MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 4 - juillet-août 2005
toire naturelle de ces tumeurs germinales malignes ne semble pas
être influencée par l’infection à VIH et reste similaire à celle des
tumeurs retrouvées dans la population générale (31-33). En effet,
les chimiothérapies cytotoxiques standard ont pu être réalisées, asso-
ciées à une tolérance acceptable, et ont permis des taux de réponse
et des survies à 1 an comparables à ceux habituellement obtenus
chez les patients non infectés par le VIH. En termes de présenta-
tion clinique, approximativement 60 à 80 % des patients présentent
un stade I ou II au moment du diagnostic et 20 à 30 % seulement
présentent un stade III. La toxicité limitante reste la neutropénie
accompagnée de fièvre, sans majoration du risque de survenue
d’infections opportunistes. Ainsi, sur le plan thérapeutique, bien
que le nombre de données publiées reste faible, il semble que la chi-
miothérapie et la radiothérapie soient réalisables chez les patients
infectés par le VIH sans trop affecter le statut immunitaire des
patients. On peut espérer une survie sans récidive à long terme de
90 %.
La pathologie cancéreuse des voies aérodigestives a également été
décrite, mais de manière encore limitée, chez les patients infectés
par le VIH. Selon les données de l’étude américaine de Frisch M.
et al. (34), globalement, tous les cancers épithéliaux surviennent en
excès pendant la phase sida, par rapport à l’incidence attendue dans
la population générale. Les cancers oropharyngés amygdaliens sur-
viendraient plus fréquemment chez les hommes infectés par le VIH
que dans la population générale, le risque relatif étant de 2,6
(IC95 :1,8-3,8 ; n = 29). Les auteurs soulignent ainsi le fait que
l’exposition à des cofacteurs environnementaux tels que le taba-
gisme pourrait participer à la cancérogenèse liée à l’infection par
HPV. En effet, les auteurs finissent par conclure que les cancers
amygdaliens décrits chez de jeunes adultes de sexe masculin pour-
raient être en partie expliqués par l’association VIH-sida + carci-
nomes épithéliaux liés au HPV. Toutefois, l’aggravation de
l’immunosuppression ne semble pas s’accompagner d’une majo-
ration de l’incidence de ces cancers de la sphère ORL chez les
patients infectés par le VIH (2).
Bien que des cas de cancer du sein aient été décrits (35), il sem-
blerait que l’incidence du cancer du sein soit plus faible chez les
patientes infectées par le VIH que dans la population générale,
comme cela a été rapporté non seulement dans l’étude de Herida
M. et al. (7)mais également dans deux précédentes études menées
respectivement en Afrique et aux États-Unis (36, 37). Une des
hypothèses principales repose sur un nombre de données man-
quantes, mais certains auteurs semblent suggérer d’autres hypo-
thèses (faible milieu socio-économique, âge précoce du premier
enfant, forte parité et faible absorption d’alcool) (38). Par ailleurs,
cette faible incidence de cancer du sein a dores et déjà été rap-
portée chez les patients immunodéprimés par transplantation
d’organe (39).
Quant aux enfants infectés par le VIH, ce sont les myélosarcomes
qui ont surtout été rapportés dans la littérature, avec une fréquence
de survenue particulièrement élevée et des présentations plutôt
agressives par rapport à ce qui est retrouvé chez les enfants non
infectés par le VIH (40).
Au total, ces nouveaux types de cancers requièrent plus que
jamais une approche multidisciplinaire afin d’adapter au mieux
les options thérapeutiques appropriées.
TOLÉRANCE ET INTERACTIONS THÉRAPEUTIQUES
CHEZ LES PATIENTS INFECTÉS PAR LE VIH
De nombreuses questions restent en suspens tant en termes de
faisabilité que de tolérance en ce qui concerne les différents agents
cytotoxiques et les traitements antirétroviraux utilisés chez les
patients infectés par le VIH et atteints de pathologie maligne. Le
traitement des patients infectés par le VIH se complique souvent
et rapidement d’une toxicité médullaire secondaire au traitement
antirétroviral, anti-infectieux et de surcroît antimitotique, tous
ces traitements pouvant être administrés de manière concomi-
tante. L’utilisation de facteurs de croissance diminuerait ainsi la
morbidité chez ces patients de même que le risque de survenue
d’infections opportunistes, et pourrait améliorer la qualité de vie.
Pour les autres toxicités, elles rejoignent celles des traitements
standard et les toxicités propres à chaque drogue, avec parfois une
moins bonne tolérance digestive (nausées et/ou vomissements,
diarrhée) et cutanée (plus grande fréquence des surinfections fun-
giques, surtout si une radiothérapie externe est associée) [41].
Quant aux interactions entre les différents traitements, il est
important de souligner que les inhibiteurs de protéase et certains
inhibiteurs non nucléosidiques de transcriptase inverse parta-
gent la même voie métabolique. En effet, leur métabolisme
commun se fait via la famille du cytochrome (CYP34). Cette
voie concerne les anthracyclines, les alcaloïdes de la pervenche
et l’étoposide, mais aussi certains taxanes (paclitaxel) ou
encore le tamoxifène. Par conséquent, certaines associations
thérapeutiques pourraient être remises en cause (42).
Au total, pour mieux parer à l’immunosuppression induite par
la chimiothérapie antitumorale péjorative pour la réplication
virale, une combinaison avec un traitement antirétroviral doit
être envisagée. Pour le contrôle des infections opportunistes,
on se doit de discuter l’administration des traitements anti-
infectieux de prophylaxie tels que ceux habituellement utili-
sés contre la pneumocystose, la toxoplasmose, les mycobacté-
ries atypiques ou les mycoses digestives, étant donné l’absence
actuelle de recommandations concernant la prise en charge thé-
rapeutique des cancers associés à l’infection à VIH (43).
En conclusion, cette nouvelle approche nécessite l’intervention
et l’expertise d’oncologues, d’infectiologues et d’internistes ou
d’autres spécialistes concernés par la prise en charge de patients
infectés par le VIH. Ces nouvelles complications conduisent à
mettre en place des études épidémiologiques et biologiques des-
tinées à mieux comprendre la pathogenèse, le dépistage, l’évo-
lution et la prise en charge de ces pathologies malignes surve-
nant chez des patients infectés par le VIH.
C’est la raison pour laquelle un projet d’étude prospective (l’étude
ONCOVIH) va prochainement se mettre en place en France, ayant
pour but d’identifier les nouveaux cas de tumeurs malignes sur-
venant chez des personnes infectées par le VIH, de décrire la
typologie de ces pathologies malignes, leur prise en charge et leur
évolution sur une période de douze mois. Ces informations seront
essentielles pour mieux dépister et pour améliorer la prise en
charge de ces pathologies qui deviennent une cause de mortalité
fréquente chez les sujets infectés par le VIH. Le protocole ONCO-
VIH est disponible sur le site : www.ccde.chups.jussieu.fr.
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