHISSEMENT
GANGLIONNAIRE LYMPHATIQUE
Le but des thérapeutiques antilymphangiogéniques actuelle-
ment en cours de développement est de diminuer la densité
microvasculaire lymphatique péri- et/ou intratumorale, afi n de
diminuer l’incidence des métastases ganglionnaires et, par ce
biais, celle des métastases viscérales. Seules seront abordées les
stratégies d’inhibition de l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3, qui
sont à ce jour les acteurs moléculaires les plus étudiés. Plusieurs
modalités d’inhibition de cet axe sont possibles (17, 24, 37) et
sont représentées dans la gure.
L’inhibition de la maturation et de l’activation des VEGF-C et
VEGF-D par protéolyses successives est une des approches
possibles, en utilisant des inhibiteurs de protéase. Mais si ces
enzymes semblent globalement favoriser la progression tumo-
rale, elles sont peu spécifi ques et ont des substrats multiples.
Leur inhibition pourrait donc entraîner des eff ets secondaires
importants limitant leur utilisation. Une stratégie alternative
consisterait en l’utilisation d’anticorps monoclonaux spécifi -
ques des précurseurs des VEGF-C/VEGF-D pour bloquer leur
interaction avec les protéases.
Une autre stratégie consiste à prévenir la liaison des ligands à
leur récepteur. L’utilisation d’un anticorps anti-VEGF-D a ainsi
permis de réduire l’incidence des métastases ganglionnaires in
vivo. De même, l’administration de fragments solubles du domaine
extracellulaire de VEGFR-3 permet une séquestration des VEGF-
C/VEGF-D et une diminution de la lymphangiogenèse et des
métastases ganglionnaires dans plusieurs modèles animaux. Luti-
lisation d’anticorps anti-VEGFR-3 ou anti-VEGF-C est également
en cours de développement et a montré leur potentiel d’inhibition
de la lymphangiogenèse dans des modèles non tumoraux.
L’utilisation d’inhibiteurs des récepteurs de tyrosine kinase
représente une troisième voie. De nombreuses molécules déjà
en cours d’évaluation dans des essais de phases I, II et III sont
des inhibiteurs pan-tyrosine kinase avec, entre autres, une action
sur le domaine catalytique intracellulaire du VEGFR-3. C’est le
cas, par exemple, du PTK787/ZK222584, actuellement en étude
de phase III dans les carcinomes colorectaux métastatiques en
association avec le FOLFOX, et du sorafénib (BAY 43-9006),
qui a montré une activité particulièrement intéressante dans
les cancers du rein métastatique en échec de l’immunothérapie.
Il faut noter que si ces agents inhibent l’activité du VEGFR-3,
aucune étude na, à ce jour, évalué leur action inhibitrice sur la
lymphangiogenèse tumorale.
Nous avons vu précédemment que d’autres acteurs molécu-
laires jouent un rôle probable, mais encore mal défi ni, dans la
lymphangiogenèse tumorale, et que d’autres molécules sont déjà
commercialisées. Cest le cas, par exemple, du bévacizumab,
anticorps anti-VEGF-A, et de l’imatinib, inhibiteur, entre autres,
de la tyrosine kinase du PDGFR. Des études précliniques sont
nécessaires pour démontrer leur capacité à inhiber la lymphan-
giogenèse tumorale.
DISCUSSION
Le développement de traitements ciblant la diff usion métasta-
tique lymphatique, et en particulier la lymphangiogenèse, devrait
permettre de répondre à de nombreuses questions encore en
suspens (tableau IV).
Mise au point
Mise au point
302
Tableau IV.
De nombreuses questions restent encore posées malgré
la meilleure compréhension des mécanismes de la di usion métas-
tatique lymphatique.
1. Quel est le rôle respectif des di érents acteurs moléculaires impliqués dans la
di usion métastatique lymphatique (rôle déterminant ou redondant) ?
2. Existe-t-il un switch lymphangiogénique, et, si oui, quels en sont les stimuli ?
3. Les métastases ganglionnaires sont-elles à l’origine d’une proportion impor-
tante et signi cative de métastases viscérales ?
4. La lymphangiogenèse est-elle un phénomène réversible ou irréversible ?
5. Quelles sont les toxicités prévisibles des drogues antilymphangiogéniques ?
6. Quelle est l’in uence de l’inhibition de la lymphangiogenèse sur la pression
interstitielle intratumorale et ses conséquences sur la pénétration intratumorale
des drogues antitumorales ?
La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 6 - novembre 2006
Nous l’avons vu, à côté de l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3,
de nombreux acteurs moléculaires participent également à la
diff usion métastatique lymphatique. Il sera important de déter-
miner le poids relatif de chacun de ces acteurs dans la diff usion
métastatique lymphatique, afi n de cibler celui ou ceux qui jouent
un rôle déterminant et non redondant (16).
Par analogie avec l’angiogenèse tumorale, il est également impor-
tant de déterminer s’il existe un switch lymphangiogénique, et,
si oui, à quel moment de l’histoire naturelle du cancer il appa-
raît et quels en sont les stimuli : laugmentation de la pression
interstitielle ? L’infi ltration de la tumeur par les macrophages et
autres éléments de l’immunité antitumorale (38) ? Il est probable
que l’inhibition de la diff usion métastatique lymphatique soit
importante à un stade précoce de la maladie.
Si l’envahissement ganglionnaire est un facteur de mauvais
pronostic majeur dans de nombreuses tumeurs solides (cancer
du sein, carcinome épidermoïde de la tête et du cou, mélanome,
CBNPC, etc.), les métastases ganglionnaires elles-même n’enga-
gent quasiment jamais le pronostic vital, à l’inverse des métas-
tases viscérales. Il est donc important de savoir si la présence de
métastases ganglionnaires nest que le refl et des capacités déjà
acquises par les cellules tumorales à diff user par d’autres voies,
telles que la diff usion hématogène, ou si une proportion impor-
tante de métastases viscérales provient de cellules tumorales
ltrées par les ganglions locorégionaux (16). Si les métastases
ganglionnaires sont à l’origine de la totalité ou d’une partie de la
diff usion métastatique à distance, le phénotype lymphophile des
cellules tumorales pourrait ainsi constituer une cible à inhiber
pour éviter l’apparition de métastases à distance. Il est également
possible que les acteurs moléculaires de la diff usion métasta-
tique participent à la croissance des foyers micrométastatiques
présents au moment de l’exérèse de la tumeur primitive et que
leur inhibition puisse prévenir l’apparition de métastases viscé-
rales cliniquement détectables. Dautres études sont nécessaires
pour confi rmer ces hypothèses.
La régulation de la maturation et de la stabilité des vaisseaux
lymphatiques est moins bien connue que celle des vaisseaux
sanguins. L’angiogenèse est un phénomène réversible, et lorsque
les facteurs antiangiogéniques prédominent sur les facteurs
proangiogéniques, les vaisseaux sanguins régressent. Le carac-
tère réversible ou irréversible des néovaisseaux lymphatiques
issus de la lymphangiogenèse est mal connu (16). Sil s’agit
d’un phénomène irréversible, l’inhibition de la lymphangio-
genèse devra être envisagée avant l’apparition des premiers
néovaisseaux lymphatiques, à un stade très précoce de l’évo-
lution tumorale. À l’inverse, si la lymphangiogenèse est un
phénomène réversible, son inhibition pourra intervenir à divers
stades de la maladie.
La question des toxicités potentielles des traitements antilym-
phangiogéniques se pose également (16, 17, 24, 37). Chez
l’adulte, l’inhibition chronique de la lymphangiogenèse pour-
rait favoriser l’apparition d’œdèmes en cas de processus cica-
triciel ou autre réparation tissulaire (par exemple, au cours
d’une irradiation concomitante ou séquentielle). La toxicité
hématologique est également possible, puisque le VEGFR-
3 est exprimé chez l’adulte non seulement par les cellules
endothéliales lymphatiques, mais également par la lignée des
monocytes/macrophages et les précurseurs mégacaryocytaires.
Enfi n, l’expression du VEGFR-3 par certains neurones du cortex
cérébral, de la moelle épinière et de la rétine doit également
rendre prudent le développement des traitements inhibant
l’axe VEGF-C/VEGF-D/VEGFR-3.
Le dernier point à discuter est l’infl uence de l’inhibition de la
lymphangiogenèse sur la pression interstitielle intratumorale et
ses conséquences sur la pénétration intratumorale des cytotoxi-
ques et autres drogues (39). De nombreuses tumeurs solides ont
une pression interstitielle intratumorale élevée. L’augmentation
de la pression interstitielle intratumorale entraîne une diminu-
tion du transport transcapillaire de nombreuses drogues au sein
de la tumeur. Il est possible que l’inhibition de la lymphangioge-
nèse aboutisse à une augmentation de la pression interstitielle
intratumorale et, par voie de conséquence, à une diminution de
la pénétration intratumorale des drogues antitumorales. Des
études seront donc nécessaires pour évaluer les interactions
éventuelles des thérapeutiques antilymphangiogéniques avec
les autres traitements utilisés.
CONCLUSION
Paradoxalement, alors que l’envahissement ganglionnaire est un
facteur prédictif de rechute métastatique utilisé au quotidien pour
décider des traitements adjuvants, ses mécanismes moléculaires
sont mal connus. La découverte de marqueurs spécifi ques des
cellules endothéliales lymphatiques et des acteurs moléculaires de
la lymphangiogenèse représente autant de cibles contre lesquelles
de nouvelles thérapeutiques ciblées sont en cours de dévelop-
pement. Si l’inhibition de la diff usion métastatique lymphatique
représente une nouvelle opportunité d’améliorer la prise en
charge des cancers, de nombreuses questions restent posées sur
le plan biologique, en particulier celle du lien entre métastases
ganglionnaires et survenue des métastases viscérales. N
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